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1. Introduction

La forte consommation de médicaments à usage humain ou vétérinaire conduit inévitablement à leur présence dans les milieux aquatiques et par la suite dans les filières de production d’eau destinée à la consommation humaine (MIEGE et al., 2009). En effet, après l’ingestion par les patients, les médicaments sont excrétés soit en l’état, soit en partie métabolisés, puis se retrouvent dans le milieu environnemental via les réseaux d’assainissement. Le taux de métabolisation, la nature des métabolites et les performances d’élimination des stations d’épuration envers ces composés sont très variables et dépendent du principe actif (COLLODO et al., 2014).

Différents types de métabolites existent, et parmi eux les dérivés conjugués. Même si ces composés peuvent représenter 90 % des métabolites d’une molécule mère (Vidal 2013), la présence et le devenir de ces dérivés dans les eaux en cours de potabilisation ne sont que peu étudiés. À l’inverse, d’autres formes de métabolites résultant d’une modification irréversible de la molécule, les dérivés conjugués, peuvent subir une déconjugaison lors des traitements de potabilisation libérant à nouveau le principe actif. C’est pourquoi il est nécessaire de s’intéresser à ces molécules et en particulier les conjugués glucuronides. Des développements analytiques ont déjà été menés pour certaines de ces molécules dans le plasma ou les urines (TONOLI et al., 2012 ; WANG et al., 2012). Pour notre étude, une liste de dérivés conjugués a été établie en fonction du pourcentage de métabolisation de la molécule mère et des probabilités d’occurrence dans les eaux. Cette liste est constituée des septs médicaments et leurs dérivés glucuronides associés (oxazepam, paracétamol, ibuprofène, kétoprofène, diclofenac, gemfibrozil, acide salicylique). Afin de permettre leurs quantifications, certains standards non disponibles commercialement ont dû être synthétisés. Une nouvelle voie de synthèse en milieu aqueux a été explorée. Cette communication ne présente les résultats que pour deux d’entre eux, l’oxazepam et le paracétamol.

Les méthodes analytiques utilisées pour la quantification des médicaments dans les eaux sont souvent réalisées par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem, LC-MS/MS (CASTIGLIONI et al., 2005 ; GROS et al., 2012). La technique de SPE « on-line » est de plus en plus utilisée pour ces études (IDDER et al., 2013; LOPEZ-SERNA et al., 2010).

Une méthode d’extraction et une technique analytique performante, « on line SPE »-LC-MS/MS, a été développée pour quantifier ces principes actifs et métabolites glucuronides dans les eaux de surface et en cours de potabilisation. Cette étude devra à terme pouvoir évaluer les performances des filières pour l’élimination des formes conjuguées et le risque de libération de principes actifs dans les eaux destinées à la consommation humaine.

2. Matériels et méthodes

2.1 Produits chimiques et solvants

Les principes actifs et les deux métabolites glucuronides disponibles ont été achetés chez Sigma-Aldrich (France) sous forme de poudre. Le tableau 1 montre leurs formules développées. Des solutions mères ont été réalisées à 500 mg/L pour chaque composé dans du méthanol et stockées à -20 °C.

Tableau 1

Formules développées des molécules d’intérêt et leurs conjugués glucuronides

Structural formulas of the pharmaceuticals and their glucuronide conjugates

Formules développées des molécules d’intérêt et leurs conjugués glucuronides

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Les solvants utilisés pour la partie SPE et LC sont les suivants : l’eau Ultra-Pure (EUP) est produite par un système ElgaPureLab (18.2 MW.cm). L’acétonitrile (ACN), avec le cas échéant 0.1 % d’acide formique (AF), et du méthanol pour LC-MS de marque JT Baker.

2.2 SPE “on-line”-LC-MS/MS

Le système analytique consiste en un système SPE « on-line » développé par Waters et constitué d’un passeur d’échantillon 2777, d’une pompe quaternaire (Acquity BSM) et de deux colonnes Oasis HLB dont le fonctionnement en parallèle est assuré par deux vannes Everflow six positions (Waters) . La partie chromatographie liquide haute performance (Acquity, Waters) est équipée d’une pompe binaire, d’une colonne en phase inverse de chez Waters (Acquity C18 BEH, 100 mm x 2.1 mm ID, 17 μm) et thermostatée à 45 °C.

Le spectromètre de masse (Quattro Premier ; Micromass) est réglé avec les conditions suivantes : gaz de cône (N2, 50 L/h, 120 °C), gaz de désolvatation (N2, 750 L/h, 350 °C), gaz de collision (Ar, 0.1 mL/min), tension du capillaire (3 000 V). La source d’ionisation du spectromètre de masse est un Electrospray (ESI) qui est utilisé en mode positif ou négatif en fonction des composés pharmaceutiques. Pour nos analyses, le spectromètre de masse est utilisé en mode « multiple reaction monitoring » (MRM), l'ion parent à étudier est sélectionné dans le premier quadripôle puis fragmenté dans le second qui sert de cellule de collision. Le ou les ions fils sont ensuite isolés par le troisième quadripôle avant d’être détectés par un photomultiplicateur. Ce mode de fonctionnement présente une double sélectivité, au niveau des sélections de l'ion parent et de l'ion fils ainsi qu’une très grande sensibilité.

3. Résultats et discussion

3.1 Synthèse des dérivés glucuronides

Pour les essais de synthèse, deux molécules mères ont été choisies : le paracétamol et l’ibuprofène. Pour la synthèse de leurs dérivés conjugués, deux voies d’accès majeures sont pour le moment développées afin d’accéder aux paracetamol-b-D-glucopyranosiduronate et ibuprofen-b-D-glucopyranosiduronates. La première repose sur la glucuronylation du paracétamol à partir du trichloroacetimidoyle de glucuronide catalysée par un acide de Lewis. L’autre réside dans l’attaque nucléophile de la fonction acide de l’ibuprofène sur le bromure de glucuronyle afin d’introduire le lien 1b-acyle glucuronide. Concernant cette dernière synthèse, une nouvelle stratégie en milieu aqueux sera explorée. L’objectif sera i) l’acylation de l’acide glucuronique à l’aide d’un bio-catalyseur (lipase) ii) le couplage en milieu aqueux du glucuronate sur l’ibuprofène. L’objectif commun de ces approches est l’économie d’atome et la minimisation des solvants organiques. Les formules développées des principes actifs et de leurs conjugués sont représentées.

3.2 Analyses en SPE “on-line”-LC-MS/MS

Dans un premier temps, pour détecter et quantifier le paracétamol, l’oxazepam et leurs dérivés glucuronides, un gradient d’élution a été choisi partant à 90 % d’EUP et 10 % ACN pour arriver à 90 % ACN et 10 % EUP. Le temps d’analyse est de 8,5 minutes pour la partie SPE et de sept minutes pour la partie séparation chromatographique.

Pour la partie détection, les transitions ion parent-ion fils de chaque composé ont été déterminées en réalisant des infusions. Cela consiste à faire passer directement dans le spectromètre de masse une solution mère d’un composé cible à 5 mg/L. Cela permet de déterminer le mode d’ionisation (positif ou négatif) et les transitions ion parent-ion fils pour la détection et la quantification. Pour la plupart des composés, deux transitions ont été choisies, une pour la quantification (la plus intense) et une pour la confirmation. La figure 1 montre les chromatogrammes correspondant au paracétamol, l’oxazepam et leurs conjugués respectifs. Pour ces deux molécules, nous avons pu déterminer les limites de détection et de quantification dans l’EUP, elles sont respectivement comprises entre 2 et 5 ng/L et entre 10 et 20 ng/L respectivement.

Figure 1

Chromatogrammes du paracétamol, de l’oxazepam et leurs conjugués glucuronides

Structural formulas of the pharmaceuticals and their glucuronide conjugates

Chromatogrammes du paracétamol, de l’oxazepam et leurs conjugués glucuronides

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Des études préliminaires (CIMETIÈRE et al., 2013) ont montré que la prise en compte des effets de matrice est cruciale pour obtenir un résultat représentatif, ainsi la stratégie adoptée pour la quantification de nos molécules cibles est basée sur la méthode des ajouts dosés.

3.3. Analyses dans les eaux naturelles

Des prélèvements en entrée et sortie de six filières de production d’eau potable ont été réalisés en mai, juin et juillet 2014. De plus, le suivi de ces molécules a été réalisé après chaque étape de traitement d’une filière en juin 2014. Les moyennes des concentrations trouvées en entrée et sortie des six filières sont notées dans le tableau 2. Seul l’oxazepam-glucuronide n’est pas détecté dans les eaux de surface ou destinées à la consommation humaine. Le paracétamol-glucuronide et le paracétamol sont présents en entrée et sortie des six filières avec des moyennes de concentration élevées. On constate qu’en entrée de filières les concentrations en paracétamol glucuronide sont cinq fois plus élevées que celles du paracétamol : la moyenne des concentrations en entrée de filières est de l’ordre de 90 ng/L pour le paracétamol et de 530 ng/L pour son conjugué. En sortie de filières, le rapport entre les concentrations des deux molécules varie : les concentrations en paracétamol sont de l’ordre de 30 ng/L et de 100 ng/L pour son conjugué. Une des filières permet une élimination complète du paracétamol-glucuronide. Il faudra, dans la suite de l’étude, regarder plus précisément quelles sont les différentes étapes traitements utilisées dans chaque filière et leurs efficacités. Pour le moment seule une filière a été suivie. Celle-ci possède cinq étapes de traitement : Décantation, Réacteur CAP, Filtre à sable, Ultrafiltration et Chloration. Dans cette filière, une eau de surface subit une décantation avant d’être mélangée à de l’eau provenant de captages avec un taux de 50 %, pour ensuite poursuivre son parcours dans la filière. La Figure 2 montre l’évolution des concentrations de nos quatre molécules cibles dans l’eau en cours de potabilisation. Nous constatons la présence de trois molécules sur quatre en entrée de filière. La concentration en paracétamol-glucuronide est élevée : 605 ng/L. En sortie de filière, le paracétamol et son conjugué sont présents avec des concentrations respectivement de 50 ng/L et 190 ng/L. Le tableau 3 donne l’efficacité d’élimination des procédés présents dans cette filière. Le réacteur CAP est le procédé le plus efficace dans cette filière pour l’élimination de nos molécules avec des pourcentages d’élimination allant jusqu’à 95 % pour l’oxazepam.

Tableau 2

Moyennes des concentrations en ng/L en paracétamol, oxazepam et leurs conjugués quantifiés en entrée et sortie de filières

Averages concentrations in ng/L of paracetamol, oxazepam and their conjugates in the input and output of drinking water treatment plants

Moyennes des concentrations en ng/L en paracétamol, oxazepam et leurs conjugués quantifiés en entrée et sortie de filières

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Figure 2

Concentrations en paracétamol, oxazepam et leurs conjugués après chaque traitement d’une filière de potabilisation

Concentrations of acetaminophen, oxazepam and their conjugated metabolites after each treatment in a drinking water treatment plant

Concentrations en paracétamol, oxazepam et leurs conjugués après chaque traitement d’une filière de potabilisation

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Tableau 3

Caractéristiques des événements pluvieux du mois d’octobre 2012

Characteristics of rainfall events occurring during the month of October 2012

Caractéristiques des événements pluvieux du mois d’octobre 2012

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Conclusion

Les premiers résultats montrent que la technique analytique SPE « on-line »-LC-MS/MS permet d’analyser et de quantifier aussi bien les principes actifs que leurs conjugués glucuronides. Les temps d’analyse sont de 8,5 min pour la partie SPE et de 7 min pour la partie chromatographique, soit 16 min. Les limites de détection et de quantification obtenues pour le paracétamol, l’oxazepam et leurs conjugués sont comprises entre 2 et 5 ng/L et entre 10 et 20 ng/L respectivement. Les premières analyses réalisées montrent la présence de molécules cibles dans les eaux de surface et les eaux destinées à la consommation humaine de six filières de potabilisation d’eau. Seul l’oxazepam-glucuronide n’est pas retrouvé dans nos échantillons. Le suivi des concentrations en molécules cible dans l’eau en cours de potabilisation dans une des filières montre que, dans cette filière, le réacteur CAP est le procédé le plus efficace. Cependant, les rendements d’élimination ne sont que d’environ 35 % pour le paracétamol et son conjugué. Les campagnes de mesures en entrée et sortie de filières et les prélèvements de l’eau en cours de potabilisation sur chaque filière de notre étude vont se poursuivre pour obtenir plus de données pour déterminer les efficacités des procédés de traitement pour l’élimination de principes actifs et de ces métabolites. Cinq autres médicaments et leurs dérivés glucuronides vont être ajoutés au protocole pour élargir la gamme des principes actifs.