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1. Introduction

Les impacts exercés sur l’environnement se sont accentués avec l’accroissement des activités industrielles, le développement urbain et l’industrialisation des pratiques agricoles (ARMSTRONG et al., 2005; DUPUIS et al., 2002; FORSYTHE et al., 2004). Produits chimiques, engrais, rejets urbains et eaux usées, tous ces apports polluants détériorent l’environnement, sans compter que ces contaminants peuvent avoir un impact direct sur la santé humaine et les ressources biologiques (ATER et al., 2006; CAMPBELL et al., 2008; DOREA, 2008; TRIPATHI et al., 2001). Bien que les gouvernements aient mis en place diverses mesures ou politiques au cours des dernières années pour freiner les différentes sources de pollution, dont les politiques d’assainissement des eaux usées industrielles (MDDEP, 2002), il reste que des traces de polluants sont toujours présentes dans les eaux et les sédiments de plusieurs lacs et cours d’eau et que la contamination reste encore un problème très actuel.

Cette étude porte principalement sur la caractérisation des sédiments de la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre qui a d’ailleurs été identifiée comme l’une des zones problématiques pour la contamination des sédiments du fleuve (ENVIRONNEMENT CANADA, 1992b; 2007). La caractérisation des sédiments a été réalisée dans le cadre d’un projet coordonné par le ministère de la Défense nationale (MDN) sur la contamination des sédiments de la zone de tir de Nicolet (rive sud) du lac Saint-Pierre. En raison des contraintes d’accessibilité et de la dangerosité du site, ce secteur du lac a d’ailleurs été très peu documenté sur le plan de la contamination des sédiments. Cette zone du lac renferme en effet des quantités importantes de munitions non explosées (UXO) et d’obus (on estime que plus de 500 000 projectiles ont été tirés dans cette portion du lac Saint-Pierre, dont 300 000 s’y trouvent toujours et quelque 8 000 seraient des munitions non explosées (UXO) contenant du matériel énergétique). Le principal objectif de cette étude est d’évaluer la teneur des sédiments contaminés (éléments métalliques, biphényles polychlorés (BPC) et hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)) des carottes sédimentaires (5 sur 7) prélevées à partir de la plateforme de forage. En raison de la présence de matériel explosif, les opérations d’échantillonnage se sont faites sous la supervision d’une équipe d’experts dirigée par le MDN (MDN, 2008), et la campagne d’échantillonnage s’est déroulée durant les mois de septembre et octobre 2006. L’analyse des sédiments vise à déterminer la concentration des éléments métalliques et métalloïdes (As, Cd, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Zn) à différentes profondeurs (entre 0-400 cm), ainsi que de déterminer la teneur des BPC et des HAP contenus dans les sédiments prélevés dans la portion sommitale (0-50 cm) des carottes. Ces analyses permettent d’obtenir une appréciation quantitative de la teneur des contaminants et de fournir des données récentes sur l’état de la contamination pour ce secteur du lac Saint-Pierre. Ces nouvelles données permettent aussi de comparer avec les résultats des études antérieures de 1976 et 2000 réalisées sur la contamination des sédiments du même secteur d’étude (CUSSON et LATREILLE, 2003; SÉRODES, 1978).

2. Secteur d’étude

Le lac Saint-Pierre a été l’objet de nombreux travaux au cours des vingt dernières années dont plusieurs ont été menés par des organismes gouvernementaux dans le cadre de projets conjoints du fédéral et du provincial (HARDY et al., 1991; LANGLOIS et SLOTERDIJK, 1989; LOISELLE et al., 1997; SYLVESTRE et al., 1992). Les premiers travaux consacrés à la caractérisation des sédiments contaminés du lac Saint-Pierre ont été réalisés à partir de 1974 et 1976 avec les travaux de CENTREAU (1974) et de SÉRODES (1978) et plus tard, avec les travaux de HARDY et al. (1991) et LOISELLE et al. (1997). Ces derniers travaux de caractérisation couvraient le secteur du delta de Sorel et le secteur nord du chenal de navigation et les résultats obtenus indiquaient une contamination relativement élevée des sédiments par les substances toxiques, dont le chrome, le cuivre, le mercure, le nickel, le plomb, le zinc, les BPC et les HAP (HARDY et al., 1991; LOISELLE et al., 1997). Globalement, les sédiments du lac Saint-Pierre indiquaient une contamination relativement généralisée, en particulier dans les secteurs de plus faible hydraulicité et le secteurs des îles (FRENETTE et al., 1990; MORIN et al., 2000; SAINT-LAURENT et al., 1995; SÉRODES, 1978).

Les résultats des récents travaux menés par Environnement Canada sur les sédiments du lac Saint-Pierre (PELLETIER, 2005; PELLETIER et MARVIN, 2005) révèlent une nette diminution de certains contaminants depuis les vingt dernières années (période 1976-2003). On note par exemple une baisse de plus de 90 % du mercure depuis 1976, et une diminution comparable (94 %) pour les BPC depuis 1986 dans la partie nord du lac. Quant aux éléments métalliques, leurs concentrations auraient diminué à un niveau se situant près des concentrations préindustrielles. Enfin, pour le mercure, on note une diminution de 60 % entre la période de 1986-2003, passant de 0,15 à 0,05 mg•kg-1 (PELLETIER et MARVIN, 2005). Ces diminutions s’expliquent, selon ces auteurs, par une baisse généralisée des rejets industriels dans le fleuve Saint-Laurent, les travaux d’assainissement des eaux usées de Montréal et la fermeture de certaines usines polluantes le long du fleuve et de ses affluents.

Si la plupart des secteurs du lac Saint-Pierre sont bien documentés au plan de la contamination des sédiments, il reste que le secteur sud du lac, qui s’étend de l’embouchure de la rivière Saint-François jusqu’à la rivière Nicolet, a été beaucoup moins exploré en raison de contraintes d’accessibilité à la zone d’essais balistiques du MDN et des risques élevés d’échantillonnage dus à la présence de projectiles explosifs. L’étude la plus récente dans cette portion du lac est celle de CUSSON et LATREILLE (2003) qui englobe la zone de tir du MDN. Selon cette étude, le chrome, le cuivre et le nickel affichent les plus fortes teneurs qui peuvent varier entre 21,7 à 110 mg•kg-1 (Cr), 10,4 à 42,0 mg•kg-1 (Cu) et 24,0 à 61,4 mg•kg-1 (Ni) respectivement, soit des valeurs sous le seuil des concentrations d’effets occasionnels (CEO), sauf pour le chrome qui dépasse le seuil d’effets probables (CEP) fixé à 90 mg•kg-1 (Tableau 1). À titre indicatif, le tableau 2 fournit les valeurs moyennes de différents éléments traces métalliques provenant de la recension des principaux travaux réalisés sur la qualité des sédiments du lac Saint-Pierre depuis les 30 dernières années. Il faut tenir compte que les méthodes utilisées à travers ces études ne sont pas toujours les mêmes, ce qui peut mener à des incertitudes dans l’analyse comparative de ces données. Par ailleurs, l’échantillonnage des sédiments se limite souvent aux couches superficielles récoltées par des méthodes utilisant des prélèvements à la benne (SÉRODES, 1978; CUSSON et LATREILLE, 2003).

Tableau 1

Critères pour l'évaluation de la qualité des sédiments d'eau douce pour certains paramètres sélectionnés1.

Criteria for the assessment of freshwater sediment quality for some selected parameters.

Critères pour l'évaluation de la qualité des sédiments d'eau douce pour certains paramètres sélectionnés1.

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Tableau 2

Teneurs moyennes des éléments métalliques (EM) des sédiments (<2 mm) du lac Saint-Pierre selon les études réalisées depuis 1976.

Mean levels of metallic elements (ME) in sediments (<2 mm) of Lake Saint-Pierre according to studies carried out since 1976.

Teneurs moyennes des éléments métalliques (EM) des sédiments (<2 mm) du lac Saint-Pierre selon les études réalisées depuis 1976.

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3. Matériels et méthodes

3.1 Localisation et choix des sites d’échantillonnage

Dans le cadre des travaux d’échantillonnage dirigés par le MDN en automne 2006, sept sites de carottage ont été sélectionnés dans la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre, entre la pointe de Baie-du-Febvre et l’embouchure de la rivière Saint-François (Figure 1). Cette étude de caractérisation complète par ailleurs une partie de nos travaux réalisés sur la contamination des berges des rivières Saint-François et Massawippi (SAINT-LAURENT et al., 2008). Pour cette étude, la sélection des sites d’échantillonnage s’est basée sur les résultats d’un rapport préliminaire de 2006 de la firme Zajdlik & Associates Inc. (rapport non publié), indiquant que la portion sud du lac Saint-Pierre serait contaminée par divers contaminants, dont l’arsenic, le chrome, le cuivre, le nickel et qu’un certain nombre d’échantillons contiendraient des matériaux énergétiques (« energetic materials »), mais en faible quantité. Les zones les plus affectées par les contaminants métalliques, selon le rapport de ZAJDLIK et al. (2006), sont situées près de l’embouchure de la rivière Saint-François (canal tardif) et légèrement au large de l’embouchure. Ces analyses proviennent des sédiments de surface et aucun carottage n’a été réalisé dans ce secteur sud-ouest du lac. Le rapport de CUSSON et LATREILLE (2003) fournit également la localisation des sites présentant les zones sédimentaires les plus affectées par des concentrations élevées en éléments métalliques, dont le chrome et le cuivre. Une partie de ces sites se situe également près de l’embouchure de la rivière Saint-François, notamment des échantillons prélevés aux sites Z1 et Z2 localisés à proximité de notre site d’échantillonnage LSP-06-C-04. Les critères qui guident le choix des sites d’échantillonnage sélectionnés par le MDN s’appuient donc sur ces travaux récents (CUSSON et LATREILLE, 2003; ZAJDLIK et al., 2006), lesquels ont ciblé différentes zones problématiques pour les teneurs élevées en éléments métalliques ou excédant les seuils définis par les critères sur la qualité des sédiments des organismes gouvernementaux (ENVIRONNEMENT CANADA et MDDEP, 2007).

Figure 1

Localisation des sites d'échantillonnage dans la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre.

Location of sampling sites in the southwestern portion of Lake Saint-Pierre.

Localisation des sites d'échantillonnage dans la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre.

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Pour l’échantillonnage, le prélèvement des sédiments a été réalisé sur une plateforme de forage équipée d’un carottier à piston avec un tube rigide (modèle de type Osterberg). Le carottier à tube rigide permet de contrôler l’utilisation du piston par l’intermédiaire d’un câble qui traverse l’intérieur du tube principal. Étant donné que les sédiments du secteur d’échantillonnage renferment des projectiles explosifs UXO, il était essentiel de minimiser les vibrations lors du forage, d’où la nécessité d’utiliser un carottier à piston plutôt qu’un autre type d’appareillage. Ce type de carottier présente toutefois l’inconvénient d’un échantillonnage plus grossier, rendant plus difficile la préservation des strates fines de la colonne sédimentaire lors de la pénétration du carottier. L’ensemble des opérations préparatoires à l’échantillonnage et à la collecte des sédiments a été supervisé par une équipe d’experts mandatée par la MDN, dont des plongeurs artificiers et une équipe spécialisée pour les prélèvements par carottage (Expert Environnement Aquatique, resp. M. PELLETIER). Une fois les sédiments prélevés du carottier, les échantillons ont été disposés dans des contenants stérilisés (bacs) et ensuite réfrigérés dans les laboratoires du Centre d’essais et d’expérimentation en munitions (CEEM) de Nicolet. Pour les sédiments de la portion sommitale (entre 0-50 cm), les échantillons prélevés des bacs ont été répartis dans des pots individuels stérilisés pour l’analyse des éléments métalliques, des BPC et des HAP (soit un total de 15 échantillons). Des échantillons ont été aussi prélevés des bacs pour les analyses granulométriques. La même procédure a été réalisée pour 30 autres échantillons pour les sédiments prélevés à la base des carottes (50 cm et plus), mais uniquement pour l’analyse des éléments métalliques et la granulométrie. Les sédiments de la carotte LSP06C-07 n’ont pu être échantillonnés à chaque 50 centimètres en raison des difficultés de prélèvement (sédiments trop lâches) lors du forage. Tous les échantillons ont été répartis en double pour effectuer les analyses en duplicata et leurs caractéristiques physiques ont été notées (consistance, texture, couleur (charte de Munsell), odeur, etc.). Les analyses chimiques et granulométriques des échantillons ont été réalisées dans des laboratoires externes.

Toutes les étapes de l’échantillonnage et de la caractérisation des sédiments ont été réalisées suivant les critères élaborés dans le « guide d’échantillonnage des sédiments du Saint-Laurent pour les projets de dragage et de génie maritime » (ENVIRONNEMENT CANADA, 1992a) et selon les « Critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments du Québec et cadres d’application : prévention, dragage et restauration » élaborés conjointement par Environnement Canada et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (ENVIRONNEMENT CANADA et MDDEP, 2007).

3.2 Analyses physico-chimiques des échantillons

Pour évaluer la concentration des contaminants des sédiments, soit les éléments métalliques, les BPC et les HAP, les échantillons ont été analysés par un laboratoire externe (Biolab Inc.), accrédité par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, lequel doit suivre les protocoles du Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ, 2003a, 2003b, 2006). Les analyses en duplicata ainsi que la préparation d’un blanc de méthode sont effectuées par le laboratoire pour assurer un contrôle de la qualité (AQ/CQ), et les valeurs des paramètres sont fournies avec l’ensemble des résultats. En laboratoire, les échantillons sont soumis à un agent réactif (HNO3) afin de solubiliser les éléments métalliques et, par la suite, la substance résiduelle est soumise pour dosage à un spectromètre de masse à source ionisante au plasma d’argon (ICP-MS) pour évaluer leur teneur (CEAEQ 2006, pp. 5-6). Pour l’analyse de BPC, l’échantillon solide (ex. sols, sédiments) est extrait avec de l’hexane ou l’extraction peut se faire à l’aide d’un bain à ultrason pour les éléments solides. L’extrait est ensuite purifié en trois étapes, soit un traitement à l’acide sulfurique pour éliminer les substances polaires, la séparation de la fraction contenant les hydrocarbures de celle contenant les BPC à l’aide d’une colonne d’alumine activée et, enfin, un traitement avec cuivre pour éliminer les composés sulfurés. Après concentration de l’extrait, ce dernier est dosé par GC-MS (CEAEQ 2003a, pp. 7-8). Pour la détermination de la concentration des HAP, la méthode consiste à extraire les HAP à l’aide de dichlorométhane après l’ajout d’étalons de récupération; il y a par la suite transfert de solvant du dichlorométhane à l’hexane si les HAP sont purifiés sur colonne de silice/alumine. Par la suite, l’extrait est concentré puis analysé par chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse (GC-MS) fonctionnant dans le mode d’acquisition d’ions sélectifs (CEAEQ 2003b, pp. 7-9). Les principales étapes en laboratoire assurant le contrôle de qualité (ex. solution étalon, matériau de référence certifié, duplicata, blanc de méthode) sont aussi décrites en détail dans les guides du CEAEQ (2003a, 2003b, 2006; documents en ligne).

Pour les analyses granulométriques des sédiments, une autre série d’échantillons a été acheminée à un laboratoire externe (Agro-Enviro-Lab). Dans un premier temps, les échantillons ont été séchés à l’air libre et ensuite pesés. Pour la fraction grossière (>2 mm), les échantillons sont triés sur une colonne de tamis, alors que pour la fraction fine, la méthode de l’hydromètre (Bouyoucos) est utilisée avec des cylindres gradués de 1 000 mL et les résultats sont représentés suivant les différentes classes texturales du « Système canadien de classification des sols » (GTCS, 2002).

4. Résultats et discussion

4.1 Teneur des éléments traces métalliques dans les sédiments

Pour évaluer le degré de contamination des sédiments prélevés aux différents sites d’échantillonnage, les résultats ont été comparés aux « Critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments du Québec et cadres d’application : prévention, dragage et restauration » (ENVIRONNEMENT CANADA et MDDEP, 2007). Cette récente publication remplace le document intitulé « Critères intérimaires pour l’évaluation de la qualité des sédiments du Saint-Laurent » publié en 1992 par Environnement Canada et le ministère de l’Environnement du Québec (1992a). Les différents critères utilisés permettent d’évaluer le degré de contamination des sédiments suivant cinq niveaux, soit : (1) la concentration d’effets rares (CER); (2) la concentration seuil produisant un effet (CSE); (3) la concentration d’effets occasionnels (CEO); (4) la concentration produisant un effet probable (CEP); et enfin (5) la concentration d’effets fréquents (CEF). Le tableau 1 fournit les principales valeurs attribuées aux différentes classes des critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments.

En comparant les résultats des analyses des échantillons prélevés des carottes sédimentaires, on note que les concentrations en éléments métalliques (EM) et métalloïde (As) sont relativement faibles et dépassent rarement le seuil (CER). Par exemple, les concentrations moyennes pour les éléments comme l’arsenic, le chrome, le cuivre et le plomb sont de l’ordre de 3,8 (As), 27,0 (Cr), 14,7 (Cu) et 5,7 (Pb) mg•kg-1respectivement. Les teneurs les plus élevées proviennent des sédiments des sites d’échantillonnage LSP06C-05 et LSP06C-06, dont les niveaux de contamination dépassent le seuil CER pour l’arsenic, le chrome et le cuivre (Tableau 3), mais dans aucun cas la concentration des EM atteint le seuil d’effets probables (CEP) ou d’effets fréquents (CEF). Pour l’arsenic, par exemple, la concentration la plus élevée est de 9,50 mg•kg-1, soit une valeur située entre les seuils CEO et CEP, tandis que pour le chrome, la valeur maximale enregistrée dans la carotte LSP06C-05 est de 58 mg•kg-1, dépassant légèrement le seuil CEO, alors que pour le cuivre, la valeur maximale enregistrée est de 34 mg•kg-1ne dépassant pas le seuil CSE. En ce qui a trait aux concentrations des BPC et des HAP, les valeurs obtenues dans les différents sites se situent également sous le seuil d’effets rares (CER). Les valeurs affichent des concentrations moyennes de l’ordre de <0,01 et <0,05 mg•kg-1pour chacune de ces substances. De manière générale, les concentrations des BPC et HAP et des EM détectées dans l’ensemble des échantillons demeurent relativement faibles, soit des valeurs sous le seuil de CEO et CSE. Enfin, l’échantillon de la portion sommitale (0-50 cm) de la carotte LSP06C-06 indique une concentration en arsenic supérieure au seuil CEO, soit une valeur de 9,50 mg•kg-1. Ce site est localisé à plusieurs centaines de mètre (˜1 800 mètres) de l’embouchure de la rivière Saint-François, ce qui suggère que la source des contaminants pourrait provenir du fleuve, notamment du secteur des îles de Sorel. On sait d’ailleurs que ce secteur avait été identifié comme une zone problématique pour la présence de sédiments contaminés par différentes substances toxiques (HARDY et al., 1991; LANGLOIS et SLOTERDIJK, 1989; SÉRODES, 1978). L’étude réalisée par LANGLOIS et SLOTERDIJK (1989), par exemple, indiquait une contamination par divers éléments (Cd, Pb, Se), dont l’arsenic avec des concentrations minimales et maximales situées entre 0,26 et 5,70 mg•kg-1 et une valeur moyenne de 2,63 mg•kg-1.

En examinant les concentrations des éléments métalliques sur l’ensemble des échantillons, on note que la contamination est généralement plus faible dans les sédiments de la portion sommitale (0-50 cm) que dans les sédiments à la base des carottes (50 cm et plus), sauf pour le site LSP06C-06. Pour les sites LSP06C-01, LSP06C-03 et LSP06C-05, par exemple, l’arsenic, le cadmium, le chrome, le nickel et le zinc affichent des concentrations plus élevées à la base des carottes (Tableau 3). Ceci suggère que les sédiments des couches supérieures (0-50 cm) seraient moins affectés par les contaminants, ce qui pourrait s’expliquer par une amélioration de la qualité de l’eau et une réduction du transport des polluants au cours des dernières années. Il demeure aléatoire, toutefois, d’évaluer si les couches superficielles (0-50 cm) des carottes sont représentatives de la période récente (moins de 20 ou 30 ans, par exemple). Il n’existe en effet aucune donnée chronologique pour ce secteur du lac qui permettrait de relier l’état de la contamination des sédiments avec une période précise. Les seules données disponibles concernent une estimation des taux sédimentaires provenant d’une carotte prélevée dans le secteur en aval des îles du lac Saint-Pierre (PELLETIER, 2005). Selon les données obtenues par cette étude, on estime un taux d’accumulation d’environ 1,8 cm par année depuis un demi-siècle. Toujours selon cette étude, les couches superficielles des sédiments (entre 20-30 cm) marquent une nette amélioration de la qualité chimique des sédiments depuis 1986, notamment par une baisse marquée du cadmium et du mercure. Nos résultats obtenus à partir des carottes sédimentaires vont dans le sens des travaux de PELLETIER (2005) et PELLETIER et MARVIN (2005), à savoir que les sédiments des portions sommitales (0-50) sont peu affectés par la contamination, sauf exception (site LSP06C-06).

Tableau 3

Concentration en BPC, HAP et EM des sédiments des sites d'échantillonnage.

Concentration of PCBs, PAHs and TME of sediments at the sampling sites.

Concentration en BPC, HAP et EM des sédiments des sites d'échantillonnage.

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Enfin, en comparant les profils géochimiques entre eux, on ne détecte pas de différences majeures dans la concentration des contaminants (Figure 2), sauf pour le site LSP06C-06 où l’on peut noter une concentration plus élevée en arsenic dans la portion sommitale (9,50 mg•kg-1), tel qu’il a été mentionné précédemment. Il faut rappeler que l’arsenic est considéré comme un élément très mobile qui s’associe facilement aux oxyhydroxides de fer (III), selon les conditions du milieu (température, pH, redox, etc.) (De VITRE et al., 1991; JOLIVET et al., 1998). Les oxyhydroxides de fer sont par ailleurs abondants dans les écosystèmes lacustres (AGGETT et O’BRIEN, 1985; MARTIN et PEDERSEN, 2002). En raison de sa mobilité, ceci fait de l’arsenic un indicateur moins valable sans doute dans l’interprétation chronologique des séquences sédimentaires. Enfin, pour le site LSP06C-01, on note des concentrations légèrement plus élevées en cadmium, en chrome, en cuivre et en zinc dans la portion sommitale (0-50 cm) ainsi que dans les échantillons plus profonds (310-410 cm) de la carotte. Rappelons que ce site d’échantillonnage se situe à l’embouchure de la rivière Saint-François (canal Tardif) et a été identifié comme l’une des zones affectées par la contamination en éléments traces par ZAJDLIK et al. (2006).

Figure 2

Profils géochimiques montrant la concentration des éléments métalliques des échantillons prélevés des carottes sédimentaires (portion sud-ouest du lac Saint-Pierre).

Geochemical profile showing the concentration of metallic elements in the core sample sediments (southwestern portion of Lake Saint-Pierre).

Profils géochimiques montrant la concentration des éléments métalliques des échantillons prélevés des carottes sédimentaires (portion sud-ouest du lac Saint-Pierre).

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4.2 Granulométrie des sédiments des carottes

Les échantillons prélevés dans les couches sédimentaires du lac Saint-Pierre sont constitués principalement de sédiments fins, de la taille des sables moyens à fins ou des sables loameux (Tableau 3). La proportion des sables peut parfois dépasser les 80 % et atteindre plus de 90 % à certains endroits. À la base de certains profils sédimentaires, on trouve des sédiments à matrice argileuse compacte qui sont constitués d’argiles marines de la Mer de Champlain (argiles postglaciaires). On note certaines variations texturales des sédiments prélevés au sommet des carottes (0-50 cm) entre les différents sites. Pour les sites LSP06C-01, et LSP06C-03 et LSP06C-05, les sables loameux et les loams sableux sont les matrices qui dominent, alors que pour le site LSP06C-06, ce sont les limons qui constituent la matrice dominante, ce qui suggère une accumulation plus importante de sédiments fins qui peut être attribuable à une diminution des courants à cet endroit ou encore à la présence d’une zone plus profonde (fosse).

En examinant les courbes des courants dans le bassin du lac Saint-Pierre, on note que le secteur d’étude constitue une zone de courant moyen (LOISELLE et al., 1997), ce qui peut expliquer que les matrices sableuses ou sablo-limoneuses sont dominantes dans les profils sédimentaires. Les études présentées par le Centre Saint-Laurent (ENVIRONNEMENT CANADA, 2003, 2005) indiquent que les zones de sédimentation sont généralement localisées aux endroits de faible courant avec des vitesses inférieures à 0,3 m•s-1 et des hauteurs d’eau supérieures à 4,5 m. Le bassin du lac Saint-Pierre comporte davantage des zones de sédimentation temporaire que des zones d’accumulation permanente. Les zones de sédimentation permanente seraient plutôt limitées dans la portion amont du lac Saint-Pierre, soit dans le secteur des îles ou dans les zones de faible courant le long des rives ou aux embouchures des rivières, dont la Saint-François et la Nicolet. Le centre du lac serait plutôt considéré comme une zone de transition qu’une zone d’accumulation sédimentaire. Les sédiments transportés par le fleuve et les nombreux tributaires qui alimentent le lac Saint-Pierre se déposent au cours de l’été et l’automne lorsque les débits du fleuve sont moins élevés, et ces sédiments peuvent être à nouveau pris en charge lors des crues printanières (ENVIRONNEMENT CANADA, 2005). Les caractéristiques hydrodynamiques sont toutefois très variables à l’intérieur même du bassin et certains secteurs sont plus propices à l’accumulation sédimentaire que d’autres, notamment dans le secteur des îles et dans la portion amont du lac.

Enfin, il faut considérer que les conditions hydrodynamiques ont été modifiées au cours des années, notamment avec l’aménagement des réservoirs (à partir de 1928) dans le secteur des îles de Berthier-Sorel, construits à l’époque pour rehausser le niveau d’eau du port de Montréal et les débits d’eau en période d’étiage dans le chenal de navigation. Aussi, avec la régularisation des niveaux d’eau et l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent, en 1960, ceci a modifié passablement les conditions hydrodynamiques sur tout le tronçon fluvial du Saint-Laurent (ENVIRONNEMENT CANADA, 2005; LOISELLE et al., 1997). Il faut également prendre en compte les variations saisonnières et interannuelles du niveau des eaux du lac Saint-Pierre qui peuvent être relativement importantes, ce qui peut changer la configuration des zones d’accumulation sédimentaire d’une année à l’autre.

5. Conclusion

Cette étude réalisée dans la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre indique que la contamination des échantillons prélevés sur les carottes sédimentaires est plutôt faible et ne dépasse que très rarement la concentration produisant des effets occasionnels (CEO), suivant les critères pour l’évaluation de la qualité des sédiments au Québec (ENVIRONNEMENT CANADA et MDDEP, 2007). Les éléments métalliques qui dépassent le seuil CER sont l’arsenic, le chrome et le cuivre, mais dans aucun cas la concentration des EM atteint le seuil d’effets probables (CEP) ou fréquents (CEF). Aussi, les sédiments de la portion sommitale des carottes affichent généralement des concentrations plus faibles en éléments traces que les sédiments à la base. À la lumière de ces résultats, on peut prétendre que les sédiments échantillonnés dans la portion sud-ouest du lac Saint-Pierre sont moins contaminés par les éléments métalliques et les substances organiques, si l’on compare avec les données des travaux antérieurs de 1976 et 1986 qui affichaient des concentrations plus élevées, notamment pour les teneurs moyennes en éléments traces (Cd, Cu, Zn) et les BPC (PELLETIER, 2005). Si on note une amélioration de la qualité des sédiments par ces substances polluantes, il apparaît toutefois que d’autres types de polluants affectent les sédiments du bassin du lac Saint-Pierre et ceux du fleuve Saint-Laurent. Les récents travaux d’Environnement Canada (2005) indiquent en effet la présence de nouveaux contaminants (depuis 1995 surtout), dont les PBDE (polybromodiphényléthers), détectée dans les sédiments du lac Saint-Pierre et ailleurs dans le tronçon fluvial du Saint-Laurent. Ce type de contaminants (PBDE) et d’autres polluants ont d’ailleurs été l’objet d’une étude exhaustive réalisée par POZO et al. (2006), laquelle montre une augmentation significative de ce contaminant à l’échelle continentale, notamment dans des régions urbaines et agricoles. Avec l’introduction de ces substances polluantes dans l’environnement, des mesures gouvernementales additionnelles devraient être appliquées pour réduire de façon adéquate ces nouvelles sources de pollution. Il s’avère aussi nécessaire de resserrer les règlements actuels pour réduire l’usage des contaminants qui affectent l’environnement en général.