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1. Introduction

Plusieurs références de la littérature caractérisent les plantes d’outil efficient pour la remédiation des métaux lourds et polluants divers (PRASAD, 2005; FRANZLE, 2006; REMON, 2006). En effet, la phytoremédiation est une biotechnologie basée sur la coopération synergique des racines des plantes et des microorganismes du sol pour décomposer, transférer, désactiver et immobiliser les contaminants de l’environnement (AZADEH et al., 2013; FATIMA et al., 2016). Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP ) contenus dans les produits pétroliers sont l’un des polluants organiques persistants (POP) les plus retrouvés dans l’environnement (OLESZCZUK et BARAN, 2005). La contamination des sols et des eaux souterraines par les HAP est une menace environnementale émergente en raison des éventuels impacts toxiques sur différents récepteurs écologiques (MASAKORALA et al., 2013).

Les HAP peuvent être adsorbés ou liés à plusieurs composants du sol tels que les argiles, les oxydes de fer, et la matière organique en particulier. L’adsorption compétitive entre les lipides végétaux et le carbone organique du sol résulte de la faible biodisponibilité des HAP pour les racines des plantes lorsque la teneur en matière organique du sol est plus élevée (BALASUBRAMANIYAM, 2015). La biodisponibilité des HAP dans le sol est donc fonction du coefficient de partage octanol/eau (Kow) qui exprime le partage d’un soluté entre l’eau et un solvant non miscible. Toutefois, sous l’effet des phénomènes naturels, des facteurs géophysiques et climatiques, un relargage de ces polluants peut survenir et ainsi entrainer la pollution plus ou moins importante des ressources en eau. Il convient donc pour une gestion durable de ces ressources, dans le contexte tropical, de mettre sur pied des solutions adaptées, relativement peu couteuses et facilement exploitables. Même si la phytoremédiation répond favorablement à ces exigences, une sélection d’espèces végétales à haut potentiel de phytoremédiation s’avère nécessaire (PEREZ-HERNANDEZ et al., 2013; BARUAH et al., 2014). Le présent travail de recherche, orienté dans ce sens, est principalement axé sur l’étude des potentialités de six espèces végétales identifiées sur des sites potentiellement pollués par les hydrocarbures dans quatre villes du Cameroun, pays de l’Afrique équatoriale.

2. Matériels et méthodes

2.1. Analyses de la diversité des sites pollués par les hydrocarbures au Cameroun

L’étendue géographique de la zone d’étude concerne quatre villes au Cameroun : Yaoundé (3°52ʹN et 11°31ʹE, 750 m d’altitude), Kribi (2°57ʹN et 9°55ʹE, 18 m d’altitude), Limbé (4°00ʹN et 9°13ʹE, 69 m d’altitude) et Douala (4°03ʹN et 9°52ʹE, 13 m d’altitude). Au total 26 sites ont été étudiés avec autant de sites pollués et non pollués. Pour chaque site, des relevés floristiques de 6 x 6 m ont été délimités sur une surface et cinq quadrats de 1 x 1 m y ont été réalisés. L'étude a été menée du 21 janvier au 12 février 2015 (saison sèche).

La diversité floristique et spécifique des sites a été évaluée à travers la fréquence relative (Fri), l’abondance relative (A), la richesse spécifique et l’indice de diversité de Shannon (Hʹ) :

  • la fréquence relative (Fri) permet d’avoir le taux de présence d’une espèce dans un site (GILLET, 2000). Elle a été calculée comme suit :

     

    equation: 5036850n.jpg (1)

     

    Fri est la fréquence relative de l’espèce i; Fa la fréquence absolue de l’espèce i; nr le nombre total de relevés floristiques. La fréquence absolue Fa est le nombre de relevés dans lesquels l’espèce i est présente.

     

  • l’abondance relative (A) d’une espèce donnée dans un tableau d’association se calcule en transformant chaque abondance-dominance en pourcentage de recouvrement moyen R, divisée par le nombre de relevés (nr) suivant l’équation ci-dessous (MEDDOUR, 2011) :

     

    equation: 5036851n.jpg (2)

     

  • l'équation de l'indice de diversité de Shannon (Hʹ) est :

     

    equation: 5036852n.jpg (3)

     

    S est le nombre total d’espèces et Pi la proportion d’individu de l’espèce i sur le nombre total d’individus.

2.2. Caractéristiques physicochimiques des sols pollués

Le sol utilisé est de texture sablolimoneuse (81,06 % de sable; 11,25 % de limon et 3,96 % d’argile), fertile (P et N 1,5∙103 mg∙kg‑1 matière sèche) et de capacité d'échange cationique moyenne (8,8 méq∙100 g‑1 de sol). Son indice d’hydrocarbure (C10-C40) est de 31 100 ppm. Les 16 HAP (63,55 ppm) classés prioritaires par l’Environmental Protection Agency (États-Unis) y sont présents, le naphtalène étant plus abondant (27 ppm), suivi du phénanthrène (14 ppm) et du fluorène (7,9 ppm) (Tableau 1).

Tableau 1

Paramètres physicochimiques des sols pollués en début d’expérimentation

Physico-chemical parameters of the polluted soils at the beginning of the experiment

Paramètres physicochimiques des sols pollués en début d’expérimentation

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2.3. Développement des espèces végétales sur sols contaminés au fioul domestique

Le développement des espèces végétales sur sols contaminés au fioul a été conduit d’avril à septembre 2016 en condition ambiante dans l’enceinte du laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie (ICube) situé dans la ville de Strasbourg (48°34ʹ24,21ʹʹN; 7°45ʹ8,47ʹʹE), France. Une station météo de marque WatchDog a servi à la prise des données climatiques sur le site.

Le dispositif expérimental pour chacune des espèces végétales utilisées se compose de trois modalités : xTn (sol non pollué planté); yTo (sol pollué non planté) et zTp (sol pollué planté). Vingt-sept pots de 4 L (= 0,20 m; H = 0,15 m) perforés à la base et disposés dans des soucoupes ont été remplis de 4 kg de sols; puis 21 de ces pots ont été pollués à 10 % (poids/poids) avec du fioul domestique; soit un volume équivalent à 330 mL (MERKL et al., 2005; OSADOLOR et ANIMETU, 2013; NJOKU et al., 2014).

Les plantules âgées de deux semaines à un mois et mesurant 2-6 cm en fonction de l’espèce végétale considérée (Eleusine indica (L.) Gaertn., Cynodon dactylon (L.) Pers., Alternanthera sessilis (L.) R. Br. ex DC†, Commelinpa benghalensis L., Cleome ciliata Schum. et Thonn., et Asystasia gangetica (L.) T. Anderson), ont fait l’objet d’un suivi bimensuel des variations morphologiques (taille de la tige, nombre de feuilles, surface foliaire, densité), afin d’apprécier l’effet des hydrocarbures sur leur développement.

2.4. Analyse statistique

Le logiciel PAST V.3.0. a servi pour le calcul des indices de diversité spécifique et le test de Fisher du logiciel TANAGRA 1.4.50 aux analyses statistiques des données.

3. Résultats et discussion

3.1. Diversité spécifique

La richesse spécifique (S) varie de 7,8 à 17,8 dans les sites pollués, et de 23,6 à 34,3 dans les sites témoins. Les valeurs de l’indice de Shannon (Hʹ) dans les sites pollués vont de 1,6 à 2,7 bits∙ind‑1, tandis que dans les sites témoins ils sont entre 2,7 et 3,2 bits∙ind‑1 (Figure 1a et 1b). Les tests de Fisher des différents sites d’étude montrent que les valeurs de S (P[Tt] = 0,0039; |t| = 4,55) et Hʹ (P[Tt] = 0,036; |t| = 2,69) dans les sites pollués sont significativement plus faibles que dans les sites témoins. Ce résultat traduit la faible diversité spécifique des sites pollués par rapport aux sites témoins. Plusieurs auteurs affirment que dans un environnement soumis à des conditions difficiles, le nombre d’espèces attendu est faible. Mais malgré la faible diversité spécifique des sites pollués, les espèces végétales qui s’y développent se démarquent par leur fréquence d’apparition et leur abondance élevées. Elles peuvent donc être qualifiées de polluotolérantes (SCHWOERTZIG et al., 2015).

Figure 1

Variation de la richesse spécifique (a) et de l’indice de Shannon (b) dans les sites témoins et pollués des quatre villes étudiées (n = 13)

Change in species richness (a) and Shannon diversity index (b) in control and polluted sites for four cities surveyed (n = 13)

Variation de la richesse spécifique (a) et de l’indice de Shannon (b) dans les sites témoins et pollués des quatre villes étudiées (n = 13)

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3.2. Espèces végétales tropicales potentiellement phytoremédiatrices des hydrocarbures

Les sites pollués étudiés présentent 15 espèces végétales à coefficient d’abondance-dominance plus élevé (Tableau 2). En fonction de leurs fréquences et abondance, six d’entre elles ont été retenues comme espèces générales majeures (Fri et A > 10 %) et les autres espèces (9) comme potentielles majeures (Fri > 10 % et 7 % < A < 10 %). La famille des Poaceae à elle seule regroupe cinq espèces potentiellement phytoremédiatrices des hydrocarbures. Les familles des Amaranthaceae, Asteraceae et Euphorbiaceae possèdent deux espèces chacune; tandis que les familles des Commelinaceae, Cyperaceae, Capparaceae et Acanthaceae sont monospécifiques. Parmi les espèces de ces familles, quelques-unes ont montré des potentialités à dépolluer des sols. En effet, des études conduites au Nigéria avec plusieurs espèces de Poaceae, notamment Panicum maximum, Eleusine indica et Axonopus compressus montrent que ces espèces peuvent contribuer à l’élimination d’huiles et de pétrole brut à des pourcentages de l’ordre de 43 à 55 % (OGBO et al., 2009; EFE et OKPALI, 2012; OYEDEJI et al., 2013; NJOKU et al., 2014). Les Poaceae sont en général considérées comme particulièrement exploitables pour la phytoremédiation des HAP, car elles possèdent un système racinaire fibreux, extensif et diversifié (MERKL et al., 2005; OGBO et al., 2009; NJOKU et al., 2009). Ces caractères pourraient non seulement leur donner l’avantage d’être plus compétitives lors de la colonisation des milieux pollués, mais aussi favoriser l’activité microbienne, facteur le plus important dans les processus de dégradation des HAP (OGBO et al., 2009; OYEDEJI et al., 2013 ).

Tableau 2

Espèces végétales les plus fréquentes et les plus abondantes sur les sites pollués par les hydrocarbures de chaque ville

The most frequent and abundant plant species on hydrocarbon-polluted sites of each city

Espèces végétales les plus fréquentes et les plus abondantes sur les sites pollués par les hydrocarbures de chaque ville

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3.3. Variation morphologique des espèces végétales suite à une pollution aux HAP

Au bout de la 4e semaine, aucun individu des espèces de A. gangetica, C. ciliata et C. benghalensis n’a survécu dans les modèles Tp et Tn. Pour les plantes ayant survécu, notamment E. indica, C. dactylon et A. sessilis le débourrement a été effectif dès la 2e semaine après semis, mais les différences significatives pour les paramètres morphométriques n’ont été perceptibles qu’à partir de la 8e semaine. Les plantes de la modalité Tn présentent des caractères morphométriques significativement plus évolués que ceux de la modalité Tp.

De la mise en terre des bourgeons à la 6e semaine, l’évolution de la taille des tiges de toutes les plantes est relativement faible. À partir de la 8e semaine, les pots témoins de A. sessilis (AsTn) ont des tiges significativement plus grandes que les pots pollués (AsTp). Une évolution similaire est observée chez E. indica. Cependant, aucune différence significative n’est observée tout au long des expérimentations pour l’espèce C. dactylon (Figure 2). Contrairement à la taille des tiges, les différences pour le nombre de feuilles sont perceptibles dès la 4e semaine (Figure 3). À partir de cette période, le nombre de feuilles dans les pots pollués de A. sessilis est significativement plus faible que dans les témoins jusqu’à la 18e semaine où les tendances s’inversent.

Figure 2

Évolution de la taille des tiges au cours du temps (n = 3)

Evolution of stem size over time (n = 3)

Évolution de la taille des tiges au cours du temps (n = 3)

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Figure 3

Évolution du nombre de feuilles au cours du temps dans les différents modèles (n = 3)

Evolution of the number of leaves over time in the different models (n = 3)

Évolution du nombre de feuilles au cours du temps dans les différents modèles (n = 3)

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Contrairement à E. indica et C. dactylon, A. sessilis présente une évolution très faible et tardive dans les pots pollués. Ceci serait le résultat d’une inhibition de croissance suite à la présence du fioul dans les sols. Les plantes n’ont évolué significativement que dix semaines après repiquage, probablement à cause de la réduction des polluants par l’action combinée de l’évaporation du lessivage et des microorganismes du sol.

4. Conclusion

Au final, 106 espèces de plantes ont été répertoriées dans les sites potentiellement pollués étudiés dans les quatre villes du Cameroun. Elles appartiennent à 76 genres et 30 familles. Quinze de ces espèces végétales ont les coefficients d’abondance-dominance les plus élevés, avec six d’entre elles retenues comme espèces générales majeures (Fri et A > 10 %) et les autres espèces (9) comme potentielles majeures (Fri > 10 % et 7 % < A < 10 %). En présence de 330 mL de fioul domestique pour 4 kg de sol, seules trois (E. indica, C. dactylon et A. sessilis) des six espèces testées ont survécu et peuvent de ce fait être qualifiées de polluotolérantes. De ces trois espèces, deux appartiennent à la famille des Poaceae (Eleusine indica (L.) Gaertn. et Cynodon dactylon (L.) Pers.) et une espèce à la famille des Amaranthaceae (Alternanthera sessilis (L.) R. Br. ex DC†). Les capacités phytoremédiatrices de ces espèces pourraient être évaluées dans des conditions de stress plus élevé par augmentation du degré de pollution hydrocarbonée.