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1. Introduction

Le tannage des peaux pour la fabrication du cuir est une importante activité, et ce, depuis l’antiquité. Autrefois, les activités de tannage étaient organisées pour répondre à la demande locale en cuir pour chaussures, tambours, et instruments musicaux. Avec le développement des populations, l’augmentation de la demande en cuir et de ces produits a conduit à l’installation de grandes unités commerciales de tannerie. Deux procédés de tannage sont utilisés, le tannage au chrome et le tannage végétal. Actuellement, à l’échelle mondiale, entre 70 et 80 % du cuir est produit par le procédé de tannage au chrome (Bajzaet al., 2004). Par ailleurs, suite à la complexité de la transformation de la peau animale en cuir, les industries de tanneries utilisent un grand nombre d’agents chimiques et produisent d’énormes volumes d’eaux résiduaires et de déchets solides (Dantaset al., 2004). Approximativement 35 ‑ 40 litres d’eau sont consommés par kilogramme de peau traitée (Ramasami et Prasad, 1991). Avec la capacité mondiale annuelle de 9 x 106 tonnes de peaux traitées, il est estimé que 30 ‑ 40 x 107 m3 d’effluents liquides sont générés. Ces dernières sont constituées essentiellement de mélange de matières biogéniques des peaux (poils, lipides, protéines, …) et de produits chimiques.

Le processus de tannage consiste en la transformation de la peau animale en cuir. La peau animale est soumise aux différents processus pour éliminer la viande, les lipides et les poils. Cette étape utilise différents produits chimiques (notamment : l’hydroxyde de sodium, l’hypochlorite de sodium, le dichromate de potassium, la chaux, les chlorures, l’acide sulfurique, l’acide formique, les tensioactifs, le sulfure de sodium, les sels de sodium et d’ammonium, etc.). La peau obtenue est ensuite traitée par Cr3+ ou par les tannins végétaux, les sels minéraux et les colorants pour obtenir le cuir (Figure 1). Les produits utilisés finissent ainsi dans les eaux usées avec un net apport en charge polluante (Suthanthararajanet al., 2004).

Figure 1

Schéma des opérations du procédé de fabrication du cuir et acheminement des eaux usées.

Outline showing the operations involved in the fabrication of leather and the generation of waste waters.

Schéma des opérations du procédé de fabrication du cuir et acheminement des eaux usées.

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L’industrie de tannerie peut être perçue comme un processus qui utilise les déchets potentiels des abattoirs pour produire du cuir. Cependant, les conséquences environnementales du processus de tannage sont cruciales. Malgré l’impact socioéconomique de l’industrie du tannage à travers la création d’emplois et les revenus, la société a une image négative de cette activité en raison de la pollution qui en résulte.

Le but de cette étude est de caractériser les eaux usées générées par une unité industrielle de tannerie et d’évaluer l’impact de ces rejets sur le milieu marin à travers des espèces bioindicatrices.

2. Matériel et méthodes

2.1. Analyse des eaux usées

2.1.1. Points de prélèvement

Plusieurs campagnes de prélèvements ont été menées à la sortie des étapes de production et au niveau du bassin de collecte où s’achemine l’ensemble des eaux usées générées par la société (Figure 1). Deux modes de prélèvement sont adoptés : des prises instantanées et des échantillons moyens constitués par le mélange de plusieurs prélèvements répartis tout au long de la journée à raison d’un prélèvement par heure.

2.1.2. Paramètres analysés

Différents paramètres physicochimiques tels que la DCO, la DBO5, le phosphore total (Pt), l’azote total kjeldahl (NTK), les matières en suspension (MES) et les ions SO42-, NO3-, PO43- et Cl- ont été analysés selon les méthodes normalisées AFNOR (AFNOR, 1999).

Le chrome total est analysé par spectrométrie d’absorption atomique en utilisant un spectromètre d’absorption atomique (SCHIMADZU AA-6800), muni d’un four graphite GFA-EX7 et correction au Deutérium.

Le sulfure d’hydrogène est mesuré par une électrode sélective en utilisant un appareil du terrain type Oldpham Mx 2000.

2.2. Analyse au niveau des organismes marins

2.2.1. Stations de prélèvements

Des moules et des algues ont été prélevées au niveau de trois sites littoraux de la ville de Mohammedia. Le choix de ces dernières est basé sur la situation par rapport aux principaux points de rejets des effluents industriels (Figure 2).

Figure 2

Localisation des sites de prélèvement.

Location of the sampling points.

Localisation des sites de prélèvement.

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Plusieurs campagnes de prélèvements ont été menées saisonnièrement au niveau des différents sites suivants :

  • S1 : situé à 8 km au nord de la ville de Mohammedia, à proximité des zones balnéaires et agricoles;

  • S2 : situé à proximité du point de rejet C3 des industries de pétrochimie, de textile et de tannerie;

  • S3 : situé à 5 km au sud du point de rejet de C3, zone balnéaire.

2.2.2. Préparation et analyse des échantillons

Les échantillons de moules Mytilus galloprovincialis sont collectés à la main au niveau de l’étage médio-littoral inférieur. Environ quarante individus adultes (taille moyenne entre 3 et 5 cm), sont récoltés et triés sur place, puis stockés dans des flacons en polyéthylène, contenant de l’eau du lieu de prélèvement. Après une période de purge allant jusqu’à 36 heures, les parties molles sont séparées des coquilles. La partie molle est lavée à l’eau distillée puis égouttée. Ensuite, elle est finement homogénéisée à l’aide d’un broyeur à couteau inox, lyophilisée pendant 3 à 4 jours jusqu’à poids constant, puis broyée et conservée dans des flacons hermétiquement bouchés.

Après prélèvement, les échantillons des espèces d’algues Ulva lactuca et Corallina officinalis sont lavés à l’eau de mer et débarrassés des débris et épiphytes collés à leur thalle, puis placés dans des flacons en plastique contenant de l’eau du lieu de prélèvement. Au laboratoire, ils sont rincés abondamment à l’eau distillée, puis conservés à - 20 °C en vue d’être lyophilisés.

La minéralisation de la matière biologique, pour le dosage du Cr est effectuée suivant la méthode de Cossa et Bourget (1980), sur une prise d’essai de 0,2 g, par attaque avec 4 mL d’acide nitrique suprapur (Merck), à température ambiante pendant au moins 1 heure puis au four à micro-ondes pendant 5 minutes à 80 % suivi de 20 minutes à 100 %. Après refroidissement, le minéralisât est complété à 50 mL avec de l’eau de haute pureté (Milli-Q). Le dosage du Cr est réalisé par la méthode électrothermique à l’aide d’un spectrophotomètre d’absorption atomique.

Chaque série d’analyse est testée par le dosage sur un échantillon de référence (SRM 2976) provenant de l’AIEA, avec une moyenne certifiée de 0,50 ± 0,16 mg/kg de P.S., contre une moyenne trouvée au cours de nos analyses de 0,49 ± 0,16 mg/kg de P.S.

3. Résultats et discussion

3.1. Caractérisation physicochimique des eaux usées

3.1.1. Effluents des étapes de procédé de fabrication

La figure 3 représente la variation des paramètres pH, conductivité, matières en suspension, DCO, phosphore total et ions sulfates des effluents de différentes étapes de procédé de fabrication du cuir.

Figure 3

Caractéristiques des effluents de différentes étapes du procédé de fabrication du cuir (Pr : prétrempe; Ba : bain de rinçage; R1 : reverdissage numéro 1; R2 : reverdissage numéro 2; E/P : épilage - pelanage; BE : bain de rinçage après épilage; De : déchaulage; Pi : picklage; Ta : tannage; La : lavage avant retannage; Ne : neutralisation; Ret : retannage).

Characteristics of the effluents generated in the different operations involved in the fabrication of leather (Pr: pre-soaking; Ba = rinse; R1 = first soaking; R2 = second soaking; E/P = dehairing/liming; BE = rinsing after dehairing; De = deliming; Pi = pickling; Ta = tanning; La = washing before re-tanning; Ne = neutralization; Ret = re-tanning).

Caractéristiques des effluents de différentes étapes du procédé de fabrication du cuir (Pr : prétrempe; Ba : bain de rinçage; R1 : reverdissage numéro 1; R2 : reverdissage numéro 2; E/P : épilage - pelanage; BE : bain de rinçage après épilage; De : déchaulage; Pi : picklage; Ta : tannage; La : lavage avant retannage; Ne : neutralisation; Ret : retannage).

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Les résultats obtenus montrent que les paramètres analysés varient d’une façon importante d’une étape de production à l’autre et varient moins au sein de la même étape.

Diagnostic des effluents de prétannage

L’étape de prétannage, ou étape de l’atelier de rivière, implique une série d’opérations (Figure 1) et consiste à débarrasser la peau de matières non désirées. Les résultats (Figure 3) montrent que les eaux usées des étapes de pré trempe (Pr), de trempe et de reverdissage (R1 et R2) sont légèrement alcalines et présentent des conductivités élevées avec des teneurs en ions sulfates importantes. Ces effluents sont riches en matières en suspension et en phosphore et sont chargés en DCO avec des valeurs qui peuvent dépasser 4 000 mg L‑1. Ces teneurs importantes en sels, en matières organiques et en matières en suspension sont dues au fait que ces étapes sont responsables de l’élimination des produits de conservation (chlorure de sodium) et des souillures (crottes, terre, sang, etc).

Les eaux résiduaires de l’étape d’épilage-pelanage (E/P) ont des pH qui varient entre 11 et 12 et sont riches en matières en suspension et en sulfates. Elles sont trop chargées en matières organiques avec des DCO comprises entre 20 et 30 g L‑1. Coomanet al. (2003) ont montré que le processus d’épilage-pelanage génère des eaux usées hautement toxiques et alcalines contenant des concentrations élevées en protéines, en sulfures, en matières en suspension et en sels. En effet, au cours de cette étape, la peau reverdie est traitée par une solution alcaline qui va permettre l’hydrolyse des kératines (protéines constituant l’épiderme et les poils).

Les effluents de déchaulage (De) sont moins pollués, ils présentent des pH proches de la neutralité et renferment des sels minéraux. La figure 3 montre que ces eaux sont relativement moins riches en DCO et en phosphore et présentent des teneurs importantes en ions sulfates. Cette étape utilise le sulfate d’aluminium, et permet de neutraliser la peau et d’éliminer les sels qu’elle contient en utilisant des acides qui donnent avec la chaux ou la soude un sel soluble dans l’eau et de ce fait éliminable.

Le processus du picklage (Pi) génère des eaux usées très acides et fortement salines. La figure 3 montre que le pH de ces effluents se situe entre 2 et 4, avec des conductivités élevées qui dépassent 50 mS cm‑1. Cette étape se déroule dans un milieu acide en présence d’un sel neutre (NaCl) pour éviter le gonflement de la peau.

Étude de la pollution due au tannage

Deux types de tannage sont actuellement pratiqués au niveau de l’usine : le tannage au chrome et le tannage végétal. Le volume des eaux usées généré par cette étape est nettement plus faible que celui des eaux de prétannage. La figure 3 montre que les effluents de tannage sont très acides avec des pH inférieurs à 4 et des conductivités qui peuvent atteindre 60 mS cm‑1. Ces eaux sont riches en sulfates et présentent des teneurs en DCO qui atteignent 3 200 mg L‑1. Ces teneurs élevées en polluants sont dues au fait que cette étape se déroule dans un milieu acide avec des concentrations élevées en sulfate du chrome (dans le cas du tannage au chrome) et dont une grande partie se trouve acheminée avec les eaux usées. L’effluent de l’étape de tannage au chrome consiste en une solution saline de chrome épuisée avec des résidus de fongicides et un pH entre 3 et 5 (Tobin et Roux, 1998).

Diagnostic des effluents des étapes de finissage

Les eaux s’écoulant des peaux mises en piles ou sur chevalets pendant les périodes de repos, de même que les eaux d’essorage, représentent de faibles quantités avec une forte charge polluante. La figure 3 montre que les eaux usées des étapes de neutralisation et de retannage présentent des teneurs élevées en DCO et en MES avec des concentrations qui atteignent 7 500 et 7 000 mg L‑1 respectivement. Dans le cas du tannage au chrome, ces eaux peuvent contenir des quantités élevées d’oxyde de chrome.

3.1.2. Caractérisation physicochimique de l’effluent global de tannerie

Le tableau 1 représente les résultats d’analyses des eaux usées au niveau du bassin de collecte. Ce dernier collecte l’ensemble des effluents rejetés par les différentes étapes de procédés de fabrications du cuir. La moyenne de quatre prélèvements instantanés et les résultats d’un prélèvement moyen sont présentés. La variation de la qualité des eaux usées du bassin de collecte est due à la nature et à la composition variable des effluents collectés le long des différentes étapes du procédé.

Tableau 1

Caractérisation des eaux usées du bassin de collecte de l’unité industrielle de tannerie.

Characterization of the combined tannery effluent.

 

Prélèvements instantanés

Prélèvement Moyen

Flux

kg / jour

Valeur limite

(Projet de Normes Marocaines)

pH

6,2 ± 0,5

5,6

 

6,5 – 8,5

T (°C)

23,4 ± 1,1

-

 

35

Conductivité (ms cm‑1)

17,4 ± 10

41,2

 

-

Turbidité (NTU)

295 ± 86

240

 

-

MES (mg L‑1)

4 476 ± 3 944

550

358,1

600

SO42- (mg L‑1)

2 353 ± 1 352

6 801

188,3

14

400

Cl- (mg L‑1)

1 834 ± 672

2 485

146,7

-

PO43- (mg L‑1)

4,5 ± 1

1,9

0,4

-

Pt (mg L‑1)

10 ± 2

10,3

0,8

10

NO3- (mg L‑1)

81,1 ± 31

92,5

6,5

-

NTK (mg L‑1)

221,9 ± 54

283,7

17,8

-

DBO5 (mg L‑1)

253 ± 209

369

20,2

500

DCO (mg L‑1)

1 429 ± 317

2 723

114,4

1 000

DBO5/DCO

0,2 ± 0,1

0,13

 

-

Chrome total (mg L‑1)

81,3 ± 34

47,2

6,5

2

H2S (mg L‑1)

116,7 ± 48

90,2

9,3

-

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Le pH moyen des eaux usées analysées montre des valeurs légèrement acides (Tableau 1). Cependant, les résultats de la variation journalière du pH des eaux usées du bassin de collecte (figure 4), ont montré une fluctuation de pH entre 3 et 8 avec des pH acides dans la majorité des temps.

Figure 4

Variation des paramètres pH, conductivité, turbidité et DCO de l’effluent global au cours d’une journée.

Diurnal variations of pH, conductivity, turbidity and Chemical Oxygen Demand (COD) in the combined tannery effluent.

Variation des paramètres pH, conductivité, turbidité et DCO de l’effluent global au cours d’une journée.

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La teneur en DCO enregistre des valeurs importantes avec un flux moyen de 114 Kg/jour. Le suivi journalier de la DCO montre des teneurs qui varient entre 700 et 3 400 mg/L (figure 4). Les valeurs maximales en DCO ont été observées à 10 H, ce qui est lié aux rejets des eaux de l’atelier de rivière chargés en matières polluantes (figure 3). Ces teneurs en DCO sont comparables aux résultats obtenus par Garroteet al. (1995), Laconiet al. (2002), Lefebvreet al. (2005) Murugananthanet al. (2004) et Ramet al. (1999). En outre, un flux moyen de 18 Kg/jour de NTK a été enregistré (Tableau 1). Cette charge élevée en matières organiques est due principalement aux matières biogéniques des peaux et aux produits chimiques organiques utilisés.

En plus de la charge organique, ces effluents sont riches en sels minéraux. La conductivité électrique qui reflète la concentration ionique du milieu montre des résultats moyens compris entre 9 et 31 mS cm‑1 (Tableau 1) et peut atteindre 55 mS cm‑1 (Figure 4). Ces valeurs importantes en conductivité sont dues à l’utilisation de quantité importante de sels durant le processus de fabrication. Les teneurs en sulfates varient entre 1 et 6 g L‑1 (Tableau 1). Ces teneurs élevées sont dues, notamment, à l’utilisation du sulfate de chrome comme agent de tannage et du sulfate d’aluminium employé lors de l’étape de déchaulage. Les ions sulfates en milieu acide ou en milieu pauvre en oxygène vont donner lieu aux sulfates d’hydrogène. Un flux moyen de 9 Kg/jour de H2S a été observé au niveau du bassin de collecte. Les concentrations élevées en chlorures (1 à 2,5 g L‑1) (Tableau 1) sont dues essentiellement à l’utilisation de chlorure de sodium comme agent de conservation des peaux et qui se trouve évacué avec les eaux usées dans l’atelier de rivière surtout lors des étapes de trempe, de reverdissage et lors de l’opération de picklage. Des valeurs plus importantes de l’ordre de 8,4 g L‑1 ont été rapportées par Genschowet al. (1996) et Ramet al. (1999).

Alors que le chrome trivalent est considéré comme non toxique et relativement immobile dans la nature, le chrome hexavalent est facilement soluble dans l’eau, très toxique et mobile (Florence et Bately, 1980; Sumathiet al., 2005). L’analyse du chrome montre des valeurs qui se situent entre 40 et 115 mg L‑1 (Tableau 1) avec une charge polluante moyenne de 6,5 Kg/jour. Les teneurs en chrome total des effluents de tannerie peuvent atteindre des valeurs beaucoup plus importantes (Genschowet al., 1996; Vlyssides et Israilides, 1997) (Tableau 2). Le chrome contenu dans les effluents sera transmis dans l’environnement où il peut subir des réactions d’oxydation pour se transformer en Cr(VI) (Bartlett et James, 1979). En effet, Cr(III) peut s’oxyder en Cr(VI) en présence de MnO2 et des microorganismes.

Tableau 2

Comparaison des teneurs en DCO et en chrome total dans différents effluents de tannerie à travers le monde.

Comparison of the Chemical Oxygen Demand (COD) and total chromium content of various tannery effluents.

DCO (mg L‑1)

Chrome total (mg L‑1)

Auteurs

2 438 ‑ 2 617

39

Garrote et al., 1995

3 980 ‑ 7 300

-

Wiemann et al., 1998

1 500 ‑ 3 600

-

Lefebvre et al., 2005

7 134 ± 4

159,4 ± 0,9

Meric et al., 2005

2 000‑3 560

56 ‑ 125

Ram et al., 1999

180 ‑ 27 000

3 ‑ 350

Vlyssides and Israilides, 1997

3 500 ‑ 4 000

-

Laconi et al., 2002

3 092 ‑ 4 417

1,34 – 44,6

Murugananthan et al., 2004

Tannerie A : 2 070 ‑ 30 500

Tannerie B : 861 ‑ 16 800

Tannerie C : 1 690 ‑ 14 700

Tannerie A : 10 ‑ 840

Tannerie B : 0,4 – 226

Tannerie B : 0,4 ‑ 460

Genschow et al., 1996

Genschow et al., 1996

Genschow et al., 1996

700‑3 400

10 ‑ 128

Présent travail

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Les teneurs en matières en suspension moyennes des eaux usées brutes analysées varient entre 550 et 8 000 mg L‑1 (Tableau 1) avec une charge polluante moyenne évaluée à 358 Kg/jour. En outre, le suivi de la variation de la turbidité au cours du temps pendant une journée montre une fluctuation importante entre 100 et 600 NTU (Figure 4). Ceci est en relation avec la qualité des effluents rejetés qui est instable.

D’autre part, le tableau 1 montre que le rapport DBO5/DCO varie entre 0,1 et 0,2. Ainsi, les rejets liquides de cette unité industrielle ne sont pas facilement biodégradables. En effet, les eaux usées de tannerie renferment des substances bioréfractaires et des produits inhibiteurs de la biomasse (Dilck et Yetis, 1992).

Cette charge, élevée en polluants des effluents de tannerie, peut être attribuée à l’utilisation non rationnelle des produits chimiques et aux substances organiques relarguées par la peau durant le procédé (Cassanoet al., 1998). En effet, l’ensemble des processus de tannage effectués dans des tambours (cas de l’unité industrielle choisie pour cette étude) est caractérisé par une consommation élevée d’eau et de produits chimiques. Pour assurer la pénétration et la réaction de ces produits avec le collagène, les réactifs sont ajoutés en excès et sont partiellement utilisés par la peau (Scholz et Lucas, 2003).

3.2. Impact des rejets de tannerie sur le milieu marin

Les résultats de l’analyse des eaux usées au niveau du bassin de collecte ont montré une charge polluante intense, notamment en matières organiques, en matières en suspension et en sels, qui dépasse les valeurs guides fixées par le projet de normes marocaines. Ces résultats sont en cohérence avec d’autres études effectuées sur la qualité physico-chimique des eaux marines de cette même zone, et qui ont montré une diminution des taux d’oxygène dissous et une élévation des teneurs en matière azotées et en orthophosphates (Bouthiret al. 2004) Ce flux de pollution, rejeté dans le milieu marin via le réseau d’assainissement sans aucun traitement préalable, peut être à l’origine d’impacts négatifs sur l’environnement. Le sulfate d’hydrogène va donner lieu à de mauvaises odeurs et à la dégradation du réseau d’assainissement. D’autre part, le chrome, sous sa forme oxydée toxique, sera à l’origine de la contamination du milieu récepteur (Sumathiet al., 2005).

Afin d’évaluer l’impact de ces rejets sur le milieu marin, la contamination en chrome des espèces bioindicatrices a proximité de point de diversement de ces rejets a été évaluée (Figure 2). Les variations spatiales des teneurs en Cr chez la moule M. galloprovincialis et chez les deux espèces d’algues U. lactuca et C. officinalis, sont représentées dans le tableau 3.

Tableau 3

Moyennes des teneurs en Chrome dans les différents organismes du littoral Casablanca - Mohammedia (mg/kg P.S.) affectées de l’écart type, entre parenthèses : minima et maxima pour toute la période d’étude.

Average organism chromium contents at different locations along the Casablanca - Mohammad ocean coastline (mg.kg‑1 dry wt.). Values include the mean, standard deviation, minimum and maximum.

Sites

M. galloprovincialis

U. lactuca

C. officinalis

S1

6,4 ± 2,99

(1,88, 11,14)

2,35 ± 1,56

(0,55 – 5,15)

5,25 ± 3,73

(2,65 – 16,60)

S2

9,77 ± 4,34

(4,41, 17,89)

3,02 ± 1,93

(0,27 – 6,90)

6,64 ± 3,36

(3,66 – 15,20)

S3

8,38 ± 3,97

(1,63, 16,53)

3,76 ± 2,72

(0,86 – 9,09)

7,56 ± 3,96

(3,09 – 17,30)

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Les teneurs moyennes en Cr dans les moules sont assez élevées, comparées à d’autres aires tel la côte méditerranéenne marocaine, le littoral français et le pacifique (Tableau 4). Par ailleurs, les résultats mettent en cause le site S2 à proximité du point de rejet des industries de textile et de tannerie, sans pour autant négliger les deux autres stations présentant eux aussi des teneurs assez significatives. Cette accumulation en Cr chez les mollusques bivalves ne présente pas de différence significative en fonction de l’âge des individus étudiés ou de leur taille, à la différence d’autres métaux tels que le cadmium et le cuivre qui présentent des concentrations inversement proportionnelle à la taille des moules prélevés dans la même zone d’étude (Bouthir, 2004). Ceci peut être du au rejet excessif en Cr dont l’effet domine sur celui de la taille. Ces résultats confirment l’ampleur des apports en polluants causés par ces rejets, ainsi que la propagation de ce métal dans cette zone.

Tableau 4

Teneurs en chrome (mg/kg P.S.) chez les moules de différentes régions mondiales. (a) M. galloprovincialis; (b) : Perna perna; (c): M. californianus; (d): Perna viridis.

Chromium contents (mg•kg-1 dry wt.) in mussels from various world areas: Mytilus galloprovincialis (a); Perna perna (b); M. californianus (c); Perna viridis (d).

Localisation

Chrome (mg/kg P.S.)

Référence

Littoral Casablanca - Mohammedia

6,40 ‑ 18,71

Présent travail a

Mer Méditerranéen Marocaine Ouest

0,09 ‑ 1,13

El Hamri, 1996 b

Atlantique Nord : France

0,10 ‑ 4,20

RNO, 1994 a

Pacifique (Mexique)

0,49 ‑ 4,08

Munoz-Barbosa et al., 2000c

Pacifique (Hong Kong)

0,82 ‑ 4,89

Wong, 2000 d

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En ce qui concerne les deux espèces d’algues, la comparaison des concentrations moyennes (tous points confondus), montre que l’accumulation du Cr se fait préférentiellement au niveau de C. officinalis. Cette différence peut être attribuée à l’écologie et à la morphologie de chaque espèce, la période d’immersion et d’exposition des algues (Sunda, 1998) et la dynamique des blooms phytoplanctoniques (Riisgard et Hansen, 1990). Par ailleurs, on enregistre aussi une interaction entre le facteur espèce et celui du site. Ceci concorde avec les résultats de l’étude organotropique effectuée sur la moule durant les travaux avancés par plusieurs auteurs (UNEP/FAO/WHO, 1987; Cheggour, 1999; Bouthir, 2004).

L’analyse comparative des concentrations moyennes en Cr au niveau de la moule avec celles des deux espèces d’algues, montre que l’accumulation du Cr se fait suivant l’ordre d’accumulation suivant : M. galloprovincialis > C. officinalisU. lactuca. Ces différences, dans l’ordre de sensibilité et d’accumulation des métaux entre les moules et les algues, peuvent être attribuées à plusieurs facteurs, parmi lesquels on peut citer la différence dans les procédés d’accumulation des métaux (forme disponible), la taille des organismes, leur écologie et biologie réciproques, notamment les polymères (polysaccharides) constituant les algues et qui sont les substrats de fixation des métaux (Benbrahimet al., 1998; Zeroual, 2003).

4. Conclusion

Les effluents de tannerie sont des rejets complexes, très chargés en matières organiques et minérales, en particulier le chrome. Ils présentent des caractéristiques variables avec le temps et ne sont pas facilement biodégradables.

Les résultats d’analyse des eaux usées rejetées par différentes étapes de procédés de fabrication du cuir montrent des teneurs en polluants variables selon l’étape du procédé. En outre, l’effluent global présente des caractéristiques qui fluctuent avec le temps. Ceci rend difficile le choix d’une technique de traitement de ces rejets. En outre, la charge polluante importante en chrome peut être à l’origine des effets néfastes sur l’environnement.

L’évaluation de l’impact de ces rejets sur le milieu marin a permis de quantifier l’ampleur de ces apports anthropiques en Cr chez les moules et les algues, avec des teneurs plus élevées que celles retenues dans la littérature. L’étude a montré que la moule M. galloprovincialis accumule plus de Cr que les deux espèces d’algues : C. officinalis et U. lactuca.

L’impact négatif des eaux usées de l’industrie de tannerie sur l’environnement s’est avéré incontestable. Ainsi, ces rejets nécessitent un traitement préalable avant leur rejet dans la nature.