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1. Introduction

La région de Rabat-Salé-Zemour-Zaër, à laquelle appartient le bassin versant du Bouregreg, représente au Maroc un espace essentiellement pastoral dans ses parties intérieures montagneuses et une zone agro-pastorale en aval. À l’instar de la plupart des bassins versants du Maroc atlantique, la question de la vulnérabilité des sols à l’érosion occupe une place importante dans les stratégies tendant à augmenter la productivité agricole et à assurer l’amélioration des parcours des pâturages publics.

L’objectif de ce travail est de mettre en évidence la vulnérabilité de ces sols liée à la forte pression agricole dans un contexte de topographie de montagne, d’une part, et à leurs expositions aux averses automnales durant la période de labour et de semis, marquée par une quasi-absence de végétation, d'autre part.

2. Matériel et méthodes

L’analyse de l’occupation du sol est basée sur l’exploitation des images Landsat ETM+ de 2006 et TM de 1987. Une classification dirigée par la méthode du maximum de vraisemblance a été effectuée. Il s'agit de la méthode jugée la plus performante par de nombreux auteurs dont Bonn et Rochon (1993). L’utilisation d’une image spot 5 (très haute résolution) de 2010 a facilité la classification supervisée. Pour étudier la relation culture/pente sur le bassin vervant, la carte d’occupation du sol a été couplée à un modèle numérique d’élévation de type SRMT (Shuttle Radar Topography Mission).

Le suivi de la variabilité saisonnière du couvert végétal a été possible grâce à l’utilisation des images décadaires du capteur Végétation de SPOT sur la période 1999-2009. Avec un pixel de 1 km de résolution, ces images conviennent parfaitement aux études de suivi de la végétation à l’échelle de l’ensemble du bassin versant puisque les principales caractéristiques de ce capteur sont optimisées pour le suivi global de la végétation (Brouet al., 2005, Ehrliche et Lambin, 1996).

L’effet des pluies automnales sur les terres à faible couverture végétale est étudié à partir de l’analyse de la covariation des précipitations saisonnières automnales et du niveau de couverture végétale, estimé par la mesure du NDVI (indice de végétation normalisé). Le NDVI exprime l’activité chlorophyllienne, la densité du feuillage et, par effet indirect, le stress hydrique d’une surface végétale (Lambin, 1997; Lambin et Estrahler, 1994; Robin, 2002).

Pour analyser l’évolution des hauteurs pluviométriques des mois automnaux (septembre, octobre et décembre), nous avons utilisé l’indice de Nicholson basé sur l’écart à la moyenne, rapporté à l’écart-type (Servat et al., 1997). Les indices ont par la suite été lissés par des moyennes mobiles de trois ans afin de mettre en évidence les tendances. Les données utilisées sont celles de la station synoptique de Rabat, située dans la partie aval du bassin versant sur le littoral atlantique. Elles proviennent de la Direction de la Météorologie Nationale du Maroc.

3. Résultats et discussion

3.1 Évolution de l’occupation des sols entre 1987 et 2006

Quatre classes d’occupation du sol ont été retenues : eau, espace boisé, culture et sol nu ou habitat (Figure 1a). D’une façon générale, le bassin versant se structure en deux parties. Une zone très agricole, en aval, dominée par la céréaliculture et une zone plus boisée, en amont. Les espaces boisés connaissent des évolutions importantes, notamment en aval du bassin versant. Ces évolutions se font au profit des zones de cultures (Brouet al., 2011). Sur l’ensemble du bassin versant, entre 1987 et 2006, 15 % des surfaces boisées ont été transformées en espaces agricoles (Figure 1b).

Figure 1

Figure 1a

Occupation du sol sur le bassin versant du Bouregreg (Occupation du sol en 2006).

Land cover in the Bouregreg watershed (Land cover in 2006).

Occupation du sol sur le bassin versant du Bouregreg (Occupation du sol en 2006).

Figure 1b

Occupation du sol sur le bassin versant du Bouregreg (Évolution des espaces boisés entre 1987 et 2006).

Land cover in the Bouregreg watershed (Evolution of wooded spaces from 1987 to 2006).

Occupation du sol sur le bassin versant du Bouregreg (Évolution des espaces boisés entre 1987 et 2006).

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3.2 Superficies cultivées et pentes

La prise en compte du modèle révèle une fragilité de ces espaces agricoles. En effet, le couplage de la carte d’occupation du sol avec la carte des pentes (Figure 2) permet de calculer que 39 % des surfaces (soit 11 % de la superficie du bassin versant) cultivées sont situées sur des pentes de 5 à 10 %. Sur les pentes de 10 à 20 %, on retrouve près de 24 % des espaces de cultures (soit 7 % de la superficie du bassin).

Figure 2

Relation culture / pente sur le bassin versant du Bouregreg.

Relationship between crops and slope in the Bouregreg watershed.

Relation culture / pente sur le bassin versant du Bouregreg.

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3.3 Effets des pluies automnales sur les terres à faible couverture végétale

Durant la période d’automne, des hauteurs de pluies importantes peuvent tomber sur des sols dénudés (Figure 3). En 2002, par exemple, alors que les zones de cultures présentaient un indice de végétation encore faible (NDVI <0,3) durant le mois de novembre, des quantités particulièrement importantes de précipitations (350 mm pour le seul mois de novembre) sont tombées sur ces sols. Cette situation rend ces sols à faible végétation vulnérables à l’érosion, surtout ceux situés sur des terrains en pente.

Figure 3

Hauteurs de pluie et NDVI durant les mois d’automne entre 1999 et 2009 sur le bassin versant du Bouregreg.

Rainfall and NDVI during the autumn months from 1999 to 2009 in the Bouregreg watershed.

Hauteurs de pluie et NDVI durant les mois d’automne entre 1999 et 2009 sur le bassin versant du Bouregreg.

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Laouinaet al. (2004) ont trouvé que ce sont les pluies d’automne qui comportent les intensités les plus fortes. Et c’est durant cette saison que l’on décèle une tendance au changement. En sélectionnant les journées de pluie de plus de 5 mm de la station de Rabat, la moyenne des hauteurs journalières, sur les trois dernières décennies, indique, en effet, selon leurs études, un regain très net de concentration, entre 1994 et 2004, avec une hauteur d’eau moyenne qui s’élève à 20,4 mm•j‑1 de pluie, alors que ce chiffre tournait autour de 14 depuis 1973. Ils indiquent, par ailleurs, que les journées pluvieuses réellement intenses en automne (> 30 mm) sont au nombre de 28, en 30 ans. Sept d’entre elles ont été enregistrées en 2002, trois en 1999 et deux en 2000. L’année 2001 a eu des pluies plus tardives (en décembre), mais tout aussi concentrées que les années de la période 1994-2004. L’automne 2002, à lui seul, a enregistré une pluviosité mensuelle record de plus de 400 mm.

À l’échelle mensuelle, l’analyse de la série pluviométrique de Rabat sur la période 1950 à 2005 révèle également une tendance à l’augmentation des pluies automnales. Cette tendance est constatée depuis la fin de la décennie 1990 et le début de la décennie 2000. La figure 4 montre, en effet, une tendance à la hausse pour les mois d’octobre et novembre entre 1994 et 2005. L’absence de données au-delà de 2005 ne permet pas de dire si cette tendance se poursuit actuellement. Le mois d’octobre est particulièrement excédentaire à partir de 1998. Cette période contraste avec ce qui est observé de 1950 à 1998, marquée par une alternance de déficit et d’excédent. Les mois de septembre et de novembre ne présentent pas les mêmes évolutions. Le mois de septembre est marqué par une évolution différente, une baisse des hauteurs précipitées étant enregistrée à partir de 1996.

Figure 4

Variabilité pluviométrique des mois d’automnes entre 1950 et 2005 à la station de Rabat.

Rainfall variability during the autumn months from 1950 to 2005 at the Rabat station.

Variabilité pluviométrique des mois d’automnes entre 1950 et 2005 à la station de Rabat.

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4. Conclusion

Le bassin versant du Bouregreg constitue un milieu vulnérable à l’érosion à cause de la progression des activités agricoles, notamment céréalière et de parcours des pâturages publics sur des terrains en pente forte. Ces sols ont été particulièrement exposés à de fortes pluies d’automne entre 1999 et 2005. Sur la période 1950-2006, pour laquelle nous disposons des données, on note, en effet, un changement dans le régime des précipitations à partir de 1999, particulièrement pour le mois d’octobre, marqué par des excédents pluviométriques importants. Ce nouveau contexte pluviométrique est susceptible d’augmenter le risque érosif durant l’automne.