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1. Introduction

Les effluents hospitaliers se distinguent des effluents urbains classiques par leur richesse en détergents et désinfectants, leur radioactivité, leur forte teneur en germes multi-résistants aux antibiotiques, et la présence de résidus médicamenteux spécifiques des activités hospitalières. L’ensemble de ces caractéristiques est à l’origine, depuis une dizaine d’années, de nombreux travaux de caractérisation. Dans ce contexte, notre laboratoire s’est penché en priorité sur la caractérisation de l’écotoxicité des effluents, en général très forte, notamment en raison de l’usage massif de désinfectants et de certains détergents toxiques dans les hôpitaux. Cet article présente les différentes étapes de cette caractérisation, depuis la sélection d’une batterie de bio-essais appliquée en premier lieu aux effluents des Hospices Civils de Lyon, jusqu’aux travaux plus récents sur la bioaccumulation des résidus médicamenteux dans les chaines trophiques des milieux aquatiques récepteurs. Sur cette base, des recommandations de gestion sont effectuées à destination des gestionnaires.

2. Matériels et méthodes

2.1 Caractérisation de l’écotoxicité des effluents hospitaliers

Pour améliorer la connaissance de ces effluents sur le plan de leur écotoxicité, et de l’évolution de celle-ci au cours d’une journée normale d’activités, différentes campagnes de prélèvements ont tout d’abord été effectuées sur les rejets d’hôpitaux des Hospices Civils de Lyon (HCL) (BOILLOT et al., 2008; EMMANUEL et al., 2005). Les modalités de prélèvements retenues pour la caractérisation de ces rejets, lors d’une campagne réalisée en 2006, furent les suivantes: (i) un échantillon moyen-24h, prélevé au cours de la période 13 h – 13 h, (ii) cinq échantillons « périodiques », correspondant à des échantillons moyens sur cinq périodes de la journée : 13 h – 17 h, 17 h – 23 h, 23 h – 5 h, 5 h – 9 h et 9 h – 13 h.

Les organismes cibles retenus dans la batterie de bioessais étaient les suivants : le microcrustacé Daphnia magna (inhibition de la mobilité en 24 h et 48 h), la bactérie Vibriofischeri (inhibition de la luminescence en 15 et 30 min), l’algue Pseudokichneriella subcapitata (inhibition de la croissance en 72 h), le microcrustacé Ceriodaphnia dubia (inhibition de la mobilité en 24 h et 48 h, inhibition de la croissance en sept jours et inhibition de la reproduction en sept jours), le rotifère Brachionus calyciflorus (inhibition de la reproduction en 48 h) et la lentille d’eau Lemna minor (inhibition de la croissance en sept jours).

2.2 Etablissement d’une liste de médicaments bioaccumulables prioritaires

L’établissement de cette liste a été effectué en deux étapes (JEAN et al., 2012). Le premier travail a consisté en l’établissement de la liste de l’ensemble des médicaments consommés dans l’ensemble des hôpitaux des HCL. Ce travail a été effectué en collaboration avec la pharmacie centrale des HCL. Dans un deuxième temps, nous avons identifié parmi ceux-ci, et à l’aide de bases de données internationales, les médicaments dont le facteur de bioconcentration (BCF) théorique était supérieur à 1000. Enfin, à l’aide de trois critères de sélection supplémentaires (quantité consommée, biodégradabilité, et écotoxicité), nous avons sélectionné une liste finale de 14 molécules considérées comme prioritaires à caractériser expérimentalement (JEAN et al., 2012).

2.3 Évaluation des risques écotoxicologiques

Dans l’objectif d’évaluer les risques écotoxicologiques liés à cette catégorie particulière de résidus, nous avons développé trois méthodes complémentaires : (i) une méthode basée sur le calcul du quotient de risque « PEC/PNEC » (Predicted Environmental Concentration/Predicted No Effect Concentration) pour chacun des principaux polluants présents dans les effluents. Cette méthode a notamment été appliquée à l’effluent d’un hôpital des HCL (EMMANUEL et al., 2005 ; BOILLOT et al., 2008); (ii) une méthode basée sur le calcul d’un quotient de risque « % d’effluent présent dans le milieu/% d’effluent acceptable ». Cette méthode a été appliquée au même effluent que précédemment; (iii) une méthode couplant le calcul des concentrations en polluants bioaccumulables dans les organismes, aboutissant à l’estimation d’un Body Residue (BR), et la réalisation d’essais d’écotoxicité (cytotoxicité et génotoxicité) sur des cultures cellulaires des mêmes organismes, permettant le calcul d’un Critical Body Residue (CBR). Cette dernière approche a été appliquée à un des médicaments prioritaires, le « mitotane », pour un scénario d’étude correspondant aux rejets de l’ensemble des hôpitaux de Lyon dans le fleuve Rhône.

2.4 Étude expérimentale de la bioaccumulation (cas du tamoxifène)

La première étape de ces travaux a porté sur l’étude de la bioconcentration du tamoxifène, correspondant également à un des médicaments prioritaires ci-dessus, chez une micro-algue verte unicellulaire, Pseudokirchneriella subcapitata, représentant le premier maillon de chaines trophiques. Pour étudier la dynamique de bioconcentration de cette molécule dans les micro-algues, nous avons exposé ces dernières pendant sept jours à une solution de 100 µg/L de tamoxifen15N (isotope stable dans les conditions du test) (DELLA GRECA et al., 2006; JEAN et al., 2012). A t = 0, 12 h, 24 h, 48 h, 144 h et 168 h, les algues ont été centrifugées, puis plongées dans l’azote liquide et lyophilisées. Le ratio isotopique des lyophilisats a ensuite mesuré par analyseur élémentaire couplé à un spectromètre de masse à ratio isotopique (EA-IRMS) pour évaluer l’enrichissement en 15N, synonyme de présence de tamoxifène.

3. Résultats et discussion

3.1 Caractérisation de l’écotoxicité des effluents hospitaliers

3.1.1 Échantillon moyen

Pour l’échantillon moyen étudié, on constate que les réponses de chacun des bioessais sont très différentes (Figure 1). Les CE20 (Concentration Efficace pour 20 % des organismes) mesurées sont comprises entre 0,7 % (reproduction de B. calyciflorus) et supérieure à 100 % (croissance de la lentille d'eau L. minor relativement au nombre de frondes). Les CE20 sont cependant majoritairement inférieures à 20 %. L'effluent est donc toxique, voire très toxique pour les organismes testés en regard de la classification proposée par SANTIAGO et al. (2002) pour la classification de la qualité écotoxicologique des effluents de station d'épuration (STEP). Les essais menés par ailleurs sur échantillons bruts et filtrés, à l’aide des deux bioessais qui le permettent (Daphnia magna et Lemna minor) révèlent la forte toxicité liée à la phase particulaire des effluents étudiés. La toxicité des échantillons bruts est en effet, jusqu’à dix fois supérieure à celles des échantillons filtrés (résultats non présentés ici).

Figure 1

Écotoxicité de l’échantillon moyen pour les différents organismes testés (d’après BOILLOT et al., 2008) [Dm : Daphnia magna, Vf : Vibriofischeri, Ps : Pseudokichneriella subcapitata, Cd : Ceriodaphnia dubia, C : croissance, R : reproduction, BC : Brachionus calyciflorus ; Lm : Lemna minor ; NF : nombre de frondes ; SV : surface verte ; * : CE20 non-atteinte]

Ecotoxicity of the average sample for the different organisms tested

Écotoxicité de l’échantillon moyen pour les différents organismes testés (d’après BOILLOT et al., 2008) [Dm : Daphnia magna, Vf : Vibriofischeri, Ps : Pseudokichneriella subcapitata, Cd : Ceriodaphnia dubia, C : croissance, R : reproduction, BC : Brachionus calyciflorus ; Lm : Lemna minor ; NF : nombre de frondes ; SV : surface verte ; * : CE20 non-atteinte]

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3.1.2 Échantillons « périodiques »

Les résultats montrent l’évolution de l’écotoxicité des échantillons périodiques au cours d’une journée normale d’activités de l’hôpital étudié (Figure 2). L’échantillon correspondant à la période d’activité 9 h – 13 h s’est révélé le plus écotoxique.

Figure 2

Écotoxicité des effluents au cours d’une journée d’activités (d’après BOILLOT et al., 2008).

Hospital wastewater ecotoxicity along a mean day

Écotoxicité des effluents au cours d’une journée d’activités (d’après BOILLOT et al., 2008).

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3.2 Établissement d’une liste de médicaments prioritaires

Parmi les 960 médicaments consommés au sein des HCL, la procédure de hiérarchisation décrite ci-dessus (JEAN et al., 2012) a tout d’abord abouti à une liste de 80 molécules les plus bioaccumulables (BCF > 1000). Dans un deuxième temps, l’ajout des critères complémentaires (quantité consommée, biodégradabilité et écotoxicité) a permis la sélection de 14 molécules dites « prioritaires » (Tableau 1).

Tableau 1

Les 14 médicaments prioritaires des effluents hospitaliers (d’après JEAN et al., 2012). ATC = Classe anatomique, thérapeutique et chimique

14 priority pharmaceuticals in hospital wastewater

Les 14 médicaments prioritaires des effluents hospitaliers (d’après JEAN et al., 2012). ATC = Classe anatomique, thérapeutique et chimique

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3.3 Évaluation des risques écotoxicologiques

L’application de la méthode « PEC/PNEC » à chacune des molécules identifiées dans l’effluent de l’hôpital étudié a conduit à un quotient de risque de 0,109 (BOILLOT et al., 2008). L’application de la méthode « %/% » à l’effluent de l’hôpital étudié a conduit à un quotient de risque de 0,029 (BOILLOT, 2008). L’application de la méthode « BR/CBR » au mitotane, pour un scénario d’exposition correspondant au rejet de l’ensemble des effluents des hôpitaux de la ville de Lyon dans le fleuve Rhône (BRACKERS de HUGO, 2013), a conduit à un quotient de risque de 0,056 lorsque le critère pris en compte pour la mesure de la toxicité du mitotane est la cytotoxicité, et à un quotient de risque de 6,8 lorsque le critère pris en compte est la génotoxicité. Ces valeurs sont nettement plus importantes que le quotient de risque calculé pour la même molécule avec l’approche classique « PEC/PNEC » (Q = 0,0006), montrant ainsi l’intérêt de la prise en compte des molécules bioaccumulables dans l’évaluation des risques.

3.4 Étude expérimentale de la bioconcentration (cas du tamoxifène)

Dans la figure 3, nous présentons la dynamique de bioconcentration du tamoxifen dans les algues pour une concentration initiale dans l’eau de 100 µg/L. Ces résultats nous montrent que, immédiatement après contact (moins d’une heure), la bioconcentration du tamoxifen dans les algues est très importante (jusqu’à 10 000 fois plus que dans l’eau). On observe ensuite une teneur dans les algues qui augmente encore jusqu’à un maximum de 2,6 mg de tamoxifen par gramme d’algues sèches. Ensuite, en raison de la dilution dans la biomasse, la teneur en tamoxifen dans les algues diminue puis se stabilise, mais à des teneurs qui restent élevées (500 µg/g) (ORIAS et al., 2013).

Figure 3

Teneur en tamoxifène dans les micro-algues en fonction du temps (µg/g) (concentration nominale dans l’eau de 100 µg/L)

Tamoxifen content in microalgae as a function of time (µg/g)

Teneur en tamoxifène dans les micro-algues en fonction du temps (µg/g) (concentration nominale dans l’eau de 100 µg/L)

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Conclusion et perspectives

Les travaux effectués ont montré la forte écotoxicité des effluents hospitaliers, leur variabilité au cours d’une journée normale d’activité, ainsi que les risques qu’ils présentent pour les écosystèmes aquatiques. Concernant les résidus médicamenteux, ils ont mis en évidence la nécessité de la prise en compte des médicaments bioaccumulables lors de l’évaluation des risques écotoxicologiques. Sur la base de l’ensemble de ces résultats, des réflexions ont été engagées en vue de la réduction des risques, via le traitement à la source (remplacement de certains désinfectants toxiques, réduction des consommations de détergents, collecte des urines dans certains services,…) et/ou le prétraitement avant rejet au réseau urbain (décantation des particules,…). Le développement de ces recherches est en cours au sein des HCL ainsi que sur le site pilote SIPIBEL, situé en Savoie (74), et récemment crée en collaboration avec d’autres partenaires scientifiques, ainsi qu’avec divers acteurs en charge de la gestion de ce type d’effluents.