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1. Introduction

La mise en valeur du territoire tunisien nécessite une bonne connaissance des phénomènes hydrologiques. Mais le manque d’observations hydrométriques, notamment sur les petits bassins versants, conduit les ingénieurs en charge de ces aménagements à faire des analogies avec des bassins voisins ou à utiliser des méthodes empiriques d’estimation. La source d’information la plus abondante et la plus facilement disponible est la base de données pluviométriques centralisée à la Direction Générale des Ressources en Eau. L’objet de ce travail est de valoriser cette base de données en mettant à la disposition des projeteurs des documents cartographiques synthétiques et adaptés à leurs besoins. Nous développerons ici les deux volets principaux de cette étude :

  • l’analyse statistique des pluies ponctuelles extrêmes;

  • la cartographie automatique de leurs paramètres statistiques.

2. Les données utilisées

Le réseau pluviométrique de la Tunisie comprend plus de 800 postes, gérés principalement par la Direction Générale des Ressources en Eau, mais aussi par l’Institut National de la Météorologie. Ces stations sont très inégalement réparties du nord au sud du pays, la plus forte densité se rencontrant au nord, et l’extrême sud étant pratiquement dépourvu de postes.

Les durées d’observation de ces stations sont aussi très inégales, depuis 123 ans pour la station la plus ancienne (Tunis‑Manoubia) à moins de 10 ans pour les postes récemment installés. En s’appuyant sur une démarche heuristique et une simulation stochastique appliquées à la série de Tunis‑Manoubia (ZAHAR, 2001), nous avons montré que la taille minimale d’échantillonnage, pour estimer de façon suffisamment précise l’intensité des pluies extrêmes jusqu’à la récurrence centennale, est de 30 ans. Ainsi, parmi les 800 séries d’observations disponibles, nous avons sélectionné, pour notre étude, les séries ayant un historique de mesures d’au moins 30 ans. 399 séries ont finalement été sélectionnées avec une taille moyenne d’échantillonnage d’environ 46 ans (Figure 1).

Figure 1

Répartition spatiale des postes pluviométriques utilisés.

Spatial distribution of the rainfall gauges used.

Répartition spatiale des postes pluviométriques utilisés.

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3. Ajustement statistique des pluies ponctuelles

Selon GUILLOT (1980), « on désigne par Gradex, le gradient des valeurs de la pluie en fonction du logarithme de la durée de retour », ou autrement le paramètre d’échelle de la loi de Gumbel. Rappelons rapidement quelques fondements théoriques de cette loi : en considérant la plus forte hauteur pluviométrique «X» sur un intervalle de temps d’une période calendaire quelconque de l’année, la distribution suit une fonction de répartition de la forme :

où u est la variable réduite de Gumbel :

X0 :

paramètre de position de la loi ou encore, le mode.

G :

paramètre d’échelle, encore appelé «Gradex» comme «Gradient des valeurs extrêmes»; baptisé ainsi par les auteurs de la méthode du même nom (GUILLOT et DUBAND, 1967).

Le Gradex G peut être considéré comme le descripteur des pluies extrêmes en un lieu donné, qu’il est possible de cartographier (LABORDE, 1984). Il résume l’ensemble de l’information concernant ces pluies, et présente l’avantage de s’exprimer dans la même unité que la variable étudiée (ZAHAR, 1986). En France, le Gradex G a été cartographié comme un paramètre climatique qui caractérise le risque de pluies journalières extrêmes par région. Ses variations géographiques constatées sont importantes, puisqu’il varie de 8 mm, dans l’ouest de la France, passe à 15 mm sur l’ouest du massif central, à 50 mm dans la région cévenole, et atteint 80 mm sur le sud‑est des Alpes et dans l’Apennin (GUILLOT, 1980).

En Tunisie, le comportement gumbelien des précipitations extrêmes n’est pas systématiquement validé, et généralement, les hydrologues et météorologues s’appuient sur diverses types de lois en fonction des distributions empiriques : Frechet, Weibull, etc. (SAKISS et al., 1991). La figure 2 représente le comportement général des diverses formes analytiques de fonction de répartition : on a indiqué les parties principales des fonctions.

Figure 2

Divergences des modèles statistiques à l’extrapolation, d’après GUILLOT (1981).

Divergences of the statistical models on extrapolation, from Guillot (1981).

Divergences des modèles statistiques à l’extrapolation, d’après GUILLOT (1981).

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On peut constater sur ce schéma que des lois ayant des comportements voisins dans la partie inférieure de la distribution divergent par la suite largement. Le risque encouru, en sélectionnant une loi plutôt qu’une autre, est d’extrapoler de façon hasardeuse à partir d’observations ne concernant que les fréquences moyennes.

L’extrapolation selon Gumbel (Fisher-Tippett I) ou par exemple, Frechet (Fisher-Tippett II, c’est-à-dire log-Gumbel), conduit à de très fortes divergences pour les récurrences les plus rares. Généralement, Gumbel sous-estime dans le cas des séries dissymétriques, et Frechet surestime beaucoup. Le rapport des deux estimations dépasse couramment 5, d’après GUILLOT (1980).

3.1 Le modèle exponentiel double

Au cours de cette recherche, on a constaté que la loi de Gumbel, ajustée à des séries de pluies journalières maximales annuelles de Tunisie, ne permet pas de rendre compte systématiquement des distributions réellement observées (principalement en Tunisie centrale où l’on enregistre de fortes dissymétries). Nous pensons cependant que le comportement « hyper-gumbelien » n’est qu’apparent et est dû à des mélanges de populations. Cela ne semble pas incompatible avec la situation géographique de la Tunisie, qui se trouve en transition et sous l’influence de deux domaines climatiques bien distincts : l’influence méditerranéenne par le nord, à l’origine de pluies généralement durables et abondantes, et l’influence Saharienne par le sud, à l’origine de pluies plutôt orageuses, brèves, et intenses.

Selon ROSSI et al. (1984), qui se sont inspirés des travaux antérieurs de WAYLEN et WOO (1982), les précipitations journalières maximales annuelles peuvent être issues de deux populations :

  • des événements «ordinaires», fréquents, dont le nombre d’occurrence par an no est distribué selon une loi de Poisson (loi des événements rares) de moyenne µo, et dont les hauteurs Xo de pluie associées suivent une loi exponentielle de Gradex go :

Sous ces conditions, on démontre que la hauteur maximale annuelle Xo de ces événements ordinaires suit une loi de Gumbel de Gradex go et de mode go Ln (μo):

  • des événements très «exceptionnels» (horsains ou outliers), donc plus rares, dont le nombre d’occurrences par an ne est distribué aussi selon une loi de Poisson de moyenne µe et dont les hauteurs Xe de pluie associées suivent également une loi exponentielle de Gradex ge :

On démontre de même que la hauteur maximale annuelle Xe des événements exceptionnels suit une loi de Gumbel de Gradex ge et de mode ge Ln (µe) :

La combinaison de ces deux distributions permet de montrer que la hauteur des pluies journalières maximales annuelles (quelle qu’en soit l’origine) suit la loi suivante :

Les quatre paramètres sont ajustés par la méthode du maximum de vraisemblance sous les deux contraintes :

µe < µ0

(événements ordinaires plus fréquents que les exceptionnels);

go < ge

(événements ordinaires moins intenses que les exceptionnels).

MAX BERAN et al. (1986) ont corroboré cette « nouvelle » loi dans le cas de présences d’horsains dans les distributions. Ils notent qu’elle permet « de progresser tant sur les développements théoriques que sur le plan pratique », notamment en montrant que le modèle à double exponentielle présente des résultats pratiques encourageants dans le cas d’une estimation régionale de la fréquence des valeurs extrêmes, et ce, par comparaison avec d’autres modèles statistiques connus (Gamma, Lognormale, GEV « Generalized Extreme Value », etc.).

Ainsi, et en cohérence avec cette approche de l’École italienne d’hydrologie, nous avons retenu le modèle à double exponentielles pour l’analyse statistique des précipitations journalières maximale annuelle de Tunisie. En effet, outre la proximité géographique avec l’Italie, ce modèle de distribution présente l’avantage de conserver le caractère assymptotiquement exponentiel des pluies extrêmes (donc de calculer et d’interpoler les Gradex en Tunisie; ce qui constitue un objectif principal recherché), et permet de retrouver la distribution de Gumbel, si l’existence d’un mélange de populations n’est pas suffisamment établi (il suffit d’avoir µe << µo).

3.2 Validité des ajustements

Dans le cas de séries fortement dissymétriques, l’ajustement d’une loi exponentielle double s’ajuste à l’évidence mieux que la loi de Gumbel, et améliore sensiblement la qualité des estimations statistiques (Figure 3).

Figure 3

Ajustement de la loi exponentielle-double et de la loi de Gumbel à la série de Msaken.

Adjustment of the Gumbel and two-exponential laws for the Msaken sample.

Ajustement de la loi exponentielle-double et de la loi de Gumbel à la série de Msaken.

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Par contre, si l’on ne prend aucune précaution, l’ajustement peut être faussé par l’existence de valeurs exceptionnelles ou horsains. La figure 4 donne un exemple très clair de ce type d’artefact.

Figure 4

Ajustement de la loi Exponentielle-double et de la loi de Gumbel à la série de Bizerte.

Adjustment of the Gumbel and two-exponential laws for the Bizerte sample.

Ajustement de la loi Exponentielle-double et de la loi de Gumbel à la série de Bizerte.

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Nous avons établi une nouvelle contrainte qui revient à ne retenir l’ajustement à une double exponentielle que si le nombre de pluies maximales annuelles issues de la population dite exceptionnelle est supérieur ou égal à 5. Ainsi, on a conservé la distribution de Gumbel pour 38 des 399 séries de données, la distribution exponentielle double ayant été sélectionnée pour toutes les autres séries.

C’est ainsi que nous avons pu évaluer pour chaque station la pluie journalière décennale ainsi que le Gradex des pluies exceptionnelles. La figure 5 montre clairement que les Gradex ainsi estimés sont sensiblement plus forts que ceux que l’on obtiendrait par la simple utilisation de la loi de Gumbel.

Figure 5

Comparaison des estimations des Gradex.

Comparison of estimated Gradex curves.

Comparaison des estimations des Gradex.

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L’écart est globalement du simple au double pour les Gradex les plus forts (un doublement du Gradex engendrerait sensiblement un doublement des pluies extrêmes pour les récurrences les plus rares; cinquantennales, centennales, etc.).

Il est toujours difficile de valider un ajustement. Le report des points dans un graphique fonctionnel donne lieu à des interprétations subjectives. À notre avis, une des meilleures façons de juger de l’adaptation d’une loi de distribution consiste à raisonner régionalement de façon à prendre en compte l’ensemble des observations disponibles. Mises bout à bout, les 399 stations représentent 18 496 stations-années. Dans cet échantillon unique de taille très grande, il est possible de calculer le nombre d’événements de différentes récurrences. Par exemple, sur « N » observations, la probabilité d’avoir rencontré n500 précipitations de période de retour au moins égale à 500 ans (F = 0,998) est donnée par une loi binomiale :

On montre ainsi que sur 18 496 observations on devrait rencontrer en moyenne 37 événements de période de retour supérieure ou égale à 500 ans, et qu’il y a 70 % de chance d’en rencontrer entre 31 et 43. Parallèlement, nous avons évalué la période de retour par une loi de Gumbel et par une exponentielle double pour chaque précipitation observée. La figure 6 montre clairement que pour des périodes de retour d’environ 10 à 300 ans, la loi de Gumbel conduirait à avoir observé beaucoup trop d’événements (sous estimation). Par contre, l’exponentielle double donne des résultats beaucoup plus proches de la théorie jusqu’à une période de retour de 100 ans. Au-delà de la période de retour de 300 ans, il est hasardeux de trancher.

Figure 6

Comparaison des deux modèles par la méthode des stations-années.

Comparison of the two models using the station-years method.

Comparaison des deux modèles par la méthode des stations-années.

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Cette démarche serait justifiée dans le cas où les séries sont indépendantes entre elles. Il est probable que la proximité de certains postes nous conduit à avoir quelques valeurs redondantes, notamment les plus fortes. Ceci n’a pas d’impact significatif sur la comparaison des trois courbes (théorique, Gumbel, et exponentielle double), puisque les valeurs redondantes le sont tout autant pour chaque élément comparé.

4. Interpolation et cartographie automatique des paramètres statistiques

Depuis 25 ans environ, nous avons proposé de cartographier les paramètres statistiques des précipitations en valorisant toute l’information disponible et notamment l’information topographique (LABORDE, 1982). Cette démarche a été rapidement reprise par SLIMANI (1985), puis par d’autres (BENICHOU et LEBRETON, 1986), et n’a cessé d’être employée et réadaptée (KIEFFER WEISSE, 1998, etc.).

L’idée est finalement très simple puisqu’elle consiste à se dire que les paramètres pluviométriques s’expliquent en grande partie par des facteurs géographiques parfaitement connus (position spatiale, altitude, site du poste, distance à la mer, etc.). Seule la part de la variance de la pluie, non expliquée par ces paramètres, mérite donc d’être interpolée par des techniques d’analyse spatiale comme le krigeage. Nous allons décrire ici la démarche poursuivie pour l’établissement de la carte des pluies journalières décennales. Nous avons procédé de façon analogue pour établir la carte des Gradex.

4.1 Les relations pluviométrie - morphométrie

Le relief de la Tunisie a été extrait du Modèle Numérique de Terrain diffusé par l’EROS DATA CENTER (U.S. Geological Survey) et lisible sur le logiciel N.T.T. de DE PRAETER (1997). La taille des mailles de ce MNT est de 0,5 mn d’angle soit environ 770 m en longitude dans le centre du pays, et 925 m en latitude. Cette maille est tout à fait suffisante pour l’utilisation que nous aurons à en faire. En plus de l’altitude Z (en mètre) donnée par ce MNT, nous avons également retenu les coordonnées géographiques X et Y des stations (en °) et la distance D (en °) à la mer. En procédant ainsi (positions et distances en °), on introduit une légère anisotropie mais que les modèles de régression et de krigeage rectifient ultérieurement.

Le premier paramètre étudié est la pluie journalière décennale que nous noterons Pj10. Après plusieurs tentatives de régression multiple, nous avons été amené à retenir la relation suivante :

Le coefficient de corrélation multiple est de 0,63, ce qui signifie que 37 % de la variance spatiale des P10 ne s’explique pas par des champs parfaitement connus.

Une autre façon de présenter ce résultat est de se dire que :

  • La pluie journalière décennale ramenée au niveau de la mer P10-0 est liée à X, Y et D par la relation :

La carte de cette pluie estimée, ramenée au niveau de la mer, est présentée figure 7.

Figure 7

Carte des pluies journalières décennales (P10) ramenés au niveau de la mer.

Map of decennal daily rainfalls (P10) adjusted to sea level.

Carte des pluies journalières décennales (P10) ramenés au niveau de la mer.

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  • Il existe un gradient altimétrique figure: 016914are018n.png variant seulement en fonction de la distance à la mer D :

La carte de ce gradient altimétrique est donnée par la figure 8.

Figure 8

Carte des gradients altimétriques.

Altitude index map.

Carte des gradients altimétriques.

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Mais comme nous connaissons le relief à travers le MNT (Figure 9) on peut aisément établir la carte des P10 estimés à partir de X,Y, D et Z (Figure 10).

Figure 9

Carte topographique.

Topographic map.

Carte topographique.

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Figure 10

Carte des pluies journalières décennales (P10) estimées par la longitude (X), la latitude (Y), la distance à la mer (D) et l’altitude (Z).

Map of decennal daily ranfalls (P10) estimated by the longitude (X), the latitude (Y), the distance of the coast (D) and the elevation (Z).

Carte des pluies journalières décennales (P10) estimées par la longitude (X), la latitude (Y), la distance à la mer (D) et l’altitude (Z).

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4.2 Analyse spatiale des résidus de régression

Nous venons de voir que les paramètres X, Y, D et Z expliquaient 63 % de la variance de P10. Par construction, les résidus de régression ε sont de moyenne nulle et indépendants de X, Y, D et Z.

Pour chacun des 399 postes pluviométriques utilisés, nous avons calculé le résidu ε de régression et nous avons tenté de mettre en évidence une structure spatiale.

Nous constatons que ce variogramme montre l’existence d’une structure spatiale assimilable à un modèle sphérique (Figure 11).

Figure 11

Variogramme des résidus de régression des pluies journalières décennales (P10).

Variogram model of the decennal daily rainfalls (P10) regression residuals.

Variogramme des résidus de régression des pluies journalières décennales (P10).

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Pour de grandes distances inter-postes, la variance est d’environ 220 mm2, ce qui correspond à peu près au 60 % de la variance du champ non expliquée par X, Y, D et Z. Par ailleurs, on constate l’existence d’un effet de pépite de l’ordre de 120 mm2. Cette pépite correspond à une incertitude ponctuelle sur les estimations de P10 de l’ordre de 11 mm. Ceci est parfaitement en accord avec les intervalles de confiance sur l’estimation de P10 à partir d’échantillons de taille moyenne égale à 46 ans.

La carte des résidus de régression que nous donnons à la figure 12 est donc telle qu’elle tolère des écarts entre valeurs ponctuelles connues et valeurs cartographiées de moyenne nulle et de variance 120 mm2. Cette carte a été obtenue par krigeage sur le logiciel SURFER.

Figure 12

Carte des résidus de régression des pluies journalières décennales ( P10).

Map of the decennal daily rainfalls (P10) regression residuals.

Carte des résidus de régression des pluies journalières décennales ( P10).

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Pour obtenir la carte définitive des pluies journalières décennales, il suffit d’ajouter aux estimations de P10 à partir de X, Y, D et Z (Figure 10) les estimations des résidus ε de régression (Figure 12). On trouvera, figure 13, la carte des pluies journalières décennales qui tient compte des incertitudes sur les estimations ponctuelles et valorise l’information topographique disponible. Nous donnons également (Figure 14) une carte des Gradex des pluies journalières établie selon la même démarche.

Figure 13

Carte des précipitations journalières décennales de Tunisie.

Map of ten-year daily rainfall events in Tunisia.

Carte des précipitations journalières décennales de Tunisie.

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Figure 14

Carte des Gradex des précipitations journalières de Tunisie.

Map of daily rainfall Gradex curves in Tunisia.

Carte des Gradex des précipitations journalières de Tunisie.

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4.3 Synthèse cartographique

Les cartes synthétiques, ainsi établies, constituent un tout premier document pour l’analyse et la prédétermination spatiale du risque des pluies extrêmes journalières de Tunisie. Il convient d’abord de noter que ces cartes sont réalisées à partir de données pluviométriques exhaustives et correctes. Celles‑ci ont été soigneusement sélectionnées, contrôlées, corrigées et validées à l’aide des archives de la Direction Générale des Ressources en Eau.

Pour leurs exploitations, la lecture du Gradex G ou de la pluie journalière décennale P10 se fait sur les cartes respectives au lieu géographique considéré. Le calcul d’une pluie de récurrence « T » supérieure à la décennale en un point géographique donné s’obtient par l’équation suivante :

soit :

UT est la variable réduite de Gumbel pour une récurrence T.

PT est la pluie journalière pour une récurrence T.

Les résultats sont valables à petites et à grandes échelles de bassins versants, mais sont à manipuler avec plus de précaution dans les régions peu couvertes par l’observation pluviométrique, comme c’est le cas dans le sud.

La carte des pluies journalières décennales met en évidence que les valeurs les plus fortes sont surtout au nord et à proximité de la mer. En effet, les valeurs les plus élevées (proches ou supérieures à 100 mm/jour) s’observent sur une frange qui s’étend entre 30 et 60 km du littoral du nord-ouest, du nord‑est et en partie du centre de la Tunisie.

Notons la convergence de ces résultats avec ceux obtenus dans les études des pluies intenses dans les Cévennes-Vivarais (SAINTIGNON et BOIS, 1997), et dans les Alpes françaises (KIEFFER et BOIS, 1997). La portée comprise entre 50 et 60 km semble ainsi confirmer la faible portée spatiale des pluies extrêmes. Les estimations des Gradex et des pluies décennales sont de même ordre de grandeur que ce qui a été trouvé par DJERBOUA (2001) dans les Alpes franco-italiennes (région méditerranéenne).

Manifestement, la Tunisie centrale apparaît comme le siège des événements extrêmes les plus violents (Gradex supérieur à 35 mm). C’est du moins cette partie de la Tunisie qui a subi par le passé les inondations les plus récurrentes et les plus violentes. C’est le cas notamment à la station de Mezouna (Figure 15). La série en question (période 1961/62 – 1995/96) contient trois valeurs quotidiennes particulièrement remarquables : respectivement 300 mm lors des inondations de 1969, 146 mm pour les inondations de 1973, et 188 mm durant les inondations de 1990.

Figure 15

Horsains et hyper dissymétrie de la série de Mezouna.

Outliers and hyper-skewness of the Mezouna sample.

Horsains et hyper dissymétrie de la série de Mezouna.

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5 - Conclusion

Les cartes synthétiques des pluies journalières décennales et des Gradex ont été établies sous l’influence surtout des valeurs les plus exceptionnelles de l’échantillonnage, dont l’origine saisonnière et la répartition spatiale sont très différentes du nord au sud du pays. Si, dans le nord, il semble établi que les pluies cycloniques et durables des trois mois d’hiver soient une cause essentielle de quelques fortes pluies quotidiennes, dans le centre et le sud du pays, le caractère bref et orageux des pluies d’automne et de printemps semble l’emporter. Une analyse fine des extrêmes pluviométriques de la Tunisie est en cours, notamment par une étude statistique horaire des pluies extrêmes saisonnières à quelques postes pluviographiques de la Tunisie (une centaine de séries pluviographiques sont actuellement en cours de traitement, afin de mettre en évidence une discrétisation spatiale de la saisonnalité des intensités de pluies).

La probabilisation des précipitations extrêmes horaires, en tenant compte de leurs distributions spatiales et temporelles, ainsi que de leur saisonnalité, fait actuellement défaut dans l’analyse des risques hydrologiques extrêmes. C’est ce qu’il s’agit d’approfondir à l’avenir.