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Introduction

Les inondations constituent un risque majeur du monde contemporain. Elles figurent au premier rang des catastrophes naturelles dans le monde en occasionnant environ 20 000 victimes par an (SIMONA et CEDRIC, 2007). À l’instar du reste du monde, la région méditerranéenne a connu de multiples inondations qui deviennent une menace de plus en plus redoutable. Les précipitations y dépassent souvent 200 millimètres en 24 heures (DUCROCQ, 2006), et parfois en moins de six heures.

Le Maroc a connu au début du 21e siècle des inondations majeures qui ont causé des dégâts économiques importants dans plusieurs régions du pays. Les événements catastrophiques de la vallée de l’Ourika en 1995, de la ville de Tétouan et de la plaine de Martil en 2000, des régions de Mohammadia, Berrechid et Settat en 2002, de la région de Tanger en 2008, de la plaine du Gharb en 2009, de la région de Taza en 2010 et de la région de Khénifra en 2011, en témoignent.

Le bassin versant de Tahaddart (nord-ouest du Maroc) est fortement exposé au risque d’inondation. En effet, les intempéries enregistrées dans cette région montrent à quel point la protection contre les inondations est devenue un enjeu majeur. Elle constitue, par conséquent, un défi capital de la gestion des ressources hydriques. En effet, la forte irrégularité des régimes hydrologiques du bassin de Tahaddart, la nature des terrains de couverture (sols), souvent imperméables, et la disparité entre un relief montagneux en amont et une vaste plaine alluviale en aval expliquent la génération d'un ruissellement important ainsi que des crues subites et violentes. Ces dernières peuvent engendrer des inondations qui ont souvent causé de sérieux dommages pour les infrastructures publiques, les biens des populations, l’agriculture et parfois des pertes en vies humaines.

De plus, il est à noter qu’avec les changements climatiques, la susceptibilité du bassin versant de Tahaddart à être affecté par des inondations menaçant le développement économique, les infrastructures et les écosystèmes naturels de la région, devient de plus en plus grande. En effet, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, 2007) affirme l’augmentation de la fréquence des inondations dans les zones côtières méditerranéennes, l’élévation du niveau de la mer, les surcotes de tempête et le prolongement de la période de sécheresse sont presque inévitables en tant que conséquences des changements climatiques.

À ce titre, NICHOLLS et al. (2008) affirment que l'urbanisation galopante couplée à l'évolution du climat pourrait entraîner un triplement du nombre de personnes exposées à des inondations côtières dans le monde d'ici 2070.

Par conséquent, l’étude du risque d’inondation dans le bassin versant de Tahaddart se justifie par une vulnérabilité qui augmente fortement avec le développement urbain dans les zones inondables et par l’émergence de situations de risque là où il n’y en n’avait pas auparavant.

Le développement de l’agriculture et de l’urbanisme se fait le plus souvent dans les plaines inondables, en raison de la présence d’eau, de meilleures terres, ainsi que d'une topographie favorable aux constructions et aux cultures. L’expansion de l’urbanisation a tendance à se faire également sur des zones inondables qui sont plus faciles d’accès et moins coûteuses pour les travaux de construction.

Cette évolution est également liée à des facteurs anthropiques, notamment l’intensification des activités industrielles et l’urbanisation croissante qu’a connue la province de Tanger après l’indépendance (ACHAB, 2011). Ces activités socio-économiques ont favorisé les travaux de construction et la mise en place de nombreux ouvrages de génie côtier le long du littoral de Tahaddart, conduisant ainsi à des modifications dans la distribution des sédiments et à une dégradation de l’environnement naturel de ces zones (AMHARAK, 2006; NACHITE et al., 2008).

L’objectif principal du travail ici présenté est d’étudier la problématique des inondations du bassin de Tahaddart à travers une modélisation des crues afin d’identifier les zones à risque. Il s'agit alors d'évaluer le risque d’inondation afin de fournir les informations nécessaires aux acteurs locaux pour asseoir une stratégie et se prémunir contre les effets néfastes des inondations.

2. Matériel et méthodes

2.1 Présentation de la zone d’étude

Le bassin versant de Tahaddart, situé au nord-ouest du Maroc, fait partie du Rif occidental. Il s’étend sur une superficie de près de 1 145 km2 et couvre 16 communes rurales réparties entre les provinces de Tanger, Tétouan, Larache et Fahs-Anjra et est limité à l'Ouest par l'Océan Atlantique (Figure 1).

Figure 1

Situation géographique du bassin versant de Tahaddart.

Location of Tahaddart watershed.

Situation géographique du bassin versant de Tahaddart.

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Le climat de la région est de type méditerranéen sub-humide avec un hiver humide et doux et un été sec et chaud qui s'étend sur cinq mois, de mai à septembre (KARROUK, 1990). La zone profite de l’influence conjuguée de deux façades maritimes (la Méditerranée et l’Atlantique) et enregistre une moyenne pluviométrique de l’ordre de 765 mm•an‑1 (ACHAB, 2011).

Le bassin versant de Tahaddart se caractérise par une diversité morphologique marquée. On y rencontre les plaines alluviales, peu élevées et larges, couvrant les basses vallées des principaux oueds, et pénétrées en toute saison par les flots d’eau marine; les collines dont les unes bordent les massifs montagneux et les autres s’individualisent au sud-ouest et au nord-est; ainsi que les basses et moyennes montagnes qui délimitent le bassin dans la partie amont.

Sur le plan géologique, le bassin versant montre une mosaïque de substrats, avec des formations de flysh et de marnes schisteuses. Les alluvions quaternaires se sont déposées principalement sur ces formations au niveau des vallées des oueds M’harhar et Al Kharroub. On rencontre des grès numidiens, des conglomérats ouljiens, des sables gréseux du quaternaire moyen, des galets flandriens et des lumachelles (EL GHARBAOUI, 1981).

Le réseau hydrographique du bassin est très développé et assez ramifié. Il prend naissance dans les montagnes prérifaines. L’abondance des précipitations dans la zone, la prédominance des faciès argileux peu perméables, meubles et érodables, ainsi que le relief relativement accidenté, expliquent la densité assez élevée du drainage au niveau du bassin. Le régime d’écoulement est très étroitement lié au climat et plus particulièrement aux précipitations qui se caractérisent par leur fréquence irrégulière ainsi que leur forte intensité pendant une courte durée.

Le réseau hydrographique du bassin se compose de deux principaux cours d’eau : l’oued M’harhar dans la partie nord et l’oued Hachef dans la partie sud du bassin, séparés par la formation collinaire de Haouta Beni Médiar et donnant naissance vers l’aval à l’oued Tahaddart.

Le bassin versant se caractérise par une biodiversité floristique et faunistique très riche, avec des écosystèmes d’un grand intérêt écologique (zones humides, terrains boisés, océan, etc.). Ces zones, grâce à la présence d'eau, constituent un refuge pour de nombreuses espèces animales, notamment les oiseaux. Les forêts naturelles sont à base d’écosystèmes de chênes lièges et de chênes zènes souvent dégradés sous la pression anthropique de plus en plus accentuée.

2.2 Cadre méthodologique

Le concept de risque est en soi assez complexe et il peut s’exprimer en termes semi-quantitatif (classification) ou quantitatif (monétaire). Il ne peut toutefois se définir qu'en considérant simultanément, et sur un même espace, les épisodes de crue et une utilisation sociale de cet espace qui souffre (ou tire profit) d'un surplus d'eau. Cela a amené les théoriciens de la cyndinique (science de l'étude du risque)à définir le risque comme résultant de deux facteurs réputés indépendants que sont l'aléa et la vulnérabilité. Cette approche est à peu près admise par tous aujourd'hui (GENDREAU et GILARD, 1997; MOLIN-VALDES, 1994). À noter que cette décomposition du risque est une première modélisation conceptuelle de l'objet étudié, qui comporte donc sa part de simplification (GILARD et GIVONE, 1997).

L’évaluation du risque d’inondation dans le bassin versant de Tahaddart se base sur une approche semi-quantitative dans laquelle les objets à protéger sont classés selon le degré de protection dont ils ont besoin. Cette méthode a pour but d’établir les priorités d’intervention dans les zones en déficit de protection. Les buts de protection sont définis en fonction de la catégorie des objets et de la période de retour du phénomène.

Dans la littérature, une autre approche très répandue s’inspire de la science économique et vise à quantifier le risque en termes monétaires (monétisation) en vue de mesurer l’opportunité des mesures d’atténuation. On parle d’une analyse coût-bénéfice qui est une méthode générique d’évaluation de politiques publiques, mettant en balance les coûts et bénéfices qu’elles impliquent (GRELOT et al., 2008).

2.2.1 Facteur aléa

L'aléa représente la crue en tant que phénomène physique, naturel et non maîtrisable, indépendamment de ses effets potentiels sur l’environnement et les activités humaines. L'aléa dépend du comportement hydrologique du bassin versant et du fonctionnement hydraulique du réseau hydrographique.

L’aléa se représente par une carte qui permet d’identifier les zones où les inondations sont susceptibles de se produire, de façon plus ou moins étendue et fréquente (CHASTAN, 1995). Il repose sur la combinaison des deux notions suivantes : la récurrence d’une inondation et la submersion.

La récurrence d’une inondation est liée à une période de retour de débits de crues, ce qui implique des calculs fréquentiels sur une série historique de débits ou sur une série synthétique reconstituée à partir de mesures de précipitations via un modèle hydrologique intégré.

Une attention particulière doit être accordée à la période de retour d’une crue d’un point de vue fréquentiel. En effet, un temps de retour d’une crue de 100 ans ne signifie pas que cette crue se produit tous les 100 ans, mais que celle-ci a une probabilité de 1 % de se produire ou d’être dépassée (probabilité au dépassement) une année donnée.

Ainsi, trois catégories de récurrence ont été distinguées sur la base de la période de retour, à savoir : une récurrence faible pour les inondations dont la période de retour se situe entre 50 et 100 ans, une récurrence moyenne pour les inondations dont la période de retour se situe entre 10 et 50 ans, et une récurrence élevée pour les inondations dont la période de retour est inférieure à 10 ans.

Selon les données de l’Agence du Bassin Hydraulique du Loukkos, les quantiles de crue du bassin versant de Tahaddart sont présentés au tableau 1.

Tableau 1

Débits de pointe des crues des rivières du bassin versant de Tahaddart (d’après l’Agence de Bassin Hydraulique du Loukkos).

Peak river flows for the Tahaddart watershed (according to the Loukkos Hydraulic Basin Agency).

Débits de pointe des crues des rivières du bassin versant de Tahaddart (d’après l’Agence de Bassin Hydraulique du Loukkos).

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En se basant sur l’analyse de l’historique des crues de la région du Tangérois, la Direction des Ressources Hydrauliques de Tétouan propose une forme triangulaire simple dite 1/3 - 2/3 pour simuler les hydrogrammes de crue. Cette forme est évidemment théorique, mais elle se rapproche assez de quelques limnigrammes des crues enregistrées au niveau des stations de l’aire de l’étude.

C’est un hydrogramme adimensionnel, lissé selon l’approche de Maxwell, qui est utilisé pour définir les hydrogrammes des crues, avec un temps de base égal à deux fois le temps de concentration du bassin versant et à trois fois le temps de montée.

Tenant compte des temps de base et de montée observés au niveau de différents hydrogrammes de crues de la station de Jbel Lahbib, le temps de base retenu pour les bassins des oueds Kharoub et Khobz est de 26 heures et le temps de concentration est de 13 heures.

La submersion d’une inondation est caractérisée principalement par son étendue et sa profondeur dans la plaine de débordement. De ce fait, on distingue trois catégories de submersion en fonction de leur profondeur : la submersion faible, dont la profondeur est inférieure à 0,5 mètre, la submersion moyenne, dont la profondeur se situe entre 0,5 et 1 mètre, et la submersion élevée, dont la profondeur dépasse 1 mètre.

Une inondation, au sens d’aléa, est un phénomène naturel très complexe dont l’analyse nécessite des outils performants et élaborés comme les modèles hydrodynamiques par exemple. Dans le cadre de la gestion des inondations, la modélisation hydrodynamique est devenue un outil courant (HORRITT et BATES, 2002). Elle vise à prédire numériquement l’évolution spatio-temporelle des caractéristiques hydrauliques d'une rivière au cours d’une crue (débit, courants, hauteur d’eau, surfaces inondées, etc.). C’est un outil offrant un grand intérêt pédagogique (création de cartes d’inondations pour l’information des populations : prévention), et/ou prospectif (outil d’aide à la décision : protection et prévention; KREIS, 2004).

Au niveau du bassin versant de Tahddart, les zones de débordement des rivières ont été cartographiées en utilisant un modèle numérique de terrain (qui représente la topographie du bassin) et le logiciel HEC-RAS 4.1 (Hydrologic Engineering Center - River Analysis System). Ce logiciel permet une modélisation 1D des écoulements en régime permanent ou transitoire (KREIS, 2004).

Ainsi, la largeur et la configuration des cours d’eau ont été cartographiées sur la base des photos aériennes existantes de l’année 2004. Au vu la taille importante du bassin versant, la topographie du lit mineur a été rééchnatillonée à une résolution de 1 mètre à partir d'un MNT pré-existant et à une résolution de 20 mètres. Les profils en travers ont été générés sur la base du MNT existant et espacés de 300 mètres.

Pour la définition des coefficients de rugosité, une distinction a été faite, d’une part, entre la partie haute du bassin, caractérisée par un lit mineur sinueux, une végétation sur les berges et un lit majeur composé de plaines sans broussailles avec une végétation courte et, d’autre part, la zone avale homogène, sans végétation et sous influence directe de la marée.

Étant donné la nature, l’occupation et la morphologie des lits mineur et majeur des cours d’eau, nous avons opté pour des valeurs du coefficient de Manning (n) de 0,04, 0,03 et 0,022 respectivement pour le lit mineur, le lit majeur et la partie avale.

Ainsi, la carte d’aléa obtenue représente l’ensemble des surfaces inondables pour la crue de référence (décennale, cinquantennale ou centennale), hiérarchisées selon les hauteurs d'eau. Les simulations sont réalisées en conditions stationnaires.

Enfin, selon la combinaison des valeurs de récurrence et de submersion, les valeurs de l’aléa inondation sont définies (faibles, moyens, élevés). À titre d’exemple, dans le cas d’inondations fréquentes à forte profondeur de submersion, on obtiendra un aléa élevé et, à l’inverse, dans le cas d’inondations rares à faible profondeur de submersion, l’aléa sera faible.

2.2.2 Facteur vulnérabilité

La vulnérabilité est la deuxième composante du risque. Cette notion a fait jaillir un débat scientifique ardu. Certains chercheurs l’abordent à partir des conséquences potentielles pour les vies humaines et les biens (dommages directs); d’autres l’appréhendent en fonction des facteurs favorables aux endommagements ou influant sur la capacité de réponse des sociétés à une situation catastrophique (D’ERCOLE, 1994).

Si différentes approches et méthodes d’évaluation des vulnérabilités existent, il est possible de distinguer, d’une part, les approches analytiques qui recherchent les causes directes et indirectes d’une catastrophe et, d’autre part, les approches systémiques basées sur la modélisation explicative ou prédictive d’un système complexe (BARROCA et HUBERT, 2008; LEONE, 2007). À l’intérieur de ces deux approches, il est possible de différencier certaines sensibilités : rétrospectives, construites par les retours d’expériences; prospectives, visant à la réalisation de diagnostics ou de scénarios de risque; diachroniques, voire dynamiques, étudiant l’évolution temporelle de la vulnérabilité (PROVITOLO, 2002; BOUCHON, 2007).

D’après ANCEY (2005) et HOSTACHE (2006), la vulnérabilité exprime le degré de dommage d’un enjeu soumis à un aléa d’intensité et d’occurrence donné. Ces dommages peuvent être de plusieurs natures (TORTEROTOT, 1993) :

  • pertes en vies humaines et effets sur la santé des personnes;

  • dégâts matériels directs;

  • impacts liés aux difficultés de fonctionnement, d’échange, et de communication (qualifiés d’impacts indirects).

Dans notre cas, la vulnérabilité étudiée est celle de l’occupation du sol qui traduit le fait que des dommages économiques directs et indirects, et plus ou moins sévères, apparaissent lorsque l'eau inonde une parcelle. Dès lors, il est évident qu’une zone marécageuse est moins vulnérable au phénomène naturel d’inondation puisqu’elle en bénéficie. Par contre, les habitations ou les infrastructures de transport (école, route, chemin de fer, etc.) constituent, parmi d’autres, des enjeux très vulnérables.

L’identification des enjeux, la détermination de leur vulnérabilité (négligeable, faible, moyenne, élevée) et enfin, leur représentation cartographique, doivent demeurer cohérentes avec les possibilités liées aux données disponibles. Partant de ce fait, la définition des niveaux de vulnérabilité pour les différentes occupations du sol dans le bassin versant de Tahaddart a donné la classification suivante :

  • Vulnérabilité négligeable, voire situation bénéfique : zone marécageuse, lac et barrage;

  • Vulnérabilité faible : forêt naturelle, matorral, reboisement, terrain dénudé et dunes de sable;

  • Vulnérabilité moyenne : terrain de culture;

  • Vulnérabilité élevée : agglomération, habitations dispersées en zone rurale, infrastructures économiques et de transport.

La spatialisation de ce facteur dans le bassin versant a été obtenue en se basant sur la carte d’occupation du sol réalisée à partir de l’interprétation des photos-aériennes de l’année 2004 et sur un travail de prospection sur le terrain.

2.2.3 Risque d’inondation

Le risque de dommages (négligeable, faible, moyen, élevé) dû aux inondations est issu de la combinaison de l’aléa inondation et de la vulnérabilité des zones alentours. Ainsi, le risque sera élevé pour une habitation située dans une zone d’aléa élevé ou moyen et, à l’inverse, le risque de dommages sera faible pour une forêt dans une zone d’aléa faible ou moyen. Le schéma montrant l’approche méthodologique pour la modélisation du risque d’inondation dans le bassin versant de Tahaddart est présenté à la figure 2.

Figure 2

Cadre méthodologique de l’élaboration de la carte du risque d’inondations.

Methodological framework for the development of flood risk map.

Cadre méthodologique de l’élaboration de la carte du risque d’inondations.

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3. Résultats et discussion

Les résultats de la présente étude ont permis l'évaluation de la vulnérabilité de la zone aux inondations et l’identification précise des zones inondables, des agglomérations, des équipements et des infrastructures susceptibles d’être touchés par des inondations, le but final étant la définition des mesures d’adaptation permettant de limiter les dégâts potentiels et de minimiser les menaces pesant sur le développement économique de la région.

3.1 Carte de l’aléa

La carte de l’aléa d’inondation représente les zones où il existe un potentiel de submersion, même aux endroits où aucune inondation n’est historiquement connue. L’intérêt de cette carte consiste à évaluer l’ampleur des inondations à l’échelle du bassin versant et déterminer d’une manière générale les zones vulnérables aux inondations étant donné le manque d’observations à long terme.

La cartographie de ces zones est basée sur les débits décennaux, cinquantennaux et centennaux au niveau du bassin versant de Tahaddart. L’ajustement des débits de crue de référence par rapport au bassin versant s’est fait par proportionnalité à la taille du bassin et le degré de précision du modèle hydrodynamique implique une détermination générale des zones inondables à l’échelle du bassin versant permettant d’avoir une vue globale sur le facteur aléa dans l’aire de l’étude.

Ainsi, les résultats de la modélisation (Figure 3b) montrent que :

  • pour une période de retour de dix ans, la superficie susceptible d’être inondée est de l’ordre de 8 901 hectares, soit 7,77 % de la superficie totale du bassin versant;

  • pour une période de retour de 50 ans, la superficie susceptible d’être inondée est de l’ordre de 9 494 hectares, soit 8,29 % de la superficie totale du bassin versant; et

  • pour une période de retour de 100 ans, la superficie susceptible d’être inondée est de l’ordre de 9 758 hectares, soit 8,52 % de la superficie totale du bassin versant.

Figure 3

Cartes résultantes de l’étude : (a) Occupation du sol; (b) Récurrence de l’inondation; (c) Hauteur de submersion; (d) Vulnérabilité; (e) Aléa; (f) Risque de dommages.

Resulting maps of the study: (a) Land use; (b) Flood recurrence; (c) submergence height; (d) Vulnerability; (e) Hazard; (f) Damage risk.

Cartes résultantes de l’étude : (a) Occupation du sol; (b) Récurrence de l’inondation; (c) Hauteur de submersion; (d) Vulnérabilité; (e) Aléa; (f) Risque de dommages.

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À travers ces résultats, on constate que la superficie concernée par les inondations est importante. Les zones les plus touchées se situent en grande partie dans la plaine alluviale en aval du bassin versant (Figure 3b).

En ce qui concerne l’intensité du phénomène, la hauteur de submersion pour les différentes périodes de retour est présentée dans le tableau 2. On voit ainsi que, pour les différents types de crues, plus de 80 % des zones inondées sont submergées à plus de 1 mètre à l’inclusion du lit mineur.

Tableau 2

Submersion des inondations dans le bassin versant de Tahaddart.

Submergence of flooding in the Tahaddart watershed.

Submersion des inondations dans le bassin versant de Tahaddart.

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En conséquence, la combinaison des deux facteurs (récurrence et inondation) démontre l’ampleur du risque d’inondation dans le bassin versant de Tahaddart du moment où 91,87 % de la superficie inondée est considérée à aléa élevé. Tandis que, les aléas à caractère moyen et faible, ne concerne respectivement que 6,48 % et 1,64 % de la superficie inondée. Ce résultat s’explique par la topographie relativement plate de la plaine à l’aval en plus de l’importance des apports d’eaux continentales de l’oued Tahaddart donnant naissance à de larges étendues d’épandage des eaux en périodes de crues.

3.2 Carte de la vulnérabilité

Le bassin est occupé par 38 783 ha de forêt, soit 34 % de sa superficie totale. Le matorral couvre la majeure partie de la superficie forestière, traduisant ainsi l’ampleur de la dégradation et l’évolution régressive de la forêt.

Les terrains agricoles constituent les principales occupations du sol avec une surface cartographiée de 68 705 ha constituée essentiellement de la monoculture céréalière, de quelques cultures maraîchères et fourragères, de légumineuses et d’une arboriculture fruitière peu développée, mais dont l’olivier occupe une part importante.

Les dunes de sable se situent dans les plages rencontrées tout au long de Houara et de l’estuaire de Tahaddart et se trouvent confrontées aux prélèvements abusifs pour répondre aux besoins de l’urbanisation.

Cependant, la vulnérabilité aux inondations est de plus en plus ressentie avec l’épanouissement que connaît la région en matière d’urbanisme et d’infrastructures et la réalisation de projets de grande envergure à l’intérieur ou à proximité du bassin versant (Usine Renault Nissan, Port Tanger Med et la future ligne de Train à Grande Vitesse TGV de Tanger-Casablanca). Ainsi, le facteur vulnérabilité a été réparti dans le bassin versant comme suit :

  • négligeable sur une superficie de 5 870 ha, soit 5,13 % de la superficie totale du bassin versant;

  • faible sur une superficie de 39 776 ha, soit 34,73 % de la superficie totale du bassin versant;

  • moyen sur une superficie de 52 042 ha, soit 45,45 % de la superficie totale du bassin versant; et

  • élevé sur une superficie de 16 825 ha, soit 14,69 % de la superficie totale du bassin versant.

3.3 Carte du risque de dommages dus aux inondations

La superposition de la carte de vulnérabilité à la carte d’aléa donne ainsi la carte du risque (Figure 3f), qui traduit la priorité d’intervention en fonction du degré de risque. Le tableau 3 montre cette répartition dans le bassin versant de Tahaddart.

Tableau 3

Risque de dommages dû aux inondations par débordement de cours d’eau.

Damage risk due to flooding by overflowing of rivers.

Risque de dommages dû aux inondations par débordement de cours d’eau.

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Au regard des résultats obtenus, on note que les zones à risque de dommages élevés représentent à peu près la moitié de la superficie totale inondée, soit 4,56 % de la superficie du bassin versant de Tahaddart. Ces zones correspondent en grande partie aux habitations et terrains en cultures situés dans la zone en aval du bassin versant et révèlent à quel point le risque d’inondation est important. En effet, plusieurs facteurs sont à l’origine de ce phénomène. Il s’agit en premier lieu du relief. Les parties amont et centre du bassin se caractérisent par un relief montagneux et des altitudes qui dépassent parfois 1 000 m, tandis que la partie aval occupe principalement une plaine d'altitude inférieure à 100 m et sujette aux inondations en période de forte pluie. En deuxième lieu, comme le montrent les enregistrements des stations pluviométriques du bassin, les intensités pluvieuses peuvent être importantes, et ce, surtout en période hivernale. À titre d’exemple, la station de Charf El Akkab a enregistré en date du 6 février 1990 une pluviométrie de 166,7 mm; quant à la station de Beni Harchane, celle-ci a mesuré une pluviométrie de 131,3 mm le 11 novembre 1996 et la station de Jbel Hebib a relevé 106,7 mm le 20 décembre 1996.

À ces facteurs naturels s’ajoutent la gestion déficiente de l’espaces marquées par l’absence d’une application rigoureuse de la réglementation relative à la construction en zones inondables, ainsi que le problème de défrichement des forêts en montagne, favorisant, par la suite, le ruissellement des eaux et la réduction de l’infiltration des sols.

Dans ce contexte, la gestion du risque d’inondation doit, en conséquence, être conjointement établie en prenant en considération l’aléa et la vulnérabilité. Elle doit répondre à deux objectifs principaux, à savoir : la limitation de l’implantation des bâtiments et des personnes dans les zones fortement exposées et la protection de l’existant.

De même, dans la gestion du risque d’inondation, il est possible de distinguer deux aspects complémentaires qui se différencient par le niveau d’urgence des moyens à mettre en oeuvre. D’une part, la prévention et le retour d’expérience qui interviennent hors contexte de crise et, d’autre part, la prévision et la gestion de crise qui interviennent en situation de crue.

La prévention est basée sur l’analyse de crues potentielles afin d’aider à la compréhension des phénomènes physiques. Elle vise à caractériser l’aléa et la vulnérabilité pour protéger l’existant, informer les populations concernant leur vulnérabilité aux inondations et les démarches à suivre en cas de crise et limiter l’implantation des biens et des personnes dans les zones fortement exposées.

Quant au retour d’expérience, ultérieur à la crise, il vise à tirer des leçons des crues survenues par le passé afin de mieux comprendre les phénomènes mis en jeu et d’aider à la gestion des crues futures. Le retour d’expérience est en particulier mis en oeuvre pour une analyse de la vulnérabilité (YESOU et al., 2000) et le découpage spatial des plaines d’inondation en ce qui a trait à l’exposition au risque d’inondation.

Contrairement à la prévention, la prévision et la gestion de crise correspondent à des actions en état d’urgence. La prévision est le préable direct à une crise éventuelle. Elle vise à anticiper la survenue d’une inondation et de ses conséquences afin d’alerter les populations et de mettre en place des secours plus efficaces. La gestion de crise rassemble l’ensemble des moyens mis en oeuvre en période de crue pour protéger, informer et secourir les populations. Elle nécessite des outils opérationnels pour des décisions rapides permettant aux organismes d’intervention et de secours d’avoir des informations très utiles sur les étendues inondées et les voies de circulation coupées.

Consciente de l’ampleur du risque d’inondation, l’Agence du Bassin Hydraulique de Loukkos (dont dépend le bassin de Tahaddart) a installé trois postes d’annonce de crues à l’oued Haricha (barrage du 9 avril), à l’oued Kharroub et à l’oued M’harhar (barrage Ibn Battouta). Cependant, le manque de données hydro-pluviométriques réparties convenablement dans le temps et dans l’espace rend la tâche de prévision ardue. Il est à ajouter que ces rivières connaissent des crues subites (temps de pointe, qui est l’intervalle de temps entre le début du ruissellement et la pointe de la crue, inférieur à quatre heures), ce qui rend l’annonce des crues plus difficile en raison du temps très court de réponse aux pluies.

Afin de remédier à cette situation, l'amélioration de la prévision et de la prévention des inondations demeure une démarche incontournable. Une meilleure information des populations exposées et la diminution de la vulnérabilité des biens situés dans les zones inondables sont à privilégier. Cependant, si l'État et les communes ont des responsabilités dans ce domaine, chaque citoyen doit aussi contribuer à se protéger efficacement et diminuer sa propre vulnérabilité.

De plus, la protection contre les inondations constitue un axe majeur. Il s’agit de généraliser les systèmes d’annonce des crues de manière à répondre aux besoins grandissants en matière de prévisions hydrométéorologiques et de prévention des situations de risques, d’apporter des corrections à des situations héritées du passé ayant permis l’implantation dans des zones à haut risque et d’intégrer le risque d’inondation dans les plans d’aménagement.

Conclusion

Dans cette étude, nous avons pu mettre au point une méthodologie permettant d’aboutir à une connaissance objective et semi-quantitative du risque d’inondation. Ceci va aider à faire des choix d’aménagement pertinents pour respecter la diversité des enjeux présents le long d’un cours d’eau et favoriser un aménagement du territoire prenant mieux en compte le risque d’inondation.

L’étude a montré qu’environ 8 % de la superficie du bassin versant de Tahaddart est sujette au risque d’inondation dont 4 % à un risque élevé. Ainsi, les zones les plus vulnérables aux inondations ont été identifiées et cartographiées pour faciliter l’usage et la prise de décision aussi bien dans le cadre de l’aménagement du bassin versant que pour la gestion d'une crise provoquée par des intempéries.