Corps de l’article

1. Introduction

L’irrigation occupe une place très importante dans la société et l’économie chinoises. Toutefois, dans plusieurs régions de la Chine, notamment dans la Plaine du Nord, la pratique même de l’agriculture irriguée est remise en question. En effet, depuis le début des années 1970, la Chine fait face à une grave pénurie d’eau qui menace son développement et son environnement. À mesure que la pénurie s’intensifie, le secteur agricole résiste de plus en plus difficilement aux pressions des secteurs industriel et domestique qui exigent des parts croissantes des ressources en eau du pays (Lasserre et Meinier, 2005). Paradoxalement, l’utilisation faite de l’eau dans le secteur agricole reste pour le moins extensive, d’importants gaspillages survenant tout au long du processus d’irrigation. La rationalisation des modes de consommation des usagers agricoles apparaît dès lors comme un élément indispensable au développement durable des ressources en eau en Chine.

Conscient de la gravité du problème, le gouvernement chinois élaborait au début des années 1990 une série de programmes visant à réformer le processus de gestion de l’eau en milieu rural. Aujourd’hui, cette réforme s’appuie principalement sur la consolidation du système de tarification de l’eau dans le secteur agricole, ainsi que sur l’institutionnalisation d’un système de gestion local des eaux d’irrigation. Par cette réforme, l’État entend, d’une part, assurer le financement des agences d’irrigation et, d’autre part, inciter les usagers à adopter des pratiques plus responsables en favorisant le transfert de droits de gestion aux collectivités locales (Meinier, 2006). Dans l’ensemble, la mise en oeuvre de la réforme offre des résultats plutôt satisfaisants. On remarque en effet que dans la plupart des systèmes d’irrigation qui ont entrepris de réformer leurs modes de gouvernance, des économies d’eau ont été réalisées et les fonds disponibles au développement du secteur irrigué n’ont cessé d’augmenter. Toutefois, si l’on en juge par l’importance des coûts de transaction associés à la mise en oeuvre de la réforme, ces gains nécessitent des investissements considérables, sans doute beaucoup plus importants qu’estimés initialement par les autorités chinoises.

L’objectif de cet article consiste alors à évaluer la performance des politiques de décentralisation et de tarification de l’eau en Chine. Il s’agit principalement de peser le poids des résultats obtenus par rapport aux ressources investies lors de la formulation et de la mise en oeuvre de cette réforme. Cet exercice est d’autant plus important que la réforme des systèmes d’irrigation n’en est encore qu’aux stades préliminaires de son application. L’identification, à ce stade, des forces et des faiblesses de la réforme s’avère ainsi indispensable à son évolution. Il convient donc de déterminer dans quelle mesure et sous quelles conditions les arrangements institutionnels créés dans le cadre de cette réforme contribuent à résoudre les problèmes de pénurie d’eau en Chine du Nord. À cette fin, nous examinons d’abord, en fonction des coûts de transaction, l’intérêt du processus réformiste. Ensuite, nous mesurons l’impact de la réforme sur la base de critères d’efficacité et d’équité. Mais avant, nous décrivons plus en détail la nature même de la réforme des systèmes d’irrigation.

2. La formulation de la réforme

Confrontées à la rapide croissance des besoins hydriques des usagers industriels et domestiques ainsi qu’à la hausse des coûts marginaux associés à l’exploitation de nouvelles sources d’approvisionnement, les autorités chinoises envisagent depuis quelque temps de revoir leur stratégie dans le domaine de la gestion de l’eau. Bien que les budgets du ministère des Ressources en eau (MRE) ne témoignent pas encore de cette réorientation, le gouvernement reconnaît désormais l’insuffisance d’une approche strictement centrée sur le contrôle de l’offre en eau et convient de la nécessité de conserver cette ressource (MRE, 2003). L’objectif consiste alors à réduire le gaspillage et à augmenter la productivité de l’eau dans le secteur agricole. À cette fin, le Conseil d’État s’engageait, au début des années 1990, à redéfinir les modes de gouvernance dans le secteur irrigué. Les autorités proposent ainsi de consolider le système de tarification de l’eau dans le secteur agricole et de décentraliser le processus de gestion de l’eau en milieu rural. À travers la tarification, les autorités espèrent régler la question du sous-financement du secteur irrigué ainsi qu’inciter les usagers à rationaliser leurs modes de consommation. Quant à la décentralisation, elle doit protéger les usagers des abus perpétrés par les cadres locaux et leur redonner les pouvoirs nécessaires afin qu’ils puissent orienter leur stratégie de développement selon leurs besoins.

2.1 La consolidation du système de tarification

Sauf exception, l’eau est distribuée gratuitement aux paysans chinois jusqu’en 1978 (Nickum, 1981). Depuis, en raison de la diminution des fonds alloués au développement du secteur agricole, la tarification de l’eau tient une place importante dans l’agenda du MRE. À cet effet, le Congrès national du peuple octroyait aux agences d’irrigation, en 1985, le droit de prélever des redevances auprès des usagers de l’eau (Johnsonet al., 1995). Ce décret stipule également qu’à titre d’entreprises, les agences d’irrigation doivent chercher à diversifier leurs sources de financement, notamment en se lançant dans la distribution de services connexes. Malgré ces ententes, le prix de l’eau n’augmente que très lentement, le gouvernement s’étant à la même époque engagé à réduire le fardeau fiscal des paysans. En 1997, dans le cadre de la politique nationale de l’industrie hydraulique, les autorités chinoises réitèrent leur volonté de renforcer le système de tarification de l’eau (Liaoet al., 2005). Dorénavant, il est prescrit que, dans tous les nouveaux systèmes d’irrigation (SI), les redevances doivent permettre de recouvrer la totalité des coûts de fonctionnement des agences d’irrigation. Dans les SI existants, les agences d’irrigation bénéficient d’un délai de trois ans pour mettre en oeuvre cette directive.

Actuellement, le prix moyen d’un mètre cube d’eau dans le secteur agricole avoisine les 0,026 CNY ou 0,00343 CAD (Liaoet al., 2005). Il existe néanmoins d’importantes variations de prix d’une région à l’autre. Le bureau des prix, organisation affiliée à la commission nationale du développement, détermine en effet la valeur de cette ressource en fonction de la rareté de l’eau et de la capacité de payer des usagers (Meinier et Liao, 2006). Ainsi, dans les provinces du Nord, où les effets de la pénurie se font particulièrement ressentir, le prix de l’eau peut être jusqu’à dix fois plus élevé que dans les provinces du Sud. De plus, les redevances perçues auprès des producteurs maraîchers sont supérieures à celles imposées aux producteurs céréaliers (Zhou et Wei, 2000). Dans tous les cas, cependant, le prix de l’eau demeure trop bas. À l’échelle nationale, les recettes prélevées grâce à la tarification de l’eau dans le secteur agricole ne recouvrent qu’environ 36 % des coûts de fonctionnement des agences d’irrigation (Zhou et Wei, 2000). Ces coûts comprennent les coûts d’entretien et d’exploitation des infrastructures existantes et les coûts de remplacement ou de restauration des infrastructures endommagées.

Dans un premier temps, donc, l’objectif consiste à augmenter le prix de l’eau dans le secteur agricole afin que les agences d’irrigation puissent recouvrer, grâce aux redevances, la totalité de leurs coûts de fonctionnement. À cette fin, le gouvernement s’est engagé à augmenter le prix réel de l’eau de 2 % chaque année jusqu’en 2050 (BANQUE MONDIALE, 2001). Un décret, amendant en janvier 2004 la Loi nationale de l’eau, concède même aux agences d’irrigation le droit de réaliser des profits de l’ordre de 3 % dans la pratique de leurs fonctions (Liaoet al., 2007). Le gouvernement central tente ainsi d’attirer des investissements du secteur privé et, par la même occasion, de se défaire progressivement de ses responsabilités quant au financement des agences d’irrigation. Outre le recouvrement des coûts de fonctionnement, la hausse du prix de l’eau vise aussi à inciter les usagers à rationaliser leur consommation d’eau. Exposés à la hausse du prix de l’eau, les paysans devraient modifier leurs modes de consommation de façon à réduire leurs coûts de production. L’adaptation des fermiers à la hausse du prix de l’eau pourrait prendre plusieurs formes. Alors que certains choisiront de réduire la quantité d’eau appliquée sur leur terre, d’autres, les plus riches, se tourneront vers des sources d’approvisionnement alternatives (eaux souterraines) ou adopteront des techniques d’irrigation plus économes sur le plan de la consommation de l’eau.

Dans un deuxième temps, il est indispensable de revoir le système de fixation des prix de l’eau en milieu rural. En effet, dans la plupart des systèmes d’irrigation, les redevances sont fixées strictement sur la base des superficies cultivées et non pas en fonction des volumes d’eau prélevés. Dans ce système, les fermiers sont plutôt incités à consommer un maximum d’eau puisque, peu importe leur consommation, leur facture reste la même (Lohmar et al., 2001). À moyen terme, donc, la consolidation du système de tarification passe inévitablement par la mise en oeuvre d’un système volumétrique de tarification, liant ainsi consommation et facturation. Toutefois, compte tenu du nombre d’exploitations agricoles, il est impensable que son application soit systématique car elle entraînerait des coûts de transaction beaucoup trop élevés. Cela signifierait, par exemple, l’installation de centaines de millions de compteurs d’eau, chacun devant être dûment entretenu et visité régulièrement par un représentant de l’agence d’irrigation afin d’y effecter les relevés. La solution réside donc plus dans l’instauration d’un système mixte de tarification de l’eau, alliant tarification forfaitaire et tarification volumétrique. D’ailleurs, le décret apporté à la Loi nationale de l’eau en 2004, qui précise les nouvelles modalités de tarification de l’eau dans les projets publics, stipule que la tarification forfaitaire doit être établie de façon à recouvrer la totalité des dépenses relatives aux salaires des employés des agences d’irrigation. Pour sa part, la tarification volumétrique servirait à recouvrer les dépenses d’immobilisation et les coûts liés à la dépréciation des infrastructures (Yanget al., 2003).

Enfin, par cette réforme, les autorités cherchent aussi à améliorer le processus de collecte des redevances. Présentement, les redevances de l’eau sont intégrées au compte de taxes des paysans (Lohmaret al., 2003). Bien que requérant relativement peu de personnel, ce système s’avère peu efficace, tant pour les fermiers que pour les agences d’irrigation. En effet, selon ce système, les redevances de l’eau se trouvent amalgamées aux autres frais municipaux. Les fermiers ne connaissent donc jamais le coût exact de leur consommation d’eau (Lohmaret al., 2001). Ils possèdent ainsi peu d’indicateurs pour mesurer l’effet de leurs pratiques agricoles sur l’évolution de leur compte de taxe. Quant aux agences, elles ne reçoivent qu’une partie des redevances payées par les usagers, les conseils de villages s’accaparant souvent jusqu’à 60 % des fonds versés par les usagers dans le cadre de la tarification de l’eau (Communication personnelle, Lin, Y.S., Banque mondiale, Beijing, février 2005). Pour remédier à ce problème, il est prévu que les redevances de l’eau soient désormais directement perçues auprès des fermiers par un responsable délégué par les agences d’irrigation (BANQUE MONDIALE, 2001). En tentant de séparer les redevances de l’eau des comptes de taxes municipales, le gouvernement cherche aussi à s’assurer que l’eau soit considérée comme un facteur de production et non pas comme une charge supplémentaire imposée aux agriculteurs. Ainsi, à mesure que se libéralisent les marchés agricoles, les paysans pourront transférer aux consommateurs urbains les hausses de leurs coûts de production associés à la raréfaction des ressources hydriques.

2.2 La décentralisation de la gestion de l’irrigation

Outre des problèmes de financement, plusieurs problèmes organisationnels minent le fonctionnement des systèmes d’irrigation en Chine. D’abord, l’absence d’imputabilité des agents publics de la gestion de l’eau par rapport aux performances des systèmes d’irrigation ne favorise pas la mise en oeuvre de mesures progressistes de conservation de l’eau (Sinkule et Ortolano, 1995). Ni récompensés, ni pénalisés, les employés des agences d’irrigation se contentent le plus souvent de maintenir le statu quo. Ensuite, les paysans, peu impliqués dans le processus décisionnel, tendent à adopter une attitude désinvolte à l’égard de l’exploitation des systèmes d’irrigation (BANQUE MONDIALE, 2001). Ils prennent ainsi peu d’initiatives et ne participent à la construction et l’entretien des infrastructures que dans le cadre de travaux communautaires obligatoires. Enfin, la gestion de l’irrigation étant organisée en fonction de divisions techno administratives, plutôt que d’unités hydrographiques, les politiques de gestion de l’eau dans le secteur agricole manquent souvent de cohérence, comme en témoigne par exemple la baisse du niveau des nappes phréatiques au Hebei, accélérée par des programmes de subventions versées par les comtés aux agriculteurs désireux de creuser un puit tubulaire (Kendyet al., 2003).

C’est donc dans le but de résoudre ces problèmes que les autorités chinoises s’engageaient, au milieu des années 1990, à décentraliser leurs activités dans le secteur irrigué. Principalement, deux modèles sont proposés pour entreprendre la décentralisation des servirces d’irrigation, soit l’approche participative et l’approche contractuelle. L’approche participative prévoit l’intégration des paysans au processus décisionnel à travers la création d’associations d’usagers de l’eau. La seconde, par voie de sous-traitance, envisage de transférer au secteur privé l’exploitation des canaux tertiaires et des canaux latéraux. Dans les deux cas, les arrangements institutionnels adoptés opéreront dans le cadre des limites hydrographiques des systèmes d’irrigation.

Selon l’approche participative, il est prévu que des associations d’usagers soient créées pour prendre en charge les activités autrefois assumées par les bureaux cantonaux d’irrigation. En règle générale, ces associations rassemblent les usagers agricoles de l’eau de cinq à sept villages et comprennent en moyenne une centaine de membres (Communication personnelle, Feng, G.Z., Association chinoise de l’irrigation et du drainage, janvier 2005, Beijing). Selon l’esprit de la réforme, la création d’une association d’usagers de l’eau (AUE) constitue un exercice volontaire, transparent et démocratique (MRE, 2001). Chaque association est en effet gouvernée par une assemblée de représentants élus par les membres. C’est lors de ces assemblées que sont discutés les problèmes relatifs à l’exploitation du système d’irrigation et que sont résolus les conflits découlant du partage de l’eau entre les membres de l’association. Au plan administratif, l’association est gérée par un comité exécutif, constitué d’une demi-douzaine de membres nommés par les représentants de l’assemblée. Le comité est entre autres responsable de préparer le plan de gestion de l’association et de négocier avec la CFE le contrat d’approvisionnement en eau. Ce contrat est révisé périodiquement afin de refléter les changements survenus dans le système. Sur le terrain, l’exploitation et l’entretien des canaux d’irrigation sont assurés par des ouvriers embauchés par le comité exécutif ainsi que par des groupes de fermiers membres de l’association, chacun devant accorder un minimum de cinq jours par année à l’entretien des infrastructures (Communication personnelle, Cai, L.G., Commission nationale de l’irrigation et du drainage, janvier 2005, Beijing). Depuis l’initiation de la réforme en 1995, quelque 1 000 AUE ont ainsi été créées dans plus d’une vingtaine de provinces (Nickum, 2005).

Malgré l’engouement porté par la communauté internationale au modèle de gestion participative de l’irrigation, les AUE ne représentent aux yeux des autorités chinoises qu’une alternative parmi d’autres (Communication personnelle, Lee, Y.S., Université de Hong Kong, octobre 2004, Hong Kong). Dans le centre du pays, tout particulièrement au Shaanxi et au Ningxia, la décentralisation est plutôt envisagée en matière de sous-traitance. Selon l’approche contractuelle, les agences d’irrigation sont encouragées à transférer à des entrepreneurs privés leurs activités se rapportant à l’entretien et l’exploitation des canaux latéraux d’irrigation (Huanget al., 2003). Les conditions relatives à ce transfert de pouvoir sont précisées dans un contrat signé entre les deux parties. La durée moyenne d’un contrat varie entre 10 et 30 ans (Li et Liu, 2002). Durant cette période, l’entrepreneur s’engage à distribuer aux fermiers un volume d’eau préétabli ainsi qu’à investir un montant minimal dans la restauration des infrastructures à sa charge. En retour, les agences versent à titre d’honoraires une part des redevances payées par les usagers. Ces honoraires sont déterminés lors de la négociation du contrat et peuvent être fixes ou variables.

3. L’évaluation du processus

Conformément à la nouvelle économie institutionnelle, la nature des efforts consentis lors de l’élaboration d’arrangements institutionnels peut être mesurée en ayant recours à l’analyse des coûts de transaction (Ostromet al., 1993). Imperial (1999) suggère de tenir compte d’au moins trois types de coûts de transaction lors de l’évaluation procédurale d’arrangements institutionnels, à savoir i) les coûts d’information, ii) les coûts de coordination et iii) les coûts stratégiques. Compte tenu du stade précoce de mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation, il convient aussi de distinguer les coûts de transaction selon qu’ils se rapportent aux processus de réforme lui-même (coûts ex ante) ou à l’exploitation des arrangements institutionnels en découlant (coûts ex post). Cette distinction est d’autant plus importante que ces coûts surviennent simultanément, le gouvernement redéfinissant sans cesse le cadre de la réforme à mesure que croît sa compréhension des mécanismes de tarification et de décentralisation.

3.1 Les coûts d’information

Plusieurs chercheurs doutent de la possibilité d’appliquer à des études empiriques le concept de coûts de transaction. Furubotn et Richter (1997), par exemple, affirment qu’en pratique ces coûts peuvent difficilement être mesurés. D’autres, par contre, estiment que bien qu’ils soient difficilement quantifiables, ils jouent un rôle trop important dans l’organisation des relations et des échanges entre les individus pour être ignorés, quitte à être mesurés uniquement de façon qualitative (Saleth et Dinar, 2004). À cet égard, Coase (1960) précise que « in order to carry out a market transaction, it is necessary to discover who it is that one wishes to deal with, to inform people that one wishes to deal and on what terms, to conduct negotiations leading up to a bargain, to draw up a contract and to undertake the inspection needed to make sure that the terms of the contract are being observed ». Dans ce contexte, l’acquisition d’information s’avère d’une importance stratégique et force chaque partie à investir des efforts considérables dans l’obtention de ces renseignements. L’élaboration de la réforme des systèmes d’irrigation par le gouvernement chinois ne fait pas figure d’exception, sa mise en oeuvre et l’exploitation des institutions qui en découlent occasionnant d’importants coûts d’information (Tableau 1).

Tableau 1

Évaluation qualitative des coûts d’information.

Information costs evaluation.

 

Coûts d’information

(estimation)

Remarques

Mise en oeuvre

(coûts ex ante)

E

-partage asymétrique des informations

-complexité légale des nouveaux arrangements

-difficile vérification des applications

Exploitation

(coûts ex post)

M

-proximité des intervenants par rapport au secteur d’intervention

-installation problématique des compteurs d’eau

Note : F = faible, M = moyen, E = élevé

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En 2004, le Centre chinois de développement de l’irrigation et du drainage, organisme rattaché au ministère des Ressources en eau, entreprenait la réalisation d’un recensement auprès des fermiers dont les villages se sont engagés dans la voie de la décentralisation de la gestion de l’irrigation (Communication personnelle, Cheng, Z.J., Centre de développement de l’irrigation et du drainage, février 2005, Beijing). Si les résultats de ce recensement témoignent de la progression du nombre d’associations d’usagers créées et de la popularité des contrats de sous-traitance, ces résultats révèlent aussi certaines déficiences quant à la façon dont cette réforme est mise en oeuvre, et tout particulièrement la façon dont est partagée l’information entre les paysans et l’administration villageoise. Ainsi, parmi les fermiers interrogés, les trois quarts affirmaient ne pas être au courant de l’existence d’associations d’usagers dans leur village. Les enquêtes menées par Wanget al. (2005), au Ningxia et au Henan, confirment cette tendance. Parmi les 189 ménages interrogés, 70 % prétendaient ne pas avoir été informés de la création d’une association d’usagers dans leur village et à peine 5 % auraient été invités à assister à une réunion de l’assemblée des représentants. Il en va de même des mécanismes de tarification de l’eau; la plupart des paysans ne savent toujours pas combien ils paient pour l’utilisation de cette ressource et détiennent peu d’information quant à l’usage qui est fait des produits de cette tarification (Yanget al., 2003). Tout porte à croire, donc, qu’au niveau des villages, les informations relatives à la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation sont contrôlées par les comités de villages qui décident, selon leurs intérêts, d’informer ou non les paysans des décisions prises au niveau provincial. Les chefs de village demeurent ainsi en contrôle de l’application de la réforme, ce qui, fondamentalement, mine le processus participatif censé guider cette réforme (Ouet al., 2004).

Moins bien pourvus en information, les paysans se trouvent aussi souvent démunis face à la complexité légale des changements institutionnels proposés par la réforme. Ainsi, un fermier ou un entrepreneur qui désirerait prendre part au processus décisionnel, comme lui en donne le droit la réforme, devra investir des efforts considérables pour comprendre l’étendue de ses droits et de ses responsabilités sous le nouveau régime. Plusieurs paysans n’ont tout simplement pas l’expertise ou les ressources nécessaires pour naviguer à travers ce nouveau cadre légal. Par exemple, les paysans ne comprennent pas toujours la nécessité, pour des fins d’indépendance, de nommer, au poste de directeur de leur association d’usagers, un membre qui ne siège pas aussi sur le comité de village (IIGE, 2003). Traditionnellement, l’autorité locale a toujours été concentrée entre les mains du chef de village ou du secrétaire du Parti, postes d’ailleurs souvent tenus par le même individu (Oi, 1989). Ne connaissant donc pas le statut légal des associations, et par le fait même, leurs réels pouvoirs face aux comités de villages, les paysans, lorsque consultés, supporteront instinctivement la candidature de leur chef naturel (Ouet al., 2004). Les paysans désireux d’obtenir un contrat de sous-traitance auprès de leur agence d’irrigation sont exposés aux mêmes difficultés. Il n’est pas surprenant alors que la majorité des sous-traitants retenus soit issue de la classe dirigeante locale, souvent mieux informée que le simple paysan des opportunités d’affaires et des technicalités administratives (Li et Liu, 2002). Devant la complexité légale des nouveaux arrangements institutionnels, un bon nombre de paysans s’abstient de participer.

Enfin, la vérification de la mise en oeuvre de la réforme occasionne, elle aussi, des coûts d’information relativement élevés. En effet, à mesure que se décentralise l’administration chinoise, les échelons supérieurs peuvent de plus en plus difficilement contrôler les actions entreprises au niveau local. Désormais responsables du financement de la plupart de leurs activités, les gouvernements locaux voient d’un mauvais oeil l’intrusion des paliers supérieurs dans les domaines relevant de leur juridiction (Chao et Dickson, 2001). Les offices d’irrigation sont ainsi peu ou pas informés des progrès de la mise en oeuvre de la réforme au niveau local, ou doivent se fier aux informations que leur rapportent les administrateurs locaux. Rappelons que ceux-ci sont financés à même les budgets des gouvernements locaux, et qu’ils ont donc tendance à porter allégeance à ces derniers plutôt qu’au ministère auquel ils sont rattachés (Kim, 2001).

Même l’administration villageoise ne peut pas tout contrôler. Dans la plupart des villages, l’instauration d’un système de tarification volumétrique se révèle particulièrement difficile, cela principalement en raison de la parcellisation des terres qui limite l’installation de compteurs d’eau. En 1992, le ministère de l’Agriculture (2000), suite à la réalisation d’un sondage auprès des ménages de 7 983 villages, estimait à 3,16 le nombre de parcelles cultivées par ménage, chaque parcelle mesurant en moyenne 0,08 hectare, ce qui représente à peine l’équivalent de la moitié d’un court de tennis. Pour des raisons d’équité, ces parcelles sont disséminées à travers le territoire du village afin que chaque ménage jouisse d’un même nombre de parcelles de bonne, de moyenne et de mauvaise qualité (Xu et Peel, 1991). Ainsi, dans un village typique du Nord-Est de la Chine, formé d’environ 350 ménages, cela représente plus de 1 100 parcelles (BUREAU NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2004). L’application systématique du système de tarification volumétrique nécessiterait l’installation d’autant de compteurs d’eau, chacun devant être visité plusieurs fois par année par un membre du comité pour y effectuer les relevés, ce qui, bien sûr, occasionnerait d’importants coûts de transaction. Il n’est pas surprenant, alors, que dans la plupart des villages, la tarification soit encore établie en fonction des surfaces irriguées (Yanget al., 2003).

S’il est vrai que la mise en oeuvre de la réforme s’avère plutôt difficile, du moins en fonction des coûts d’information qu’elle nécessite, dans les SI où des associations d’usagers ont été créées avec succès, des économies sont toutefois réalisées. Lin (2002) constate, en effet, que dans ces systèmes d’irrigation (SI), l’acquisition d’information sur le fonctionnement quotidien des canaux latéraux s’avère beaucoup moins onéreuse et favorise une réaction plus rapide et mieux adaptée des responsables de la gestion de l’irrigation. Par exemple, un entrepreneur, responsable de l’exploitation des canaux d’irrigation dans le village dans lequel il habite, réalisera et réagira beaucoup plus rapidement à la rupture d’un conduit qu’un fonctionnaire dont le bureau est situé à des kilomètres des lieux de l’incident. À cet égard donc, la réforme des systèmes d’irrigation atteint son objectif. La mise en oeuvre de mesures de conservation de l’eau passe obligatoirement, en effet, par un meilleur contrôle de l’eau dans le système de distribution (Loeveet al., 2004).

3.2 Les coûts de coordination

Le fonctionnement d’un système d’irrigation implique de multiples activités qui toutes doivent être coordonnées entre les différents acteurs. La coordination au sein d’une organisation doit permettre, à travers la convergence d’efforts concertés, l’affectation efficace des ressources. Dans le secteur irrigué, les activités de coordination se rapportent, par exemple, à la définition des périodes d’irrigation, à l’obtention de l’accord des autorités locales sur un éventuel projet d’aménagement, ou sur la supervision d’un chantier d’entretien de canal. Indispensables au bon fonctionnement d’un système d’irrigation, ces activités occasionnent des coûts : les coûts de coordination. Ostromet al. (1993) définissent les coûts de coordination comme étant les frais, mesurés en temps, en capital et en personnel, investis dans la négociation, la surveillance et la mise en application d’arrangements institutionnels particuliers.

Globalement, la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation occasionne des coûts de coordination assez importants (Tableau 2). Le principal problème provient de la difficile propagation de la réforme à l’échelle locale. Comme nous le mentionnons dans la section précédente, les cadres locaux décident souvent, faute d’incitatif, de ne pas informer les paysans des programmes mis en oeuvre par le gouvernement pour favoriser le développement du secteur agricole. Afin de contrer ce phénomène, le conseil d’État voyait, au début des années 1990, à la création de centres d’extension des techniques agricoles (CETA) pour assurer, au niveau des cantons, la dissémination des informations relatives aux nouvelles pratiques agricoles (Delman, 1993). C’est notamment dans ces centres que sont présentées aux fermiers les dernières variétés de graines, de pesticides et d’engrais, et que sont expliquées les nouvelles techniques d’irrigation. Depuis 1999, il est aussi prévu que les CETA se chargent d’informer les paysans au sujet des mesures adoptées dans le cadre de la réforme des systèmes d’irrigation. Or, comme le révèlent les travaux de Smith (2005), la contribution des CETA à la diffusion de nouvelles techniques agricoles et à la propagation de la réforme des systèmes d’irrigation est des plus marginales. Plusieurs problèmes minent en effet le fonctionnement de ces organisations, notamment en ce qui concerne leur accessibilité.

Tableau 2

Évaluation qualitative des coûts de coordination.

Coordination costs evaluation.

 

Coûts de coordination

(estimation)

Remarques

Mise en oeuvre

(coûts ex ante)

E

- déficience des programmes d’extension (CETA et villages modèles)

Exploitation

(coûts ex post)

M

- augmentation du nombre d’intervenants

- allègement des contrôles administratifs entre les différents paliers

Note : F = faible, M = moyen, E = élevé

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Premièrement, les bureaux des CETA sont le plus souvent situés à l’intérieur d’un édifice gouvernemental, bâtisse dans laquelle les paysans, intimidés, hésitent à pénétrer. Comme le mentionne un paysan dans une entrevue rapportée par Smith (2005) : « S’ils ne m’ont pas convoqué, pourquoi devrais-je me rendre là-bas? » (traduction). La plupart du temps, donc, les CETA ne sont visités que par des chefs de village. Deuxièmement, les fusions municipales entreprises au niveau des cantons à la fin des années 1990 ont eu pour effet d’accroître la distance que doivent parcourir les fermiers pour se rendre au siège du gouvernement de leur canton (Marton, 2002). Au Anhui, par exemple, les paysans des villages de Fanchong et de Tudiwan se plaignent que, depuis la fusion de leur canton aux deux cantons voisins, ils doivent parcourir six kilomètres supplémentaires pour visiter les bureaux du CETA (Smith, 2005). Ainsi, de moins en moins de fermiers envisagent d’entreprendre cette longue marche pour aller consulter un agent du CETA. Enfin, les CETA sont aussi largement critiqués quant à la qualité des services qu’ils offrent (CCAP). Un chef de village au Anhui raconte, à cet effet, qu’à son arrivée au CETA, il avait été plutôt bien reçu, mais que rapidement il avait constaté que son projet intéressait peu l’agent d’information responsable de la promotion des nouveaux modèles organisationnels proposés dans le cadre de la réforme, et d’en conclure, qu’à moins d’être accompagné d’un cadre d’un certain niveau, rien ne serait fait pour lui (Smith, 2005).

Outre les CETA, le gouvernement mise aussi sur la création de villages modèles pour assurer la promotion de la réforme des systèmes d’irrigation. Nickum (2005) estime que, depuis 1999, plus d’une centaine de villages se sont vus conférer ce statut. Les plus connus sont ceux de Zaohe au Jiangsu et de Shunyi à Beijing (Kamphuiset al., 2004). Bien que les mérites de ces villages soient régulièrement vantés sur les ondes des chaînes de télévision locales, les paysans ont, dans les faits, très peu l’occasion d’aller observer par eux-mêmes les bienfaits des nouveaux modèles organisationnels proposés par le gouvernement. En effet, la désuétude du système de transport en milieu rural rend très laborieux les déplacements à travers la campagne chinoise. Il n’est pas rare de devoir passer une vingtaine d’heures dans un autobus pour rallier deux villages distants d’à peine quelques centaines de kilomètres. La hausse du prix de l’essence rend aussi ces déplacements de plus en plus coûteux. Par ailleurs, aucun mécanisme n’a été prévu dans le projet de réforme pour encourager les échanges entre les villages (Lohmaret al., 2001). Or, de telles interactions vont à l’encontre du système traditionnel d’organisation de la société chinoise, établi sur la base d’un respect strict de la hiérarchie (Lieberthal, 1995). Lohmaret al. (2003) doutent aussi de la représentativité de ces villages modèles, certains affichant des revenus totaux annuels de plus de 3 millions CNY, soit près de deux fois la moyenne nationale.

Encore une fois, donc, c’est la progression de la réforme qui pose problème. En effet, dans les SI ayant entrepris de décentraliser activement le processus de gestion de l’irrigation, les efforts investis dans la coordination des activités entre les différentes organisations sont souvent inférieurs à ceux engagés dans les SI opérant encore selon le modèle traditionnel de gestion de l’irrigation (Lin, 2003). Jouissant de pouvoirs exclusifs quant à l’exploitation et à l’entretien des canaux latéraux, les associations d’usagers ne sont pas obligées de se rapporter systématiquement à un niveau supérieur avant d’entreprendre le moindre projet de restauration (Bhatiaet al., 2002). Ces économies s’avèrent d’autant plus significatives que, depuis 2003, année de l’adoption de la Loi sur la supervision interne, les mesures prises pour lutter contre la corruption au sein de la fonction publique ont été renforcées (Wedeman, 2004). Cette loi prévoit, entre autres, l’institution de contrôles internes à tous les niveaux et dans tous les secteurs, obligeant par le fait même les fonctionnaires à conserver une documentation détaillée des projets sur lesquels ils travaillent. Dans le but de se protéger, donc, les fonctionnaires s’assurent d’obtenir l’appui de leur supérieur immédiat avant de se lancer dans un nouveau projet, ce qui, bien sûr, n’accélère pas le processus de prise de décision et augmente du même coup les coûts de coordination. Par exemple, dans le SI de Dujiangyan, les autorités ont débattu durant plus de deux ans avant de décider de remplacer, par de la brique, le bambou utilisé traditionnellement pour renforcer les digues (Kono, 1997).

3.3 Les coûts stratégiques

La théorie des coûts de transaction repose sur deux hypothèses comportementales fondamentales. D’abord, les individus agissent en fonction d’une rationalité limitée, en ce sens qu’étant dotés de capacités cognitives limitées et ne pouvant accéder à toutes les informations disponibles, ils s’arrêtent au premier choix qu’ils jugent satisfaisant (Simon, 1945). Ensuite, opportunistes de nature, les individus n’hésitent pas à se servir de la ruse pour parvenir à leur fin (Alchian et Demsetz, 1972). L’opportunisme n’implique pas pour autant que les individus se comportent toujours et partout de façon opportuniste, mais plutôt que « certains individus sont opportunistes certaines fois et qu’il est coûteux d’établir le degré de confiance différentiel à accorder aux individus » (Williamson, 1994). Des dispositifs peuvent ainsi être conçus pour diminuer les manifestations d’opportunisme, notamment en modifiant la structure des incitatifs (positifs et négatifs) à laquelle sont exposés les individus. Toutefois, la mise en place de ces dispositifs institutionnels implique des coûts de transaction ou, plus précisément, des coûts stratégiques pour réduire les tentations. On identifie généralement trois types d’activités opportunistes : i) le resquillage (free riding), ii) la corruption et iii) la capture de la rente (rent seeking) (Ostrom, 1992). Resquiller, c’est celui qui profite des bénéfices d’un système collectif sans y contribuer. Capturer de la rente consiste à recevoir un bénéfice disproportionné grâce à sa position économique ou politique. Être corrompu signifie user de son pouvoir sur l’allocation des ressources pour en tirer des avantages (Ostrom, 1992).

Dans l’ensemble, il apparaît que la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation contribue à réduire les coûts stratégiques liés à la gestion de l’irrigation (Tableau 3). À cet effet, Bhatiaet al. (2002) notent que la création d’associations d’usagers favorise la réduction des risques associés au resquillage. Selon l’étude qu’ils ont menée dans trois SI (Shijin, Zaohe et Jingxing Mianyou), les auteurs constatent que l’adoption de ce type de stratégie s’avère aujourd’hui plus risquée et surtout plus lourde en conséquences. En effet, opérant sur un territoire plus petit, les associations d’usagers sont en mesure de contrôler plus efficacement la participation des paysans aux activités d’entretien des canaux d’irrigation. Dans les SI opérant encore selon le mode traditionnel de gestion, il est relativement facile pour un paysan de ne pas participer aux travaux d’entretien, sachant pertinemment que le comité cantonal d’irrigation ne peut surveiller les travaux accomplis par tous les paysans. De plus, selon ce nouveau mode d’organisation, fondé sur une application du principe d’utilisateur payeur, toutes les ressources nécessaires à l’exploitation et à l’entretien des infrastructures proviennent des usagers eux-mêmes. Ainsi, un paysan qui ne respecte pas les règles imposées par son association, en choisissant de ne pas participer aux travaux communautaires, se trouve à voler non pas le gouvernement, mais ses propres voisins. S’il est pris, sa réputation en sera rapidement affectée, ce qui, dans un petit village, n’est pas sans conséquences (Vermeeret al., 1998).

Tableau 3

Évaluation qualitative des coûts stratégiques.

Strategic costs evaluation.

 

Coûts stratégiques

(estimation)

Remarques

Mise en oeuvre

(coûts ex ante)

E

- résistance des cadres locaux à l’application de la réforme

Exploitation

(coûts ex post)

F

- réduction des risques de resquillage auprès des usagers de l’eau

- diminution de la corruption (détournement de fonds) au sein des agences locales d’irrigation

Note : F = faible, M = moyen, E = élevé

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Dans le cas des villages pour lesquels la gestion de l’irrigation a été transférée par voie de contrats à des particuliers, les peines auxquelles s’exposent les contrevenants sont encore plus sévères. Au Shaanxi, par exemple, un paysan qui est pris à prélever de l’eau illégalement dans le système de distribution dont l’exploitation relève du secteur privé est passible d’emprisonnement (Wanget al., 1999). Liaoet al. (2005) rapportent que depuis que l’Office de gestion de Jinhuiqu (Shaanxi, système d’irrigation du Guanzhong) a transféré à des particuliers la gestion de certains canaux latéraux, les volumes d’eau prélevés de façon illégale par des paysans dans ce système ont diminué de moitié. Dans ce SI, par contre, les entrepreneurs sont obligés d’engager des gardes pour patrouiller le secteur dont ils ont obtenu le droit d’exploitation.

Lin (2003) constate aussi qu’en de nombreuses occasions, la création d’associations d’usagers s’avère efficace pour contrôler la corruption au sein des organisations locales responsables de la gestion de l’irrigation. Contrairement aux comités cantonaux d’irrigation qui, en raison de leur taille, sont responsables de gérer des budgets relativement importants, de l’ordre de quelques centaines de milliers de yuans, les membres du conseil d’administration d’une association d’usagers gèrent des budgets beaucoup plus modestes (BANQUE MONDIALE, 2002). Advenant donc qu’un des membres d’une association détourne des fonds dans l’exercice de ses fonctions, les répercussions de cet acte illicite seront immédiatement observables sur le terrain, le détournement d’une fraction du budget de l’association se traduisant nécessairement par une diminution des activités de construction ou d’entretien de l’association (e.g. non-restauration d’une section d’un des canaux). Dans certains SI, tel celui de Zaohe (Jiangsu), afin de lutter contre la corruption, il est prévu qu’un comptable nommé par la corporation de fournisseurs siège sur le conseil d’administration de chaque association d’usagers; lui seul détient le droit de manipuler les produits des redevances de l’eau (Bhatiaet al., 2002).

Malgré ces avancées, la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation progresse lentement. Par conséquent, les économies réalisées grâce à la diminution des manifestations opportunistes de la part des usagers et des nouveaux administrateurs demeurent-elles marginales (Lohmaret al., 2003). Le président de l’Association Chinoise de l’Irrigation et du Drainage (ACID) estime que la décentralisation effective du processus de gestion de l’eau en milieu rural nécessiterait la création de plus de 100 000 associations d’usagers de l’eau (AUE); on en compte tout au plus un millier (Communication personnelle, Feng, G.Z., Association chinoise de l’irrigation et du drainage, janvier 2005, Beijing). Une telle interprétation de la réforme n’est pas sans inquiéter les fonctionnaires locaux en place. Pour eux, la décentralisation signifie des baisses de crédits et la perte de plusieurs milliers d’emplois dans la fonction publique municipale (Li et Liu, 2002). Sans surprise alors, on observe un peu partout la résistance des gouvernements locaux face au projet de réforme. Ne pouvant s’opposer de front à cette directive émanant du gouvernement central, les cadres locaux s’entendent plutôt à saboter la mise en application de la réforme, notamment en s’appropriant le contrôle de ces nouvelles organisations (Communication personnelle, Jiang, W., Académie chinoise des sciences de l’agriculture, janvier 2005, Beijing). En agissant de la sorte, les cadres locaux se trouvent à usurper les paysans de droits qui leur ont été reconnus par l’État. En ce sens, les cadres locaux capturent de la rente, car ils profitent de leur statut pour orienter en leur faveur l’application de la réforme. Wanget al. (2004) rapportent que parmi les 51 villages qu’ils ont visités en 2002, les chefs de villages s’étaient attribués, dans 70 % des cas, le poste de directeur des AUE. Dans 75 % des cas, le chef de village s’était octroyé ce titre sans que soient même consultés les usagers. Il va sans dire que, dans ces villages, la fonction des AUE demeure purement symbolique.

Dans d’autres villages, la résistance des autorités locales à l’égard de la mise en oeuvre de la réforme est encore plus prononcée. Par exemple, dans le SI de Changping (Beijing), visité par l’auteur à l’hiver 2005, les cadres responsables de la gestion de l’irrigation au niveau du canton sont même parvenus à dissoudre, trois ans après sa création, une association d’usagers. Cette mesure était prise en guise de représailles contre les paysans du village de Hen-Zai qui, l’année précédente, avaient organisé une manifestation devant les bureaux du canton pour réclamer que soient dissoutes les unités publiques chargées de l’exploitation des canaux tertiaires et des canaux latéraux. Ces dernières, bien qu’ayant transféré toutes leurs responsabilités aux associations d’usagers, continuaient à percevoir des redevances auprès des paysans, sans transmettre aux associations leur part de cette tarification (Communication personnelle, Bo, L., Académie chinoise des sciences de l’agriculture, janvier 2005, Beijing). Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, l’intervention des paliers gouvernementaux de niveaux supérieurs est souvent nécessaire pour sortir les acteurs de ce genre d’impasse.

4. Évaluation des résultats

Malgré l’importance des coûts de transaction associés à la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation, tout porte à croire que le gouvernement central ira de l’avant avec son projet de réforme. D’ailleurs, récemment, le ministre des Ressources en eau, Wang Shucheng, réitérait dans son discours de nouvelle année, la nécessité de recentrer autour des usagers le schéma organisationnel de la gestion de l’eau en milieu rural (China Daily, 2007). La question consiste désormais à déterminer dans quelle mesure cette réforme produit les effets escomptés. Dans la prochaine section, nous mesurons l’impact de la réforme sur la base de critères d’efficacité et d’équité.

4.1 L’efficacité de la réforme

Par définition, la notion d’efficacité fait référence au degré de réalisation d’un objectif visé ou d’un programme envisagé et se mesure à l’aide d’indicateurs de performance. Fondamentalement, les objectifs de la réforme peuvent être définis comme suit : réduire le gaspillage de l’eau dans le secteur agricole, accroître le rendement des cultures irriguées et augmenter les fonds alloués au développement du secteur irrigué. Il convient ainsi d’évaluer la pertinence de la réforme en fonction des effets qu’a pu occasionner sa mise en oeuvre sur i) la consommation d’eau, ii) la production agricole et iii) les coûts d’irrigation.

4.1.1 La consommation d’eau

Dans le secteur irrigué, l’efficacité de l’utilisation de l’eau peut être améliorée d’au moins trois façons, soit en réduisant les pertes qui surviennent lors du transport de l’eau (distribution), soit en renforçant la coordination des activités entre les différentes parties prenantes (gestion), ou en favorisant l’introduction de nouvelles techniques d’irrigation auprès des fermiers (application). C’est principalement de la première façon qu’ont été réalisées la plupart des économies d’eau accomplies dans le cadre de la réforme des systèmes d’irrigation.

Dans le premier cas, donc, il semblerait que la mise en oeuvre de la réforme porte fruit. En effet, dans les SI réformés, la transparence accrue du système de tarification de l’eau favoriserait le réinvestissement du produit des redevances dans des activités de modernisation des infrastructures hydro-agricoles (Lohmaret al., 2003). Notons que, dans plusieurs provinces, la transparence est perçue comme le principal cheval de bataille pour lutter contre la corruption au sein de la fonction publique (Straussman et Zhang, 2001). Ainsi, dans certains SI, les agents locaux de la gestion de l’irrigation sont-ils désormais obligés de rendre publics leurs états financiers, dans lesquels sont précisés le montant total des redevances perçues, les volumes d’eau prélevés et les montants consacrés à l’entretien des canaux d’irrigation (Bhatiaet al., 2002). Bien qu’encore peu appliquée, cette mesure, lorsque mise en oeuvre, s’avère particulièrement efficace, comme en témoignent les résultats obtenus dans le SI de Dongfeng (Hubei). Lin (2002) rapporte que, depuis que sont dévoilés aux usagers les états financiers des associations, les montants alloués à la restauration des infrastructures ont doublé. Tous ces fonds proviendraient non pas de subventions versées par le gouvernement provincial, mais bien de ressources autrefois détournées par les cadres locaux. Grâce à ces fonds, donc, plusieurs centaines de kilomètres de canaux latéraux ont été recouverts de ciment, ce qui aurait contribué à réduire de 30 % les pertes encourues lors du transport de l’eau (Lin, 2002). Li et Liu (2002) observent sensiblement le même phénomène, cette fois au Shaanxi, où il est rapporté qu’un sous-traitant a investi 6 600 CNY dans chaque canal latéral à sa charge, et ainsi entrepris le bétonnage de plus de 320 mètres de canaux.

Si l’étude de Wanget al. (2004) au Henan et au Ningxia confirme cette tendance, à savoir que l’adoption de modèles décentralisés (participatif et contractuel) de gestion de l’irrigation incite les nouveaux administrateurs à investir plus dans la restauration des infrastructures, cette étude révèle aussi que, plus que la transparence ou la décentralisation, c’est la façon dont sont rémunérés les gestionnaires qui influence le plus l’attitude de ces derniers à l’égard de la conservation de l’eau. Ainsi, dans les villages offrant des primes de performance aux administrateurs qui réduisent le gaspillage de l’eau sur leur territoire, l’utilisation de l’eau par hectare a chuté de près 40 %. À l’inverse, lorsque les gouvernements locaux se contentent d’appliquer symboliquement la réforme, la consommation d’eau augmente (Wanget al., 2006). Dans ce cas‑ci, le changement institutionnel ne fait que semer la confusion au sein des usagers et des gestionnaires (Communication personnelle, Wang, J.X., Centre chinois des politiques agricoles, avril 2005, Beijing). En 2001, parmi les quatre SI recensés par Wanget al. (2004), plus d’un village sur trois incitait financièrement ses gestionnaires à rationaliser l’utilisation de l’eau.

Alors que la plupart des économies d’eau réalisées dans les SI réformés résulte de travaux de restauration des infrastructures, dans certains SI, c’est la façon dont a été réorganisée l’irrigation qui a permis d’accroître l’efficacité de l’utilisation de l’eau. Dans le SI de Zhanghe, par exemple, les associations d’usagers, suite à l’adoption de la technique d’humidification et d’assèchement alternatif (alternate wetting and drying), sont parvenues à hausser de 27 % l’efficacité de l’utilisation de cette ressource (Tableau 4) (Donget al., 2004). Selon ce procédé, les paddys, plutôt qu’être inondés en permanence, sont irrigués plusieurs fois par année, sur de courtes périodes, selon les besoins des plantes. Bien entendu, cette approche nécessite que les associations d’usagers consacrent plus de temps à la supervision des activités liées à la distribution de l’eau et à la surveillance des récoltes. Dans les systèmes opérant encore selon le modèle traditionnel d’irrigation, les chefs de villages n’ont qu’à veiller à l’ouverture des vannes lorsque de l’eau est disponible dans les canaux secondaires et tertiaires. Selon Barkeret al. (2001), le succès relatif à l’application de cette technique alternative d’irrigation serait en grande partie attribuable à la création d’associations d’usagers, leur création ayant permis de clarifier les droits et les responsabilités de chaque partie prenante, et ainsi faciliter la coordination des activités entre les membres.

Tableau 4

Impact de l’application de la technique d’humidification et d’assèchement alternatif (HAA) dans le systèmes d’irrigation de Zhanghe.

Impact of the application of alternate wetting and drying in the Zhanghe irrigation district.

 

Efficacité d’utilisation de l’eau (kg/m3)

 

Irrigation traditionnelle

Irrigation avec HAA

1991

1,62

1,92

1992

2,38

2,45

1993

1,59

2,15

1994

1,37

1,91

1995

1,20

1,59

1996

4,28

4,84

1997

1,56

1,78

1998

2,19

3,33

1999

1,81

2,94

2000

1,45

1,77

moyenne

1,95

2,27

Source : Donget al. (2004)

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En ce qui concerne les économies d’eau réalisées grâce à l’adoption de nouvelles techniques d’irrigation par les fermiers, force est de constater que la mise en oeuvre de la réforme a encore très peu d’incidence sur le comportement de ces derniers. À cet égard, il est important de préciser que parmi les 19,4 millions d’hectares de terres irriguées avec des techniques qualifiées d’économes sur le plan de leur consommation d’eau, la grande majorité l’est avec des techniques assez primitives et peu efficaces (nivellement des terres et irrigation par sillon) (BUREAU NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2004). Des techniques plus modernes, telles l’irrigation par aspersion ou l’irrigation au goutte-à-goutte, demeurent très peu utilisées et la mise en oeuvre de la réforme ne semble pas changer l’attitude des fermiers à l’égard de ces techniques (Blankeet al., 2007).

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. D’abord, en plus d’être peu adaptées à la culture céréalière, ces nouvelles techniques s’avèrent aussi très dispendieuses : il en coûte approximativement 3 000 CNY pour installer un système d’arrosoir sur un hectare de terre irriguée (Yanget al., 2003). Or, les bénéfices que pourrait retirer un fermier d’un tel investissement sont des plus négligeables, de l’ordre de quelques dizaines de yuans par année, cela principalement en raison de la faiblesse des prix de l’eau dans le secteur agricole. Rappelons qu’à l’échelle nationale, le prix moyen d’un mètre cube d’eau est estimé à 0,026 CNY. La Banque mondiale (2005) estime à 0,15 CNY/m3 le seuil au-delà duquel les paysans, dans la région des 3H, modifieront leurs modes de consommation. Notons aussi que, présentement, les redevances de l’eau ne comptent que pour 5 à 10 % des coûts de production des fermiers. Bazza et Ahmad (2002) estiment à au moins 20 % le seuil à partir duquel les fermiers chercheront à réduire leurs dépenses liées à l’utilisation de cet intrant de production. Tout porte à croire alors, qu’à moyen terme, la tarification ne constitue pas un instrument efficace pour contrôler la demande en eau dans le secteur agricole. Par contre, comme nous tenterons de le démontrer dans une prochaine section, elle constitue un outil efficace pour recouvrer les coûts d’exploitation et d’entretien des agences d’irrigation.

4.1.2 La production agricole

Dans l’ensemble, il apparaît que la réforme des systèmes d’irrigation, du moins sa composante institutionnelle liée à la décentralisation, contribue à diminuer le gaspillage de l’eau en milieu rural. Il importe donc désormais de déterminer si cette rationalisation des modes de consommation n’a pas été réalisée au détriment de la production agricole. S’il est vrai que la pénurie d’eau constitue un des phénomènes contraignant le plus le développement de la Chine, le maintien de l’autosuffisance alimentaire n’en demeure pas moins un enjeu fondamental pour le gouvernement et la population. Bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’impact réel qu’aura la mise en oeuvre de la réforme sur la production agricole, à ce stade, les résultats semblent peu concluants. En effet, alors que les experts de la Banque mondiale rapportent, dans certains SI, des hausses du rendement des cultures céréalières, les chercheurs du Centre national de politiques agricoles (CNPA) observent le phénomène inverse, la décentralisation de la gestion de l’irrigation aboutissant plutôt à une baisse de la production agricole.

Ainsi, selon Lin (2002), directeur de l’unité chargée du développement social auprès du bureau de la Banque mondiale en Chine, le rendement des cultures de riz dans le SI de Jinmen (Hubei) a crû de 6 % depuis 1995, année de la création des associations d’usagers (Tableau 5). Désormais, confiants en la fiabilité de leur source d’approvisionnement, les fermiers acceptent de rythmer leur consommation d’eau en fonction des besoins hydriques de leur récolte, plutôt qu’en fonction de la disponibilité de l’eau. Les fermiers n’irriguent donc leur terre que lorsque nécessaire et en quantité correspondant aux besoins des plantes. Auparavant, les fermiers irriguaient systématiquement leurs terres de façon excessive afin de se protéger contre d’éventuelles défaillances des systèmes d’irrigation. Barkeret al. (2001) estiment que la surirrigation d’une terre peut provoquer des pertes de rendement de l’ordre de 10 %. Selon Lin (2003), les AUE ont su gagner la confiance des usagers grâce aux travaux de restauration qu’elles entreprirent durant leurs premières années d’opération. En plus d’accroître la flexibilité et la précision du système d’irrigation, la réalisation de ces travaux témoignait de la volonté des responsables des AUE d’investir dans le développement de l’irrigation (Lin, 2003).

Tableau 5

Évolution du rendement des cultures de riz dans le SI de Jinmen (Hubei), avant et après la mise en oeuvre de la réforme.

Assessment of paddy yields in the Jinmen irrigation district (Hubei), before and after the reform’s implementation.

 

AUE

Consommation d’eau

(m3/mu*)

Rendement

(kg/mu)

Pré-réforme

(1990-1994)

Hong Miao

430

750

Cang Fu

457

785

Chang Ji

266

725

Ya Pu

278

628

Post-réforme

(1995-1997)

Hong Miao

380

800

Cang Fu

333

856

Chen Ji

211

761

Ya Pu

233

641

*

mu équivaut à 1/15 d’hectare

Source : Lin (2002)

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Lin (2002) rapporte aussi qu’en certaines occasions, la création d’AUE a favorisé l’expansion des périmètres irrigués. Dans le SI de Liuduzhai (Hunan), par exemple, la rénovation des canaux d’irrigation par les AUE a permis de desservir 400 hectares supplémentaires, ce qui s’est traduit par une augmentation de 5 000 tonnes de la production de riz. Dans la plupart des cas, ces terres étaient laissées en friche depuis plusieurs années, en raison de l’état de décrépitude des infrastructures hydro-agricoles. Au Shaanxi, l’amélioration des services de distribution dans le système d’irrigation du Guanzhong a permis d’augmenter de 19 000 hectares les surfaces irriguées (Li et Liu, 2002).

Aussi encourageants soient-ils, ces résultats demeurent le fait de quelques SI, pour la plupart parrainés par la Banque mondiale. D’ailleurs, l’étude menée par les chercheurs de l’Institut international de recherche sur le riz (IIRR) démontre que décentralisation et augmentation de la production ne vont pas nécessairement de pair, cela même dans un SI réformé selon l’approche préconisée par la Banque mondiale (Barkeret al., 2001). Cette étude, réalisée dans le SI Zhanghe, révèle que si l’irrigation par voie alternative d’humidification et d’assèchement engendre des économies d’eau appréciables, elle a peu d’incidence sur le rendement des cultures (Tableau 6). Certaines années même, la pratique de l’irrigation par HAA résulte en une baisse de la productivité des cultures de riz. Moya et al. (2004) avancent que la baisse des rendement enregistrée dans ce SI proviendrait d’irrégularités relatives à l’application de cette technique d’irrigation alternative, la plupart des fermiers appliquant encore des volumes d’eau trop importants par rapport aux besoins des plantes.

Tableau 6

Rendement des cultures de riz dans le SI de Zhanghe : comparaison entre l’irrigation traditionnelle et l’irrigation par HAA.

Paddy yields in the Zhanghe irrigation district: comparison between traditional irrigation and alternate wetting and drying.

 

Rendement des cultures (kg/ha)

 

Irrigation traditionnelle

Irrigation avec HAA

1991

6 708

7 751

1992

10 200

10 050

1993

8 378

10 497

1994

7 277

9 756

1995

7 689

9 873

1996

10 808

10 235

1997

9 969

9 455

1998

8 561

8 658

1999

8 332

8 015

2000

7 726

7 796

moyenne

8 564

91 797

Source : Donget al. (2004)

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Les résultats des travaux de Wanget al. (2004) abondent aussi en ce sens. Ils affirment même carrément que la décentralisation du processus de gestion de l’irrigation affecte négativement la production agricole. Ils constatent, en effet, que depuis la création d’associations d’usagers et la sous-traitance des services d’irrigation au Henan et au Ningxia, les récoltes de maïs et de riz ont chuté respectivement de 9 et 12 % (Wanget al., 2005). Cette baisse est encore plus prononcée lorsque sont comparés les rendements des cultures dans les villages pour lesquels les gestionnaires reçoivent des primes de performance. À ce jour, les chercheurs du CCPA s’expliquent mal les facteurs qui provoquent cette baisse du rendement agricole dans les SI réformés. Ils préviennent néanmoins les autorités contre l’effet pervers que pourrait entraîner la mise en oeuvre de la réforme sur l’autosuffisance alimentaire de la Chine:

Overall, we believe that our findings support the conclusion that the government should continue to support the water management reform. Officials that want the reform to succeed should make an effort to ensure that more emphasis be put on effective implementation… In the long run, as water management reform reaches into more water scarce areas and seeks to continue to achieve water savings in areas that have already cut backs on use, there may be sharper tradeoffs between water use and production and income. When the tradeoffs are larger, officials may still choose to opt for pushing reforms that save water. In these cases, since the farmers that lose access to water could also suffer production and income falls, policies to mitigate the adverse consequences should be developed.

Wang et al., 2006

4.1.3 Les coûts d’irrigation

Comme en témoigne l’importance des fonds requis pour la restauration des principales infrastructures hydro-agricoles, la question du financement du secteur irrigué est centrale au développement de l’agriculture en Chine. Bien que le gouvernement central ait depuis quelques années augmenté les fonds destinés au développement de ce secteur, il n’en demeure pas moins, qu’à moyen terme, ce sont les usagers qui devront assurer le financement de ce service (Lohmaret al., 2003). À cet égard, la mise en oeuvre de la réforme s’avère jusqu’à présent assez efficace. Elle favorise, en effet, la réduction des coûts d’irrigation et en facilite leur recouvrement à travers la tarification.

Par exemple, dans le SI de Zhanghe, les coûts d’irrigation ont été réduits significativement depuis qu’a été transférée à des AUE la gestion des canaux latéraux. Les principales économies ont été réalisées grâce à la réduction du nombre de gardes affectés à la surveillance des canaux d’irrigation. En moyenne, les AUE dans ce SI sont parvenues à couper de 65 % les coûts de main‑d’oeuvre autrefois alloués à la protection des canaux d’irrigation contre les voleurs d’eau (Lin, 2003). Désormais, plus portés à faire confiance en l’intégrité des responsables qu’ils ont choisis, les fermiers cherchent moins à contourner le système, d’autant plus qu’ils savent que s’ils sont pris en train de prélever illégalement de l’eau, c’est à la colère de leurs voisins qu’ils devront faire face, et non plus aux réprimandes d’un technicien corrompu (Communication personnelle, Wang, L.D., Banque mondiale, mars 2005, Beijing). Dans l’association de Hongtu (Hunan), c’est pas moins de 6 000 journées de travail qui ont pu être économisées à travers la réduction du nombre de gardes, le personnel consacré à la surveillance des canaux étant passé de 70 à 20 employés, ce qui représente une économie annuelle de 120 000 CNY (Easter et Liu, 2005).

Des économies plus importantes encore pourraient être réalisées si ce type de pratique, visant à rationaliser le nombre d’employés rattachés aux bureaux de gestion de l’eau, était appliqué aux échelons supérieurs. Dans le comté de Ci (Hebei), par exemple, qui comprend 19 cantons et 390 villages, le bureau régional du MRE emploie plus de 560 personnes (Shahet al., 2004). À l’échelle du Hebei, c’est plus de 20 000 individus qui travaillent pour ce ministère. Il faut en compter autant au sein de l’administration villageoise. Alors que les salaires des employés travaillant au niveau provincial sont versés par le gouvernement central, ceux des employés des niveaux inférieurs sont en grande partie financés à même les contributions versées par les usagers (IIGE, 2003). Des sommes astronomiques sont ainsi englouties afin de couvrir la masse salariale des agences d’irrigation. Pas étonnant alors que viennent à manquer les revenus nécessaires pour entreprendre la réalisation de travaux de restauration ou pour assurer la diffusion de mesures de conservation de l’eau auprès des fermiers. Straussman et Zhang (2001) estiment à près de 32 % le nombre d’employés « mangeant à la table de l’empereur », qui, sous-employés, doivent être redéployés vers d’autres secteurs. Considérant qu’un employé de la fonction publique gagne en moyenne 10 000 CNY par année, la suppression de postes improductifs au sein des bureaux de gestion de l’eau dans le comté de CI signifierait des économies annuelles de près de deux millions de yuans.

À ce stade, rares sont les provinces qui se sont engagées, dans le cadre de la réforme des systèmes d’irrigation, à assainir les effectifs des paliers supérieurs du gouvernement. Seul le Shaanxi s’est officiellement donné pour objectif de revoir à la baisse le nombre d’employés rattachés aux bureaux régionaux de gestion de l’eau et de l’irrigation (Li et Liu, 2002). Mais pour l’instant, il ne s’agit là que de voeux pieux, aucune coupure n’ayant encore été effectuée (Communication personnelle, Cai, L.G., Commission internationale sur l’irrigation et le drainage, février 2005, Beijing). Ce n’est cependant qu’une question de temps avant que le gouvernement ne décide d’aller de l’avant avec ce type de mesure. En effet, la restructuration générale du secteur public s’avère indispensable si la Chine veut poursuivre son insertion sur les marchés mondiaux. À moyen terme, donc, la mise en oeuvre de la réforme, tant à l’échelle locale que régionale, contribuera certainement à réduire les coûts d’irrigation en Chine. Qu’en est-il maintenant des investissements dans ce secteur? La tarification saura-t-elle assurer la pérennité du financement de l’irrigation?

De nombreux observateurs considèrent que la tarification de l’eau ne constitue pas un instrument efficace pour contrôler la demande en eau dans le secteur agricole (Yanget al., 2003). D’ailleurs, rares sont les exemples en Chine, dans lesquels il est rapporté que la tarification et l’augmentation du prix de l’eau aient incité les usagers à rationaliser leurs modes de consommation. En ce sens, toute augmentation du prix de l’eau se traduira principalement par une augmentation des revenus des agences. En aucun cas cependant, l’augmentation du prix de l’eau a-t-elle permis à une agence d’irrigation de recouvrer la totalité de ses coûts de fonctionnement (Ehrensperger, 2004). Comme l’indique le tableau 7, le prix de l’eau facturé aux paysans est encore bien en deçà des coûts d’exploitation de cette ressource. Toutefois, les prix montent rapidement. Dans le SI de Baojixia, par exemple, le prix d’un mètre cube d’eau en 2003 était de 0,173 CNY, il passait à 0,222 en 2005, et devrait atteindre les 0,269 CNY/m3 d’ici 2010, et ainsi tomber à parité avec les coûts d’approvisionnement (Liaoet al., 2005).

Tableau 7

Prix de l’eau et coûts d’exploitation.

Water prices and supply costs.

Provinces

Prix de l’eau

(CNY/m3)

Coûts d’exploitation

(CNY/m3)

Cultures céréalières

Cultures maraîchères

Chongqing

0,02

0,03

0,13

Gansu

0,068

0,10

0,11

Guangdong

0,02

0,02

0,06

Hainan

0,036

0,12

0,10

Henan

0,04

0,04

0,12

Hubei

0,033

0,033

0,045

Jiangxi

0,02

0,02

0,07

Jilin

0,03

n.d

0,053

Liaoning

0,04

n.d

0,079

Shandong

0,05

0,05

0,13

Shanxi

0,14

0,14

0,28

Yunnan

0,025

0,04

0,08

Source : Ehrensperger (2004)

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S’il n’en était que de la hausse du prix de l’eau, la réforme ne pourrait être considérée comme efficace. Il importe, en effet, que le produit des redevances soit bel et bien perçu auprès des fermiers. À cet égard, la mise en oeuvre de la réforme semble faciliter le processus de perception des redevances; les usagers se montrant souvent plus favorables à la tarification de l’eau dans la plupart des SI réformés (Zhou et Wei, 2000). Au milieu des années 1980, le taux de perception des redevances de l’eau ne dépassait pas les 30 % (Turner et Nickum, 1994). Il avoisine aujourd’hui, à l’échelle de la Chine, les 70 % (Huanget al., 2006b). Liaoet al. (2005) rapportent cependant des taux de perception très élevés dans certains SI réformés, tels ceux de Jinhuiqu (Shaanxi) et de Shijin (Hebei), les redevances y étant perçues, respectivement, à 97,3 et 98,6 %. Outre la disposition favorable des fermiers à l’égard de la tarification, l’augmentation des taux de perception des redevances s’explique aussi par la plus grande autonomie financière des nouvelles agences d’irrigation (Easter et Liu, 2005). Dépendant désormais presque exclusivement des redevances pour financer leurs opérations, les sous-traitants et les AUE ne peuvent pas se permettre de négliger cette activité. D’ailleurs, dans plusieurs SI, des systèmes de primes ont été instaurés pour récompenser les administrateurs percevant la totalité des redevances (Johnsonet al., 1998).

4.2 L’équité de la réforme

À ce stade, nous pouvons affirmer que lorsqu’elle est mise en oeuvre conformément à la loi, et non pas simplement de façon symbolique, la réforme des systèmes d’irrigation contribue à réduire le gaspillage de l’eau en milieu rural et facilite le recouvrement des coûts d’irrigation. La question maintenant consiste à déterminer si cette réforme est équitable, à savoir si son application tient compte des disparités entres les différents usagers, notamment en ce qui concerne leur volonté et leur capacité de payer. Pour ce faire, nous distinguons l’équité fiscale de l’équité distributionnelle, la première voulant que ceux à qui bénéficie la réforme paient davantage, et la seconde voulant que les gains récoltés à travers la mise en oeuvre de la réforme ne soient pas réalisés au détriment des groupes les plus vulnérables de la société (Ostromet al., 1993).

4.2.1 L’équité fiscale

Bien que l’instauration, en Chine rurale, du système de tarification de l’eau soit encore assez récente, les paysans ont de tout temps contribué au développement du secteur irrigué. Jusqu’à tout récemment, ils devaient participer, sans rémunération, à raison d’une douzaine de jours par année, aux travaux de construction des infrastructures hydro-agricoles (Vaidyanathan, 1999). Toutefois, du fait de problèmes organisationnels, l’entretien des infrastructures fut systématiquement négligé et les performances des systèmes d’irrigation chutèrent d’année en année, privant les paysans d’un apport en eau essentiel pour leur subsistance (Lohmaret al., 2003). Toute proportion gardée, les paysans recevaient donc peu de services par rapport aux efforts qu’ils investissaient dans l’exploitation des systèmes d’irrigation. C’est notamment dans le but de remédier à cette situation que les autorités décidaient de mettre en oeuvre cette réforme. D’abord, à travers la tarification, pour assurer le financement du secteur irrigué, ensuite, à travers la décentralisation, pour éviter que ne soit détourné vers d’autres secteurs le produit des redevances. Ainsi, à effort égal, les fermiers retireront plus de bénéfices ‑ sous la forme d’une amélioration des services de distribution ‑ dans les SI réformés, que dans ceux opérant encore sous le régime traditionnel. L’équité de ces mesures dépendra bien sûr de la façon dont sera mise en oeuvre la réforme; l’augmentation du prix de l’eau dans les SI, où les pouvoirs resteront concentrés entre les mains de cadres locaux corrompus, ne fera qu’augmenter le fardeau fiscal des ménages (Yanget al., 2003).

De l’avis de la plupart des experts rencontrés par l’auteur, lors de son séjour en Chine, l’augmentation du prix de l’eau est aujourd’hui inévitable. Le défi pour les autorités consiste à rendre socialement acceptable cette politique auprès des usagers. Dans plusieurs secteurs, les usagers acceptent depuis longtemps cette réalité. Par exemple, Day et Mourato (1998) rapportent que 84 % des personnes interrogées, dans le cadre de leur étude sur la volonté de payer des usagers en milieu urbain, se disaient prêtes à payer 10 CNY de plus par mois pour que soit améliorée la qualité de l’eau potable dans leur quartier. En milieu rural, contrairement à ce que pouvaient penser certains, la tarification de l’eau ne soulève pas l’indignation des populations (BM, 2002). Il semblerait même qu’une majorité de paysans accepterait que soit augmenté le prix de l’eau, à condition cependant que leur soit garanti le réinvestissement des sommes récoltées dans des programmes de modernisation des infrastructures (Lohmaret al., 2003). Selon l’enquête menée par Liaoet al. (2005) au Hebei, au Shaanxi et au Sichuan, le prix maximal pour lequel les fermiers se disent prêts à payer leur eau est estimé à 73,4 CNY/mu (Un mu équivaut à 1/15 d’hectare). C’est plus du double de ce que paient actuellement les paysans dans le SI de Shijin (Bhatiaet al., 2002). Les estimations produites par Huanget al. (2006b) sont aussi de cet ordre. Ils évaluent à 60 CNY/mu la volonté de payer des usagers au Hebei.

En fait, l’acceptation des usagers agricoles de payer plus pour leur eau n’est pas surprenante. Plus que quiconque, les paysans connaissent l’état de dépendance dans lequel ils se trouvent par rapport aux ressources hydriques. Ils savent aussi pertinemment, qu’à moyen terme, l’agriculture, et plus particulièrement l’irrigation, constitue le moyen le plus sûr d’améliorer leur quotidien. De plus, faut-il préciser que les usagers agricoles ne sont pas seuls à assumer le financement des projets de développements d’infrastructures hydrauliques. Au contraire, dans la plupart des SI desservis par des réservoirs multifonctions, les paysans ne financent qu’une mince partie des dépenses des offices de gestion. Dans le SI de Zhanghe, les revenus récoltés auprès des usagers agricoles ne représentent en moyenne que 10 % des recettes de l’OGZ, pourtant les paysans mobilisent chaque année plus de 70 % des volumes déversés à partir du réservoir de tête (Georgeet al., 2006). Les paysans ne portent donc pas seuls le fardeau de la pénurie d’eau. D’ailleurs, les économies d’eau réalisées par les fermiers ne serviront pas à approvisionner les villes. Plutôt, cette eau sera réutilisée par les paysans eux-même grâce, notamment, à la restauration des réservoirs de petite taille qui prolongent la présence de l’eau dans les réseaux de distribution et multiplient ainsi les possibilités de réutilisation de cette ressource en milieu rural (Loeveet al., 2004). En vérité, selon la plupart des projections faites par le gouvernement, la part d’eau allouée au secteur agricole demeurera constante au cours de 50 prochaines années (Wanget al., 2000). Les usagers ruraux n’auront donc ni plus ni moins d’eau qu’ils en reçoivent actuellement, toutes les nouvelles sources d’approvisionnement devant servir à alimenter les usagers des secteurs industriel et domestique.

4.2.2 L’équité distributionnelle

En 1992, Deng Xiaoping, alors qu’il était encore à la tête du pays, affirmait qu’il n’était pas dans l’intention du Parti communiste de soutenir l’enrichissement d’une classe aisée au détriment du reste de la population, la polarisation riches-pauvres étant absolument intolérable dans un régime socialiste (Chao et Dickson, 2001). Deng soutenait alors que les individus s’enrichissant le plus rapidement devaient supporter le développement et la croissance économique des segments défavorisés de la population, et qu’il était du devoir du gouvernement de mettre en place un régime fiscal favorisant ce type de transfert. Tel qu’il a été conçu, le système de tarification de l’eau en vigueur en Chine semble, à prime abord, respecter ces critères de justice et d’équité distributionnelle. Plutôt qu’être assujetti aux règles du marché, le prix de l’eau est déterminé par le Bureau des prix en fonction de la disponibilité de cette ressource dans chaque province et de la capacité de payer des usagers des différents secteurs. Ainsi, les tarifs imposés aux paysans sont-ils bien inférieurs à ceux chargés aux usagers des autres secteurs. En 2000, le prix moyen d’un mètre cube d’eau dans le secteur agricole était de 0,024 yuan (Zhou et Wei, 2000). La même année, l’eau se vendait, respectivement dans les secteurs industriel et domestique, 1,136 et 0,853 CNY/m3. Toutefois, derrière cette structure tarifaire apparemment équitable, se cachent de profondes inégalités.

D’abord, on remarque que les usagers ruraux consacrent, au paiement des redevances sur l’eau, une partie aussi importante de leur budget que leurs homologues urbains. Comme le révèle le tableau 8, les usagers domestiques du village de Beiwan, situé dans le Nord du Gansu, versent 2,02 % de leurs revenus pour régler leur facture d’eau. À Beijing, les ménages dépensent des sommes à peu près équivalentes, soit 1,83 % de leur revenu. Pourtant, les revenus des pékinois sont près de sept fois supérieurs. De plus, ils consomment près de cinq fois plus d’eau, alors que les ressources en eau disponibles dans le Nord-Est du pays sont deux fois moins abondantes (MRE, 2003). Ainsi, malgré leur forte capacité de payer et la rareté de l’eau à Beijing, les résidents de la capitale ne consacrent guère plus de ressources pour s’approvisionner en eau potable qu’ils ne le font pour l’obtention du téléphone (BUREAU NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2004). Au Gansu, à peine un ménage sur trois, vivant en milieu rural, possède un téléphone (BUREAU NATIONAL DE LA STATISTIQUE, 2004). Politiquement, le gouvernement justifie cette position par le fait qu’encore aujourd’hui, 312 millions de villageois n’ont pas accès à une source fiable d’eau potable (MRE, 2003). Les investissements requis pour remédier à cette situation se chiffrent dans l’ordre de centaines de milliards de yuans. Le Conseil d’État acceptait, dans le cadre du onzième plan quinquennal (2006-2010), d’en investir 40, le reste devant provenir des collectivités, d’où la nécessité de recouvrer partout les coûts d’approvisionnement en eau (Huanget al., 2006a).

Tableau 8

Habitudes de consommation et tarification de l’eau à Beijing et Beiwan (Gansu).

Consumer habits and water pricing practices in Beijing and Beiwan (Gansu).

 

Beijing

Beiwan

Consommation

 

 

-quotidienne (l/pers.)

237

57

-annuelle (m3/pers.)

86,5

20,8

Tarification

 

 

-tarif (CNY/m3)

2,95

2,00

-facture (CNY/pers.)

255,18

41,6

Revenus (CNY/pers.)

13 882

2056

Budget alloué à l’approv. en eau (%)

1,83

2,02

Source : BM (2002)

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Il en va de même en ce qui concerne les coûts d’irrigation. Selon Aubert et Li (2006), à l’échelle nationale, ces coûts, pour la culture du blé, représentent 10 % des coûts de production des agriculteurs chinois (Tableau 9). Yang et Zehnder (2001), suite à leur étude au Shandong, au Hebei et au Henan, évaluent à 9,8 %, 13,4 % et 10 % les coûts d’irrigation dans ces provinces. Bien qu’en dessous des prix du marché, ces coûts n’en demeurent pas moins considérables compte tenu des revenus des paysans chinois. À titre de comparaison, Wiebe et Gollehon (2006), du Département de l’agriculture des États-Unis, estiment à 2 % les coûts d’irrigation dans le mid-ouest américain. Au Canada, ainsi que dans la plupart des pays membres de l’Union Européenne, ces coûts sont encore plus négligeables, les agriculteurs ne pratiquant, dans la majeure partie des cas, qu’une irrigation d’appoint (Yang et Zehnder, 2001). Même en Chine, ces coûts s’avèrent disproportionnés comparativement à ce que paient les usagers des autres secteurs. Bien que nous possédions peu de données récentes à ce sujet, Nickum et Marcotullio (1999) estiment qu’à Beijing, les redevances versées par les usagers industriels ne comptent que pour 0,35 % de leurs coûts de production. Pourtant, une étude menée par la Banque mondiale et l’Institut de politiques publiques de l’Université George Mason, révèle que les usagers industriels seraient prêts à payer beaucoup plus pour s’assurer un approvisionnement en eau de qualité (Wang et Lall, 1999). Dans le secteur de l’électronique, ces chercheurs estimaient, en 1999, à 33,1 CNY/m3 la valeur marginale de l’eau.

Tableau 9

Décomposition des coûts d’irrigation du blé.

Irrigation costs of wheat production.

 

Chine

Henan

Wenxian

Rendement des cultures (kg/mu*)

340

395

500

Prix du blé (CNY/kg)

1,49

1,46

1,56

Revenus bruts des fermiers (CNY/mu)

506

579

780

Coûts de production (CNY/mu)

179

150

246

-semence

26

24

12

-fertilisants chimiques

67

44

94

-fumier

11

7

0

-pesticides chiniques

7

9

10

-machinerie

43

55

100

-irrigation

17

9

30

-divers

8

2

0

Revenus nets des fermiers (CNY/mu)

327

429

534

mu équivaut à 1/15 d’hectare

Source : Aubert et Li (2006)

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Conscientes de la précarité du développement en milieu rural, les autorités chinoises tentent néanmoins, à travers la création de différentes mesures de mitigation, de protéger les populations les plus pauvres des effets pervers de la tarification de l’eau. Ainsi, le prix de l’eau grimpe-t-il beaucoup plus rapidement dans les villes. À Beijing, par exemple, depuis six ans, les tarifs imposés aux particuliers ont plus que triplé (China Daily, 2006). Les usagers domestiques de la capitale paient aujourd’hui 3,7 CNY/m3 l’eau qu’ils consomment. En 1991, ils ne payaient que 0,12 yuan (Hou, 2001). D’ici quelques années, ils pourraient payer leur eau jusqu’à 7 CNY/m3, après l’achèvement, pour l’essentiel, des travaux de détournement d’eau entre le Changjiang et la Plaine de Chine du Nord (Département du commerce des États-Unis, 2005). Dans le secteur agricole, des hausses de cette ampleur ne sont pas à prévoir, l’objectif du gouvernement étant principalement d’assurer le recouvrement des coûts de fonctionnement des systèmes d’irrigation (Huanget al., 2006b). Par ailleurs, on remarque aussi, depuis quelques années, la volonté du gouvernement d’instaurer un système progressif de tarification de l’eau, de façon à inciter les ménages à revenus élevés à rationaliser davantage leur consommation d’eau (China Daily, 2005). Il s’avère, en effet, que la consommation d’eau des ménages urbains augmente à mesure que croissent leurs revenus (Tableau 10). Ainsi, en juin 2000, la ville de Shenzhen instaurait un système de tarification par tranches successives (Hou, 2001). Selon ce système, les ménages qui prélèvent plus de 30 m3 d’eau par mois paient pour chaque mètre cube supplémentaire le double du prix normalement chargé aux usagers domestiques. Si cette tendance se maintient, les populations aisées seront amenées à contribuer davantage au développement du secteur hydraulique.

Tableau 10

Revenus et consommation d’eau à Beijing (1999).

Income and water consumption in Beijing (1999).

Revenu mensuel des ménages (CNY)

Consommation quotidienne

(L/personne)

Budget alloué à l’approvisionnement en eau (%)

876

87

0,53

1 089

103

0,5

1 255

114

0,48

1 466

129

0,46

1 736

146

0,44

2 021

163

0,43

2 599

194

0,40

Source : Hou (2001)

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Enfin, la mise en oeuvre de la réforme des systèmes d’irrigation contribue elle aussi à rendre plus équitable le système de tarification de l’eau en Chine. Par exemple, il est rapporté, en de nombreux cas, que la création d’associations d’usagers a favorisé la résolution de conflits au sein de communautés d’exploitants agricoles (Lin, 2003; Nickum, 2005; Shahet al., 2004). En effet, fondées sur des principes démocratiques selon lesquels chaque usager, peu importe son statut, a le droit à un juste accès à la ressource, les AUE interviennent régulièrement pour protéger les droits des ménages les plus faibles, tels ceux constitués de femmes, de personnes âgées, ou de personnes handicapées. Les AUE se chargeant désormais du partage de l’eau et de la distribution de cette ressource dans les systèmes d’irrigation; ces ménages ne sont plus obligés de recourir à des gardes pour s’assurer que leur soit livrée leur eau. Pour ces ménages, cela représente une économie annuelle de l’ordre de 200 CNY (Nickum, 2005). Dans le cas des SI pour lesquels les services locaux d’irrigation ont été transférés à des particuliers, comme cela a été le cas au Shaanxi, plusieurs villages ont imposé aux sous-traitants des règles très claires, comme quoi aucun ménage ne peut être exclu du processus de partage de l’eau (Ehrensperger, 2004).

5. Conclusion

Dans l’ensemble, la mise en oeuvre de la réforme offre des résultats plutôt satisfaisants. On remarque en effet que dans la plupart des SI qui ont entrepris de réformer leurs modes de gouvernance, des économies d’eau ont été réalisées et les fonds disponibles au développement du secteur irrigué n’ont cessé d’augmenter. Toutefois, si l’on en juge par l’importance des coûts de transaction associés à la mise en oeuvre de la réforme, ces gains nécessitent des investissements considérables, sans doute beaucoup plus importants qu’estimés initialement par les autorités chinoises. Tout porte à croire néanmoins que, malgré ces coûts, le gouvernement central poursuivra son appui à la réforme. Mais pourrait-il en être autrement? À mesure que s’intensifie la pénurie d’eau en Chine du Nord, les alternatives disponibles pour résoudre ce problème se font de plus en plus rares et surtout, de plus en plus dispendieuses, cela peu importe qu’elles se rapportent au développement d’infrastructures ou d’institutions. Désormais, tout nouvel apport en eau ne pourra être réalisé qu’au coût d’importants investissements.