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1. Introduction

Les travaux d’aménagement du lac Nord de Tunis ont été achevés depuis 1988. Un nouveau système de fonctionnement hydrodynamique a été alors mis en place : les écluses à marée de Khéréddine permettant automatiquement l’entrée de l’eau du golfe de Tunis vers la partie nord du lac, en marée ascendante, et la sortie de l’eau du lac vers le golfe par la partie sud, en marée descendante.

Depuis 1988, la Société de Promotion du Lac de Tunis (SPLT) n’a cessé de contrôler, par des mesures régulières, l’état ainsi que la qualité des eaux de la lagune totalement transformée. Néanmoins, depuis 1990, aucune étude hydraulique et écologique de ce lac n’a été réalisée.

Ainsi, l’objectif de ce travail est de réaliser une étude de l’état actuel de l’écosystème du lac Nord de Tunis, et ce, à travers la simulation numérique des fonctionnements hydrodynamique et écologique de ce milieu.

2. Présentation du Lac Nord de Tunis

2.1 Situation géographique du lac et données sur le site

Le lac Nord de Tunis est situé à l’est de la ville de Tunis et s’étend à l’ouest jusqu’à la banlieue nord de la capitale. Le lac est délimité au sud par l’autoroute Tunis-La Goulette et au nord par la cité des Berges du Lac récemment construite sur ses rives. Plus précisément, le lac Nord de Tunis se trouve géographiquement entre les parallèles 36°45’ et 36°60’ Nord et les méridiens 10°10’ et 10°30’ Est, couvrant une superficie d’environ 24 km2 avec une profondeur moyenne de 1,5 m (Figure 1).

Figure 1

Situation du lac de Tunis.

Location of the Tunis Lake.

Situation du lac de Tunis.

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Les échanges avec la mer se font principalement à l’est, par l’intermédiaire du canal Khéréddine. Ce canal, d’environ 40 m de largeur moyenne, assure le renouvellement des eaux du lac avec celles du golfe de Tunis, ou plus particulièrement la baie de Tunis, qui est la partie sud du golfe de Tunis (BEN CHARRADA et MOUSSA, 1997).

Rappelons que l’hydrodynamique du lac est principalement contrôlée par la marée et le vent. La marée dominante dans le golfe de Tunis est de type semi-diurne (de période environ 12 heures), de marnage moyen 0,20 m et de marnage maximal 0,30 m (BEN CHARRADA et MOUSSA, 1997).

D’autre part, d’après la rose des vents trihoraires à Tunis pour la période 1981-2001 (Figure 2), les vents dominants sont du secteur Ouest (avec une fréquence de 14,3 %), tandis que les vents les plus forts ne dépassent pas 16 m.s‑1. Les données montrent également que les vents faibles, ne dépassant pas 5 m.s-1, présentent 73,4 % de l’ensemble des vents observés dans la région alors que la fréquence annuelle des vents calmes (inférieurs à 1 m.s-1) est de 7,9 %.

Figure 2

Rose des vents à Tunis, période 1981-2001 (REZGUI, 2005).

Wind rose for Tunis, period 1981-2001 (REZGUI, 2005).

Rose des vents à Tunis, période 1981-2001 (REZGUI, 2005).

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2.2 Le projet d’aménagement du lac Nord de Tunis

À travers l’histoire, le lac Nord de Tunis a subi d’énormes transformations, depuis les turcs jusqu’aux français (REZGUI, 2005). Durant toutes les étapes de son évolution, le lac a toujours constitué l’exutoire naturel des eaux usées urbaines et industrielles ainsi que les eaux pluviales de la ville de Tunis. Cette situation, combinée à un faible taux de renouvellement des eaux du lac, a conduit à la dégradation progressive et continue de la qualité des eaux de ce milieu à tel point que son état a atteint, en 1984, un degré d’eutrophisation extrême. En effet, le rejet des eaux usées dans le lac a constitué un apport excessif de nutriments (riches notamment en azote et en phosphore) à un milieu aquatique relativement stagnant et qui est, de plus, caractérisé par une faible profondeur et un fort ensoleillement. Toutes ces conditions réunies ont provoqué un déséquilibre dans le fonctionnement écologique de l’écosystème conduisant à l’eutrophisation extrême du milieu (MOUSSA, 1986). Les conséquences apparentes de cet état d’eutrophisation du milieu étaient très néfastes pour la ville de Tunis et ses environs : développement excessif d’algues nitrophiles (de type Ulva rigida), dégagement de mauvaises odeurs irrespirables aux alentours du lac, mortalités massives de poissons (REZGUI, 2005).

Le besoin pressant d’une intervention rapide face à l’état critique atteint par ce lac au début des années 1980 a conduit au lancement d’un large programme d’aménagement qui a été réalisé entre 1985 et 1988 par la Société de Promotion du Lac de Tunis (SPLT) dans le but d’améliorer, de contrôler et de gérer la qualité de l’eau dans cet écosystème.

Le programme d’aménagement a consisté principalement en un dragage des sédiments pollués, une rectification des berges et une réduction de la superficie du plan d’eau. Parallèlement, un système de circulation d’eau à sens unique dans le lac, actionné par la marée, a été mis en place comprenant une sortie et une entrée par des clapets à sens unique placés au niveau du canal Khéréddine et une digue de séparation au milieu du lac permettant à l’eau de parcourir tout le lac avant de revenir à la mer (BEN CHARRADA et MOUSSA, 1997). À la fin des travaux, une modification considérable de la morphologie du lac a été enregistrée : la superficie du plan d’eau est réduite à 24 km2 (alors qu’elle était d’environ 28 km2 avant les travaux), et sa profondeur moyenne est étendue à 1,5 m (au lieu de 0,9 m avant les aménagements). Une nouvelle ligne littorale, de longueur 22 km, a été aménagée sur les bords du lac où les zones de remblais recouvrent une superficie totale de 7 km2 (Figure 3).

Figure 3

Le lac Nord de Tunis après aménagement et zonage pour le modèle écologique.

The Tunis North Lake after development and interconnecting boxes in the ecological model.

Le lac Nord de Tunis après aménagement et zonage pour le modèle écologique.

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Aujourd’hui, le nouveau système de circulation d’eau dans le lac est encore fonctionnel. Ainsi, les eaux du golfe, une fois entrées dans le lac par les écluses du nord, ne sortent par les écluses du sud qu’après avoir traversé tout le lac.

Actuellement, une nouvelle cité a vu le jour sur les berges du lac où les lotissements continuent d’être réalisés. Le programme d’aménagement du lac Nord de Tunis a constitué un succès dans la mesure où il a permis de changer le visage de toute la région, marquant ainsi une réconciliation de la capitale avec ce site aquatique.

3. Modélisation de l’hydrodynamique du Lac Nord de Tunis

3.1 Objectifs

Rappelons que la modélisation numérique constitue un outil moderne de prédétermination et de simulation du fonctionnement hydrodynamique des milieux aquatiques utilisé à l’échelle mondiale. Elle se base principalement sur les lois théoriques de l’écoulement des fluides mais aussi sur des lois de fermeture généralement empiriques pour la viscosité turbulente, le frottement au fond et le frottement dû au vent. Cependant, ces modèles nécessitent une calibration qui consiste à identifier les constantes des lois utilisées en comparant les résultats des simulations aux données expérimentales in situ.

Plusieurs modèles hydrodynamiques du lac Nord de Tunis ont été mis au point (BEN SLIMANE et al., 1990; HALCROW, 1990; MOUSSA, 1986; OSMENT et al., 1991), mais aucun modèle n’est récent ou adapté à la situation actuelle de ce milieu. En effet, comme nous l’avons signalé précédemment, depuis la fin des travaux en 1988, le lac Nord de Tunis a subi quelques modifications morphologiques (sédimentation et érosion de quelques zones du lac, rectification de quelques berges, etc.). Ainsi, notre premier objectif est de tenter de mettre au point et d’actualiser un modèle de simulation du fonctionnement hydrodynamique de ce lac.

3.2 Présentation du logiciel utilisé

Dans la présente étude, la modélisation du fonctionnement hydrodynamique du lac Nord de Tunis a été réalisée en utilisant le logiciel « Surfacewater Modeling System » (SMS). C’est un modèle bidimensionnel qui utilise la méthode des éléments finis pour résoudre les équations locales de bilans de masse et de quantité de mouvement intégrées sur la hauteur de l’eau (MOUSSA et al., 2005). Une présentation détaillée de ce logiciel est disponible dans la bibliographie (REZGUI, 2005; SMS, 2003). Nous rappelons seulement les équations de base des modèles 2D, résolues par ce logiciel, dans un repère orthogonal (O, x, y) :

  • Équation de bilan de masse :

  • Équation de bilan de quantité de mouvement suivant Ox :

  • Équation de bilan de quantité de mouvement suivant Oy :

dans lesquelles h est la hauteur d’eau (m), u et v sont les vitesses suivant les axes Ox et Oy, moyennées sur la hauteur d’eau (m•s‑1), t est le temps (s), x et y sont les coordonnées cartésiennes décrivant les deux directions du plan (m), ρ est la masse volumique de l’eau (kg•m‑3), ρa est la masse volumique de l’air (kg•m‑3), m0 représente les échanges d’eau en surface (pluie, évaporation) ou au fond (infiltration) (m•s‑1), Eij sont les coefficients de viscosité turbulente (ou de dispersion) (m2•s‑1), g est l’accélération de la pesanteur (m•s‑2), a est la cote du fond (m), n est le coefficient de Manning traduisant la rugosité du fond (m‑1/3•s), ζ est le coefficient de frottement dû au vent, Va est le module de la vitesse du vent (m•s‑1), φ est la direction du vent par rapport à l’axe Ox (rd), ω est la vitesse de rotation angulaire de la terre (rd•s‑1) et ϕ est la latitude du site(o).

Les équations (1) à (3) sont complétées par des conditions aux limites du domaine de calcul : flux nul (aux frontières fermées), niveau d’eau imposé (aux limites ouvertes), débit imposé (correspondant au rejet d’une centrale électrique). Ces équations, où les inconnues sont u, v et h, n’admettent pas de solutions analytiques. Elles sont alors résolues numériquement par la méthode des éléments finis, et les dérivées temporelles sont remplacées par des approximations aux différences finies non linéaires. La solution est alors totalement implicite et les équations non linéaires de l’écoulement sont résolues simultanément par la méthode itérative de Newton-Raphson. Les résultats numériques sont principalement la répartition des vitesses à l’intérieur du lac ainsi que les échanges lac-golfe de Tunis. Le choix de ce type de modèle (2D) est justifié par la géométrie du lac caractérisée par la dominance de ses dimensions longitudinales et transversales par rapport à sa profondeur. En effet, le logiciel SMS est un modèle numérique de simulation adapté aux milieux de grandes superficies et de géométries très complexes mais peu profonds (SMS, 2003). Notons que ce logiciel est actuellement disponible à la SPLT.

Cependant, le logiciel initial ne simulait pas le fonctionnement des écluses qui s’ouvrent et se ferment automatiquement en fonction du niveau de la marée en mer, comme c’est le cas dans le lac de Tunis. Pour cela, nous avons préalablement modifié le code source de SMS pour tenir compte du fonctionnement automatique (ouverture et/ou fermeture) des écluses de Khéréddine en fonction du niveau de la marée mer, ce qui constitue la particularité du lac Nord de Tunis.

3.3 Actualisation du calage du modèle hydrodynamique

Pour l’utilisation du modèle, il fallait introduire la morphologie actuelle du lac (géométrie, bathymétrie, localisation de la digue centrale et des communications, etc.) et réaliser ensuite le maillage du plan d’eau (partition du domaine en éléments délimités par des noeuds de calcul).

Le maillage adopté du lac est constitué de 3 654 éléments triangulaires quadratiques (à 6 noeuds) avec 7 727 noeuds de calcul. Ce maillage est présenté sur la figure 4 où les différentes communications du lac avec l’extérieur sont aussi localisées (les écluses de Khéréddine, les rejets terrestres, les passes de Chekly et de Tunis). Il a été affiné au niveau des écluses pour que chaque compartiment des écluses soit schématisé par un élément.

Figure 4

Maillage retenu du lac Nord de Tunis.

Meshes network used in the numerical model.

Maillage retenu du lac Nord de Tunis.

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Pour l’actualisation du calage du modèle hydrodynamique du lac Nord de Tunis, nous avons utilisé des mesures récentes réalisées en décembre 2005 (SPLT, 2006). Lors de cette campagne de mesures, les variations temporelles du niveau de la surface de l’eau dans le canal de Khéréddine ainsi que les débits échangés à travers les écluses ont été mesurées, toutes les 30 minutes, durant 12 heures, ce qui correspond à la période de la marée semi-diurne (qui est dominante dans le golfe de Tunis). Le calage du modèle consiste alors, en imposant les niveaux mesurés, de retrouver les débits échangés par ajustement des valeurs des paramètres du modèle tels que la rugosité du fond et les coefficients de dispersion. À la suite de plusieurs tests numériques, nous avons choisi les valeurs des paramètres qui nous permettent de retrouver l’ordre de grandeur des mesures :

  • Coefficient de Chézy : Ch = 40 m1/2.s‑1;

  • Coefficient de Dispersion : E = 50 m2.s‑1;

  • Coefficient de frottement du vent : ζ = 0,00063

La figure 5 présente la série temporelle des débits mesurés et calculés, et montre la bonne concordance entre le modèle et les mesures.

Figure 5

Résultats du calage du modèle - Comparaison des débits mesurés et calculés.

Model calibration results –Measured and calculated exchanged flows.

Résultats du calage du modèle - Comparaison des débits mesurés et calculés.

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3.4 Simulation du fonctionnement hydrodynamique du lac

L’étape suivante a consisté à modéliser le fonctionnement hydrodynamique du lac Nord de Tunis, en fonction du forçage de la marée et du vent local. Les résultats des simulations sont les variations des débits échangés à travers les écluses de Khéréddine, le temps de séjour moyen des eaux dans le lac et les champs de vitesse de courant dans le lac.

3.4.1 Les échanges à travers les écluses

La figure 6 présente les courbes de variation des débits échangés à travers les écluses de Khéréddine, calculés par le modèle, avec les marées moyenne et maximale. Ces courbes montrent que les débits suivent la variation de la marée. Les débits échangés augmentent avec l’amplitude de la marée. Nous remarquons que le fonctionnement réel des écluses de Khéréddine est bien observé dans les courbes de la figure 6 puisque les débits entrants (respectivement débits sortants) deviennent négligeables lorsque les écluses nord (respectivement écluses sud) sont fermées. D’autre part, les écluses nord et sud restent ouvertes pendant presque une demi-heure lors de l’inversion de la marée (le passage de la marée basse à la marée haute ou inversement).

Figure 6

Débits échangés en fonction de la marée, calculés par le modèle.

Computed exchanged flows according to the tide.

Débits échangés en fonction de la marée, calculés par le modèle.

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La figure 6 montre aussi que le débit maximal est de 66 m3.s-1 en marée moyenne et de 76 m3.s-1 en marée maximale. L’analyse de cette figure montre que le volume échangé est de 1,65 Mm3 par jour, en marée moyenne, et de 2,1 Mm3 par jour, en marée maximale. À partir de ces résultats, nous déduisons le temps de séjour moyen des eaux dans le lac, qui varie de 17 jours, en marée maximale, à 21 jours en marée moyenne. Concernant les vents, les plus significatifs sont ceux des secteurs Ouest et Est qui correspondent au fetch le plus long dans le lac nord de Tunis, et ce, compte tenu de la forme du milieu. Un vent moyen agit sur les débits échangés en les augmentant ou les diminuant, selon sa direction, d’environ 5 % en moyenne. En effet, comme le montrent les résultats obtenus avec une marée moyenne et un vent de 6 m.s-1, un vent Ouest, qui est dominant, favorise les échanges avec la mer, alors qu’un vent Est les réduit. Tous ces résultats confirment le bon fonctionnement hydraulique du lac Nord de Tunis par rapport à ce qui a été prévu initialement dans le projet d’aménagement de ce plan d’eau.

3.4.2 Vitesses à l’intérieur du lac Nord de Tunis

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le remplissage du lac se fait pendant la marée montante et la vidange pendant la marée descendante. En marée moyenne, le champ de vitesses dans le lac lors du remplissage (en marée montante) est présenté sur la figure 7 qui montre que les vitesses maximales (atteignant 0,73 m.s-1) se situent au niveau de la communication du lac avec la mer, soit aux écluses nord du canal Khéréddine, tandis qu’elles diminuent en s’éloignant de cette communication puisque la section de passage de l’eau s’élargit. La figure 8 montre le champ des vitesses dans le lac Nord de Tunis lors de la vidange (en marée descendante). La vitesse maximale calculée est de 0,65 m.s‑1 et elle est située au niveau des écluses de sortie de Khéréddine, alors que les valeurs minimales, ne dépassant pas 0,001 m.s‑1, sont observées dans la partie nord du lac puisque les écluses nord sont fermées.

Figure 7

Champs des vitesses calculées dans le lac en marée montante.

Velocity field within the lake at flood tide.

Champs des vitesses calculées dans le lac en marée montante.

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Figure 8

Champs des vitesses calculées dans le lac en marée descendante.

Velocity field within the lake at ebb tide.

Champs des vitesses calculées dans le lac en marée descendante.

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L’analyse de ces deux champs de vitesses montre l’absence de zones de stagnation des eaux dans le lac puisque toute la surface du plan d’eau est concernée par la circulation des eaux.

4. Modélisation écologique du Lac Nord de Tunis

4.1 Méthodologie adoptée et équations du modèle écologique

Le modèle écologique que nous avons mis au point pour le lac Nord de Tunis est inspiré de celui proposé par HALCROW (Sir William Halcrow & Partners Ltd), en 1990, après leur mission de contrôle des travaux d’aménagement du lac. Il s’agit d’un modèle 1D zonal à deux niveaux trophiques qui traite l’évolution de la salinité, de l’oxygène dissous, des concentrations en nutriments dans l’eau, les détritus, les sédiments ainsi que l’évolution des biomasses de macroalgues, de phytoplancton et de zooplancton. Les cinétiques internes ainsi que les interactions entre les variables écologiques sont prises en compte (OSMENT et al., 1991). Ce modèle calcule les concentrations cellulaires internes en nutriments de chaque compartiment (l’azote et le phosphore cellulaires dans les macroalgues, le phytoplancton et le détritus; le carbone cellulaire dans les macroalgues, le phytoplancton, le détritus et le zooplancton). Les taux d’assimilation de chaque compartiment dépendent de la disponibilité du nutriment et de son quota interne (ou sa capacité à assimiler). Les taux de croissance des algues dépendent de la température de l’eau, de l’intensité lumineuse et de la matière minérale disponible. Dans ce modèle, on tient aussi compte de la compétition entre le phytoplancton et les macroalgues quant à l’assimilation du nutriment. Pour simplifier le modèle, chaque compartiment est représenté par une seule espèce (équivalente ou dominante dans le lac).

Le lac Nord de Tunis a été subdivisé en six zones disposées en série en suivant le sens de l’écoulement de l’eau (Figure 3). Une simulation avec le modèle écologique fournit alors des résultats en matière de concentrations moyennes pour chaque zone du lac. Les variations locales à l’intérieur de chaque zone, qui peuvent exister en réalité, ne sont pas par conséquent prises en compte. Notons que des telles variations peuvent exister en raison, par exemple, des différences entre la profondeur de l’eau dans différents points de la zone. Par conséquent, les résultats du modèle écologique ne sont valides que si la bathymétrie dans chaque zone reste plus ou moins uniforme, c’est ce qui nous a imposé le choix des six zones.

Les équations du modèle à compartiments décrivent le fonctionnement écologique du milieu qui est schématisé sur la figure 9. Ainsi, pour chaque zone définie dans le lac, l’équation de l’évolution temporelle d’une concentration écologique C quelconque et résolue par le modèle est de la forme suivante :

dans laquelle :

C:

La concentration de la variable écologique dans la zone (n), en mg•L‑1;

Qn :

Le débit arrivant dans la zone (n) de la zone (n-1), ou de la mer pour la zone 1, en m3•s‑1;

Qn+1 :

Le débit sortant de la zone (n) vers la zone (n+1), ou vers la mer pour la zone 6, en m3•s‑1;

Vn :

Le volume moyen de la zone (n) en m3;

Cn-1 :

La concentration de la variable écologique dans la zone (n-1), en mg•L‑1;

Rn :

L’évolution interne (la cinétique) de la variable écologique C dans la zone (n), en mg•L‑1•s‑1.

Figure 9

Schéma conceptuel du modèle écologique.

Conceptual diagram of the ecological model.

Schéma conceptuel du modèle écologique.

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Dans les équations 4, nous tenons compte des rejets terrestres éventuels de la variable C (notés ±échangesn) dans la zone (n). Les débits Qn échangés entre les zones (ou avec la mer) sont issus du modèle hydrodynamique présenté précédemment (coulage des deux modèles).

Les équations 4 ont été discrétisées avec un pas de temps de ∆t = 1 jour et le modèle numérique a été mis au point. Nous avons ensuite procédé au calage des paramètres du modèle écologique. Le calage a été réalisé en s’appuyant sur la base des données de la qualité des eaux de l’année 2002. En effet, nous disposons des résultats de mesures de quelques caractéristiques physiques (la température, la salinité, les matières en suspension et la transparence des eaux) et chimiques des eaux (le pH, l’oxygène dissous et les différentes formes de l’azote et du phosphore) ainsi que de la chlorophylle-a, réalisées dans cinq stations réparties à l’intérieur du lac, et ce, toutes les deux semaines. L’objectif du calage est donc d’essayer de retrouver, par le modèle, les valeurs des mois ultérieurs, et ce, en partant des données du mois de janvier comme état initial du lac. Les données climatiques introduites sont celles de l’année 2002. Les valeurs des paramètres et constantes du modèle, qui ont été fixées initialement à celles proposées par HALCROW (1990), ont été ainsi actualisées. Dans le tableau 1, nous présentons les valeurs retenues des principaux paramètres de calage du modèle écologique.

Tableau 1

Valeurs des principaux paramètres de calage du modèle écologique.

Calibrated parameters of the ecological model.

Paramètre

Unité

Valeur obtenue par le calage

Taux de minéralisation de l’azote organique à 20°C

j‑1

0,03

Taux de minéralisation du phosphore organique à 20°C

j‑1

0,06

Taux de sédimentation du détritus

j‑1

0,05

Taux de libération de l’azote par les sédiments

j‑1

0,00029

Taux de libération du phosphore par les sédiments

j‑1

0,0004

Taux maximal de croissance de la biomasse macroalgale

j‑1

0,55

Taux maximal de mortalité de la biomasse macroalgale

j‑1

0,06

Température optimale de croissance des macroalgues

°C

20

Température maximale de croissance des macroalgues

°C

29

Intensité lumineuse saturante pour les macroalgues

µE/m2/s

200

Quota cellulaire interne minimal de l’azote dans les macroalgues

gN/g.Algue

0,01

Quota cellulaire interne maximal de l’azote dans les macroalgues

gN/g.Algue

0,08

Quota cellulaire interne minimal du phosphore dans les macroalgues

gP/g.Algue

0,002

Quota cellulaire interne maximal du phosphore dans les macroalgues

gP/g.Algue

0,015

Taux maximal d’assimilation de l’azote par les macroalgues

mgN/g.Algue/j

0,1

Constante de demi-saturation pour l’assimilation de l’azote

gN/m3

0,035

Taux maximal d’assimilation du phosphore par les macroalgues

mgP/g.Algue/j

0,008

Constante de demi-saturation pour l’assimilation du phosphore

mgP/m3

0,01

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4.2 Premiers résultats du modèle

Les figures 10 à 12 montrent quelques résultats du calage du modèle écologique (la salinité, l’oxygène dissous et l’azote inorganique dissous dans la colonne d’eau). Le modèle reproduit bien l’ordre de grandeur des mesures ainsi que la variation saisonnière des principales caractéristiques écologiques du lac.

Figure 10

Salinités mesurées et calculées en 2002 (Zone 6).

Measured and calculated salinity in 2002 (Box 6).

Salinités mesurées et calculées en 2002 (Zone 6).

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Figure 11

Concentration en Oxygène dissous mesuré et calculé en 2002 (Zone 3).

Measured and calculated dissolved oxygen in 2002 (Box 3).

Concentration en Oxygène dissous mesuré et calculé en 2002 (Zone 3).

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Figure 12

Concentration en azote inorganique dans l’eau mesurée et calculée en 2002 (Zone 2).

Measured and calculated inorganic nitrogen in 2002 (Box 2).

Concentration en azote inorganique dans l’eau mesurée et calculée en 2002 (Zone 2).

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Avec le modèle ainsi calibré, nous avons ensuite tenté de prédire l’évolution écologique du lac durant cinq ans, en partant des résultats de 2002 et en utilisant des hypothèses simplificatrices. En effet, nous avons négligé les rejets d’eaux pluviales dans le lac et nous avons aussi supposé que les forçages climatiques moyens de Tunis (marée moyenne, variations journalières des vents, températures, rayonnement solaire, longueur relative de la journée, pluie, évaporation, caractéristiques des eaux de la mer) se reproduisent durant les cinq années de simulation. Un exemple de résultat de la prédiction de l’évolution des macroalgues durant cinq ans est présenté sur la figure 13. Cette figure montre bien les blooms algaux du printemps et que les zones 4 et 5 restent les plus riches en macroalgues.

Figure 13

Évolution de la biomasse des macroalgues dans le lac, calculée, durant 5 ans.

Evolution of macro algae biomass in the lake, calculated, during 5 years.

Évolution de la biomasse des macroalgues dans le lac, calculée, durant 5 ans.

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Certes les premiers résultats du modèle sont encourageants, mais des mesures complémentaires (des macroalgues, du phytoplancton et du zooplancton dans le lac et de leurs concentrations internes en azote, phosphore et carbone cellulaires; de l’azote et du phosphore dans les sédiments de surface) permettront de les améliorer.

5. Conclusion

Dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons tenté d’actualiser les modèles hydrodynamique et écologique du lac Nord de Tunis en s’appuyant sur des mesures récentes. Le calage du modèle hydrodynamique à 2D a été réalisé en s’appuyant sur les mesures de décembre 2005. Les simulations hydrodynamiques réalisées ensuite confirment le rôle important des écluses à marée ainsi que le bon fonctionnement hydraulique de ce lac (pas de zones de stagnation permanente des eaux, renouvellement périodique des eaux du lac en 21 jours en moyenne).

Concernant le modèle écologique zonal couplé à l’hydrodynamique, une première tentative de calage nous a permis de retrouver l’ordre de grandeur des paramètres mesurés en 2002. En effet, le modèle reproduit bien la variation saisonnière des macroalgues qui ont un rôle décisif dans le comportement écologique du lac puisqu’elles sont responsables des variations saisonnières de la matière minérale et de l’oxygène dissous dans l’eau. Ces premiers résultats sont intéressants et ils sont actuellement en cours de finalisation.

Cependant, des mesures complémentaires s’avèrent nécessaires pour bien caler et simuler les autres compartiments du modèle écologique mis au point; il s’agit en particulier du phytoplancton et du zooplancton. Les résultats permettraient alors de bien quantifier l’impact des aménagements réalisés sur l’évolution future de l’état d’eutrophisation du lac Nord de Tunis.