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1. Introduction

L'eau est une ressource renouvelable menacée en permanence par des pollutions, entre autres, d'origines démographique, agricole et industrielle. L’accès à une eau de boisson saine est une condition indispensable à la santé, un droit humain élémentaire et une composante clé des politiques efficaces de protection sanitaire. L’Assemblée Générale des Nations Unies a déclaré la période allant de 2005 à 2015 Décennie internationale d’action « L’eau source de vie » (Organisation Mondiale de la Santé, 2004).

Le Maroc connaît actuellement une situation de stress hydrique (moins de 1 000 m3•hab‑1•an‑1) et devrait connaître une pénurie d'eau (moins de 500 m3•hab‑1•an‑1) après 2025. Les changements climatiques pourraient exacerber les impacts négatifs de la rareté, de la disparité spatio-temporelle et de la forte dégradation qui caractérisent les ressources en eau dans cette région semi-aride (TAZI et al., 2001).

Faits aggravants, l’exode rural avec sa conséquence de développement accéléré et la multiplication des quartiers anarchiques entraînent une prolifération de systèmes individuels d’assainissement inadéquat. Les chantiers d’infrastructure (routes, aménagements, urbanisation, industrialisation et tourisme, etc.) ont provoqué aussi une pression sur le service d’assainissement liquide et solide déjà mal organisé.

Par ailleurs, l’étang du bras mort de l’oued Martil, le centre de la zone urbaine de Martil et le conduit des rejets de la zone industrielle, se situant sur un aquifère de forte vulnérabilité intrinsèque, enregistrent un fort degré de risque de contamination (DRAOUI, 2007). L’utilisation de l’eau des puits s’est révélée très variée selon les ménages. L’eau est utilisée dans l’irrigation, l’abreuvage de bétail, comme eau ménagère et parfois comme eau de boisson dans certaines zones (Swani, Saquit Dfel, Oued El Maleh). Cette situation de risque de pollution urbaine des eaux souterraines et son probable impact sur la santé des consommateurs, ajoutée à une absence d’études sur la qualité microbiologique des eaux souterraines de la région, nous ont poussés à évaluer le degré de contamination microbienne de la nappe phréatique de la zone.

Des indicateurs de contamination fécale ont été dépistés : il s’agit des coliformes totaux (CT), coliformes fécaux (CF) et streptocoques fécaux (SF) du groupe D. Les CT sont utilisés depuis longtemps comme indicateurs de la qualité microbienne de l’eau parce qu’ils peuvent être indirectement associés à une pollution d’origine fécale. Les principaux genres inclus dans ce groupe sont : Citrobacter, Enterobacter, Escherichia, Klebsiella et Serratia. La presque totalité des espèces sont non pathogènes et ne représentent pas de risque direct pour la santé à l’exception de certaines souches d'Escherichia coli (E. coli) (Groupe scientifique sur l’eau, 2003). Les CT sont définis comme étant des bactéries en forme de bâtonnet, aérobies ou anaérobies facultatives, possédant l’enzyme ß-galactosidase permettant l’hydrolyse du lactose à 35 °C afin de produire des colonies rouges avec reflet métallique sur un milieu gélosé approprié. Certaines souches d'E. coli et de certaines bactéries pathogènes opportunistes peuvent causer de graves maladies chez les patients débilités.

Les CF (ou coliformes thermotolérants), sont un sous-groupe des coliformes totaux capables de fermenter le lactose à une température de 44,5 °C. L’espèce la plus fréquemment associée à ce groupe bactérien est E. coli et, dans une moindre mesure, certaines espèces des genres Citrobacter, Enterobacter et Klebsiella. La bactérie E. coli représente toutefois 80 à 90 % des Coliformes fécaux détectés. Bien que la présence de ces bactéries témoigne habituellement d’une contamination d’origine fécale, plusieurs coliformes fécaux ne sont pas d’origine fécale, provenant plutôt d’eaux enrichies en matière organique, tels les effluents industriels du secteur des pâtes et papiers ou de la transformation alimentaire (Groupe Scientifique sur l’eau, 2003). L’intérêt de la détection de ces coliformes, à titre d’organismes indicateurs, réside dans le fait que leur survie dans l’environnement est généralement équivalente à celle des bactéries pathogènes et que leur densité est généralement proportionnelle au degré de pollution produite par les matières fécales. Par ailleurs, les coliformes fécaux permettent de détecter une contamination fécale découlant par exemple d’infiltrations d’eau polluée dans les canalisations.

Les SF du groupe D sont susceptibles de contaminer les eaux d’approvisionnement. Ils sont plutôt typiques des déjections animales, comme Streptococcus bovis, S. equinus, S. gallolyticus et S. alactolyticus. Ces espèces colonisent le bétail, les chevaux et la volaille bien qu’elles peuvent parfois être présentes chez l’humain, en particulier S. bovis (Groupe scientifique sur l’eau, 2002).

La détection des streptocoques dans une nappe d’eau souterraine, d’une part, doit faire sérieusement soupçonner une contamination d’origine fécale et la présence de micro-organismes entéropathogènes. D’autre part, cette détection est fortement associée à la présence d’E. coli dans des réseaux de distribution approvisionnés par des eaux souterraines.

2. Matériel et méthodes

2.1 Description de la zone d'étude

Martil est une commune urbaine située au nord-ouest du Maroc (Figure 1). Elle s'étale sur une superficie de 33,50 km2, avec une population de 53 500. La commune est limitée par  la mer Méditerranée à l’est, la municipalité de M’diq au nord, les municipalités de Tétouan et El Malalyienne à l’ouest, et la commune rurale d’Azla au sud. Parmi les caractéristiques géographiques de la commune, il y a la plaine de Martil, d’un millier d’hectares, et sa nappe phréatique facilement exploitable par la population (FORUM URBAIN MAROC, 2006). La faible profondeur et la facilité d’exploitation des eaux souterraines de la commune ont poussé la population locale à exploiter l’eau de la nappe par des puits traditionnels de profondeur entre 1 et 4 m. L’aquifère de Martil est localisé dans un éventail de faciès détritiques plioquaternaires (marnes argileuses, sables, conglomérats, graviers). Selon HILALI et al., (2003), trois niveaux ont été distingués :

  • Niveau inférieur représenté, essentiellement, par des sables, graviers et conglomérats;

  • Niveau intermédiaire caractérisé par des sables argileux et parfois des argiles ou marnes;

  • Niveau supérieur représenté par des sables, graviers et limons.

Le climat de la région est méditerranéen. Les températures moyennes annuelles sont d’environ 18 °C. Les différences entre les maxima et les minima sont de l’ordre de 13 °C. La pluviométrie moyenne de la région se situe autour de 600 mm, irrégulière dans le temps et dans l’espace (Agence spéciale Tanger Méditerranée, 2010). Les précipitations dans la zone quelques années avant la présente d’étude ont été de 580,3, 558,8, 973,1 et 1 153,2 mm durant les périodes humides, et de 126,6, 298,8, 430,8 et 205,9 mm durant les périodes sèches des années 2006/2007, 2007/2008, 2008/2009 et 2009/2010 respectivement (ABHL, 2013).

2.2 Caractérisation des puits

Onze puits ont été sélectionnés dans la zone administrative de la commune de Martil et quatre autres puits appartiennent à la commune de Tétouan. Tous ces sites d’étude ont été nommés P1, P2, …, P15 (Figure 1). Ils constituent le réseau d'observation rationalisé en vue du suivi de la qualité de la nappe. Chacun de ces puits a fait l'objet, au préalable, d'une enquête portant sur :

  • Position par rapport aux sources estimées de contamination fécale : les puits P1, P2, P3, P4, P5, P6, P10, P11, P12 et P13 se trouvent dans des zones caractérisées par une présence importante de sources de pollution urbaine (fosses septiques non normalisées et leurs débordements, lac mort pollué, eaux usées jetées à ciel ouvert, ordures ménagères, rejets de l’abattoir et quartiers résidentiels). Les puits P7, P8, P9, P14 et P15 se trouvent dans des zones où les sources de pollution urbaine sont mineures. Il s’agit de zones pastorales ou agricoles non intensives.

  • Piézométrie, profondeur et usage actuelle des puits : Le niveau de la surface libre de l’eau a été mesuré. Toutefois, les différentes valeurs piézométriques enregistrées seulement une fois au mois 01/2011 ne peuvent être considérées comme valeur moyenne représentative de tout le système aquifère de la plaine, mais elles peuvent être indicatives. Le niveau de la surface libre de l’eau varie entre zéro mètre (l’eau affleure) et trois mètres. Les profondeurs des puits prospectés varient entre 3 et 8 m (les plus profonds se situent à la commune de Tétouan). Leurs diamètres varient entrent 1,20 m et 3 m. Ils sont équipés de margelles de hauteur entre 0,30 à 1,50 m et ils sont totalement ou partiellement couverts. L’eau est utilisée, selon les ménages, pour usage domestique, abreuvage du bétail, jardinage, ablutions et boisson.

Figure 1

Situation géographique de la zone d’étude au nord du Maroc avec position des puits étudiés dans la plaine de Martil (les puits sont désignés de P1 à P15)

Location of the study area in northern Morocco with the position of the studied wells in the plain of Martil (wells are designated P1 to P15)

Situation géographique de la zone d’étude au nord du Maroc avec position des puits étudiés dans la plaine de Martil (les puits sont désignés de P1 à P15)

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Les puits qui sont choisis sont strictement parmi ceux où on ne pratique pas la chloration. Toutefois, la chloration des puits dans la commune concernée n’est pratiquée par les propriétaires qu’à titre exceptionnel.

2.3 Prélèvement et transport des échantillons

Les campagnes de prélèvements ont été réalisées durant une année. Les prélèvements ont été effectués dans des flacons en verre stérilisés dans un four à 120 °C pendant 1 heure. Ces flacons ont été fournis par le Laboratoire de l’environnement de la division d’hygiène de la commune urbaine de Tétouan. Au niveau de chaque puits, on a réalisé un prélèvement d’un litre d’eau une fois tous les deux mois. Tous les prélèvements dans les puits ont été effectués après pompage de trois minutes pour prélever de l’eau profonde du puits. Pour les puits ne disposant pas de système de pompage, l’eau est prélevée à environ 50 cm de la surface libre de l’eau, et c’est la troisième levée de l’eau qui est retenue comme eau à analyser. Toutes les précautions ont été prises afin d'éviter d'éventuelles contaminations. Le transport au laboratoire a été effectué dans une glacière propre réfrigérée (4  °C). Les analyses ont été réalisées deux à cinq heures après échantillonnage, et un même prélèvement servait pour l’analyse des CT, CF et SF.

2.4 Analyses des échantillons

La méthode de filtration sur membrane a été utilisée. Un volume de 100 mL de l’échantillon d’eau est filtré et la membrane est incubée sur un milieu gélosé spécifique. Dans cette étude, le milieu gélosé lactosé au TTC-Tergitol a été employé pour le dénombrement des coliformes totaux et coliformes fécaux, la gélose de Slanetz et Bartley pour les streptocoques fécaux (HMID et al., 1997). L’incubation de ces milieux à 37  °C pendant 24 à 48 heures permet le dénombrement des coliformes totaux, streptocoques fécaux, et à 44 ± 0,5  °C pour les coliformes fécaux. Le dénombrement des colonies est ensuite effectué. Le résultat est exprimé en unité formant colonie (UFC) par unité de volume. Un total de 90 analyses a été réalisé pour chacun des trois groupes de germes considérés.

3. Résultats et discussion

Les figures 2, 3 et 4 présentent la concentration des micro-organismes recherchés dans les eaux de puits prospectés. Les concentrations dépassant 1 000 UFC•100 mL‑1 sont présentés, pour des raisons pratiques par le signe >1 000. Selon notre enquête, beaucoup de ménages utilisent l’eau de leurs puits pour la vaisselle, la douche, les ablutions, et même la boisson. NEJJARI (2007) a aussi relevé dans son travail que l’eau des puits de Martil est largement utilisée par les habitants comme eau potable. C’est pour cette raison que l’analyse des résultats est faite sur la base de la norme fixée pour la qualité de l’eau potable. Cette norme est fixée à zéro UFC•100 mL‑1 d’eau pour toutes les groupes microbiennes considérés (HMID et al., 1997).

Figure 2

Concentration des coliformes totaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

Concentration of total coliforms CFU•100 mL‑1 of water, during the analysis of well waters in the plain of Martil. (M-J: May-June; Jui-A: July-August; S-Oc: September-October; N-D: November-December; J-F: January-February; M-Av: March-April; P: well)

Concentration des coliformes totaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

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Figure 3

Concentration des coliformes fécaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

Concentration of faecal coliform CFU•100 mL‑1 of water, during the analysis of well waters in the plain of Martil. (M-J: May-June; Jui-A: July-August; S-Oc: September-October; N-D: November-December; J-F: January-February; M-Av: March-April; P: well)

Concentration des coliformes fécaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

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Figure 4

Concentration des streptocoques fécaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

Concentration of faecal streptococci in UFC•100 mL‑1 water during water analysis of wells in the plain of Martil. (M-J: May-June; Jui-A: July-August; S-Oc: September-October; N-D: November-December; J-F: January-February; M-Av: March-April; P: well)

Concentration des streptocoques fécaux en UFC•100 mL‑1 d’eau, durant la période d’analyse des eaux de puits de la plaine de Martil. (M-J : mai-juin; Jui-A : juillet-août; S-Oc : septembre-octobre; N-D : novembre-décembre; J-F : janvier-février; M-Av : mars-avril. P : puits)

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Il ressort des analyses effectuées que durant toute la période d’étude (une année), 100 %, 96,66 % et 92,22 % des analyses des CT, CF, SF respectivement ne répondent pas à la norme de l’eau potable. Quoique les concentrations des groupes bactériens dépistées dans l’eau des puits dépassent largement la norme prescrite pour l’eau potable, l’analyse a laissé dégager de relatives différences entre différents puits analysés. Ceci est dû probablement à leur emplacement par rapport à différentes sources estimées de pollution et/ou à la saison (humide ou sèche) durant laquelle se sont déroulées les analyses.

Pour cela, une concentration repère arbitraire de 200 UFC•100 mL‑1 de bactéries étudiées a été fixée afin d’éclaircir les résultats au niveau de différents groupes de puits (Figures 2, 3 et 4). Les pourcentages sont calculés sur la base des 90 échantillons analysés pour chaque groupe de bactéries dépistée (CT, CF, SF).

  • Les puits P1, P2 et P3 se trouvent dans le quartier Diza (Figure 1). Ce quartier souffre d’un manque total d’assainissement liquide (eaux usées à l’air libre et fosses septiques non normalisées), de grave défaillance d’assainissement solide, et entouré par le bras mort hautement pollué de l’oued Martil. Les concentrations dans ces puits dépassent le seuil de 200 UFC•100 mL‑1 dans 100 %, 61,11 % et 38,8 % des analyses des CT, CF et SF respectivement.

  • L’analyse des eaux de puits P4, P5 et P6 révèlent une concentration dépassant les 200 UFC•100 mL‑1 dans 83,33 % des analyses de CT. Seulement 16,66 % des échantillons dépassent 200 UFC•100 mL‑1 pour les deux groupes, CF et SF. L’équipement du quartier par un réseau d’assainissement (contrairement au quartier Diza) semble prévenir contre une pollution massive de ces puits.

  • Les puits P7, P8 et P9 se trouvent dans une zone verte non résidentielle, à caractère agricole non extensif, où les sources estimées de pollution de la nappe sont minimes. Les résultats des analyses semblent répondre à cette réalité en indiquant seulement 27,77 %, 16,66 % et 0 % échantillons supérieurs à 200 UFC•100 mL‑1, pour les CT, CF et SF respectivement.

  • Les puits P10 et P11 se trouvent au bord de l’oued Martil. Ils sont en aval de tous les polluants liquides de la ville de Tétouan versés dans la rivière. La zone non équipée de réseau d’assainissement liquide est connue pour son activité agricole et l’élevage. L’analyse de ces deux puits révèle durant toute l’année une forte contamination des eaux souterraines par les CT (100 % des échantillons dépassent les 200 UFC et même les 1 000 UFC de CT•100 mL‑1). Le dépistage révèle également que 41,6 % et 50 % des puits ont une eau de concentration dépassant 200 UFC•100 mL‑1 pour les CF et SF respectivement.

  • Quant aux puits P12 et P13, ils se trouvent dans un quartier à forte densité résidentielle (quartier Coelma). Le quartier se trouve juste sur la rive d’oued Martil. Il se trouve également en aval des polluants liquides versés dans la rivière. Quoique le site soit équipé de réseaux d’assainissement liquide, les résultats des analyses des puits indiquent une qualité médiocre de l’eau souterraine : 91,11 %, 25 % et 41,66 % des échantillons ont une concentration supérieure à 200 UFC•100 mL‑1, pour les CT, CF et les SF respectivement.

  • Finalement, les puits P14 et P15 se trouvent en amont de l’oued Martil, dans une zone ne subissant pas de pression polluante. Les résultats montrent 33,33 % et 16,66 % des échantillons dont la concentration dépassent 200 UFC•100 mL‑1 d’eau pour les CT et CF respectivement. Au niveau des mêmes puits, aucun échantillon ne dépasse les 200 UFC•100 mL‑1 pour les SF. En absence des sources majeures de pollution des eaux souterraines au niveau des puits P14 et P15, la contamination relevée pourrait émaner d’un comportement non hygiénique des usagers ou d’utilisation de matériel non propre (seaux, cordes, couvercles, margelles, manque d’hygiène personnelle, etc.), ou autre contamination exogène. Le petit nombre d’animaux élevés par les propriétaires des deux puits (ne dépassant pas cinq bovins et quelques ovins chacun selon notre enquête) peut également expliquer les résultats trouvés et influencer la qualité des eaux souterraine de la zone. La contamination des deux puits pourrait aussi résulter du transport du flux de bactério-polluants dans le bassin versant souterrain auquel ils appartiennent.

L’étude relève l’influence saisonnière probable sur le taux de contamination microbienne de la nappe phréatique de Martil. En effet, 52,27 %, 72,22 % et 91,66 % des échantillons qui dépassent 200 UFC•100 mL‑1 de CT, CF et SF, respectivement, ont été relevés durant la période sèche de l’année. L’augmentation du taux des bactéries indicatrices de la contamination fécale en période sèche pourrait être expliquée par l’élévation de température favorable à la multiplication des microbes dépistés. Durant la période humide, la température n’est pas optimale pour la prolifération des groupes microbiens suivis. D’autre part, et selon BAHIR et al. (2002), les conditions pluviales pourraient avoir un rôle de dilution dans la nappe phréatique et, par conséquent, la diminution de la concentration bactérienne dans l’eau. Les variations temporelles des concentrations des bactério-contaminants pourraient aussi trouver leur origine dans les variations des potentialités de rétention des bactério-contaminants par les particules de sol, suite aux changements saisonniers des propriétés de sol. L’autre origine pourrait aussi être les variations des propriétés abiotiques des eaux d’infiltration, ces propriétés impactant le transfert des bactério-contaminants de la surface de sol vers la nappe phréatique.

Dans la plaine de Martil, des études antérieures ont indiqué la contamination bactériologique de la nappe. DRAOUI (2007) a arbitrairement analysé la qualité des eaux de deux puits dans la zone de Cabo Negro appartenant à la commune de Martil. Cette zone est composée de complexes touristiques, d'hôtels, de lotissements à usage d'habitats secondaires, d'habitat rural et d'habitat non réglementaire. La zone est également caractérisée par l’absence d’un réseau d’assainissement public. Les caractéristiques hydrographiques et pédologiques de la zone des puits prospectés sont généralement les mêmes que celles de la nappe de Martil. L’auteur a noté la contamination d’un premier puits par 1 600 UFC de CT•100 mL‑1 et 100 UFC de CF•100 mL‑1; alors que le deuxième puits a été contaminé au degré de 90 UFC de CT•100 mL‑1 et 60 UFC de CF•100 mL‑1.

LHCEN (2008), en se basant sur la norme fixée pour la qualité des eaux souterraines, a déclaré dans son étude sur la nappe de Martil (sans préciser ni les lieux ni le nombre de puits) que 7,5 % des puits sont de mauvaise qualité (concentration supérieure à 2,104 CF•100 mL‑1), 75 % de qualité moyenne (concentration entre 2,103 et 2,104 CF•100 mL‑1), et 15 % de bonne qualité (concentration entre 2,101 et 2,103 CF•100 mL‑1). Toutefois, et selon l’auteur, la qualité excellente de l’eau souterraine, où la concentration serait entre 0 et 20 CF•100 mL‑1 est absente dans la nappe de Martil.

Dans d’autres régions du Maroc, la problématique de la pollution bactériologique des nappes phréatiques a été soulevée par d’autres chercheurs. EL ASSLOUJ et al. (2007) ont montré dans la région de Chaouia, les origines différentes de la contamination des eaux souterraines; celle-ci est due essentiellement à l’utilisation des eaux usées à des fins d’irrigation et à leur infiltration continue. Leur étude a démontré l’impact de la pollution généralisée sur la qualité des eaux souterraines.

D’autres chercheurs ont confirmé l’impact de la pollution urbaine et agricole sur la qualité des eaux souterraines. MOUKOLO et GAYE (2001) ont conclu dans leur étude que l'accroissement de la population à la périphérie des grandes villes des pays africains et les pollutions générées mettent de plus en plus en péril les nappes phréatiques alimentant en eau les populations. Les auteurs ont observé dans leur étude, menée à Brazzaville au Congo, que la pollution est essentiellement bactériologique et elle est due en particulier à une contamination d'origine fécale. Selon NOLA et al. (2006), la plupart des bactéries des eaux souterraines proviennent par l’infiltration des eaux de surface vers les eaux souterraines. MAKOUTODE et al. (1999) ont révélé dans leur étude que du point de vue quantitatif, sur l’ensemble des eaux de puits analysées, la moyenne des colonies dépassait 105 UFC•100 mL‑1, et tous les puits prospectés étaient plus ou moins pollués. Les espèces identifiées étaient E. coli (31 %), Klebsiella (15 %), Salmonella spp (9 %), Citrobacter (41 %), Enterobacter (5 %) puis Enterococcus (100 %).

D’autres études incriminent d’autres facteurs qui aggravent la contamination des eaux souterraines. Selon DRAOUI (2007), les années pluvieuses montrent, dans la partie Est de la plaine de Martil, un fort degré de vulnérabilité. Le reste du secteur se caractérise par un degré de vulnérabilité généralement moyen.

DEGBEY et al. (2011) précisent que la faible profondeur de la nappe ajoutée à la nature des sols et la perméabilité de l’aquifère exploité étaient les preuves de la vulnérabilité des eaux des puits. BABA-MOUSSA (1994) estime que l'extension de la pollution bactérienne dans la nappe phréatique, à partir des fosses septiques, devrait s'exprimer non pas seulement en matière de distance, mais plutôt en matière de distance et direction prenant en compte, entre autres, les variations de la direction de l'écoulement général de la nappe phréatique. La nappe de Martil serait plus vulnérable à l’est, car le sens de l’écoulement des eaux souterraines s’effectue de l’ouest vers l’est généralement en direction de la mer Méditerranée (HILALI et al., 2003).

Les CT, CF et SF dépistés dans la présente étude sont des groupes de bactéries indicatrices de la contamination fécale, et la gravité réside dans le fait que plusieurs autres pathogènes microbiens, viraux ou parasitaires, plus ou moins graves, pourraient être associés à ces indicateurs dans l’organisme humain ou/et animal et causer ainsi des épidémies. MARTIN et al. (1994) précisent que les agents pathogènes de ces épidémies ou zoonoses pourront être Enterovirus, Rotavirus, Salmonella, Vibrio cholerae, Shigella, Campylobacter jejuni, Balantidium coli, Giardia lamblia, Cryptosporidium, entre autres. Toutefois, l’enquête parallèle menée dans ce cadre indiquerait l’impact négatif sur la santé humaine et animale des eaux de puits pollués par les bactéries indicatrices de la contamination fécale. Le centre de santé de la ville de Martil a informé sur la présence de cas de diarrhées chez les usagers des eaux de puits sans toutefois confirmer une relation cause/effet concernant eaux de puits et diarrhées au niveau de la région. L’unique laboratoire des analyses médicales de la ville a affirmé, de sa part, la présence très importante de parasitoses gastro-intestinales pouvant provenir, entre autres, des puits pollués. Malheureusement, le manque d’archivage et de statistiques rigoureuses chez les différents responsables sanitaires enquêtés (centre de santé, médecins, vétérinaire et laboratoire privés) ne laissent pas dégager des résultats détaillés et concrets sur l’impact des eaux polluées sur la santé humaine dans la zone d’étude. L’unique vétérinaire privé exerçant à Martil a déclaré pour l’enquête que l’abreuvage par les animaux des eaux de puits pollués causerait les diarrhées néonatales des veaux, les diarrhées et la mort des poussins, surtout durant l’été. De plus, selon le vétérinaire, les médicaments vétérinaires administrés aux animaux avec des eaux de puits pollués perturbent la bonne efficacité des substances médicamenteuses.

4. Conclusion

Le développement urbain et infrastructurel de la ville de Martil (nord-ouest marocain) sans accompagnement par un assainissement liquide et solide adéquats, semble avoir eu un effet néfaste sur la qualité de l’aquifère de la commune. La qualité de l’eau au niveau microbiologique est inacceptable, et vu que l’eau de la nappe est utilisée largement pour différents besoins ménagers, y compris la boisson, les ablutions et la cuisine. De hauts degrés de contamination ont été relevés au quartier informel Diza qui est entouré par le bras mort de l’oued Martil, et au niveau des zones longeant la rivière. La consommation de ces eaux présente un risque sanitaire à court terme pour les populations. L’équipement de la ville en système d’assainissement liquide, l’interdiction de rejets anarchiques des eaux usées domestiques et industrielles, la surveillance et la chloration régulières des eaux souterraines pourraient significativement réduire le degré de contamination bactériologique des eaux de puits de la région étudiée.