Voici un petit bouquin qui arrive fort à propos. Rédigé par un auteur qui se passe de présentation, Philippe Meirieu, il parait dans une collection au nom fort significatif : « Libelle ». Bien que, comme l’indique le dictionnaire, ce terme renvoie à un écrit incisif de nature satirique, voire diffamatoire (ce que l’on nomme souvent pamphlet), cette collection n’a rien du pamphlet facile. Elle se veut d’abord informative. D’ailleurs, sa devise est « alerter, informer, questionner ». Pour ce faire, elle publie de courts textes (à peine une cinquantaine de pages, dans un format de poche) sur différents sujets d’intérêt public. Au diapason de la collection, cette nouvelle production de Meirieu – qui en a tant à son actif – ne se veut pas neutre, mais engagée. Toutefois, cette position engagée ne signifie pas prêt-à-penser, slogan et doxa du jour. Bien au contraire, Meirieu y développe un argumentaire fait de convictions, certes, mais aussi de nuances. De quoi nous parle- t-il justement ? Bien entendu de la profession enseignante (des professeurs) comme le titre l’indique. En fait, Meirieu nous met en garde contre les dérives managériales et technocratiques qui ont pour conséquences de dénaturer la profession. Voyons cela un peu plus en détail. L’auteur commence par constater une tendance de plus en plus lourde en France (mais un lecteur québécois s’y reconnaitra facilement) pour dire que s’il y a un adulte devant les élèves, il y a donc un professeur dans la classe. Rien n’est moins sûr, nous dit Meirieu. Il se demande même si nos sociétés veulent encore des professeurs, au sens où l’entendait par exemple le philosophe Gusdorf (Pourquoi des professeurs ?, 1963, Payot) au début des années 1960, c’est-à-dire quelqu’un qui est plus « qu’un répétiteur de vérités toutes faites ». Avec la technocratisation et la clientélisation de l’éducation, certains États semblent aujourd’hui préférer des « gardiens » plutôt que de vrais professeurs, ce qui n’est pas sans danger sur le plan social, car l’éducation joue un rôle social majeur en formant les générations futures d’adultes. Qu’on nous permette ici de citer un peu longuement Meirieu : Sur cette lancée, Meirieu démontre à quel point être professeur est un « métier contesté », car sa nature où prédomine la « variable humaine » est en porte-à-faux avec les dictats de la technocratie et de la gestion, qui ne jurent que par l’« obligation des résultats ». Dans ce contexte, c’est la profession enseignante qui est menacée. Menacée, la profession l’est d’abord par ceux qui font la promotion des « bonnes pratiques » (evidence-based education). En définitive, ceux-ci souhaitent réduire le pouvoir et la liberté des professeurs au profit d’une régulation des pratiques, les rendant aussi homogènes que possible, et donc plus facilement contrôlables. Vieux rêve de certains chercheurs en sciences de l’éducation. Pour Meirieu, les technologies participent de ce rêve. Plus, encore, les chantres de certaines d’entre elles – pensons à l’intelligence artificielle (IA) – croient pouvoir se passer des professeurs en les remplaçant par des vidéos ou des sites Internet. Dans l’immédiat, l’obsession des résultats a pour effet, entre autres, d’exercer une pression constante sur les gestionnaires des établissements, de prioriser, dans les écoles mêmes, des considérations non pédagogiques et de faire en sorte que les professeurs se sentent souvent largués par leur propre institution. Comme le souligne l’auteur, « [e]n réalité, nous voudrions avoir des enfants savants et bien éduqués mais nous rechignons à en payer le prix » (p. 33). Et ce prix, pour Meirieu, passe par le refus du technocratisme et de l’esprit comptable. On l’aura compris, Meirieu …
Meirieu, P. (2023). Qui veut encore des professeurs ? Seuil
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Stéphane Martineau
Université du Québec à Trois-Rivières
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