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1. Introduction

La contamination des eaux souterraines par les nitrates a été mise en évidence par plusieurs études sur différents aquifères en Algérie (KETTAB, 2005). Elle est souvent liée à l’activité agricole intensive et, d’une façon moindre, à l’élevage (ANRH, 1993).

Dans la vallée du moyen Cheliff occidental située dans le Nord algérien où l’activité principale tourne autour de l’agriculture et l’élevage, le risque de pollution par les nitrates menace la ressource hydrique.

Le présent travail permet de visualiser l’ampleur de cette pollution et de déterminer son origine ainsi que les principaux mécanismes qui la régissent.

2. Matériels et méthodes

2.1 Site d’étude

La zone d’étude est située au nord-ouest de l’Algérie, à environ 200 km à l’ouest d’Alger (Figure 1a). Elle est limitée au sud par le massif de l’Ouarsenis et au nord par les monts de Medjadja (flanc sud des monts du Dahra) et couvre les plaines depuis le seuil de Oum Drou à l’amont jusqu’au seuil de Boukadir à l’aval (Figure 1c). Elle occupe une superficie de 300 km2 dans le bassin du moyen Cheliff occidental (Figure 1b). Elle s’inscrit dans une fenêtre de 33 957 m x 22 529 m, dont les coordonnées sont (Lambert Nord algérien) :

Xmin = 353 861 m         Ymin = 306 513
Xmax = 387 818 m        Ymax = 329 042

Figure 1

Carte de situation de la zone d’étude.

Map of the study area.

Carte de situation de la zone d’étude.

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La région est caractérisée par un climat semi-aride avec des étés très chauds et des hivers froids. L’écart considérable (18 °C) entre la température maximale enregistrée au mois de juillet (29 °C) et la minimale au mois de janvier (11 °C) traduit une continentalité assez marquée, malgré la proximité de la mer; en effet, les monts du Dahra forment une barrière isolant le bassin du Cheliff de l’influence régulatrice de la Méditerranée sur une longueur de 70 km.

Le bilan hydrique établi pour l’année 2004 par la méthode de Thornthwaite (REMENIERAS, 1980) sur les données de la station pluviométrique de Chlef indique une évapotranspiration et un déficit hydrique assez élevés (1 023 et 673 mm respectivement), en parallèle avec une exploitation intensive des eaux souterraines à des fins agricoles. L’infiltration déduite du surplus d’eau constitue 7 % seulement des pluies totales (361 mm).

2.2 Contexte hydrogéologique

L’étude géologique, qui permet d’identifier les formations aquifères du moyen Cheliff occidental, est la synthèse des travaux effectués par PERRODON (1957) et MATTAUER (1958).

Ainsi, ce bassin renferme trois nappes souterraines avec des potentialités hydrogéologiques différentes (Figure 2a) :

  • les calcaires à Lithothamnium du Miocène supérieur qui affleurent le long de la limite sud de la vallée et qui passent sous les alluvions;

  • les grès du Pliocène qui affleurent entre les collines d’El Kherba à l’aval de Sobha et l’oued Ouahrane; ils sont en partie notamment entre l’oued Ras et l’oued Ouahrane recouverts par des formations Quaternaires anciennes;

  • les sédiments détritiques d’âge Sub-Pliocène Quaternaire formant le remblai de la vallée. Ces sédiments incluent des argiles et des marnes épaisses avec des lits de sables de graviers et de conglomérats.

Figure 2

Contexte géologique et hydrogéologique de la vallée du moyen Cheliff occidental.

Geological and hydrogeological context of the Western Mid-Cheliff valley.

(a)

(b)

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Cette dernière nappe, qui fait l’objet de notre étude, est exploitée avec un volume annuel moyen de 15,5 hm3 environ (ABH-CZ, 2004), dont 64 % est destiné à l’alimentation en eau potable, 31 % à l’irrigation et 5 % aux usages industriels.

Les descriptions lithologiques des forages (ANRH, 2004) indiquent qu’en dessous de la zone des sols, d’importantes couches de matériaux argileux (souvent décrits comme argile plastique ou compacte, argile limoneuse ou sableuse) sont localisées et dont les épaisseurs moyenne et maximale enregistrées sont de 23 et 50 m respectivement. Ce profil argileux épais se trouve dans une grande partie de la zone centrale de la vallée du moyen Cheliff occidental; ceci offre une faible perméabilité ne permettant pas une recharge suffisante de l’horizon aquifère.

Au contraire, sur les bordures de la vallée, des formations plus perméables constituent la zone non saturée; ainsi, des argiles schisteuses se trouvent au sud et des sables avec silts et argiles au nord, à l’est à et à l’ouest dans les plaines de Ouled Fares, de l’Abiadh Medjadja et de Sobha.

La limite inférieure est constituée de formations hydrogéologiques imperméables, argilo-marneuses du Miocène sur toute la superficie de l’aquifère.

La perméabilité moyenne des sédiments Plio-Quaternaires est égale à 5,10‑4 m•s‑1, les débits spécifiques sont en général supérieurs à 2 L•s‑1•m‑1 et peuvent atteindre 30 L•s‑1•m‑1 (SCET AGRI, 1984a).

Le réseau de surveillance qui compte 14 forages et 61 puits permet d’étudier l’évolution saisonnière des niveaux d’eau (basses et hautes eaux) et les variations chimiques de la masse d’eau.

La carte piézométrique établie pour le mois d’avril 2004 (Figure 2b) montre des courbes isopièzes fermées au centre de la plaine et ouvertes vers les bordures. Cela indique une alimentation à partir des bordures vers la plaine. Les lignes piézométriques perpendiculaires à l’axe de la vallée convergent vers le centre de la plaine avant de prendre une direction E-O parallèlement au cours de l’oued Cheliff. Des dépressions sont observées dans la basse vallée de l’oued Ouahrane dues à l’effet de pompages intensifs pour des fins agricoles.

En plus des eaux météoriques, la nappe reçoit une importante alimentation du sud à partir des calcaires lithothamniées Miocènes manifestée par un gradient fort (1,7 %) de direction sud‑nord. Elle reçoit une autre alimentation plus faible du nord à partir des zones de piémont appartenant aux formations Pliocènes avec un gradient de 0,8 % (ACHOUR, 1997). La part des eaux d’irrigation qui retourne à la nappe est évaluée à 20 % du volume total utilisé pour cet usage (SCET AGRI, 1984a).

2.3 Contexte pédologique

Les études pédologiques se rapportant à la vallée du Cheliff sont nombreuses (BOULAINE, 1957; SCET AGRI, 1984b). Il existe deux grands ensembles (Tableau 1) :

  • Les sols de piémont, observés uniquement sur les bordures de la vallée; ils sont toutefois bien représentés dans les plaines de l’Abiadh Medjadja et de Ouled Fares ainsi que dans l’extension ouest. Ils sont de texture équilibrée (25 % sable, 35 % limon et 40 % argile), profonds et bien structurés et présentent de ce fait une très bonne perméabilité.

    De plus, Il a été démontré la présence de lentilles sableuses (SCET AGRI, 1984b) (exceptionnellement aussi dans les plaines de Sobha et de l’Abiadh Medjadja où la perméabilité est importante).

    La forte perméabilité de ces sols (SCET AGRI, 1984b) a pour conséquence que le transport des eaux d’infiltration vers les couches profondes se fait très rapidement. Le temps de séjour de l’eau dans les horizons superficiels est très court, et les nitrates sont lessivés plus rapidement que la vitesse des processus biologiques (organisation microbienne, absorption par un couvert) ou de l’adsorption sur des minéraux argileux susceptible de les intercepter.

    Ces sols sont caractérisés par des teneurs moyennes en carbonates et par une faible salinité (CE < 2 dS•m‑1) (SCET AGRI, 1984b); toutefois, leur irrigation par des eaux minéralisées peut être responsable d’une salinisation secondaire.

  • Les sols de plaine, alluviaux, de texture généralement variable, localement tirsifiés (argileux). Les sols lourds (> 40 % d’argile en moyenne) sont importants sur les formations alluviales plus récentes telles que la plaine de Boukadir, nord-ouest de Oued Sly et sud-ouest d’Ech-Chettia; ils peuvent montrer des signes d’hydromorphie et de salinité (conductivités comprises entre 2 et 4 dS•m‑1 (SCET AGRI, 1984b)) liés à un drainage interne déficient, ce qui provoquerait la baisse de la perméabilité déjà très faible.

    Le rapport C/N pour les deux types de sols dénote d‘une bonne minéralisation, d’un faible taux d’azote minéralisable lié à la faible teneur en matière organique.

Tableau 1

Caractéristiques pédologiques des sols (Horizon de surface : 0-30 cm).

Soil characteristics (surface horizon: 0-30 cm).

 

 

% sable

% limon

% argile

K

Hénin

(cm/h)

% de MO

% de N

C/N

CaCO3 total

(%)

pH

Sols de plaine (sols alluviaux)

Sous-groupe modal*

10

48

42

> 0,5

0,6

0,032

11

20

8,34

Sous-groupe vertique**

12

40

48

0,2

0,8

0,049

9,5

21

8,33

Sols de piémont (sols colluviaux)

 

25

35

40

10

0,9

0,043

12

24

8

*

Les sols de ce groupe occupent la moyenne partie de la zone étudiée. Une très faible proportion d’entre eux situés à l’ouest de Chettia est marquée pour une légère hydromorphie et une certaine « salinité » en profondeur.

**

Observé en rive droite de la vallée, autour de la cuvette de Boukadir et dans la partie orientale de la plaine de l’Abiadh Medjadja.

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2.4 Occupation des sols

Les renseignements collectés auprès de la direction du service agricole de Chlef font état pour les domaines des terrains agricoles dont 65 % sont effectivement irrigués. L’arboriculture est la spéculation la plus importante du périmètre, plus particulièrement l’agrumiculture. Concentrée dans la partie centrale de la vallée, elle est irriguée à partir des lâchers du barrage de Sidi Yacoub sur l’oued Sly, affluent droit de l’oued Cheliff. Les concentrations moyennes annuelles des nitrates des eaux de ce barrage sont faibles (< 10 mg•L‑1) (ABH-CZ, 2004) et peuvent jouer le rôle de diluants.

Couvrant une superficie totale de 2 700 ha, le maraîchage occupe une seconde position d’importance et est localisé principalement à proximité des bordures de la vallée (l’Abiadh Medjadja, Ouled Fares, Sobha et Oum Drou). Leur irrigation est assurée par les eaux de puits individuels, de même pour les céréales qui s‘étendent sur 1 000 ha.

2.5 Échantillonnage et méthodes analytiques

Une campagne piézométrique et d’analyses chimiques a été effectuée en avril 2004 sur 49 puits irrégulièrement répartis (Figure 1c), après épandage de quantités importantes d’engrais azotés, notamment d’engrais de fond sur les cultures maraîchères (Figure 3a). Les profondeurs d’eau dans les puits varient entre 4 et 65 m avec une moyenne oscillant autour de 22 m et un écart‑type de 14 m.

Figure 3

Résultats de l’enquête sur les pratiques agricoles dans la vallée du moyen Cheliff occidental.

Results of the investigation into the agricultural practices in the Western Mid-Cheliff valley.

Résultats de l’enquête sur les pratiques agricoles dans la vallée du moyen Cheliff occidental.

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Les échantillons d’eau filtrés à 0,45 µm à l’aide des filtres seringues (SARTORIUS) sont pris dans des flacons en plastique (polyéthylène), préalablement rincés par l’eau filtrée de l’échantillon, conservés immédiatement dans une glacière portative avec une réserve de froid suffisante pour garder une température inférieure à 4 °C, jusqu’à l’arrivée au laboratoire des analyses physico-chimiques et bactériologiques des eaux de l’Algérienne Des Eaux.

Au laboratoire, ils sont mis au réfrigérateur et analysés dans les 24 heures suivant le prélèvement.

Les paramètre physico-chimiques (T, pH, conductivité) sont mesurés in situ à l’aide d’un appareil portatif multiparamètre (de marque HACH SensionTM 156) avec une sonde pH calibrée avec des solutions de pH connu de 4,01, 7,00 et 10,01.

L’analyse des éléments chimiques a été effectuée par les méthodes suivantes (RODIER, 1996) : le calcium, la dureté (TH), le magnésium, les chlorures et les bicarbonates par titrimétrie, le sodium et le potassium sont dosés par le spectrophotomètre d’émission de flamme (de marque Sherwood 410) sur les longueurs d’onde de 589 et 766,5 nm. Les sulfates et les nitrates sont dosés par un spectrophotomètre (de marque HACH DR/4000 modèle 48000) sur les longueurs d’onde de 420 et 415 nm. Les erreurs absolues estimées des différents paramètres chimiques et physico-chimiques sont identifiées dans le tableau 2.

Tableau 2

Les erreurs absolues estimées des différents paramètres chimiques et physico-chimiques.

Estimated absolute errors of the various chemical and physicochemical parameters.

EC

(%)

pH

T

(°C)

Ca2+

(mg/L)

Mg2+

(mg/L)

Cl-

(mg/L)

HCO3-

(mg/L)

Na+

(mg/L)

K+

(mg/L)

SO42-

(mg/L)

NO3-

(mg/L)

± 5

± 0,01

± 0,01

± 1

± 1,2

± 1,8

± 3

± 1,15

± 0,04

± 5

± 0,1

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Pour les différentes analyses, la balance ionique est inférieure à 5 %.

3. Résultats et discussion

3.1 Composition physico-chimique de l’eau de la nappe

Les eaux de la nappe sont très minéralisées (900 < EC < 8 700 µS•cm‑1), à tendance neutre (7 < pH < 8) avec une domination du sodium et du calcium pour les cations et du chlorure et du sulfate pour les anions.

La valeur moyenne de la dureté totale oscille autour de 110 °F classant ainsi ces eaux dans la catégorie des eaux très dures non recommandées pour l’utilisation domestique. Ce résultat confirme celui obtenu dans une étude antérieure (BETTAHAR et DOUAOUI, 2001).

3.2 Évolution spatiale des nitrates

Le variogramme expérimental moyen y (h) (Figure 4a) a été calculé sur une distance h de 28 000 m sans pour autant atteindre une portée. Cette dernière traduit la distance au-delà de laquelle il y a absence d’auto-corrélation entre les valeurs de la variable nitrate.

Figure 4

Variogramme, carte des écarts-types d’estimation et carte des nitrates établie par krigeage ordinaire (avril 2004).

Variogramme, a map of the standard deviations of the estimates and map of nitrates using ordinary kriging (April 2004).

Variogramme, carte des écarts-types d’estimation et carte des nitrates établie par krigeage ordinaire (avril 2004).

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Ce variogramme, qui décrit la structure spatiale des nitrates, a été ajusté à un modèle linéaire de 5 300 (mg•L‑1)2 d’effet de pépite de même ordre de grandeur que la variance, traduisant une variabilité locale très élevée (DOUAOUI et al., 2006).

La carte des écarts-types (Figure 4b) permet de représenter spatialement la qualité de l’estimation. Les valeurs les plus élevées se concentrent principalement dans la basse vallée de l’oued Ouahrane, les extensions nord-est et sud-est qui coïncident avec les zones à faible densité d’échantillonnage.

Il apparaît d’après la carte des nitrates établie par krigeage ordinaire (Figure 4c) que les zones les plus affectées (NO3 > 50 mg•L‑1) sont celles pour lesquelles le niveau d’intensification de la fertilisation azotée (zones de maraîchage) est le plus fort. Il s’agit des communes de Medjadja et de Sobha, de l’extension sud-est entre Oum Drou et Chlef et de la basse vallée de l’oued Ouahrane où les alluvions anciennes et les sols de piémont non tirsifiés sont caractérisés par les plus fortes perméabilités (K Hénin 10 cm•h‑1). La sensibilité de ces sols au phénomène de lessivage des nitrates est, par conséquent, très élevée. Dans ces mêmes zones, les pratiques d’élevage sont les plus intensives et les taux de raccordement aux réseaux d’assainissement les plus faibles.

Quant à l’extension sud-ouest (aval Oued Sly et cuvette de Boukadir), elle abrite des eaux à fortes teneurs en nitrates malgré la texture très fine de ses sols; ceci est dû à l’accumulation de la pollution suivant le sens d’écoulement de la nappe de l’amont vers l’aval hydraulique.

Les teneurs sont plus faibles au centre de la vallée, sous sols de texture fine, et dont la perméabilité varie entre 0,5 et 2 cm•h‑1. Ceci pourrait atténuer fortement la propagation des nitrates en profondeur (CHELOUFI et JACQUIN, 2000).

De plus, le profil argileux épais qui surmonte l’aquifère, dans la partie centrale de la vallée en particulier, et la hauteur d’infiltration annuelle assez faible (25 mm) caractérisant en général les zones semi-arides, semblent aussi jouer un rôle important dans ce sens.

3.3 Quantification des apports d’azote dans la zone d’étude

3.3.1 Apports par les engrais

Une enquête sur terrain auprès de 400 exploitations agricoles nous a permis d’élaborer un calendrier des pratiques culturales (dates, fertilisations) et d’estimer, par conséquent, les apports d’azote pour chaque type d’occupation des sols (Figure 3a). Les engrais chimiques industriels, et en particulier le NPK 15.15.15, sont prédominants pour la quasi-totalité des exploitations avec des doses moyennes annuelles de 500 kg•ha‑1 pour l’arboriculture et jusqu’à 1 000 kg•ha‑1 pour la pomme de terre, utilisé comme engrais de fond. D’autres engrais comme l’urée (46 %) et le sulfate d’ammonium (21 %) sont utilisés comme engrais de couverture avec des doses allant de 50 kg•ha‑1 pour les céréales à 600 kg•ha‑1 pour l’arboriculture et le maraîchage.

La quantité d’azote obtenue pour chaque type de culture (Figure 3b) est déduite du produit de la dose d’engrais qu’il reçoit par la superficie d’épandage correspondante.

3.3.2 Apports par l’eau d’irrigation

Les surfaces maraîchères et céréalières sont irriguées à partir des eaux de puits dont les concentrations en nitrates sont, pour la majorité, supérieures à la norme de potabilité (50 mg•L‑1) (BETTAHAR et DOUAOUI, 2007).

La pomme de terre constitue 70 % des cultures maraîchères et est irriguée à raison de 3 000 m3•ha‑1•an‑1. Les cucurbitacées constituent le reste et sont irrigués à raison de 2 500 m3•ha‑1•an‑1. Quant aux céréales, elles sont irriguées à raison de 1 000 m3•ha‑1•an‑1. Si on admet seulement une teneur de 50 mg•L‑1 de l’eau de puits, nous pourrons estimer la quantité d’azote apportée par cette eau en utilisant la formule ci-dessous :

XN représente la quantité d’azote annuelle apportée par l’eau d’irrigation (kgN•ha‑1•an‑1), [NO3] la concentration en nitrate de l’eau de puits (mg•L‑1) et Qirrig la quantité annuelle d’eau d’irrigation (mm•an‑1). Le chiffre 4,43 correspond au rapport de masses molaires NO3•N‑1.

La quantité totale d’azote apportée par l’eau d’irrigation pour l’année 2004 (Figure 3c) représente 3 % seulement de celle produite par les engrais azotés.

3.3.3 Apports à partir de l’élevage

Les exploitations d’élevage pour les différentes espèces animales (bovins, ovins, caprins et volailles) se concentrent en particulier sur les zones de piémont (dans les communes de Ouled fares, l’Abiadh Medjadja, Sobha et Boukadir). Le calcul des quantités totales annuelles d’azote organique engendré par l’ensemble de chaque catégorie animale durant l’année 2004 est basé sur les valeurs d’azote produit annuellement par tête pour chaque espèce, proposées par le CORPEN (1988, 1999 et 2001). Les résultats que nous avons obtenus montrent que plus de la moitié de cet azote organique est produit par les bovins.

3.3.4 Apports domestiques et industriels

Le taux moyen de raccordement des populations aux réseaux d’eaux usées est de 98 % à peu près pour les communes de Chettia et de Chlef et peut descendre à 66 % dans les zones de piémont (communes de Sobha, Boukadir, Ouled Fares et l’Abiadh Medjadja) où l’assainissement autonome (fosses sceptiques individuelles et collectives) est ainsi mis en évidence.

L’estimation de l’azote organique produit par les eaux usées domestiques est basée sur le contenu azoté du volume d’eaux usées domestiques des populations non raccordées au réseau d’assainissement. La quantité d’azote produit ainsi calculée ne constitue qu’environ 5 % de celle engendrée par l’élevage.

L’azote des effluents d’élevage et urbains évalué pour l’année 2004 représente environ 14 % de l’azote total (3 358 T) apporté sur les sols de la vallée du moyen Cheliff occidental pendant cette année.

Les décharges sauvages, souvent observées sur des terrains perméables, peuvent aussi véhiculer des quantités de nitrates importantes en profondeur à travers leurs lixiviats en l’absence totale de système d’étanchéité; des quantités difficilement quantifiables à ce stade d’étude.

L’évaluation des rejets industriels, tous non raccordés, s’avère complexe puisqu’aucune étude exhaustive sur la localisation de ces rejets n’est établie à ce jour.

3.4.5 Quantification de l’apport total en azote

La mise en culture à long terme dans la zone d’étude sans apport de matières organiques a causé, avec le temps, la diminution du taux de matières organiques dans le sol. Ceci est le résultat de l’augmentation très rapide de la vitesse de minéralisation par l’effet du climat semi-aride. La capacité du sol à fournir de l’azote par minéralisation diminue par conséquent.

L’azote apporté par l’agriculture (engrais et eau d’irrigation) durang l’année 2004 constitue 86 % du total d’azote apporté aux sols de la vallée du moyen Cheliff occidental. 97 % de ce dernier est attribué aux fertilisants azotés utilisés de manière intensive dans les cultures maraîchères, pomme de terre en particulier. Rapporté à la surface totale irriguée, cet apport (lié aux fertilisants) est évalué à 238 kg•ha‑1 pour cette année.

3.4.6 Effet des conditions pédoclimatiques sur l’apport total en azote

Si nous considérons la teneur moyenne en nitrate généralement rencontrée dans les eaux souterraines de la zone d’étude et qui oscille autour de 62 mg•L‑1, l’apport d’azote lui correspondant déduit de la formule précédente et qui constitue la part de pertes par lessivage pouvant atteindre la nappe, est évalué à 9,5 kgN•ha‑1•an‑1 (ce qui correspond à 4,6 % seulement du total d’azote (238 kgN•ha‑1•an‑1) apporté sur les sols de la vallée). Cet apport correspondrait à 63 kgN•ha‑1•an‑1 (soit 26,5 % du total) pour la teneur maximale enregistrée (350 mg•L‑1).

La quantité d’eau annuelle de recharge de la nappe, utilisée dans la formule pour le calcul de ces apports, est la somme de la lame d’eau moyenne infiltrée annuellement (25 mm) et de la part d’eau d’irrigation qui retourne à la nappe évaluée à 55 mm.

Les pertes d’azote sont aussi liées à l’absorption par la culture qui dépend de plusieurs facteurs, à savoir le climat (un temps ensoleillé et chaud améliore l’absorption de l’azote puisque la vitesse de la photosynthèse est plus élevée dans de telles conditions), la nature des cultures et leur stade de croissance (HAYNES, 1986b). Notons que l’azote du sol, provenant principalement de la minéralisation, est disponible pour les plantes tout au long de la période de leur croissance, contrairement à l’azote des engrais qui n’agit que sur une période bien spécifique. MACHET et al. (1987) notent que 40 % à 60 % de l’azote absorbé par les plantes provient de l’azote du sol.

La volatilisation est un autre processus qui contribue aux pertes d’azote par la transformation de l’ammonium (NH4+) en ammoniac (NH3). Si elle se produit à la surface du sol ou près de celle-ci, l’ammoniac, un composé gazeux, est relargué dans l’atmosphère et participe à l’effet de serre. Cette transformation peut être rapide et peut atteindre 40 à 50 % de l’azote appliqué dans les conditions de sol calcaire, de pH > 7,5 et de température élevée (TREMBLAY et al., 2001). Les conditions sont toutes réunies dans la zone d’étude lorsqu’un engrais à teneur élevée en ammonium, comme l’urée 46 %, est épandu sur les superficies des cultures maraîchères et des céréales.

Enfin, la dénitrification est un autre processus pouvant induire des pertes d’azote par la transformation des nitrates du sol en azote gazeux (N2) et en oxyde nitreux (N2O) (FIRESTONE, 1982).Ce phénomène, qui est très influencé par la disponibilité en oxygène (SMITH et TIEDJE, 1979), se produit dans les sols pauvres en oxygène, comme les marais, les sols tourbeux et les sols mal drainés. Il atteint son maximum dans les sols irrigués recevant une fertilisation azotée (BARTON et al., 1999) et est favorisé par des températures élevées (HENAULT et GERMON, 1995).

4. Conclusion

Les risques de pollution nitratée dans les eaux souterraines des vallées en climat semi-aride semblent étroitement liés aux conditions pédoclimatiques.

En effet, des quantités de l’ordre de 3 000 T en azote apportées annuellement aux sols de la vallée du moyen Cheliff occidental par les différentes pratiques exercées (agriculture, élevage et rejets domestiques), n’atteignent pas la nappe à cause du climat et des caractéristiques physico-chimiques du sol.

L’apport d’azote par minéralisation est faible à cause de la diminution, dans le temps, de la matière organique du sol en parallèle avec une augmentation de la vitesse de minéralisation par effet du climat semi-aride.

On a pu montrer que le lessivage des nitrates vers la nappe est faible à travers le calcul de la quantité d’azote qui pourrait engendrer les teneurs retrouvées dans la nappe (la teneur moyenne et la teneur maximale en particulier). Ceci est certainement dû à la faible recharge annuelle de la nappe (25 mm seulement), conséquence directe du climat semi-aride de la vallée du moyen Cheliff occidental et à la nature des sols dont la perméabilité reste assez faible (0,2 ‑ 0,5 cm•h‑1) sur de grandes superficies de la vallée, notamment au centre.

Les conditions pédoclimatiques de la zone d’étude semblent, d’autre part, propices à la volatilisation; en effet, le processus pourrait être favorisé sur les surfaces d’épandage de l’urée (46 %) par le pH des sols et la température élevés.

Le phénomène de dénitrification qui atteint son maximum dans les sols irrigués mal drainés recevant une fertilisation azotée (TREMBLAY et al., 2001) pourrait être aussi favorisé, dans notre cas, par la température élevée.

Il semble donc exister une compensation entre l’occupation des sols qui constitue des risques élevés pour la qualité des eaux souterraines de la zone d’étude et la nature des sols ainsi que le climat.

Ces deux facteurs favorisent des phénomènes pouvant induire des pertes d’azote importantes telles que l’absorption, la volatilisation et la dénitrification en parallèle avec un apport faible d’azote naturel par minéralisation.

Cependant, une fertilisation azotée intensive apportée sur des sols perméables augmenterait, dans le temps, le danger de contamination par les nitrates des eaux de la nappe Plio-Quaternaire du moyen Cheliff occidental.