Résumés
Résumé
L’envahissement incontrôlé des plans d’eau par les plantes aquatiques est une problématique d’actualité, plus particulièrement dans les pays tropicaux, à cause du phénomène d’eutrophisation. Parmi les solutions proposées, une exploitation rationnelle de certaines plantes envahissantes comme source de biomasse valorisable, et comme agents de dépollution, est envisagée. Dans le cadre de cette étude, un accent particulier a été mis sur une sélection adéquate de plantes aquatiques visant un développement durable, se basant sur la capacité de cette plante à s’adapter à son milieu de culture avec un impact environnemental pratiquement nul. Pour cela, il est nécessaire que la plante sélectionnée puisse présenter des propriétés dépolluantes pouvant ramener l’écosystème à son état naturel d’origine et que le taux de croissance de cette plante soit contrôlé par une exploitation optimisée de la biomasse récoltée. La problématique envisagée s’est limitée à un nombre restreint de plantes aquatiques, fréquemment rencontrées dans les milieux eutrophisés, à savoir la jacinthe d’eau, les lentilles d’eau, la laitue d’eau, le papyrus et le chou de marais. Un choix et une hiérarchisation préalables des principaux critères d’évaluation ont permis, sur la base d’une analyse de satisfaction rigoureuse, d’opter pour la jacinthe d’eau, comme étant la meilleure alternative, présentant un grand pouvoir de fixation d’éléments polluants et un potentiel élevé en protéines et agents antioxydants, dans un contexte donné. Une exploitation judicieuse de cette plante dans un plan d’eau continuellement pollué ne posera plus de problèmes de rentabilité, étant donné que la productivité sera assurée par la récolte d’un excédent de jacinthes, deux ou trois fois par mois. Ceci permettra de mieux maîtriser le taux de recouvrement du plan d’eau par la plante aquatique, évitant ainsi une eutrophisation de celui-ci. La méthodologie adoptée peut être généralisée à d’autres plantes aquatiques et d’autres contextes.
Mots clés:
- jacinthe d’eau,
- plantes aquatiques,
- traitement des eaux usées,
- biomasse,
- analyse de satisfaction,
- aide multicritère
Abstract
Uncontrolled invasion of water bodies by aquatic plants, due to eutrophication, is a major environmental concern, especially in tropical countries. Most aquatic plants exhibit water-cleansing properties, but only some of them can be exploited as highly valuable sources of proteins and antioxidizing agents. In this regard, a rational exploitation of judiciously selected aquatic plants can provide low-cost technologies that combine increased biomass productivities and effective depolluting capacity, in a sustainable development context. In the present paper, we have considered some aquatic plants that usually grow in tropical countries, namely water hyacinth, duckweed, water lettuce, common papyrus and water spinach. To achieve a rigorous methodology that allows the rational exploitation of aquatic plants, attempts were made through a multicriteria analysis method to select the most adequate plant for this purpose. Furthermore, many criteria were selected and ranked, according to their impact upon the ecosystem in which the technology is to be implemented.
Among all the plants examined, water hyacinth displays the most interesting features, namely, a marked ability to remove pollutants from water (metallic cations, phosphate, nitrate, organic matter, etc.), and high contents in proteins and antioxidizing agents. It also displays an increased resistance towards eutrophic sites, along with an appreciable adaptability to environmental changes. Under suitable conditions, water hyacinth can also afford a considerable biomass productivity of about 200 tons dry weight/ha/year. Nevertheless, the main criterion in favour of this species is undoubtedly the high number of ways in which the water hyacinth biomass can be exploited. As a result, a rational exploitation of water hyacinth, and to lesser extent, of water lettuce or of duckweed, can be regarded as being a very convenient strategy. The main constraint in this regard must be a sustainable development that includes both environmental and socio-economical considerations.
In conclusion, the choice of an appropriate aquatic plant to depollute wastewaters in small settlements in tropical countries, using the satisfaction analysis method, seems to be a suitable tool for obtaining sustainable solutions, without major investments. Due to its high protein level, water hyacinth can be rationally exploited on the surfaces of eutrophic water bodies, by implementing a suitable control of the biomass excess, reducing thereby the environmental impact of such culture. The biomass excess can be optimized, regularly harvested (2 or 3 times per month) and then processed to obtain valuable protein extracts. In this way, the continuous eutrophication process of the water body will contribute to feed the plant growth.
Key words:
- water hyacinth,
- aquatic plants,
- wastewater treatment,
- biomass,
- satisfaction analysis method,
- multicriteria approach
Corps de l’article
1. Introduction
L’introduction, dans certains pays tropicaux, de plantes aquatiques à des fins ornementales, a eu pour effet un envahissement incontrôlé, suivi d’un étouffement rapide des plans d’eaux et la déstabilisation des écosystèmes aquatiques (GOPAL, 1987; LABRADA et FORNASARI, 2003; PIETERSE et MURPHY, 1990). Ceci a occasionné des pertes socio-économiques et environnementales considérables (MAILU, 2001; MASIFWA et al., 2001; SIMBERLOFF, 1996), surtout dans les pays en voie de développement, là où justement les ressources hydriques sont souvent loin d’être abondantes (TONGO, 1996). Par conséquent, l’élimination de cet impact négatif provoqué par les plantes aquatiques dans les régions tropicales est devenue, par la force des choses, une problématique d’actualité.
Afin de remédier à cette situation dans le cadre d’un développement durable, sans pour autant tendre vers une extermination systématique de ces plantes, à cause de leurs propriétés dépolluantes des eaux usées (AXTELL et al., 2003; BRAMWELL et PRASAD, 1995; QIAN et al., 1999; ZAYED et al., 1998), diverses solutions ont été proposées. Parmi ces solutions, un intérêt particulier a été accordé à la possibilité d’exploiter judicieusement les plantes envahissantes comme sources de biomasse, essentiellement pour l’alimentation du bétail. Par la suite, l’intérêt pour une telle exploitation contrôlée, surtout des plantes flottantes, s’est accru continuellement, surtout après la mise en évidence des potentiels protéiques et antioxydants de certaines d’entre elles, comme la jacinthe d’eau (BODO, 2002; BODO et al., 2004a; BODO et al., 2004b; LAREO et BRESSANI, 1982).
Si une telle alternative s’avérait rentable, elle ne saurait être que bénéfique au développement socio-économique des pays tropicaux souffrant justement d’un tel fléau, plus particulièrement au niveau des petites municipalités riveraines de plans d’eau (JING et al., 2002). Ainsi, il serait possible d’entrevoir la possibilité de cultiver une plante aquatique sur un plan d’eau donné subissant une pollution continue en composés azotés et phosphorés (MARIN, 1993), pour assurer une certaine productivité en biomasse. Dans ce sens, les données présentées dans le tableau 1 mettent en évidence l’importance du choix de la plante aquatique pour optimiser les procédures d’épuration, en concordance avec les potentiels valorisables désirés (AXTELL et al., 2003; FONKOU, 1996; REDDY et DEBUSK, 1987; TRIPATHI et al., 1991).
Le choix de la plante à cultiver n’est pas aisé, car il doit satisfaire plusieurs critères (HAUSLER et al., 1994). Ces critères sont de natures diverses et leur sélection n’est pas facile, étant donné la grande diversité des problématiques (CASEY et NEWTON, 1973; SCHIEMER et PROSSER, 1976; TOIVONEN et LAPPALAINEN, 1980). Il faut mentionner que, jusqu’à ce jour, la plupart de ces problématiques se sont axées essentiellement autour de critères purement économiques, ne tenant pas souvent compte des facteurs environnementaux, techniques, sociopolitiques, ergonomiques, etc. (HAUSLER et al., 1994; KIBI et al., 2000).
Aussi, dans le cadre de cette étude, un accent particulier a été mis sur un choix adéquat de plantes aquatiques visant un développement durable, impliquant la capacité de ces plantes à s’adapter à leur milieu de culture avec un impact minimal sur ce milieu. Dans une seconde étape, il s’agissait d’appliquer une méthodologie rigoureuse permettant de mettre en oeuvre une exploitation rationnelle d’une plante aquatique qui puisse présenter des propriétés dépolluantes pouvant réduire le phénomène d’eutrophisation. La croissance de cette plante doit être contrôlée par une exploitation optimisée combinée à une valorisation de la biomasse récoltée comme matière première dans la production de protéines (BODO et al., 2004a).
Dans le présent travail, la problématique envisagée s’est limitée à un nombre restreint de plantes aquatiques, à savoir les lentilles d’eau, la jacinthe d’eau, la laitue d’eau, le papyrus commun et les choux de marais, fréquemment rencontrées dans les milieux pollués (PETER, 2000; QIAN et al., 1999; VAN ZON, 1982). Un choix et une hiérarchisation préalables des principaux critères d’évaluation sont indispensables à la réalisation d’une étude de satisfaction rigoureuse, permettant d’opter pour la meilleure plante à exploiter sur un plan d’eau spécifique et dans un contexte bien délimité.
2. Analyse fonctionnelle pour une exploitation rationnelle d’une plante aquatique
La principale finalité d’une telle démarche réside dans la proposition d’une méthodologie permettant d’aborder les problématiques liées aux lacs et rivières pollués ou eutrophisés, par le biais d’exploitations rationnelles adaptées aux situations respectives. Dans ce cadre, la première priorité consiste à identifier les besoins pour cette démarche, afin de pouvoir entrevoir les solutions possibles.
Dans un premier temps, il s’agira de sensibiliser les populations à protéger les lacs et les rivières au bord desquels elles vivent. Pour ce faire, non seulement un inventaire de l’écosystème est nécessaire mais également une délimitation du cours d’eau s’impose. La production d’une banque de données, accessible aux différents intervenants, est à la fois une solution et une retombée qui supporteront l’ensemble des actions subséquentes. En matière de loi environnementale, il paraît intéressant de renforcer la réglementation pollueurs‑payeurs : par exemple, les sanctions, les amendes et les autres moyens coercitifs peuvent être appliqués contre les pollueurs. Les autres activités envisagées, comme la création de comités de vigilance et l’éducation relative à l’environnement peuvent être organisées pour entraîner des actions environnementales d’envergure.
En deuxième lieu, des mesures correctives et technologiques doivent être envisagées pour réduire les apports en polluants. Cela implique diverses solutions : l’application de technologies propres et de programmes d’incitation. Ces derniers visent à encourager les compagnies à mieux protéger l’environnement (subventions, crédits d’impôt, etc.). Il faut aussi signaler les différents types de traitement possibles de l’eau usée (traitement physico-chimique, biologique, naturel, etc.) comme alternatives pour diminuer le volume ou la charge des polluants dans l’eau. Dans ce contexte, les plantes aquatiques envahissantes s’avèrent être des moyens efficaces pour traiter de manière naturelle cette eau. Cependant, pour une réhabilitation complète du lac, il est parfois essentiel d’enlever, par dragage, les éléments nutritifs et les métaux accumulés dans les sédiments.
Quant à la conservation des ressources naturelles et le développement socioéconomique d’un lac donné, ils semblent incontournables pour une implication à long terme des différents intervenants. À ce niveau, l’élaboration d’un plan d’aménagement pour gérer les sites de conservation ex situ ou in situ s’avère nécessaire. La création d’un centre d’interprétation de l’écosystème pourrait servir de lieu par excellence où seraient disponibles toutes les informations utiles au public concernant les plantes, les animaux, etc. Les autres alternatives à mentionner sont la mise en place de parcs industriels (éco-industries), l’écotourisme (hôtels, zoo, etc.) et la création de petites entreprises (petites et moyennes entreprises, coopératives, etc.) pour la valorisation des plantes envahissantes.
Cependant, la réussite d’un projet de valorisation de plantes envahissantes repose fondamentalement, dans un premier temps, sur le choix bien défini d’une plante afin de réduire la durée de la phase de recherche, tout en maximisant les chances de développement. Le choix d’une plante épuratrice pour les eaux usées ou la réhabilitation des plans d’eau n’est pas chose aisée. En effet, les caractéristiques épuratoires des plantes doivent répondre à une grande diversité des problématiques. De plus, les contraintes liées à la physiologie de la plante même et au contexte régional sont de natures diverses (CASEY et NEWTON, 1973; SCHIEMER et PROSSER, 1976; TOIVONEN et LAPPALAINEN, 1980).
Le cadre de la présente étude est placé sous l’application d’une méthode d’analyse multicritère simplifiée, basée sur la satisfaction qu’emmène une décision de choisir une plante qui offre le meilleur potentiel global d’application (épuration des eaux, valorisation économique, environnementale et sociale). Cette recherche se limite cependant aux résultats obtenus sur des plantes présélectionnées pour être valorisées au Cameroun. Ces plantes sont les lentilles d’eau, la jacinthe d’eau, la laitue d’eau, le papyrus commun et les choux de marais, fréquemment rencontrées dans les milieux pollués (PETER, 2000; QIAN et al., 1999; VAN ZON, 1982).
Le plan de travail de l’analyse de la satisfaction amène les intervenants à remettre en cause des aspects fondamentaux du sujet à l’étude. Ce faisant, il assure l’identification et la compréhension, par chacun, des besoins et il oriente la recherche de solutions optimales. Les solutions peuvent donc être classées par ordre croissant du niveau de satisfaction à moindre coût. Les étapes de la satisfaction passent donc par l’identification des besoins, par une analyse fonctionnelle et sa caractérisation (AFNOR, 1998) et finalement, par une évaluation des solutions proposées.
À titre indicatif, l’analyse fonctionnelle consiste à identifier des actions à entreprendre pour satisfaire le besoin. Ce besoin émane naturellement du promoteur du projet (gestionnaire du lac). Cependant, il est préférable que tous les intervenants, présents ou futurs, agissent dès la définition du besoin. Les actions s’énoncent à l’aide d’un verbe et d’un nom pour simplifier la communication et ramener les participants au fondement de la problématique. À partir de ce besoin fondamental, une identification des actions de base et secondaires est élaborée à l’aide de leurs critères d’importance et de leurs interactions. Parallèlement, les solutions sont avancées et envisagées selon les connaissances des intervenants, des experts dans le domaine ou des revues bibliographiques. Une équipe multidisciplinaire est également souhaitable à cette étape. Cette analyse des différentes fonctions permet de réaliser un graphique fonctionnel, tel que présenté dans le tableau 2.
Cette solution graphique, simple à comprendre, présente globalement la hiérarchisation des fonctions entre le besoin et les solutions proposées. Cette démarche peut être transposée en recherche et développement en associant la finalité d’un projet à la validation d’une hypothèse de travail (HAUSLER et al., 1994).
La caractérisation de l’analyse fonctionnelle est une étape qui consiste à préciser le besoin en déterminant les critères à rencontrer ou les contraintes à respecter pour les satisfaire par un élément mesurable. La caractérisation consiste donc à énoncer les critères d’appréciation et les contraintes, préciser leurs niveaux et indiquer la flexibilité de ces niveaux. Pour chacune des fonctions, la caractérisation de l’analyse fonctionnelle exprime, par des critères, leur niveau de tolérance et de flexibilité. Ces niveaux sont représentés par des chiffres compris généralement entre 0 et 10. La flexibilité « 0 » signifie que la fonction n’a aucune tolérance possible. La flexibilité « 10 » dénote une très grande tolérance, c’est-à-dire que le critère peut avoir plusieurs niveaux de flexibilité. Cette caractérisation vise également à développer les termes de l’étude économique finale afin que les solutions répondent adéquatement à la finalité.
Avant d’entamer l’analyse multicritère pour le choix d’une plante aquatique, il est judicieux, dans une première étape, de donner un bref aperçu sur les plantes considérées.
3. Présentation de quelques plantes aquatiques
La jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) est une plante vasculaire d’eau douce, qui possède un pétiole assez long, un limbe cordiforme à nervures arquées, des feuilles arrondies vertes et des épis de fleurs, comme illustrée par les figures 1 à 3. Les lentilles d’eau ou Lemna minor L., quant à elles, sont de petites plantes flottantes, qui se présentent sous forme de thalles ronds de 2-5 mm de diamètres et une racine de 25 à 100 mm (Figures 4 et 5). La laitue d’eau (Pistia stratiotes) est une autre plante flottante tropicale ayant l’aspect d’une salade avec des feuilles charnues et longues de 10 à 15 cm comme le montre la figure 6. La dernière plante flottante considérée dans ce travail est le liseron d’eau (Ipomoea aquatica Forssktal), qui est du type herbacé. Elle pousse sous forme de tapis flottants à la surface des canaux et des lacs. Ses tiges sont souples, creuses et longues de 3 m ou plus (Figure 7).
Outre ces plantes flottantes, il existe également des végétaux aquatiques dont les racines poussent sur le fond des plans d’eau, tels le papyrus commun (Cyperus papyrus), une herbe semi-aquatique ayant des tiges épaisses mais souples, hautes de 3 à 4 m, des inflorescences de 10-30 cm de diamètre et un rhizome rampant. Ses tiges se terminent par des feuilles allongées à l’extrémité desquelles se développent de petites fleurs verdâtres. Il croît assez rapidement dans les marais permanents eutrophes et le plus souvent en eau peu profonde (Figure 8). Les caractéristiques de toutes ces plantes sont récapitulées dans le tableau 3.
4. Impacts des plantes aquatiques envahissantes
La plupart des plantes envahissantes présentent de l’intérêt pour une éventuelle exploitation rationnelle, dans le cadre d’un développement durable, en ce sens qu’elles peuvent être cultivées sans investissements importants, pour une production de biomasse à valeur ajoutée. Cependant, pour mieux définir cette notion d’exploitation rationnelle, il serait judicieux, dans un premier temps, de récapituler les principaux inconvénients (HEAFY et BUSH, 1994; MCCANNet al., 1996; MCCAUSLAND, 2002; SINKALA et al., 2002; VAN ZON, 1982) et avantages sur la protection de l’environnement (AGENDIA et al., 1997; HILL et HILL, 1999; KELLY et al., 1999; LINDSEY et HIRT, 2000; MCCAUSLAND, 2002; PARINET et al., 2000; PATIENCE et al., 1983; QIAN et al., 1999) que présentent l’usage et le développement de ces plantes (Tableau 4).
La synthèse de toutes ces données met en évidence le fait que le choix judicieux d’une plante aquatique donnée, à des fins d’exploitation rationnelle et de dépollution, pourrait constituer une alternative d’avenir, qu’il faudrait généraliser dans tous les pays qui s’y prêtent. Ceci permettrait d’implanter des systèmes écologiques d’épuration des eaux, à l’aide de cultures de plantes aquatiques, qui peuvent vite entrer en équilibre et devenir partie intégrante de l’environnement. De telles technologies de dépollution, utilisant divers types de plans d’eau, ont déjà été mises à l’épreuve dans certains pays et les résultats obtenus sont très encourageants (AXTELL et al., 2003; BRAMWELL et PRASAD, 1995; JING et al., 2002).
Quelques technologies dites « vertes » de dépollution des plans d’eau eutrophisés sont énoncées ci-dessous.
5. Technologies de traitement des eaux par les plantes aquatiques
L’utilisation de boues activées, de digesteurs ou de lits bactériens pour le traitement des eaux polluées est devenue classique et assez répandue, plus particulièrement dans les pays industrialisés qui disposent des moyens nécessaires. Pour les pays moins développés, il est essentiel d’entrevoir la possibilité de mettre en oeuvre des technologies d’épuration moins onéreuses, qui requièrent moins de moyens et qui cadrent avec les spécificités de ces pays (BRAMWELL et PRASAD, 1995; JING et al., 2002). Parmi ces technologies figurent justement les procédures de traitement de l’eau à l’aide de plantes aquatiques dans des marécages, des lagunes ou des marais, procédures qui seront développées explicitement dans ce qui suit.
5.1 Systèmes de traitements d’eau dans des marécages
Les marécages naturels sont utilisés depuis quelques années pour traiter les eaux, mais ils peuvent s’avérer insuffisants quand le milieu récepteur est trop eutrophe. Cette carence a stimulé le développement de systèmes de marécages artificiels, plus flexibles et plus performants dans ce sens. Il existe deux variantes de ce type de technologie : 1. le décanteur-digesteur anaérobie avec grillage, où sont cultivés de la laitue d’eau et/ou du papyrus commun; 2. le marécage, contenant des bactéries et des plantes spéciales dépolluantes. Ce type de technologie, en fonction depuis une décennie, est assez rentable, et peut être appliqué aux traitements des eaux usées industrielles, municipales ou agricoles. Les principaux polluants pouvant être éliminés par un tel système sont les nitrates, les phosphates et les métaux lourds (BRAMWELL et PRASAD, 1995; QIAN et al., 1999).
5.2 Systèmes de traitements d’eau par lagunage des plantes aquatiques
Un traitement par lagunage ne pourrait être efficace sans la présence simultanée de bactéries, de zooplancton, de plantes aquatiques et d’algues. Ainsi, cette technologie combine les performances de dépollution des bactéries et des macrophytes, qui jouent le rôle d’agents filtrants et d’assimilation des nitrates et des phosphates. Les plantes aquatiques qui s’adaptent le mieux à ce système d’épuration sont le plus souvent : la laitue d’eau, la jacinthe d’eau, le papyrus commun et le liseron d’eau. De plus, ces plantes dégagent assez d’oxygène au niveau des racines, des feuilles et des stolons pour permettre aux bactéries aérobies de consommer la matière organique présente (JING et al., 2002; LIN et al., 2002).
5.3 Systèmes à base de marais épurateurs
Les systèmes d’épuration à base de marais correspondent en fait à des installations de phyto-épuration et deviennent vite des écosystèmes en équilibre avec le milieu environnant. Ils consomment très peu d’énergie et combinent les effets bénéfiques du sol, des microorganismes et des plantes aquatiques. La qualité de ce type de technologie laisse présager une application aux traitements des eaux usées issues des petites villes, des petites entreprises et des campagnes, car il nécessite très peu d’investissement (BRAMWELL et PRASAD, 1995; MARIN, 1993; REDDY et DEBUSK, 1987).
6. Choix d’une plante pour exploitation rationnelle à des fins environnementales
Un choix rigoureux doit se baser sur un certain nombre de critères objectifs, eux-mêmes sélectionnés judicieusement, faisant un compromis entre les avantages et les inconvénients de la culture éventuelle de chacune des plantes dans des contextes bien déterminés. A priori, les plantes citées semblent être toutes intéressantes pour une culture rationnelle à des fins de dépollution, en ce sens qu’elles s’adaptent assez bien dans les milieux eutrophisés (excès d’azote et de phosphore), les milieux pollués (métaux lourds, pesticides, herbicides, etc.) et qu’elles produisent une biomasse végétale valorisable en protéines et en agents antioxydants pour certaines d’entres elles. Néanmoins, des critères supplémentaires sont requis pour l’implantation de technologies économiques, ne nécessitant pas ou peu d’investissements dans des pays moins développés, où les phénomènes de pollution deviennent de plus en plus contraignants. Dans ce contexte très spécifique, la multiplicité des voies de valorisation de la plante sélectionnée pour une telle culture rationnelle devra être considérée comme étant un facteur déterminant.
Les solutions proposées reposent également sur des critères d’évaluation qui sont énoncés par une équipe multidisciplinaire regroupant tous les intervenants concernés ou une personne selon une philosophie transdisciplinaire. Afin de déterminer la force ou le poids d’un critère d’évaluation, un facteur de 1 à 10 lui est octroyé par l’équipe multidisciplinaire (10 étant le facteur le plus important et 1 le facteur le moins important). Cette pondération est arbitraire et est obtenue par consensus (table ronde) ou par la méthode Delphi (PRADES, 1997). Dans une approche systémique axée sur une évolution responsable, ces critères doivent intégrer l’ensemble des préoccupations tangibles ou intangibles d’ordre technique, environnemental, social et économique. Toutefois, ces préoccupations ne doivent pas être inclues ou intégrées monétairement dans le calcul coût-bénéfice. Une fois les critères et leur force déterminés, une équipe d’experts scientifiques assigne pour chaque critère les gains apportés par chacune des solutions (10 étant le gain maximal souhaité et 0 un gain nul). Cette pondération est également arbitraire. Elle est relative à la meilleure technologie et basée sur des connaissances actuelles ou théoriques. Cette pondération est obtenue également par consensus entre les intervenants.
Une analyse préliminaire des données présentées dans le tableau 5 montre, d’ores et déjà, que la jacinthe d’eau semble être la plante qui présente la plus grande diversité de voies de valorisation, pouvant être utilisée comme matière première pour la fabrication de produits nutraceutiques, agents de dépollution des eaux et comme biomasse dans diverses autres activités humaines (BUI et al., 1999; COSTA-PIERCE, 1998; DEWANDJI et MATAI, 1996; GICHUKI et al., 2001; HUBAC et al., 1984; LAREO et BRESSANI, 1982; LINDSEY et HIRT, 2000; MC CANN et al., 1996; OUDHIA et TRIPATHY, 2002; PAOLETTI, 2002; PARKINSON et QUIRKE, 1995).
La méthodologie utilisée pour un choix objectif de la plante en vue d’une exploitation rationnelle implique une analyse sur la base d’une multitude de critères. Bien qu’il existe de nombreuses méthodes ou techniques multicritères (HAUSLER et al., 1994; ROY et BOUYSSOU, 1993), celles-ci sont souvent compliquées et basées sur le calcul des données aboutissant à des valeurs quantitatives. L’obtention de telles valeurs peut être laborieuse, coûteuse ou même impossible. Dans un contexte de recherche et développement, il est possible d’utiliser des méthodes plus simples, tout en gardant une approche quantitative. Une analyse de satisfaction effectuée par CONRAUD (2002) et inspirée de l’analyse de la valeur (HAUSLER et al., 1994), permet de soutenir la prise de décision dans le cas d’une carence de données mesurables. Une hiérarchisation préalable de tous les critères pris en considération dans la réalisation de la présente étude, sur la base d’une échelle de pondération variant de 1 à 10, a permis de ne retenir que ceux présentant des valeurs supérieures ou égales à 5 (Tableau 6).
Il faudrait insister sur le fait que cette hiérarchisation des critères, dite verticale, est subjective. Elle varie d’un observateur à un autre et d’un contexte à un autre, surtout lorsqu’il s’agit de généralisation de cette technologie d’exploitation rationnelle des plantes aquatiques à des fins environnementales. Cependant, il reste possible de réduire cette subjectivité en restreignant la problématique à des cas très spécifiques. D’une manière objective, il faudrait s’attendre à ce qu’un certain nombre de critères puisse présenter une plus grande pondération que d’autres. Dans le cas présent, il serait judicieux de limiter la gamme des plantes aquatiques à ces cinq espèces et le lieu d’application d’une exploitation rationnelle de celles-ci aux seuls pays tropicaux. Dans ce contexte précis, les critères d’ordre technologiques et ensuite environnementaux deviendront prioritaires par rapport aux critères socio-économiques (Figure 9). Ceci peut être expliqué par le manque de technologies et la vulnérabilité de ces pays face à des accidents ou bouleversements écologiques.
Fondamentalement, cette méthode est basée sur un principe de consensus et de gouvernance avec l’implication des différents acteurs concernés par la prise de décision. Cependant, il peut aussi être un outil individuel pour orienter et se convaincre d’une telle démarche.
Dans une seconde étape, une analyse de satisfaction est réalisée sur la base de cette hiérarchisation. Ainsi, une autre hiérarchisation, cette fois-ci dite horizontale, est effectuée en associant pour chaque plante aquatique une pondération (Pe) pour chaque critère, estimé le plus objectivement possible selon une échelle croissante similaire de 1 à 10 et tenant compte de la spécificité du contexte considéré. La pondération attribuée dans cette seconde étape est multipliée par le poids attribué à chaque critère (Pi). Le choix d’une plante s’effectue ensuite à partir d’un classement réalisé sur la base de totaux de points accumulés pour chaque plante par une telle méthode (HAUSLER et al., 1994; ROY et BOUYSSOU, 1993).
La sommation des résultats obtenus pour chacune des solutions permet rapidement un classement des solutions par ordre croissant d’intérêt. Pour les solutions les plus intéressantes, un programme d’essais se doit d’être réalisé pour déterminer la solution la plus favorable et la plus économiquement réalisable. Ainsi, pour finaliser l’analyse de la valeur, le rapport qualité/coût-bénéfice doit être évalué en fonction des coûts estimatifs de construction et d’exploitation actualisés moins les bénéfices monétaires enregistrables.
Il ressort clairement que la jacinthe d’eau et, à un degré moindre, la laitue d’eau et les lentilles d’eau, se prêtent le mieux à une exploitation rationnelle dans un pays tropical ayant de faibles ressources financières. L’exploitation de la laitue d’eau semble, toutefois, être défavorisée par la faiblesse de sa valeur nutraceutique, le nombre limité de voies de valorisation de sa biomasse et surtout les désagréments (démangeaisons) causés aux travailleurs lors de sa récolte et sa manipulation (PIRIE, 1971).
7. Impact environnemental - Comportement des racines en dépollution
L’eutrophisation, processus naturel mais accéléré par les activités humaines, accroît les quantités de phosphore et d’azote dans le milieu aquatique. La plupart de ces plantes aquatiques utilise ses agents d’eutrophisation comme nutriments (MAHUJCHARIYAWONG et IKEDA, 2001). Les racines de ces plantes favorisent la fixation et la croissance de nitrobactéries permettant la diminution de l’azote ammoniacal (COSTA-PIERCE, 1998). Cette symbiose entre les nitrobactéries et les racines rend ces plantes plus intéressantes à utiliser dans une lutte contre l’eutrophisation d’un lac.
Selon certains chercheurs un rapport critique C:N (carbone : azote nitrique (NO3-N)) de 5 : 1 permet l’enlèvement de la totalité des nitrates contenus dans un milieu aquatique contenant certains types de plantes aquatiques (Ipomoa aquatica, Pistia stratiotes, etc.) (LIN et al., 2002). Toutefois, la jacinthe d’eau enlève très peu d’azote minéral (NH4-N) par rapport aux lentilles d’eau. La charge en demande chimique en oxygène (DCO) libérée par celle-ci est autour de 2 g/m2/jour. D’ailleurs, les lentilles d’eau produisent une plus grande quantité d’oxygène dissous que la jacinthe d’eau. Cependant, 50 % des lentilles d’eau sont inhibées dans leur croissance quand elles sont exposées à des concentrations de l’ordre de 6,3-8,5 mg/L d’ammoniaque libre (COSSU et al., 2001).
L’enlèvement des métaux lourds de plans d’eau pollués peut se réaliser par l’action des racines ou par d’autres parties des plantes aquatiques (KELLY et al., 1999). Toutefois, la jacinthe d’eau et la laitue d’eau, malgré leur grande capacité à fixer les métaux, restent assez vulnérables à un excès important de cuivre dans le milieu (KLUMPP et al., 2002). Les lentilles d’eau, quant à elles, résistent moins à un excès de métaux du type Cd, Cu, Mn, Ni ou Pb (HUBAC et al., 1984).
L’oxygène est indispensable à l’équilibre de la faune et de la flore de l’écosystème aquatique. Dans les lacs et les autres cours d’eau envahis par les plantes aquatiques, la couverture végétale constitue un obstacle pour le passage de la lumière et la dissolution de l’oxygène atmosphérique. Dans ces conditions, même le phytoplancton ne peut contribuer à l’oxygénation de l’eau, ne pouvant recevoir de lumière. Il est donc contraint à disparaître, ce qui affecte directement la faune aquatique. Pour remédier à cet inconvénient, un enlèvement contrôlé de la jacinthe d’eau est vivement recommandé, faisant augmenter la teneur en oxygène dans le cours d’eau (PARINET et al., 2000; REDDY et DEBUSK, 1987).
8. Impact socio-économique - Valorisation de la biomasse
Que faire d’autre de cette biomasse? La transformation en méthane paraît être une des voies logiques, mais elle n’a pas été abordée dans le cadre de cette étude. Il faut toutefois souligner que l’étude des plantes aquatiques a mis en évidence l’existence d’une grande quantité de molécules chimiques dont les spécificités sont remarquables : acides aminés, acides à longues chaînes, terpènes spéciaux, etc. (BODO et al., 2004a; GARNEAU et COLLIN, 1995).
La valorisation de la biomasse est un des aspects les plus importants de cette approche. Compte tenu de la teneur en protéines de la laitue d’eau, par exemple, qui pousse sur les eaux usées et de leur haute production dans les lagunages à macrophytes, les possibilités de valorisation semblent multiples et leurs intérêts financiers ne sont, sans doute, pas négligeables. La fabrication de compost avec cette plante est tout à fait satisfaisante. La laitue se décompose très vite, la phase de dégradation dure 15 jours environ alors que la maturation se prolonge jusqu’au troisième mois. Les valeurs de C : N aux alentours de 10 montrent que les composts sont équilibrés. Les prospectives sont donc intéressantes. Cela se vérifie aussi pour le cas de la jacinthe d’eau ou les lentilles d’eau.
La productivité en biomasse, la diversité des voies de valorisation, ainsi que la valeur nutraceutique de cette biomasse sont les principaux critères ayant permis d’orienter le choix de la plante aquatique. Grâce à ces critères, la jacinthe d’eau, la laitue d’eau et les lentilles d’eau occupent une place privilégiée pour l’implantation d’une exploitation rationnelle à des fins environnementales dans les pays tropicaux. Sans être prioritaires, dans notre présente démarche, des retombées socio-économiques peuvent inévitablement se produire, ce qui donne des arguments supplémentaires aux décideurs.
La composition de la matière sèche de ces plantes aquatiques est presque comparable à celle de nombreuses plantes terrestres. À titre d’exemple, les lentilles d’eau ont un taux protéique relativement élevé (10-30 %), et d’autres plantes aquatiques sont même plus riches en carotène et xanthophylle que plusieurs plantes terrestres (CHARA et al., 1999). Les acides aminés de nombreuses plantes aquatiques sont comparables aux exigences de la FAO en la matière. Par ailleurs, la teneur élevée en lysine peut être avantageusement valorisée en nutrition dans les pays du tiers monde. À ce sujet, les lentilles d’eau, la jacinthe d’eau, et à un degré moindre la laitue d’eau, peuvent même être consommées par les humains (DEWANDJI et MATAI, 1996; HUBAC et al., 1984; LINDSEY et HIRT, 2000).
Hormis les applications susmentionnées, il faut signaler que la biomasse de la jacinthe d’eau se prête à une grande diversité de voies de valorisation dans les domaines les plus variés, allant du compostage, à la fabrication de protéines, d’agents antioxydants comme le glutathion chez la jacinthe d’eau (BODO et al., 2004a), de pâte à papier, de matériaux pour l’artisanat, etc.
9. Conclusion et recommandations
Un système de traitement des eaux utilisant les plantes aquatiques peut être aisément implanté, avec un impact positif certain, au voisinage des petites localités, dans les pays tropicaux en voie de développement. Pour atteindre un tel objectif, il serait judicieux d’adapter la culture d’une plante aquatique donnée, dûment sélectionnée, dans un plan d’eau voisin d’une source continuelle de pollution. Une sélection et une hiérarchisation préalables des principaux critères permettant de procéder à un tel choix sont indispensables. Par la suite, la réalisation d’une étude de satisfaction rigoureuse permettra de faire démarquer la meilleure plante à exploiter sur un plan d’eau spécifique et dans un contexte bien défini. La jacinthe d’eau s’avère être la meilleure alternative. Elle offre simultanément un grand pouvoir de dépollution des plans d’eau, une valeur nutraceutique élevée de sa biomasse, une diversité des voies de valorisation de cette dernière ainsi qu’une facilité d’exploitation par des technologies économiques. Une exploitation judicieuse de cette plante dans un plan d’eau continuellement pollué ne posera plus de problèmes de rentabilité. La productivité sera assurée par la récolte d’un excédent de jacinthes d’eau, sans investissement majeur, tenant compte de la fréquence de récoltes et des besoins en dépollution. Une récolte fréquente et contrôlée de l’excédent de jacinthes d’eau est essentielle dans la mesure où elle permet de mieux maîtriser le taux de recouvrement de la surface du plan d’eau par la plante aquatique.
Il est souhaitable qu’une telle démarche soit suivie d’une expérimentation pour une validation scientifique de la méthodologie développée. Toutefois, une estimation des coûts d’une telle exploitation doit être faite pour s’assurer que les futurs exploitants pourront poursuivre un tel projet avec certitude. Le taux de satisfaction doit être associé à ces coûts. Cette démarche permettra de préserver l’environnement tout en exploitant les ressources disponibles.
Parties annexes
Annexe
Abréviations
DCO |
Demande chimique en oxygène |
FAO |
Organisation Mondiale de l’Alimentation |
ha |
Hectare |
PF |
Poids frais |
MS |
Matière sèche |
Remerciements
Les remerciements vont au Professeur Frédéric Monette, de l’École de technologie supérieure de Montréal et à Mme Maria Cedan (STEPPE-ETS) pour leur précieuse assistance technique.
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