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1. Introduction

Le ferrate(VI), Fe(VI), est un produit prometteur dans la filière du traitement des eaux de par ses propriétés oxydantes, coagulantes et désinfectantes. Son potentiel redox est de 2,20 V en milieu acide et 0,72 V en milieu basique (WOOD, 1958). Sa forme réduite Fe(OH)3 est non toxique d’où le caractère respectueux de l’environnement de Fe(VI). Son efficacité a été démontrée sur des contaminants organiques et inorganiques tels que des pharmaceutiques, métaux, composés organiques azotés et soufrés (SHARMA, 2011, 2013).

L’oxydation photocatalytique associant l’irradiation UV du dioxyde de titane TiO2 avec Fe(VI) permet dans certains cas d’améliorer le procédé photocatalytique (SHARMA et al., 2010; YUAN et al., 2006). Classiquement, ce dernier entraîne la génération de porteurs de charge lorsqu’un photon suffisamment énergétique (hν ≥ bande d’énergie de TiO2) fait passer un e (ecb) de la bande de valence à la bande de conduction du TiO2. Un trou chargé positivement (hvb+) se trouve alors sur la bande de valence (HOFFMANN et al., 1995). Les électrons et les trous migrent à la surface de la particule, entraînant des réactions d’oxydation ou de réduction, ou se recombinent, diminuant l’efficacité du traitement. La présence de Fe(VI) inhiberait la recombinaison de la paire électron-trou à la surface de TiO2, en acceptant un ecb pour former Fe(V) (SHARMA et al., 2010). Fe(V) étant plus réactif, il va oxyder des espèces difficilement oxydables par Fe(VI). Cette synergie permet d’abattre efficacement des composés tels que l’ammoniac, l’acide formique, le dibutyl phtalate (SHARMA et CHENAY, 2008; LI et al., 2008).

Le nombre d’études portant sur ce couplage demeurant pauvre, ce travail porte sur le couplage du TiO2 commercial P25 avec Fe(VI) sous forme pure ou sous forme d’une matière plus économique (Fe(VI) matter) pour traiter la rhodamine 6G. L’étude des impacts des sels présents dans Fe(VI) matter, des concentrations en photocatalyseur et de l’ajout différé du ferrate lors du traitement est réalisée.

2. Matériels et méthodes

2.1 Réactifs

Le ferrate(VI) synthétisé au laboratoire selon le brevet FR 2908128 (CASTETBON et al., 2008) est nommé Fe(VI) matter. La composition du solide obtenu (sous forme de pastilles) est 15-18 % K2FeO4, 20-26 % KOH, 2-3 % Fe(OH)3 et des sels formés à partir de Cl, SO42‑, Ca2+, K+, Na+ et CO32‑. Le prix de Fe(VI) matter est estimé à 20 €/kg avec le procédé de synthèse actuel. Le ferrate de potassium pur (90 %) provient de Sigma-Aldrich, son prix est supérieur à 1 800 $/kg. Le photocatalyseur est le dioxyde de titane en poudre P25 (80 % anatase/20 % rutile, EVONIK, 99,5 %). La rhodamine 6G (R6G 99 %), l’acide téréphtalique (98 %) et les sels Na2SO4, NaCl et Na2CO3 (puretés supérieures à 99 %) proviennent de Sigma-Aldrich.

2.2 Protocoles expérimentaux

Pour le traitement de R6G, la solution ([R6G] = 10‑5 M) est illuminée en présence de Fe(VI) pur ou Fe(VI) matter ([Fe(VI)] = 10‑4 M) et/ou du photocatalyseur P25 ([P25] = 0,1 g∙L‑1) par des lampes UV (4 LED 365 nm, 4,5 x 1017 photons∙s‑1, déterminé par actinométrie au ferrioxalate) à pH 8,00 ± 0,05. La température du milieu réactionnel est maintenue à 25 ± 2 °C à l’aide d’une ventilation. Une agitation magnétique assure l’homogénéité du mélange et permet une oxygénation provenant de l’air ambiant. Lors de chaque traitement, des échantillons sont prélevés, l’action de Fe(VI) est stoppée par du sulfite de sodium, puis ils sont filtrés à 0,45 µm pour éliminer les particules avant analyse.

2.3 Méthodes analytiques

La concentration en Fe(VI) est déterminée par mesure de l’absorbance à 510 nm et celle de R6G à 530 nm, avec le spectrophotomètre Perkin Elmer UV-850. La détermination du carbone organique total (COT) est faite sur le COTmètre TOC-L de Shimadzu. La méthode de quantification indirecte des radicaux OH• consiste en l’ajout d’acide téréphtalique ([AT] = 5 x 10‑4 M) dans une solution de TiO2 ([P25] = 0,01 g∙L-1; pH = 8,00 ± 0,05) avec ou sans présence de sels Na2SO4, NaCl, Na2CO3 ou Fe(OH)3 (résultant de la décomposition d’une solution de ferrate) ([sel] = 10‑5 M). Cette solution est irradiée par une LED 365 nm fournissant 1 W∙cm‑2 (irradiance déterminée par un radiomètre). Le nombre de photons émis, qui interviendra dans le calcul de l’efficacité photonique, a ainsi été calculé, il est de 1,78 x 1015 photons∙cm-2∙s‑1. L’acide hydrotéréphtalique (AHT), obtenu par la réaction de AT avec OH• et sa quantification se fait par mesure de la fluorescence à 420 nm (spectromètre de fluorescence, Edimbourg Instrument).

3. Résultats et discussion

3.1 Transformation de R6G et minéralisation

Des essais d’adsorption de R6G sur TiO2 dans l’obscurité montrent qu’elle est négligeable (<5 % en 1 h). La figure 1 représente l’évolution de la concentration normalisée en R6G au cours du temps et selon les traitements. La synergie est mise en évidence lors du traitement UV/TiO2/Fe(VI) pur, car la transformation totale de R6G est accélérée comparée aux traitements UV/TiO2 et Fe(VI) pur, et qu’elle n’est pas le résultat de l’addition des deux effets (si dans l’idéal ils étaient distincts) (Figure 1a). La mesure du COT montre de plus que la minéralisation est de 70 % contre 44 % et 36 % respectivement lors des traitements UV/TiO2 et Fe(VI) pur. Il est intéressant de noter que cette synergie est observée malgré le fait que la solution de ferrate(VI) à 10‑4 M a une transmission égale à 82 % à 365 nm dans le dispositif expérimental; les photons absorbés ne sont alors plus disponibles pour générer la paire électron-trou à la surface de TiO2. Lorsque Fe(VI) matter est utilisé, seul ou avec UV/TiO2/Fe(VI) matter, l’abattement de R6G est partiel et ne conduit pas à une minéralisation (Figure 1b). La synergie n’est plus visible lorsque Fe(VI) matter est introduit dès que la photocatalyse est démarrée, mais elle a lieu si l’ajout de ferrate est différé de 10 min (traitement UV/TiO2/Fe(VI) matter différé). Les sels présents dans Fe(VI) matter dus au procédé de synthèse inhibent l’oxydation par Fe(VI) et la réaction photocatalytique (traitement UV/TiO2/sels Fe(VI) matter). Dans le cas UV/TiO2/Fe(VI) matter différé, la synergie observée pourrait être due à la baisse de pH de la solution mesurée après 10 min de photocatalyse (pH = 7,0 ± 0,2). Les cinétiques de dégradation d’un polluant par Fe(VI) sont fortement dépendantes du pH car les différentes espèces mises en jeu ont leur propre réactivité. À pH = 7,0 ± 0,2 la forme monoprotonée de Fe(VI) est prédominante [pKa(HFeO4/FeO42-) = 7,3 ± 0,1] or celle-ci à un pouvoir oxydant plus grand que FeO42‑. De plus, la répulsion électrostatique avec TiO2 négativement chargée (point de charge nulle P25 pHpzc = 5,8-6,8) est plus faible avec la forme monoprotonée que non protonée de Fe(VI). La photoréduction de Fe(VI) à la surface de TiO2 est donc plus effective lorsque le pH diminue (SHARMA et al., 2001). Il est également possible que le nombre de sites actifs de TiO2 augmente lorsque le pH diminue si la formation de Fe(OH)3 diminue, minimisant le nombre de particules qui peuvent s’adsorber à la surface du photocatalyseur.

Figure 1

Évolution de la concentration en colorant rhodamine 6G (R6G) selon le traitement appliqué avec a) l’utilisation de Fe(VI) pur et b) l’utilisation de Fe(VI) matter

Decay of the dye rhodamine 6G (R6G) according to the applied treatment with a) the use of pure Fe(VI) and b) the use of Fe(VI) matter

Évolution de la concentration en colorant rhodamine 6G (R6G) selon le traitement appliqué avec a) l’utilisation de Fe(VI) pur et b) l’utilisation de Fe(VI) matter

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3.2 Impacts des sels présents dans Fe(VI) matter et de Fe(OH)3

L’influence des sels Na2SO4, NaCl, Na2CO3 et de Fe(OH)3 produit de décomposition de Fe(VI) sur l’abattement de R6G par UV/TiO2 et Fe(VI) a été étudiée. Les sels ont été introduits à la concentration [sel] = 10‑4 M, car ils sont présents dans Fe(VI) matter dans le même ordre de grandeur que Fe(VI). Les abattements en R6G après 2 h de traitement sont indiqués dans le tableau 1. La colonne ∑sels représente l’ajout de tous les sels présents dans Fe(VI) matter. Dans le cas du traitement UV/TiO2 une solution de Fe(VI) matter dégradée (Fe[VI] transformé en Fe[OH]3) est injectée; pour le traitement Fe(VI) pur le résultat indiqué est l’abattement lors du traitement par Fe(VI) matter (les teneurs en Fe(VI) introduites restent identiques). Il a été vérifié que les sels présents dans Fe(VI) matter n’absorbent pas à 365 nm et donc ne modifient pas l’absorption des photons. Aussi, la dispersion des particules de TiO2 dépendant de facteurs tels que la nature des ions coexistant et la force ionique des solutions, l’étude de la diffusion dynamique de la lumière (DLS) des suspensions de TiO2 a été réalisée. Les phénomènes d’agrégation sont négligeables à ces faibles concentrations en sel, même pour la somme des sels (∑sels) qui correspond à une force ionique inférieure à 1 mM.

Tableau 1

Abattement de la concentration en colorant rhodamine 6G (R6G) en fonction des traitements appliqués

Decay of the dye rhodamine 6G (R6G) according to the applied treatment

Abattement de la concentration en colorant rhodamine 6G (R6G) en fonction des traitements appliqués

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On constate que SO42‑ inhibe fortement l’activité de UV/TiO2, suivi par Fe(OH)3, tandis que Cl et HCO3 ont un impact négligeable. Un suivi de la production des radicaux OH• en présence des différents sels a été effectué. Les concentrations en TiO2 et sels ont été divisées par dix par rapport aux essais de traitement de R6G pour une mesure correcte de la fluorescence (absorbance de la solution > 0,1 si TiO2 = 0,1 g∙L‑1 donc phénomènes de réflexion non négligeables). L’addition de l’acide téréphtalique (AT) et des sels a été soit simultanée, soit les sels ont été agités avec TiO2 pendant 1 h dans le noir avant l’introduction de AT et l’irradiation. L’adsorption de AT est considérée négligeable, car inférieure à 2 % en 30 min. Les mesures de OH• lors de l’ajout de Fe(OH)3 sont non viables, car AT s’adsorbe et reste piégé à la surface des particules de Fe(OH)3. Les efficacités photoniques mesurées sont indiquées dans le tableau 2.

Tableau 2

Efficacités photoniques de la photocatalyse UV/TiO2 en présence de sels

Photonic efficiencies of UV/TiO2 photocatalysis in the presence of salts

Efficacités photoniques de la photocatalyse UV/TiO2 en présence de sels

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La diminution de production de OH• ne venant pas d’un effet d’agrégation des particules de TiO2, il est probable que ce soit l’adsorption des sels à la surface de TiO2 qui diminue le nombre de sites actifs en formant une couche de sels inorganiques à la surface de TiO2. La nature du sel adsorbée semble ne pas avoir d’impact, révélant une inhibition purement physique. Lorsque les sels sont introduits simultanément avec le début de l’irradiation (comme le cas des traitements où Fe(VI) matter est utilisé), les sels SO42‑ et Cl inhibent moins la photocatalyse, tandis que HCO3 en solution réduit plus la production de OH• que quand il est adsorbé. Lorsque les sels ne sont pas adsorbés, l’inhibition est alors dite chimique, les sels vont piéger des OH• en solution ou des trous d’électrons selon leur nature chimique. L’ion HCO3 est par exemple susceptible de piéger un radical OH• pour former CO3. Les cinétiques d’adsorption des sels sont à mesurer pour différencier la part de l’inhibition dite physique de l’inhibition dite chimique et approfondir l’interprétation de ces observations.

SO42‑ est également responsable de la diminution de la capacité oxydative de Fe(VI) (Tableau 1). Ces seuls sels étudiés ne suffisent cependant pas à expliquer les baisses d’activités pour les deux types de traitement, car l’ajout de la totalité des sels présents dans Fe(VI) matter (∑sels) conduit à une plus forte inhibition que l’addition des effets des sels étudiés. Le contre-ion Na+ a un effet négligeable sur les phénomènes d’oxydation mais l’impact des autres cations présents dans Fe(VI) matter est à considérer : l’influence de Ca2+ et K+ fera l’objet d’une étude future. Toutefois la dégradation de R6G conduite avec une concentration en TiO2 multipliée par cinq permet de pallier aux impacts des sels, la synergie du couplage UV/5*TiO2/Fe(VI) étant notable comparée au traitement UV/5*TiO2 seul.

4. Conclusion

La synergie lors du couplage UV/TiO2/Fe(VI) pur a été mise en évidence dans les conditions expérimentales de l’étude, menant à une rapide disparition de R6G et une minéralisation de 70 %. L’utilisation du Fe(VI) fabriqué selon le brevet FR 2908128 dans le couplage entraine une diminution de l’efficacité des traitements oxydatifs. Des essais de complexation de Fe(III) (par ex. tampon phosphate) vont être effectués dans le but de limiter son adsorption sur TiO2. De plus en différant l’ajout de Fe(VI) matter la synergie peut être à nouveau présente. L’hypothèse que cette amélioration est due au pH plus faible au moment de l’ajout ouvre des perspectives pour les futurs travaux. Il est en effet nécessaire d’étudier l’influence de paramètres tels que le pH mais aussi les concentrations en photocatalyseur et Fe(VI). La formation de Fe(V) requiert confirmation, la spectroscopie paramagnétique de résonance électronique pourrait être un outil adéquat.