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1. Introduction

Depuis plusieurs décennies, des centaines de milliers de personnes ont été atteintes annuellement par une catastrophe naturelle (BASHER, 2006; GOLNARAGHI, 2012), résultat d’une augmentation de la fréquence des aléas naturels et environnementaux sur les populations vulnérables, et d’une croissance de l’exposition des enjeux face à ces aléas (CARDONA et al., 2012). Malgré une hausse générale des coûts associés à l’occurrence des désastres (GOLNARAGHI, 2012; HALLEGATE, 2012; McSHARRY, 2014) estimés en moyenne à 169,7 milliards de dollars ($US) par année dans la dernière décennie (GUHA-SAPIR et al., 2016), la mise en place de systèmes d’alerte précoce (SAP) dans certaines approches de gestion des risques a permis de diminuer le nombre de personnes atteintes (FAKHRUDDIN et CHIVAKIDAKARN, 2014; HAQUE et al., 2012; UNISDR, 2006b).

Un SAP permet la cueillette d’informations sur une circonstance ou un aléa potentiellement dangereux, et permet une préparation anticipée pour réduire le risque (BASHER, 2006). Son but est de maximiser le nombre de personnes qui prennent une action appropriée à temps pour être en sécurité (LANDIS, 2003). Il vise à protéger des vies, mais aussi les infrastructures et l’environnement (BOWMAN et al., 2014). Le SAP se définit comme un « ensemble de capacités nécessaires pour générer et diffuser des informations significatives d’alerte en temps opportun pour permettre à des individus, des communautés et des organisations menacés par un aléa de se préparer et d’agir de façon appropriée et en temps suffisant pour réduire la possibilité de dommages ou de pertes » (UNISDR, 2009). En théorie, il est mis en place dans la plupart des pays et pour la plupart des aléas naturels hydrométéorologiques et géologiques (GRASSO, 2014; UNEP, 2012; UNISDR, 2006a).

Si un certain succès des SAP apparaît dans la littérature grâce à l’apport des technologies de pointe qui permettent un suivi de plus en plus précis des processus (COOLS et al., 2016; OMM, 2010), la plupart des pays en développement et plusieurs pays développés ne possèdent que peu ou pas de systèmes aux capacités opérationnelles à la hauteur des attentes théoriques. Comme le dit GLANTZ (2004) « il n’y a pas de SAP parfait, sauf sur papier ». Dans les faits, près d’un cinquième de la population mondiale n’a pas accès à l’électricité (IEA, 2015), d’où la difficulté à promouvoir un SAP basé uniquement sur la technologie. La vulnérabilité des populations et de leur environnement, pouvant être définie comme étant l’ensemble des caractéristiques, circonstances et propensions à l’endommagement des communautés, la rendant susceptible de subir les effets d’un danger (LÉONE et al., 1996; UNISDR, 2009), n’est donc pas toujours réduite. Ce sont surtout des problèmes de communication limitant la diffusion de l’information entre les composantes du SAP et les personnes à risque qui sont en cause (BAUDOIN et al., 2014; SORENSEN, 2000). Ces contraintes remettent en question l’application habituellement technocentée des systèmes d’alerte, bien que l’inefficacité de ces approches soit une évidence depuis les années 90 (MILETI et SORENSEN, 1990). Elles soulèvent également des interrogations quant à la façon absolue de rendre ces systèmes opérationnels et efficaces afin de diminuer la vulnérabilité des populations face aux aléas naturels et environnementaux. Est-il opérationnellement possible de rendre les SAP totalement efficaces ?

L’objectif de cet article est de dresser un portrait des facteurs influençant l’efficacité des SAP pour la gestion des risques naturels et environnementaux à partir d’une revue des principaux travaux scientifiques et publications d’organismes internationaux portant sur l’implantation des SAP. De plus, ce travail est justifié dans un contexte où les gouvernements sont interpellés par l’efficacité des systèmes en place et que la recherche est vue comme un moyen essentiel pour faire avancer les connaissances sur les pratiques de sécurité civile, sur les risques naturels et aussi sur les technologies associées aux SAP (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 2014). Les SAP font l’objet depuis les années 40 des tumultes des paradigmes dominants de la gestion des risques (MANYENA, 2012). Ce travail positionne dans un premier temps (section 2) les SAP dans leur contexte et soulève les questionnements actuels sur leur application. La section 3 présente le fonctionnement des SAP ainsi que les contraintes à leur efficacité pour réduire la vulnérabilité tant du point de vue des composantes technologiques et sociales que des approches de mise en opération. Les principaux moyens de quantification de l’efficacité des SAP ainsi que les paramètres et contraintes qui l’affectent sont explicités. Enfin, en section 4, les enseignements tirés de cette revue de littérature sur l’utilisation des SAP dans divers contextes sociopolitiques et géographiques et pour une variété d’aléas permettent de proposer un modèle conceptuel pour diminuer la vulnérabilité des populations et de l’environnement à l’aide d’un SAP dans un contexte de changements environnementaux et à l’ère des conventions internationales prônant des approches participatives (WAHLSTRÖM, 2015).

2. Évolution des systèmes d’alerte précoce

Selon l’UNISDR (2009), un aléa naturel est un « processus ou phénomène naturel qui peut causer des pertes de vies humaines, des blessures ou d’autres effets sur la santé, des dommages aux biens, la perte de moyens de subsistance et de services, des perturbations socio-économiques, ou des dommages à l’environnement ». L’UNISDR intègre les aléas environnementaux, naturels et technologiques au sein de la même classification (Tableau 1). Dans un contexte de SAP, la cinétique du processus (KOUADIO et DOUVINET, 2015; UNISDR, 2015) divise les aléas en deux classes : soudains et lents (Tableau 1). Diffuser une alerte qui permet à une personne de fuir doit tenir compte de la vitesse de développement de l’aléa, et ce paramètre est essentiel à l’efficacité d’un SAP qui implique des actions humaines (ZOMMERS et SINGH, 2014).

Tableau 1

Principaux aléas naturels et environnementaux qui affectent les populations et leur environnement en fonction de la cinétique du processus.

Principal types of natural and environmental hazards affecting populations and their environment based on their kinetics

Principaux aléas naturels et environnementaux qui affectent les populations et leur environnement en fonction de la cinétique du processus.

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Dans les années 1940, les catastrophes étaient vues comme des évènements « naturels limités aux forces de la nature » (QUENAULT, 2015). Questionnant les idées dominantes et aléa-centrées à propos des désastres, WHITE (1945) instaure une vision socionaturelle des risques, accusant les humains de stagner en zones inondables. Son travail est précurseur de l’actuelle Stratégie internationale de réduction des désastres sous l’égide des Nations Unies (UNISDR). L’auteur mentionne déjà à l’époque que les habitants d’une plaine inondable se doivent de recevoir une alerte aussi rapide que possible afin d’évacuer ou d’apporter des mesures de précautions (WHITE, 1945).

Pour McLUCKIE (1970), l’alerte sert surtout à la préparation avant sinistre pour les personnes et les communautés, suggérant « que l’aspect important d’une alerte réside dans ses composantes sociales et humaines, plutôt que dans un quelconque élément technologique ou d’ingénierie ». FOSTER (1980) ajoute que la technologie et la coopération des acteurs forment un système complexe de prise de décision à l’oeuvre avant la détection de la menace, mais qui ne se termine qu’une fois les actions entreprises par les gens vulnérables. Ceci peut se réaliser, selon WALKER (1989), par un réseau de communication qui fournit le message au bon moment : or, comme s’interroge l’auteur, « qui devrait informer qui pour faire quoi? »

Dans les années 1970 et 1980, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA) a largement contribué à l’essor et la reconnaissance des besoins en SAP, surtout pour les crises alimentaires (CAMPBELL, 1990; ENTEN, 2010). En 1989, l’ONU adopte une résolution portant sur la Décennie internationale pour la prévention des catastrophes naturelles 1990-1999 (DIPCN). Ce cadre d’action a comme premier objectif d’atténuer les impacts des catastrophes naturelles, entre autres en se dotant de SAP (NATIONS UNIES, 1989). Reconnaissant d’emblée la vulnérabilité des populations, notamment celles des pays en développement, cette assemblée générale de l’ONU ouvre plutôt la porte à une décennie résolument technocentrée, comme le souligne explicitement chacun des cinq objectifs du cadre d’actions. La DIPCN vise à diminuer les impacts des désastres en « veillant particulièrement à aider les pays en développement à évaluer les dégâts possibles en cas de catastrophe » tout en les aidant à se doter « de structures résistantes aux catastrophes » (objectif 1), en « mettant au point des orientations et stratégies appropriées pour appliquer les connaissances scientifiques et techniques actuelles » (objectif 2), en « encourageant les initiatives scientifiques et techniques » (objectif 3), en « diffusant des informations sur les techniques » (objectif 4), et en faisant la promotion de « programmes d’assistance techniques et de transfert de technologies » (objectif 5) (NATIONS UNIES, 1989). Sous l’ère de la DIPCN des Nations Unies, c’est grâce à de l’aide extérieure qu’est souhaité le développement des communautés vulnérables.

Comme le remarquent TOZIER DE LA POTERIE et BAUDOIN (2015) dans une analyse de la Stratégie de Yokohama de 1994, qui était la première Conférence mondiale pour la prévention des catastrophes naturelles des Nations Unies, on voit dans la DIPCN l’approche d’une gouvernance par l’État d’une gestion de risque centralisée faisant la promotion de SAP conceptualisés et implémentés par l’État. Cet État se base sur le savoir des scientifiques afin d’émettre des alertes qu’ils contrôlent. DURAGE et al. (2013) témoignent de ce type d’approche pour les alertes aux tornades en mentionnant que Sécurité publique Canada, dans sa Stratégie nationale d’atténuation des catastrophes, fait la promotion des connaissances scientifiques et des meilleures pratiques d’ingénierie afin de promouvoir l’atténuation des aléas. Par contre, même si la préparation face à l’événement vise à diminuer le risque encouru par les populations, celles-ci sont exclues du processus de préparation. Dans un tel cas, les connaissances scientifiques et du risque ne sont pas transmises à toutes les parties prenantes. Ce processus n’est pas viable dans les pays où les populations sont les plus vulnérables, où les SAP sont souvent appliqués de façon décentralisée ou entièrement par les communautés (UNISDR, 2006a), c’est-à-dire opérés au niveau local et non gouvernemental (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2006).

Les débats autour de la prévention des désastres demeurent d’actualité après des décennies de travaux portant sur la conceptualisation des SAP (Tableau 2). Leur mise en opération semble difficile pour tous les types d’aléas en raison d’une « implémentation coincée » (ZIA et WAGNER, 2015) entre un mécanisme de gouvernance provenant des autorités vers les communautés (top-down) et une vision centrée vers la communauté promulguant de plus en plus l’approche participative (bottom-up). Le SAP technocentré, aléa-centré, de type top-down et basé uniquement sur des modèles et des données scientifiques, a été dominant jusqu’au début des années 2000 alors que plusieurs aléas importants, comme le tsunami d’Asie du Sud-Est de 2004, se sont transformés en désastres en raison de manques de communications dans le système d’alerte (GARCIA et FEARNLEY, 2012; McADOO et al., 2006). Ainsi, c’est seulement depuis le Cadre d’action de Hyogo 2005-2015 (CAH) établi par les Nations Unies qu’une véritable transition s’établit, celle-ci visant une réduction de la vulnérabilité et une préparation face aux aléas. Les systèmes d’alerte centrés vers les personnes et les communautés forment alors le coeur de la proposition des Nations Unies. Selon GOLNARAGHI (2012), le CAH aurait changé la direction du paradigme de réduction des risques de désastres en établissant, grâce à la proposition d’un cadre de travail pour l’implémentation des SAP globaux pour tous les aléas, la prévention et la préparation comme principaux moteurs de la gestion des risques. Un SAP basé sur une approche misant sur la réduction de la vulnérabilité nécessite de bien définir ce concept complexe, utilisé par différentes disciplines et dans divers champs d’application dont la définition porte parfois à confusion (PAUL et ROUTRAY, 2013; FÜSSEL et KLEIN, 2006; ADGER, 2006).

Tableau 2

Certaines contributions majeures à l’avancement des connaissances et à la conceptualisation des systèmes d’alerte précoce (SAP)

Some major contributions to the advancement of knowledge on early warning systems (EWS) and their conceptualization

Certaines contributions majeures à l’avancement des connaissances et à la conceptualisation des systèmes d’alerte précoce (SAP)

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De manière générale, la vulnérabilité se définit par la probabilité que les communautés ou les personnes souffrent des effets négatifs des aléas (BOWMAN et al., 2014). Elle est influencée par plusieurs facteurs sociaux, technologiques ou décisionnels (SOULÉ, 2011). Le GIEC (2012) mentionne que « les personnes et les populations sont plus ou moins exposées et vulnérables selon les inégalités exprimées par le niveau de richesse et d’instruction, les handicaps éventuels ou l’état de santé, ainsi que selon le sexe, l’âge, la classe et d’autres particularités sociales et culturelles ». La vulnérabilité est généralement qualifiée par ses caractéristiques socio-économico-politiques et le contexte socio-spatial (vulnérabilité sociale), la répartition et l’organisation du cadre bâti (vulnérabilité physique) ainsi que la sensibilité biophysique de l’écosystème (vulnérabilité naturelle ou écologique ou biophysique selon les auteurs) (CUTTER, 1996; CUTTER et EMRICH, 2006; SZLAFSZTEIN et STERR, 2007). La composante psychologique est très importante, mais souvent sous-estimée (ex. stress post-traumatique et rétablissement) (SURJAN et al., 2016). La vulnérabilité dépend aussi de la capacité d’adaptation (ADGER, 2006), mais aussi de la capacité de réponse aux aléas (GALLOPIN, 2006). La capacité d’adaptation intègre l’ensemble des stratégies d’adaptation tant à l’échelle locale que nationale ainsi que les réponses faces aux aléas et les ajustements postsinistres mis en place pour augmenter la résilience de l’écosociosystème (DOLAN et WALKER, 2003). La vulnérabilité peut donc s’exprimer comme étant la fonction de l’exposition E, de la sensibilité S (degré d’exposition) et de la capacité d’adaptation D du système humain à s’ajuster aux aléas ou changements sous la forme V = F[E(D), S(D)] (HOGARTH et al. (2014) ou bien V = F[E, S] / capacité d’adaptation.

Pour être efficace et diminuer la vulnérabilité, le SAP doit ainsi agir sur l’exposition et/ou la sensibilité en considérant la capacité adaptative du système en place au fur et à mesure que le système dynamique s’ajuste dans le temps. Cependant, en raison du grand nombre de facteurs à considérer, la vulnérabilité demeure souvent théorique et difficile à intégrer de manière opérationnelle (HINKEL, 2011).

En mars 2015, le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 (CAS) établit comme l’un de ses sept objectifs mondiaux l’accès des populations aux SAP (UNISDR, 2015). WAHLSTRÖM (2015) considère le CAS comme une transition historique depuis une gestion des désastres vers une gestion des risques de désastre. Le nouveau cadre est cependant largement critiqué sous différents angles. BRICEÑO (2015) mentionne que si les problèmes de financement soulevés dans le CAS étaient résolus avec les moyens proposés, c’est-à-dire avec un focus sur la gestion de crise, le financement irait au mauvais endroit pour les mauvaises raisons, c’est-à-dire vers l’aléa et l’urgence plutôt qu’à la vulnérabilité. Dans le même ordre d’idées, ZIA et WAGNER (2015) critiquent le manque de mesures concrètes pour instaurer un SAP participatif, soulignant que des programmes de financements opérés et dirigés par des donateurs ne changeraient pas la tendance à la hausse des désastres. Ce problème a déjà été soulevé dans les années 1970 lors de l’instauration d’un SAP pour les famines du Sahel (ENTEN, 2010). Afin de démontrer qu’il existe encore une promotion de concepts très technocentrés dans les programmes de l’UNISDR, GLANTZ (2015) recense 19 fois le terme « technologie » dans le CAS alors qu’il n’apparait que cinq fois dans le CAH (le cadre précédent). Par ailleurs, dans le CAS, la compréhension de la vulnérabilité est mentionnée comme une étape cruciale préalable à la réduction des risques, surtout dans un contexte de changements climatiques qui perturbent le développement à court, moyen, et long termes (UNISDR, 2015). KELMAN (2015) déplore cependant que les changements climatiques n’y soient intégrés que par leur lien avec les aléas et non avec la vulnérabilité. QUENAULT (2015) y critique même le focus sur la résilience au détriment de la vulnérabilité, argumentant que le fardeau du désastre revient aux populations touchées. La résilience fait référence ici à la capacité des gens à recouvrer leur situation d’origine, à reconstruire en mieux (UNISDR, 2015).

Malgré ces critiques, la 4e priorité du CAS met en valeur le processus de SAP et souhaite « améliorer la préparation pour une intervention efficace » (UNISDR, 2015). En dépit des dilemmes épistémologiques continuels, – les façons de faire continueront d’être analysées et critiquées (GLANTZ, 2015; KELMAN et GLANTZ, 2015) –, un consensus semble exister sur une méthode d’implantation de type bottom-up. Un SAP n’est efficace que s’il est orienté sur la personne ou la communauté (BASHER, 2006; CHOO, 2009; COOLS et al., 2016; GOLNARAGHI, 2012; HAERENS et al., 2012; JIN et LIN, 2011; KELMAN et GLANTZ, 2014; SENE, 2016; UNISDR, 2006a; VILLAGRAN DE LEÓN et al., 2006; ZOMMERS, 2012). Or, comme il en sera question dans les prochaines sections, le rôle des acteurs est présentement plutôt mince dans la conception et le fonctionnement du SAP et leur efficacité est en retour très variable d’un cas à l’autre.

3. Concepts fondamentaux et opérationnels

3.1 Le fonctionnement des systèmes d’alerte précoce

Le SAP est généralement formé de quatre sous-systèmes intégrés indépendamment du type d’aléa (COOLS et al., 2016; NEUSSNER, 2015; GARCIA et FEARNLEY, 2012) : 1) connaissance du risque, 2) suivi, prévision et alerte, 3) communication de l’alerte, 4) capacité de réponse (UNISDR, 2006a). Cette section présente les principales composantes d’un tel système idéalisé par les Nations Unies et la communauté scientifique.

BASHER (2006) explique que les quatre composantes fondamentales (Figure 1) ne sont pas ancrées dans un processus linéaire. Le SAP n’est pas simplement une alerte, c’est-à-dire un message transmis sur un aléa en évolution (WMO, 2006), mais bien un système hôte d’échanges permanents et d’interactions dynamiques (ARNOLD et WADE, 2015). Pour permettre de soutenir un tel système opérationnel à long terme, un engagement politique et des institutions fortes soutenues par le public est nécessaire (BASHER, 2006). Ainsi, chaque élément du SAP possède des fonctions précises devant être effectuées continuellement avec la participation de tous les acteurs. Même si certaines variabilités existent dans la structure employée par les auteurs, la majorité d’entre eux adhèrent au concept des quatre composantes (Tableau 3) (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2013).

Figure 1

Composantes intégrées d’un système d’alerte centré vers les gens où l’information circule entre toutes les composantes continuellement (cercle central rouge). Adapté de BASHER (2006), KELMAN et GLANTZ (2014), UNISDR (2006a) et WEI CHOO (2009)

Integrated components of a people-centered EWS, where information continuously flows between each component (red circle). Adapted from BASHER (2006), KELMAN and GLANTZ (2014), UNISDR (2006a) and WEI CHOO (2009)

Composantes intégrées d’un système d’alerte centré vers les gens où l’information circule entre toutes les composantes continuellement (cercle central rouge). Adapté de BASHER (2006), KELMAN et GLANTZ (2014), UNISDR (2006a) et WEI CHOO (2009)

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Tableau 3

Aspects fondamentaux et opérationnels des systèmes d’alerte précoce (SAP) selon certains auteurs

Fundamental and operational aspects of early warning systems (EWS) according to some authors

Aspects fondamentaux et opérationnels des systèmes d’alerte précoce (SAP) selon certains auteurs

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3.1.1 Connaissance du risque

La connaissance du risque constitue l’appréciation de la vulnérabilité et des aléas qui affectent les personnes et éléments vulnérables. Cette tâche présinistre est généralement réalisée par des institutions spécifiques afin de fournir les renseignements aux gouvernements, au public et à la communauté internationale (NEUSSNER, 2015). INTRIERI et al. (2013) nomment cette étape le design du système, puisqu’elle planifie et caractérise la structure du système complexe. En plus de recenser les paramètres sur les aléas (ex. intensité, fréquence, probabilité et répartition spatiale), l’analyse de la vulnérabilité des communautés est réalisée. L’ensemble forme l’évaluation du risque et les connaissances de base. La cartographie des aléas fait partie de cet aspect. Dans le cadre d’un SAP pour les géorisques, GHOSH et al. (2012) ont par exemple extrait des facteurs causaux à partir de cartes thématiques afin d’identifier automatiquement des niveaux de risques pour différents aléas à surveiller. Pour les glissements de terrain, cette étape sert par exemple à la caractérisation des géo-indicateurs, comme les contextes géologique et météorologique qui peuvent mener à un mouvement (CALVELLO et al., 2015; INTRIERI et al., 2013). De préférence, les cartes de risque devraient être réalisées par des scientifiques tant des sciences naturelles que sociales, avec la participation active des citoyens (IMAMURA, 2009). Selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM, 2010), une gestion du risque efficace fournit l’information gratuitement pour tous sur tous les risques potentiels. Ces informations sont également cruciales en mode postsinistre afin de permettre aux personnes touchées ainsi qu’à l’aide d’urgence de gérer la crise.

3.1.2 Suivi, prévision et alerte

La surveillance continue des aléas, préalable à l’alerte, est aussi nécessaire. Elle englobe le suivi, la prévision ainsi qu’un service d’avertissement. L’utilisation du terme « suivi » est légitime ici : une fois que le mode d’acquisition des connaissances est en route et que les critères d’alerte sont sélectionnés (INTRIERI et al., 2013), le système de surveillance passe de la recherche au mode opérationnel. Il s’agit de la base scientifique du SAP qui permet de détecter l’aléa (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2006). Cet élément est donc très spécifique à chaque aléa en fonction de leurs précurseurs (NEUSSNER, 2015). Il requiert un support technologique important, notamment des types de capteurs adaptés au processus (Tableau 4), souvent non accessibles aux personnes non spécialistes qui prennent les décisions sur les alertes. Ces instruments, souvent en interconnections via Internet, acquièrent des données en temps réel et permettent au système de distinguer l’évènement dangereux du bruit présent dans les données (SÄTTELE et al., 2015). Des modèles de prévisions sont également utilisés afin de prédire l’évolution des phénomènes dans le temps (OMM, 2010). Sur les côtes de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, le Service météorologique d’Environnement Canada et Pêches et Océans Canada émettent conjointement des avertissements de risque de déferlement de vagues et de débordement côtier lors de prévisions d’ondes de tempête. Ces alertes publiques sont communiquées sur le site internet d’Environnement Canada et sont acheminées aux différentes organisations de sécurité civile. Un centre des opérations gouvernementales opéré par le ministère de la Sécurité publique du Québec permet de surveiller en continu les différents risques et d’informer et d’alerter les intervenants concernés. Plusieurs technologies sont également utilisées afin de communiquer entre les diverses composantes du système (Tableau 4), mais lors de la diffusion publique, certaines voies spécifiques doivent être sélectionnées afin de fournir un message homogène (GLANTZ, 2004).

Tableau 4

Exemples de technologies utilisées dans la détection des précurseurs des aléas rapides

Examples of some fast onset hazard detection technologies

Exemples de technologies utilisées dans la détection des précurseurs des aléas rapides

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3.1.3 Communication de l’alerte

Une fois le danger détecté, une alerte doit être communiquée et diffusée aux personnes concernées, soit les professionnels en charge des décisions et les personnes à risque (NEUSSNER, 2015). Le message doit être clair, compréhensible, utile, et doit se rendre aux personnes vulnérables (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2006). Le réseau de communication s’étend sur tous les paliers de gouvernance communautaire, régionale, nationale et internationale, mais l’alerte doit atteindre toutes les personnes, et rapidement (NEUSSNER, 2015). Les médias ont souvent un rôle important à jouer dans la diffusion publique de l’information, notamment s’ils sont associés directement au SAP via une entente spécifique de diffusion (GLANTZ, 2004). Par exemple, le Système national d’alerte au public de Sécurité publique Canada fonctionne par une entente de partenariat public-privé avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), et les alertes sont émises par Pelmorex Communications Inc. par voies médiatiques (SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA, 2015). Comme le mentionne GLANTZ (2004), les médias peuvent devenir un allier puissant d’un SAP s’ils communiquent une information de qualité utile aux personnes. Par contre, ils peuvent avoir tendance à forger l’opinion publique en jouant en boucle les mêmes informations sans s’adapter à l’évolution de l’aléa, en répandant des rumeurs hors contexte, et en rapportant l’incident de façon souvent plus intense que le fait réel (EWART et McLEAN, 2015). En retour, ceci peut amoindrir la crédibilité du système (GLANTZ, 2004).

Plusieurs moyens officiels de communication existent et peuvent être planifiés dans la conception du SAP (Tableau 4). Les médias sociaux, comme Twitter et Facebook, sont de plus en plus utilisés en mode postsinistre (SIMON et al., 2015). Certaines utilisations pendant la phase de préparation, comme dans le cas de séismes générant un tsunami, ont montré que ces moyens sont également efficaces pour fournir une alerte dans les temps nécessaires à la sécurité des personnes (CHATFIELD et BRAJAWIDAGDA, 2013). Certains considèrent aujourd’hui les téléphones mobiles comme une technique efficace pour atteindre individuellement les gens vulnérables avec un message approprié sur un vaste territoire (BEAN et al., 2016; GHOSH et al., 2012). Les messages textes (SMS) sont notamment utilisés pour alerter la population lors de cyclones (PEYRUSAUBES, 2016). Par contre, le message livré individuellement n’est certainement pas une panacée, puisque plusieurs facteurs influencent la diffusion du message. Dans le cas d’un séisme, où le temps qui sépare la détection de la réception du message est crucial et où la réponse doit être instantanée, des alarmes sonores ou visuelles sont encore utilisées dans les lieux publics comme les écoles (PICOZZI et al., 2015).

Le temps n’est pas toujours le facteur limitant (NEUSSNER, 2015). Le contexte sociopolitique est aussi important à considérer dans le choix des moyens de diffusion. Par exemple, dans certaines régions de l’Inde, des amendes sont imposées aux femmes prises en train d'utiliser un téléphone mobile (SEAGER, 2014), limitant grandement l’efficacité d’une approche par message texte. En effet, le sexe (ou le genre) est un des facteurs majeurs qui influence la vulnérabilité en favorisant l’exclusion sociale (MUSTAFA et al., 2015; SEAGER, 2014). Ce facteur influence également le SAP. Le CAH reconnait que les « femmes et les hommes […] accèdent de façon différente à l’information en situation de catastrophe » (UNISDR, 2006b). Dans plusieurs pays, les communications et les technologies sont généralement masculinisées, et un manque d’intérêt ou une interdiction d’accès aux technologies fait en sorte que les femmes utilisent peu Internet, le téléphone ou même la radio (SEAGER, 2014). Certains groupes de citoyens sont donc plus difficiles à atteindre que d’autres, même avec les technologies de pointe. Les gens les plus vulnérables accèdent difficilement aux technologies de diffusion comme Internet ou les téléphones mobiles (SEAGER, 2014). L’éventail des technologies existantes (Tableau 4) semble donc insuffisant pour diminuer la vulnérabilité des personnes. Le Cadre d’action de Sendai (CAS) conseille de « prendre des mesures adéquates de renforcement des capacités pour donner aux femmes les moyens de se préparer » (UNISDR, 2015, p. 23). Cependant, aucune mesure n’y est proposée.

Comme pour la détection et le suivi de l’aléa, la phase de communication requiert d’être adaptée au type d’aléa et de personne. Le message doit être compris par ceux qui le reçoivent. Plusieurs facteurs sociaux influencent la communication, comme la langue de diffusion qui doit être adaptée au contexte local (MEISSEN, 2008; MERCER et al., 2010), le nombre de caractères pour les messages par écrit (BEAN et al., 2016) et le choix du médium de diffusion pour les personnes sourdes ou aveugles (SCOTT, 2003). Par exemple, dans le cas du typhon Haiyan du 8 novembre 2013, qui a causé la mort de plus de 6 000 personnes aux Philippines (29 000 blessés, 1 800 disparus) (SAVAGE et al., 2015), JIBIKI et al. (2016) concluent que la mauvaise interprétation des termes est en cause. Bien que 98,3 % des habitants avaient reçu l’avertissement du typhon s’approchant des côtes, la plupart n’avaient pas compris le sens du terme storm surge (onde de tempête). La tempête tropicale avait pourtant été considérée comme un « typhon » le 5 novembre et de « super typhon » le 6 novembre par les autorités alors que déjà des unités d’urgence étaient en place afin de répondre aux alertes (SANTIAGO et al., 2016). Dans ce cas, ce n’est pas la technologie de communication qui a fait défaut, mais bien la façon de diffuser le message et les termes utilisés (JIBIKI et al., 2016). Ainsi, les problèmes de communication sont nombreux lors de la mise en place d’un SAP et justifient de considérer tant les aspects sociaux que techniques lors de sa conception.

3.1.4 La capacité de réponse

La capacité de réponse est l’élément qui assure que l’alerte soit reçue et qu’une réponse appropriée soit planifiée et mise en oeuvre. Pour certains, il s’agit de critères techniques qui se doivent d’être constamment respectés, comme des mesures d’évacuation, des services d’urgence et des stocks de provisions localisés à des endroits précis (NEUSSNER, 2015). Pour INTRIERI et al. (2013), la réponse est synonyme d’éducation de la communauté, en augmentant la perception publique sur les risques et en éduquant sur les comportements à adopter pour prévenir les dommages ou les pertes (ex. en réagissant à des fausses alarmes). Cette façon d’aborder l’implication de la population est cependant un exemple d’une approche qui, malgré son intérêt d’impliquer la communauté, demeure typiquement une structure verticale qui achemine les connaissances du haut (autorité, scientifiques, etc.) vers le bas (personnes vulnérables) (Figure 2). Un des moyens de contrer cette tendance, selon la Fédération internationale de la Croix-Rouge (2009), est d’abord de s’assurer d’une compréhension du risque et de ce que constitue ce risque dans la communauté, et de comprendre les mesures de réponses appropriées face à ces risques. Il existe des méthodes structurales, comme la construction d’ouvrages de protection, et non structurales, comme le changement de comportement ou d’activités d’une communauté (RELF et al., 2015). La réponse face à une alerte peut donc inclure le savoir local (ALESSA et al., 2016) dans des actions stratégiques qui rendent la communauté résiliente (BAUDOIN et al., 2014; QUENAULT, 2015). La résilience est ici la capacité du système à absorber le choc et à se rétablir pour atteindre sa structure et son fonctionnement d’origine (MANYENA, 2012).

Figure 2

Schéma conceptuel du systèmes d’alerte précoce (SAP) opérationnel. Adapté de ZILLMAN (2003), FOSTER (1980) et VILLAGRAN DE LÉON et al. (2006)

Operational early warning systems (EWS) conceptual scheme. Adapted from ZILLMAN (2003), FOSTER (1980) and VILLAGRAN DE LÉON et al. (2006)

Schéma conceptuel du systèmes d’alerte précoce (SAP) opérationnel. Adapté de ZILLMAN (2003), FOSTER (1980) et VILLAGRAN DE LÉON et al. (2006)

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Dans plusieurs cas, le système d’alerte se limite à la détection, la prévision et la réponse (Tableau 3). Dans le cas des déversements pétroliers, par exemple, la télédétection mène souvent à des réponses structurales pour contenir les fuites terrestres ou marines (IVSHINA et al., 2015). Les étapes de gestion de risque y sont peu présentes, et la population est exclue du SAP. L’implication de la communauté peut se réaliser à travers des rétroactions suite aux alertes, mais d’un point de vue opérationnel, c’est souvent l’élément manquant du système. Il y a en effet peu de transfert d’information depuis la communauté vers les services d’urgence et les autorités, et donc peu de retours d’expériences, ce qui ici diminue l’efficacité du système (UNISDR, 2006a).

Cette section a montré que la théorie sur les SAP peut se transférer en mode opérationnel. Cependant, malgré l’intérêt de l’approche centrée vers les gens, rendre opérationnel un SAP consiste surtout à acheminer l’alerte de façon linéaire entre quatre phases (Figure 2). Les communications permettent les interactions entre le suivi des précurseurs, la prévision/prédiction de l’événement, la déclaration/diffusion de l’alerte, et la réponse (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2013), cette dernière étant généralement assumée. L’évaluation du risque semble exclue du volet opérationnel (UNEP, 2012). Or, comme la stabilité de l’ensemble du système repose sur la force de son lien le plus faible (NEUSSNER, 2015), l’évaluation du risque doit systématiquement être effectuée afin de fournir les connaissances de base sur les problèmes soulevés par la communauté vulnérable et les aléas (OMM, 2010). Enfin, l’ensemble de ces composantes forme parfois un système complet de gestion des risques au sein des gouvernements. Au Québec par exemple, la Politique québécoise de sécurité civile 2014-2024 intègre sensiblement ces fondements dans quatre de ses cinq orientations qui visent à améliorer la résilience de la population face aux catastrophes (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 2014) : améliorer la connaissance des risques, accroître le partage d’information et le développement des compétences, recourir en priorité à la prévention, renforcer la capacité de réponse. La 5e orientation souhaite principalement une concertation des acteurs pour améliorer continuellement le système québécois de sécurité civile.

3.2 Facteurs de vulnérabilité ou contraintes à l’efficacité des SAP : monopole, exclusion et cloisonnement

Dans les pays en développement, ZIA et WAGNER (2015) estiment qu’un des principaux facteurs de vulnérabilité, en plus de la pauvreté, réside dans la mauvaise gestion des risques et de l’environnement à long terme dus à un manque de bonne gouvernance. Par exemple, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD, 2014), l'amélioration des conditions sociales dans les pays en conflits n'est pas toujours l'objectif qui prime, mais souvent des politiques d’exclusion qui font perdurer les instabilités. Les conflits internes ou entre états inhibent une reprise résiliente après un choc en nuisant à l’harmonie et la cohésion sociale (PNUD, 2014). Selon l’organisation internationale, « les grandes réalisations dans des domaines critiques du développement humain […] peuvent être rapidement minées par une catastrophe naturelle », car celle-ci exacerbe les conflits, les vols, la violence, la corruption, et également les dommages sur l’environnement. Les désastres peuvent exacerber la vulnérabilité des personnes, ce qui en retour influence leur réponse à l’alerte. C’est le cas par exemple au Pakistan alors que les inondations peuvent laisser place à une instabilité politique (HASAN et ZAIDI, 2012). Aux États-Unis, HARVILLE et al. (2011) ont montré que le stress subi par les personnes suite à l’ouragan Katrina en août 2005 à La Nouvelle-Orléans a engendré une augmentation des conflits et de l’utilisation de la violence pour les régler.

L'approche top-down (Figure 2) représente le fonctionnement d’une organisation monolithique centralisée (FAKHRUDDIN et CHIVAKIDAKARN, 2014). Souvent, la bureaucratie ralentit le processus de communication global entre toutes les étapes, ce qui altère son rôle d’information des citoyens (MUSTAFA et al., 2015). HANDMER (2000) compare cette linéarité à un monopole de la distribution des messages. Les gens ne font partie du système qu’à la fin du processus, après que le cheminement de l’information ait rencontré plusieurs contraintes dans le processus de SAP, tant dans les aspects techniques que sociaux. Même lorsque des citoyens sont impliqués dans des activités de volontariat au sein du SAP, les autorités peuvent voir les volontaires comme des représentants de tous les citoyens, et ces derniers deviennent exclus du processus (GARCÍA, 2012).

La conception linéaire impose des défis importants dans les milieux où la technologie n’est pas encore intégrée à toutes les sphères de la société. L’exemple typique est le cas de Sumatra où les différents groupes ethniques peuvent être affectés à divers degrés par un même aléa sur un petit territoire. Lors du tsunami de 2004 en Asie, 170 000 personnes ont péri dans les communautés côtières de Sumatra, Aceh et Minangkabau (GAILLARD et al., 2008). Sur une île voisine, Simeulue, les connaissances locales traditionnelles sont si importantes que le nombre de décès a été limité à 44 résidents. Plusieurs vies ont été sauvées grâce à un système d’alerte très simple, soit la reconnaissance des précurseurs du tsunami (tremor - retrait de la mer - vague) (KELMAN et GLANTZ, 2014) et la diffusion du terme smong au sein des résidents. Il s’agit du nom local donné au phénomène et qui est transmis depuis des générations (McADOO et al., 2006). Un SAP peu technique, centré vers la personne et implanté localement, peut être efficace.

Comment peut-on être certain qu’une réponse parviendra à la communauté si celle-ci n’est pas impliquée continuellement dans le fonctionnement du système? Même si le fonctionnement du SAP opérationnel (Figure 2) comporte une influence de la communauté à travers sa réponse postsinistre (rétroaction), il est difficile d’évaluer une réponse si les gens sont personnellement affectés par le désastre. Les gens décédés ou disparus ne donnent malheureusement pas de rétroaction active dans le système (JIBIKI et al., 2016). La réponse de la communauté est donc ambiguë ou incertaine dans l’approche top-down. De plus, comme le SAP voit sa réussite principalement basée sur la capacité de réponse face à l’aléa et à entreprendre des actions pour recevoir le message et à agir en conséquence, la perception des gens vis-à-vis du risque n’est pas à négliger (GLANTZ, 2004). La perception se définit comme étant un jugement intuitif des risques par les non-professionnels de la gestion des risques (SLOVIC, 1987) et peut être complexe à évaluer. Généralement, la capacité d’une personne à réagir est faible si sa perception du risque est faible. Si au contraire la personne se considère peu préparée, il y a plus de chance qu’elle mette en oeuvre des stratégies de préparation à l'opposée d'une personne trop optimiste qui se considère non vulnérable (GARCIA et FEARNLEY, 2012). La confiance envers le SAP et entre les acteurs (COOLS et al., 2016) est un facteur déterminant qui justifie d’intégrer les personnes dans le fonctionnement du SAP. Un faible niveau de confiance peut augmenter la vulnérabilité et limiter les actions, comme l’évacuation (GARCIA et FEARNLEY, 2012). Le niveau de confiance envers le SAP dépend de la projection de son image et de son succès auprès du public (COOLS et al., 2012). Par exemple, un vocabulaire adapté (OLIVEIRA et al., 2015) et des sources locales crédibles (BAUDOIN et al., 2014; OMM, 2010) facilitent l’établissement de la confiance. La confiance des gens est également fonction de l’efficacité du système à générer de bonnes ou de fausses alarmes, ce qui en retour influence l’efficacité, car le manque de succès affecte directement sa performance via la réponse des personnes et les bénéfices qu’il génère (HALLEGATE, 2012). En ce sens, de multiples fausses alarmes peuvent décourager les gens à évacuer (syndrome de cry-wolf), comme ce fût le cas lors de l’ouragan Katrina à La Nouvelle-Orléans (2005), où l’évacuation a été lente en raison de deux évacuations non nécessaires en 1998 et 2004 (HALLEGATE, 2012).

Les sciences sociales considèrent nécessaire d’adopter une approche participative qui intègre la communauté dès la conception du SAP pour coordonner les communications entre les autorités et les habitants (COOLS et al., 2012). L’approche participative est mentionnée dans le CAH et dans le CAS, qui ne proposent malheureusement pas de méthodes pour impliquer directement les communautés (BAUDOIN et al., 2014). ARIAS et al. (2016) ont mis en place une méthode participative de gestion de risque d’inondation et glissements de terrain dans 80 municipalités de Colombie en intégrant les connaissances scientifiques, techniques, et populaires. Grâce à l’inclusion des gouvernements, des communautés et des institutions en charge des risques, ils ont élaboré un réseau social qui étudie les changements à long terme de l’environnement et qui est prêt à détecter les dangers. Dans leur étude, la science catalyse les actions des acteurs, permet un suivi environnemental, mais ne dicte pas le fonctionnement (ARIAS et al., 2016).

Généralement, le cloisonnement existe entre les boîtes scientifiques, législatives et de gestion des risques (GARCÍA, 2012). La plupart des auteurs se concentrent alors sur certains éléments opérationnels selon leur spécialité, ce qui peut se refléter dans les publications scientifiques s’intéressant davantage aux volets techniques des SAP, comme l’étude de l’aléa (ALFIERI et al., 2012; BREKKE et SOLBERG, 2005; SUH et al., 2015) ou la diffusion de l’information grâce aux nouvelles technologies (BEAN et al., 2016; CHATFIELD et BRAJAWIDAGDA, 2014, 2013; HANDMER, 2000; JIBIKI et al., 2016).

Certaines études s’intéressent également à la réponse à l’alerte, notamment dans le cas d’inondations fluviales (COOLS et al., 2016; MUSTAFA et al., 2015), de tornades (SIMMONS et SUTTER, 2009), de mouvements de terrain (GARCIA et FEARNLEY, 2012), ou de séismes (PICOZZI et al., 2015). Pour ces auteurs, le rôle des citoyens est crucial pour compléter avec succès le processus d’alerte, bien plus que la technologie en soit. Un exemple d’intégration des citoyens peut être via la mesure des précurseurs, comme la mesure in situ de niveaux d’eau (COOLS et al., 2016), et le suivi des risques. Il peut s’agir de l’implication égale de tous les genres et de la reconnaissance de leur rôle spécifique et responsabilités dans le processus d’alerte et de réponse (MUSTAFA et al., 2015). Dans le cas des risques côtiers, ALHMOUDI et AZIZ (2015) se sont intéressés à la vulnérabilité des populations côtières du monde arabe face à la submersion et concluent qu’il existe un réel besoin de joindre les connaissances traditionnelles à la science afin de diminuer la vulnérabilité. SOULÉ (2011) abonde dans le même sens en démontrant que le Chili, même avec sa forte culture des risques sismiques, n’a pas été en mesure de lancer une alerte au tsunami en février 2010, en raison de problèmes de communication au sein même de la communauté scientifique. C’est ce que l’auteur nomme la vulnérabilité scientifique, qui serait due notamment à un manque de coopération entre les chercheurs en raison du financement compétitif. Joindre la science aux connaissances du milieu peut permettre d’éviter le cloisonnement des disciplines.

Dans les SAP pour les déversements de pétrole ou produits toxiques, la réponse est cruciale afin de limiter l’étendue de la fuite. IVSHINA et al. (2015) considèrent que les stratégies de réponse englobent tant la phase de prévention que la réponse à la fuite. Cependant, on peut se questionner sur la signification du terme « prévention », car si, comme le mentionnent les auteurs, la « stratégie de réponse pour les déversements terrestres est de prévenir que le matériel répandu » atteint l’eau, il semble que la prévention soit relativement tardive. Dans les faits, les auteurs utilisent la télédétection pour suivre la répartition spatiale des nappes (FERRARO et al., 2012; LEIFER et al., 2012; LIU et ZHU, 2013; SOLBERG, 2012) et la contention ou bioremédiation après sinistre (JERNELV, 2010). En Europe, l’utilisation des satellites, surtout des radars à synthèse d’ouverture, est opérationnelle et est intégrée dans les systèmes nationaux et régionaux de surveillance des déversements de pétrole (GRASSO, 2014), tout comme pour les eaux canadiennes (FERRARO et al., 2012). Les méthodes de prévention sont minimalistes, et consistent surtout en des plans de contingences, c’est-à-dire des plans qui dictent aux travailleurs quoi faire avant, pendant et après sinistre pour s’attaquer à la variété de fuites (YANG SI-ZHONG et al., 2010). Sur les plateformes pétrolières, la prévention se fait généralement lors des étapes d’exploration et de production par des mesures de contention du matériel polluant, d’entretien des équipements et d’observation de l’environnement (IVSHINA et al., 2015). Par ailleurs, les modèles numériques de simulations des trajectoires possibles d’écoulement de nappes de pétroles en mer semblent de plus en plus utilisés (BARKER, 2011; BOURGAULT et al., 2014) non seulement en support à la réponse, mais aussi pour aider la prise de décision et l’éducation au risque (BOUFADEL et GENG, 2014). D’ailleurs, dans ces systèmes d’alerte, on fait également état d’un changement de paradigme pour transférer la recherche fondamentale en télédétection vers une approche plus opérationnelle qui serait utile pour la prévention de déversements majeurs (LEIFER et al., 2012). L’objectif serait de rendre opérationnel en mode précatastrophe un système profondément ancré dans un concept postcatastrophe (IVSHINA et al., 2015) basé sur le développement de mesures d’interventions après déversements.

Enfin, comme le mentionne SEIBOLD (2003), « la sécurité est un idéal commun, mais le risque ne peut être complètement éliminé ». Les aléas lents, comme la désertification, les sécheresses, et la qualité de l’air, souvent sous l’influence des changements climatiques, nécessitent des améliorations d’ordre technologique et exigent des suivis systématiques et réguliers (GRASSO, 2014). La principale barrière à ces SAP est le financement à long terme, qui est limité par l’éphémérité des engagements politiques, les coûts associés aux fausses alarmes et à l’inaction, et enfin par l’adoption de SAP couteux, trop techniques et mal adaptés au contexte social (GLANTZ, 2004).

Le financement n’est toutefois pas le seul élément contraignant l’efficacité des SAP et qui pourrait être amélioré (Tableau 5). Les Nations Unies soulèvent plusieurs autres manquements à tous les aspects des SAP (UNISDR, 2006a). Pour faire suite à un séminaire portant sur les SAP pour les mouvements de terrain, CLOUTIER et al. (2014) mentionnent que les SAP sont avancés technologiquement, mais qu’ils devraient être limités à des cas spécifiques où les contremesures ne sont pas adaptées. Ce dernier point est un élément important qui corrobore malheureusement les conclusions de SOULÉ (2011) : les scientifiques ne sont pas toujours disposés à implémenter un SAP en première approche de réduction des risques, sous l’influence de plusieurs facteurs. L’incertitude de la prévision et l’inquiétude face aux conséquences du déclenchement de fausses alarmes ou de ne pas détecter l’aléa soulèvent des questions sur la responsabilité des scientifiques et d’éventuelles poursuites au niveau légal (CLOUTIER et al., 2014), comme ce fût le cas en Italie où sept personnes en charge de la gestion des risques ont été reconnues responsables du décès de 29 personnes (SCOLOBIG et al., 2014).

Tableau 5

Principales contraintes à l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP)

Principal constraints to early warning systems (EWS) effectiveness

Principales contraintes à l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP)

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Les facteurs qui influencent les SAP sont nombreux. Le nombre de définitions et d’acteurs impliqués dans la conception des SAP est si élevé qu’il est impossible d’établir un portrait complet sur les SAP (ZOMMERS, 2012). Cette section a tout de même présenté l’évolution de leur conception, structuré leur fonctionnement, et soulevé les contraintes principales qui freinent leur efficacité. Pour éviter le monopole de la diffusion de l’information, le cloisonnement de la recherche, et l’exclusion des communautés, typiques des SAP avec une approche top-down, il semble évident que les SAP doivent être une intégration dynamique de ses composantes et être centrés vers les besoins de la communauté. Cette intégration est gage d’efficacité. Ainsi, l’efficacité du SAP dépend de la performance des composantes techniques de détection, de prédiction et de communication, mais aussi de la capacité de réponse des gens affectés et des agences impliquées (ZILLMAN, 2003). Cette réponse est modelée par les diverses dimensions de la vulnérabilité et la perception de la communauté.

3.3 Mesures d’efficacité des SAP

Comment définir l’efficacité du SAP considérant la multitude de paramètres qui l’influencent? Rappelons d'abord que le SAP vise à diminuer le risque, qui est fonction de la vulnérabilité des personnes (SURJAN et al., 2016; WISNER et UITTO, 2009). Selon le CAS, « dans tous les pays, le degré d’exposition des personnes et des biens augmente plus vite que le rythme auquel il est possible de réduire leur vulnérabilité » (UNISDR, 2015). Mathématiquement, le risque peut prendre la forme suivante (WISNER et al., 2004; EINSTEIN et SOUSA, 2007; SÄTTELE et al., 2016) :

equation: 5038512n.jpg (1)

où le risque R est fonction de la probabilité d’occurrence de l’aléa P[A] de la vulnérabilité V, incluant l’exposition, et de la valeur C de l’objet exposé (EINSTEIN et SOUSA, 2007; MEDINA-CETINA et NADIM, 2008). En mode opérationnel, le système d’alerte précoce modifie le risque R en interagissant sur la vulnérabilité (SÄTTELE et al., 2016). En apportant de l’information pour modifier la vulnérabilité des personnes, le SAP modifie la vulnérabilité originale V qui devient V'. La résultante R' (le risque avec l’effet du SAP) est donnée par :

equation: 5038513n.jpg (2)

Dans l’équation 2, la fiabilité du système est intégrée en considérant la probabilité qu’une alarme (ici W pour warning) se déclenche en cas d’occurrence de l’aléa P[W|A] (succès), la probabilité qu’une alarme échoue lors de l’aléa (échec), et la probabilité qu’une fausse alarme se produise (échec). Le coût d’opération du système, ou sa valeur en termes d’investissements peut également être ajoutée sous la forme CW. Une modification de la vulnérabilité V' grâce au SAP est adoptée uniquement en cas de succès. SÄTTELE et al. (2015) mentionnent que si le délai est court (ex. en termes de secondes), c’est-à-dire que si le temps nécessaire pour engendrer une réponse implique une réaction immédiate, il est difficile de diminuer la vulnérabilité. Dans le cas où le SAP permet une préparation à l’avance, par exemple en intervenant par des mesures d’évacuation de la zone à risque, il s’agit d’une diminution de la vulnérabilité (EINSTEIN et SOUSA, 2007). La diminution de la vulnérabilité est donc une question de temps : par manque de temps (court terme), une alerte influence l’exposition et permet de réagir rapidement; avec assez de temps (moyen/long terme), un SAP permet une préparation en mode proactif (HOGARTH et al., 2014). Cet élément justifie donc la nécessité d’impliquer les quatre composantes fondamentales du SAP. Omettre une composante peut augmenter le délai de transmission, et rendre le système inefficace. Considérant les équations de EINSTEIN et SOUSA (2007) et de SÄTTELE et al. (2016), l’efficacité du SAP (Eff) est ainsi donnée par Eff = 1 - R'/R. Il s’agit ici de son efficacité à diminuer le risque, soit de la réduction relative du risque grâce à l’effet du SAP sur la vulnérabilité.

L’équation 2 présente une notion fondamentalement importante des SAP basée sur la théorie de détection des signaux (BROOKS, 2004) : les fausses alarmes. Dans l’équation 2, un coût CW est associé à l’implantation du SAP, mais il existe aussi un coût économique et social Cf en réponse aux fausses alertes, comme la diminution de production et le manque de confiance dans le système (BOUWER et al., 2014; ROGERS et TSIRKUNOV, 2011). Avec le temps, certains systèmes techniques peuvent être négligés (ex. manque de financement et de visibilité, conflits militaires, etc.), ce qui provoque une dégradation et ampute l’efficacité (HALLEGATE et al., 2012). Un manque de clarté dans les prises de décisions peut également mener à la diffusion d’une alerte non nécessaire (faux positif) (Figure 3a) ou d’une alerte manquée alors qu’elle aurait dû être diffusée (faux négatif) (GARCIA et FEARNLEY, 2012). Un SAP qui émet uniquement des alertes justifiées a une probabilité de détection (POD) de 100 % (SÄTTELE et al., 2016; SIMMONS et SUTTER, 2009). Cependant, en pratique, cet élément est impossible en raison de plusieurs facteurs qui engendrent de l’incertitude (CHOO, 2009). Par conséquent, un compromis doit être établi afin de maximiser les réponses malgré la présence de fausses alertes (Figure 3b). Une fausse alerte peut diminuer les futurs taux de réponse et donc diminuer l’efficacité (PATÉ-CORNELL, 1986; SIMMONS et SUTTER, 2009). La probabilité de détection est donc couramment mise en relation avec la probabilité de fausse alerte (BROOKS, 2004; CALVELLO et al., 2015; CHOO, 2009; PATÉ-CORNELL, 1986; SÄTTELE et al., 2016; SIMMONS et SUTTER, 2009), ce qui permet d’établir un indice de la performance du SAP basé sur le compromis. Des seuils critiques de décision sont par convention établis pour permettre une détection et une alerte, et ces seuils peuvent être modifiés en fonction de la variable à prioriser (CHOO, 2009; WAIDYANATHA, 2010). Des arbres décisionnels (EINSTEIN et SOUSA, 2007; RHEINBERGER, 2013) et des réseaux bayésiens (MEDINA-CETINA et NADIM, 2008; STURNY et BRUNDLE, 2014) peuvent être utilisés pour identifier les règles de décisions pour le choix du compromis (SÄTTELE et al., 2016). Les réseaux bayésiens permettent de représenter les liens causaux entre les variables des composantes automatisées en termes probabilistes, ce qui permet d’évaluer quantitativement l’efficacité du système (SÄTTELE et al., 2016). Des règles logiques, le raisonnement verbal, la logique floue, et les réseaux de neurones artificiels peuvent également être utilisés pour améliorer les techniques de distribution des messages (SENE, 2016).

Figure 3

Matrice des scénarios possibles causés par les fausses alertes (a) et relation entre une probabilité de détection (POD) et de fausses alarmes (PFA) afin de déterminer un seuil de déclenchement de l’alerte (b)

Possible false alarms induced scenarios matrix (a) and relation between the probability of detection (POD) and of false alarms (PFA) to identify an alert threshold and trigger (b)

Matrice des scénarios possibles causés par les fausses alertes (a) et relation entre une probabilité de détection (POD) et de fausses alarmes (PFA) afin de déterminer un seuil de déclenchement de l’alerte (b)

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Les fausses alarmes permettent de quantifier l’efficacité. Par exemple, en évaluant les fausses alarmes aux tornades aux États-Unis, SIMMONS et SUTTER (2009) concluent que le nombre de pertes humaines est corrélé avec l’augmentation du ratio de fausses alertes puisque celles-ci influencent à long terme la crédibilité du SAP dans la communauté. De plus, les fausses alertes augmentent les coûts associés aux réponses mises en place (CHOO, 2009). Lors de l’établissement du seuil sur une des courbes définies au préalable par le type de système (ex. une meilleure précision des instruments permet une meilleure détection), le principe est de minimiser les fausses alarmes, ce qui diminue la probabilité de détection et augmente le risque (Figure 3b). La décision finale est donc critique puisque si l’intérêt est d’augmenter la détection tout en minimisant les fausses alertes, un choix doit être réalisé entre 1) l’acceptation d’un certain risque pour les personnes, mais également des coûts moins élevés, et 2) l’établissement d’un seuil lâche qui augmente la détection, mais qui engendre également des fausses alarmes, impliquant une diminution de la crédibilité du SAP à long terme et des coûts plus élevés (CHOO, 2009). Pour cette raison, l’analyse coûts-bénéfices peut être utilisée pour déterminer le choix du SAP ou les seuils d’alerte (HALLEGATE, 2012). En pratique, le choix final du seuil est souvent réalisé par des experts qui favorisent le principe de précaution (RHEINBERGER, 2013). Ceci permet de sauver des vies tout en favorisant des décisions de surprotection à des coûts très élevés, par exemple la fermeture prématurée de routes menant à des stations de ski suite à des alertes d’avalanches (RHEINBERGER, 2013).

L’humain fait toujours des erreurs, surtout cognitives, qui font en sorte que la décision qui est prise n’est pas nécessairement appuyée par les données techniques du système (BAYRAK, 2011). Pour établir un portrait complet de l’efficacité du SAP, l’humain doit faire partie de l’évaluation (approche holistique) (SÄTTELE et al., 2016), ce qui n’est pas toujours le cas dans les études portant spécifiquement sur l’efficacité (Tableau 6). Une quantification des décisions humaines ou de leurs succès peut être réalisée par des métriques sur le comportement qui affecte la vigilance des opérateurs (BAYRAK, 2011), la vitesse à laquelle la décision est prise, la validité des modèles appliqués par les opérateurs, et la qualité de leur décision sur l’évitement des dommages (SÄTTELE et al., 2016). Malheureusement, la quantification de l’efficacité se concentre surtout sur les éléments automatisés des SAP (Tableau 6) (SÄTTELE et al., 2016). Dans ce contexte, il est légitime de supposer que sous l’ère du CAS, qui adopte une tendance très technocentrée (GLANTZ, 2015), que même une détection de 100 % des aléas ne produira pas une action appropriée chez 100 % des gens affectés.

Tableau 6

Procédures utilisées pour analyser l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP) et de leurs composantes opérationnelles

Effectiveness assessment procedures for early warning systems (EWS) and their operational components

Procédures utilisées pour analyser l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP) et de leurs composantes opérationnelles

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4. Des systèmes adaptés pour diminuer la vulnérabilité et les impacts environnementaux

En regard des éléments soulevés précédemment, il apparaît que les SAP ne sont efficaces que s’ils répondent à certaines conditions (Tableau 7). KELMAN et GLANTZ (2014) résument en sept éléments les conditions nécessaires : transparence, intégration, flexibilité, continuité, faible délai de transmission, capacité humaine, déclencheur. La transparence exige que tous les acteurs impliqués connaissent l’information. Un SAP doit être intégré dans la population, et flexible afin de s’ajuster à d’autres vulnérabilités et/ou aléas. Il doit être continuellement opérationnel au sein de la communauté, et acheminer l’alerte dans les temps nécessaires à la réaction des gens vulnérables. Il doit intégrer une expertise humaine qui est en mesure de poser les actions appropriées suite à l’alerte et pendant la préparation. Enfin, le SAP déclenche une alarme ou des avis en fonction des caractéristiques de l’aléa qu’il évalue, et signale les gens lorsque celui-ci est dissipé. À la lumière de ces éléments qui résument les premières sections de ce travail, plusieurs recommandations (Tableau 7) peuvent permettre d’améliorer l’efficacité du système à diminuer la vulnérabilité des populations ainsi que l’impact des aléas sur l’environnement. Les SAP doivent donc faire partie d’un véritable développement d’une culture du risque et s’ancrer dans les quatre dimensions de la sécurité civile, soit la prévention des sinistres, la préparation, l’intervention et le rétablissement (GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, 2014).

Tableau 7

Recommandations générales pour améliorer l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP) issues de la littérature scientifique

General recommendations underlined in scientific works to enhance early warning systems (EWS) effectiveness

Recommandations générales pour améliorer l’efficacité des systèmes d’alerte précoce (SAP) issues de la littérature scientifique

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Cette section présente une discussion en faveur de trois considérations intégratrices des recommandations des auteurs. Ces critères semblent être actuellement l’avenue à prendre pour mettre en opération des systèmes d’alerte :

  1. Le SAP doit être adapté à son contexte local pour réussir à amoindrir la vulnérabilité à long terme. La communauté doit être l’acteur principal du système. Un SAP efficace mène à la sécurité des personnes, peu importe son mode de fonctionnement (COOLS et al., 2016).

  2. L’intégration doit passer par une communication entre tous les acteurs, particulièrement entre les scientifiques et la communauté. Elle permet un suivi environnemental (ALUSA, 2003), et potentiellement une diminution des délais d’avertissement (MUSTAFA et al., 2015).

  3. Enfin, une boucle de rétroaction semble nécessaire pour impliquer un flux d’information cyclique permanent et pour briser la linéarité et la vision technocentrée (MATVEEVA, 2006).

Sur la base de cette revue de littérature, nous proposons un modèle conceptuel des composantes devant faire partie d’un SAP intégré (Figure 4). En plus des quatre composantes généralement reconnues pour les SAP (MILETI et SORENSON, 1990), nous proposons d’intégrer les composantes de capacité d’adaptation et de retour d’expérience qui mènent à la mise en place de mesures d’adaptation pour augmenter la résilience de l’écosociosystème.

Figure 4

Composantes générales d’un systèmes d’alerte précoce (SAP) intégré incluant un suivi environnemental comme base pour la collaboration, des rétroactions entre les communautés, les acteurs et les éléments vulnérables (flèches rouges) et un lien direct entre les scientifiques et les communautés. La flèche bidirectionnelle verte représente le caractère intégrateur de la gestion environnementale, puisque le suivi des précurseurs permet d’adapter les prises de décisions et agit sur la détermination du risque. Adapté de MILETI et SORENSEN (1990)

General component of an integrated early warning systems (EWS), including an environmental monitoring as a collaborative platform, feedbacks between communities, stakeholders and vulnerable elements (red arrows), and a direct link between scientists and communities. The green bidirectional arrow shows the integrated behavior of the environmental management, since a continuous monitoring enables a good decision making and acts on risk determination. Adapted from MILETI and SORENSEN (1990)

Composantes générales d’un systèmes d’alerte précoce (SAP) intégré incluant un suivi environnemental comme base pour la collaboration, des rétroactions entre les communautés, les acteurs et les éléments vulnérables (flèches rouges) et un lien direct entre les scientifiques et les communautés. La flèche bidirectionnelle verte représente le caractère intégrateur de la gestion environnementale, puisque le suivi des précurseurs permet d’adapter les prises de décisions et agit sur la détermination du risque. Adapté de MILETI et SORENSEN (1990)

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4.1 Adapter les systèmes d’alerte précoce au contexte local

L’opération habituelle des SAP se déroule à travers les étapes d’évaluation des risques, de définition de seuils de détection, de la diffusion d’une alerte lorsqu’un seuil est franchi, et d’une réponse de la part de ceux qui reçoivent le message. Ce cheminement linéaire pose le problème suivant : il suppose que les gens traitent l’alerte conséquemment à l’ampleur de la menace et qu’ils vont agir en ce sens (LEONARD et al., 2008). Cependant, le message est interprété de diverses façons par différentes personnes, ce qui fait en sorte que l’interprétation du message face à un même phénomène varie (McLUCKIE, 1970).

L’approche top-down et l’approche bottom-up doivent cesser d’être mises en opposition et plutôt s’inscrire dans un processus bidirectionnel d’échanges entre les différents acteurs et les différentes échelles de gouvernance (local, régional, national). Cette combinaison permet de bénéficier d’un retour de situation depuis les services d’urgence sur le terrain ou directement par les citoyens, ce qui améliore les prévisions subséquentes (OMM, 2010), et s’assure que le public est conscient du risque, connait les réponses appropriées à l’alerte, et retransmet l’information (rétroaction) au personnel d’urgence (CROIX-ROUGE, 2009). C’est le cas par exemple des services météorologiques comme l’OMM qui émettent des prévisions à divulgation publique (VILLAGRAN DE LÉON et al., 2013). Ces informations sont nécessaires pour se préparer face aux ouragans, et peuvent conjointement être utilisées par des SAP nationaux centrés vers les gens. Le SAP pour les cyclones du Bangladesh se base sur les données de l’OMM pour émettre les avertissements à des volontaires sur le terrain qui diffusent l’information avec des mégaphones et entament l’évacuation vers les abris (LENTON, 2013). C’est ce qui a permis, conjointement à la construction de 1 700 abris (HAQUE et al., 2012), de diminuer considérablement le nombre de morts entre le cyclone de 1991 (67 000 morts) et celui de 2007 (cyclone Sidr, 3 400 morts) (NADIRUZZAMAN et WRATHALL, 2015). Dans un tel cas, l’amélioration des capacités de réponse et d’adaptation permet au SAP d’être plus efficace.

Le système top-down a l’avantage d’évaluer quantitativement le succès du transfert d’information entre chaque composante du système dans sa portion automatisée (SÄTTELE et al., 2016; SÄTTELE et al., 2012). Ceci permet, comme pour toute autre mesure prévisionnelle de la gestion des risques, d’améliorer l’efficacité de la détection et de la diffusion de l’information (meilleur succès), notamment en effectuant des analyses de sensibilité afin d’évaluer à quel point l’incertitude dans toutes les étapes du processus affecte les actions préconisées et les bénéfices associés (COUGHLAN DE PEREZ et al., 2015; SÄTTELE et al., 2015; STURNY et BRUNDLE, 2014).

Les approches participatives sont associées à des méthodes de diffusion de l’information plus simples et adaptées au milieu (ex. gong, drapeaux, cloches, sirènes, etc.), et sont souvent plus efficaces (BUCKLE, 2012). Elles adaptent le SAP au contexte local en incluant la communauté dans le processus de recherche, dans la conception du SAP avec les divers paliers de gouvernance, et en offrant la parole à tous, quelle que soit leur situation de précarité (LE DE et al., 2014). Elles permettent d’outiller les communautés en connaissances diverses et de s’approprier le système afin de l’apprivoiser avec plus d’empowerment (JOHNSTON et al., 2005). Bien qu’ayant une portée très large de la gestion des risques, dans le domaine du SAP, l’empowerment permet d’accéder à l’information et à la technologie qui diffuse l’information (NADIRUZZAMAN et WRATHALL, 2015), et par conséquent, de diminuer la vulnérabilité. Cet élément corrobore exactement le 7e objectif que l’UNISDR propose dans le CAS, lequel souhaite « augmenter substantiellement la disponibilité et l'accessibilité des systèmes d'alerte précoce » (UNISDR, 2015, p. 36).

Un SAP doit être adapté à la communauté cible, et doit être aussi simple que possible (COOLS et al., 2016; INTRIERI et al., 2013). BUCKLE (2012) estime que pour modifier la vision technocentrée qui se demande continuellement comment acheminer une information le plus efficacement possible pour aider les gens à entreprendre une action, il faut plutôt se demander : « qu’a-t-on besoin pour déplacer les gens en lieu sûr? Quels systèmes et informations sont requis [...]? ». La réponse représentera forcément des besoins de la communauté (WMO, 2006), même si un SAP ne peut pas répondre à tous les besoins (GLANTZ, 2004). À cet égard, les SAP traditionnels, comme le signal donné par le terme smong aux Philippines, peuvent être des SAP très efficaces (GAILLARD et al., 2008; McADOO et al., 2006). Reconnaître le comportement animal avant un désastre est un exemple typique de connaissances locales qui pourraient bénéficier à un SAP. ZOMMERS (2014) relève que des bio-indicateurs, comme des plantes pour les métaux lourds, les coraux pour la salinisation des écosystèmes marins, les arbres pour les sécheresses et les insectes/araignées pour les feux de forêt sont tous représentatifs de changements qui surviennent dans l’environnement et donc indicateurs d’aléas lents (ex. changements climatiques) ou rapides (ex. feux, crues). Un SAP peut également bénéficier des connaissances des communautés autochtones en considérant les relations avec la nature, les pratiques communautaires et institutionnelles, et les connaissances intergénérationnelles des communautés autochtones (MERCER et al., 2010). En plus d’améliorer l’efficacité du SAP, ces connaissances généralement communiquées de bouches à oreilles augmentent l’acceptabilité sociale (PAUL et ROUTRAY, 2013). Les auteurs ont montré que les habitants côtiers au Bangladesh étaient en mesure (54,4 % des répondants) de prévoir l’arrivée du cyclone Sidr en 2007 grâce à l’observation du comportement animal (oiseaux se déplaçant dans les terres, fourmis grimpant aux toits, crabes cherchant les hauteurs, abeilles formant des essaims dans le ciel, etc.) (PAUL et ROUTRAY, 2013).

Le choix de la dictature cubaine d’instaurer un SAP basé sur les besoins de la communauté montre que la préparation est la solution, lorsque le coût des dommages de l’ouragan Ike en 2008 atteignait 30 milliards $US aux États-Unis et seulement 1,5 milliard $US à Cuba (CROIX-ROUGE, 2009). En raison d’une bonne préparation, d’une connaissance et d’une perception élevée du risque, la population cubaine bénéficie du temps nécessaire aux évacuations lorsque l’alerte est donnée (THOMPSON et GAVIRIA, 2004). Même s’il est critiqué par certains (ex. AGUIRRE, 2005) pour son fonctionnement sous régime autoritaire (ex. les résidents peuvent être forcés à évacuer), il n’en demeure pas moins que l’objectif de sécurité est atteint et que le système est efficace pour diminuer la vulnérabilité (GLANTZ, 2004; KELMAN et GLANTZ, 2014; THOMPSON et GAVIRIA, 2004).

Généralement, l’implication égale de tous les acteurs peut poser problème : fortes attentes des autorités envers la communauté et vice-versa, chacun ayant ses propres attentes envers les performances du SAP (HANDMER, 2000; WMO, 2006); favoritisme de certains membres d’une communauté à accéder au pouvoir des regroupements citoyens, exclusion de certains individus du processus (NADIRUZZAMAN et WRATHALL, 2015), détournements de fonds d’aide à des fins politiques (GLANTZ et KELMAN, 2013), lenteur administrative des autorités (SOULÉ, 2011), etc. Ces problèmes motivent le prochain point. Un des moyens soulignés par certains auteurs (ALESSA et al., 2015; CLOUTIER et al., 2014; GARCIA et FEARNLEY, 2012; MICHOUD et al., 2013; SOULÉ, 2011; STÄHLI et al., 2015) est de permettre aux scientifiques de jouer un rôle plus important dans le SAP, et pas uniquement celui de fournisseur de données dans un système top-down (BASHER, 2006).

4.2 Joindre science et connaissances populaires par la gestion environnementale

En 2004, en plus des sept éléments mentionnés à la section 4, Glantz proposait un huitième critère pour s’assurer d’un SAP efficace : il doit être apolitique. L’auteur mentionnait qu’il est difficile de séparer la politique du SAP (GLANTZ, 2004) afin de demeurer neutre dans l’atteinte des objectifs. MATVEEVA (2006) va plus loin et considère que le SAP apolitique est un mythe. À la question « qui doit avertir qui pour faire quoi? », l’auteure répond que de toute évidence « les positions politiques influencent l’alerte » et « déterminent également si l’alerte sera entendue par les gouvernements ». Cependant, les financements pour les SAP sont surtout accordés en mode d’urgence en réponse à un désastre (sauvetage, assistance, reconstruction, etc.) (TATHAM et al., 2012). En ce sens, les politiques d’austérité appliquées dans les pays développés ne concentrent pas leur budget sur la préparation face aux risques (ZOMMERS et SINGH, 2014). Le contexte politique financier est instable et souvent inéquitable (85 % des financements de réduction des risques de désastres [RDD] ont été accordés à seulement 30 pays entre 1991-2010, alors que les 118 autres récoltent 15 %) (KELLET et CARAVANNI, 2013). Il semble qu’une des voies pour promouvoir une diminution de la vulnérabilité des populations et de leur environnement de façon équitable entre les pays est de s’assurer que ceux-ci bénéficient d’une information de qualité et mise à disposition du public sans passer par des instances gouvernementales ou des autorités bureaucratiques. À cet égard, ZOMMERS (2012) suggère de déléguer les SAP à des agences privées ou des organisations non gouvernementales.

Dans un SAP efficace, tous les acteurs ont des responsabilités pour acquérir des connaissances sur l’environnement et les aléas (MILETI et SORENSEN, 1990). Ceci implique une reconnaissance des rôles de chaque acteur, incluant celui des gouvernements (LANDIS, 2003), et surtout un rapprochement de la science, du citoyen et des services d’urgence (GARCIA et FEARNLEY, 2012; SOULÉ, 2011). Ce rapprochement peut se réaliser à travers un suivi de l’environnement. Une mauvaise gestion de l’environnement augmente la vulnérabilité en augmentant l’exposition des personnes et de leurs biens, ce qu’a montré le tsunami de décembre 2004 en Thaïlande, où les mangroves transformées en pénéicultures n’ont pu atténuer l’énergie de la vague qui a causé des dommages importants (SRINIVAS et NAKAGAWA, 2008). Les communautés habitant derrière les zones toujours sous couvert végétal ont subi moins de dommages, ce qui a également été remarqué par TATHAM et al. (2012) au Bangladesh en 2007. Le maintien des services écologiques des écosystèmes peut donc réduire les risques.

Des rencontres entre les scientifiques et les communautés permettent d’augmenter la confiance envers la science (MICHOUD et al., 2013) et institutionnaliser des dialogues réguliers entre gestionnaires, fonctionnaires et scientifiques permet de renforcer les liens entre les acteurs (STÄHLI et al., 2015; ZSCHAU et KUPPERS, 2003). Dans un système technocentré, le scientifique émet une prévision, qui peut être relayée par des opérateurs non scientifiques (ex. médias, services d’urgence, etc.), et une alerte est potentiellement diffusée au citoyen. Si ce dernier répond de façon inappropriée, le problème de communication se situe entre le scientifique et le citoyen (IMAMURA, 2009). Avec l’aide d’une terminologie appropriée (GARCIA et FEARNLEY, 2012), il est possible d’acheminer l’information directement vers le citoyen avec un délai de transmission minime. Pour réaliser cette tâche, le partage de données en libre accès (open source), ou encore les protocoles d’alerte commune (PAC) (UNEP, 2012), peuvent être une avenue possible, ce qui donne le moyen d’offrir l’information gratuitement pour tous comme souhaité par l’OMM (2010). Mais ce partage dépend du degré de liberté offert par les autorités en place (ex. État libéral versus autoritaire) (MATVEEVA, 2006). Notons que la technologie de l’information n’est pas nécessairement la solution la plus acceptable dans les conditions de forte vulnérabilité, mais que dans certains cas, les cellulaires ont montré leur efficacité supérieure pour atteindre le plus de gens (BEAN et al., 2016; KOUADIO et DOUVINET, 2015). Dans tous les cas, les acteurs doivent formuler une méthode et choisir une voie privilégiée de diffusion de l’information qui inspire la confiance et l’acceptabilité sociale selon les besoins (BUCKLE, 2012).

Puisque le financement des projets de R&D est généralement effectué vers les projets de SAP (KELLETT et CARAVANI, 2013), il serait légitime de profiter d’une partie de ces investissements pour engendrer une reconstruction et une décontamination de l’environnement (REIBLE et al., 2006). Joindre les connaissances locales aux projets scientifiques permet aussi de s’assurer que le financement n’est pas uniquement associé à la réponse postdésastre, mais aussi dans des mesures de conservation des services écosystémiques (comme la reforestation en zones littorales), dans le suivi de l’environnement (ARIAS et al., 2016), et dans l’adaptation face aux changements climatiques (ALESSA et al., 2015; GARCIA et FEARNLEY, 2012). Ainsi, joindre ces deux éléments permet d’augmenter les connaissances générales avant l’impact d’un désastre (SOULÉ, 2011), et de rendre la science utile (GLANTZ, 2004). Un réseau de suivi se concentre autant sur l’intégration des composantes scientifiques et techniques (ex. instruments de mesure, installation, opération) que sur le volet social incluant la perception des gens sur les aléas qui agissent sur leur territoire (ARIAS et al., 2016; COOLS et al., 2016). La concertation de tous les acteurs dans la gestion environnementale, dans l’identification des vulnérabilités, dans le suivi des aléas et de la détection de leurs changements, leur permet d’accroître leur perception et leur rôle dans l’occurrence des risques socionaturels (ARIAS et al., 2016; LEONARD et al., 2008). En retour, cette concertation diminue tant leur vulnérabilité que les impacts des aléas sur l’environnement (ARIAS et al., 2016).

L’implication des scientifiques s’accompagne toutefois de certains questionnements. Les scientifiques n’ont pas tous les mêmes priorités (IMAMURA, 2009) et ne s’intéressent pas toujours au volet opérationnel de leurs recherches (GARCIA et FEARNLEY, 2012). CLOUTIER et al. (2014) s’interrogent sur la responsabilité scientifique derrière la prévision, la fausse alerte, l’incertitude des données, et la prévision manquée. Les auteurs proposent de partager les conséquences, comme le coût d’une fausse alerte. En effet, il existe une perception négative de la science par le public, car la science est complexe, et le public peut la voir comme étant stérile, réductionniste, fermée et arbitraire (BOWMAN et al., 2014). Mettre en place un SAP est sans doute l’opportunité de renverser cette perception, d’entamer un dialogue et de favoriser la transdisciplinarité.

La fausse alarme est vue comme un impact négatif. Il faut plutôt la traiter comme un résultat en soi qui permet d’améliorer le SAP pour le futur (WALKER, 1989). Actuellement, il semble difficile pour le public d’accepter l’incertitude, surtout si l’argumentaire derrière celle-ci est purement logique (ex. l’incertitude est certaine, par conséquent la fausse alarme est possible) (BOWMAN et al., 2014). Les gens percevront tous de façons différentes les résultats scientifiques, surtout si une incertitude y est associée; et une incertitude y est toujours associée (CHOO, 2009; HALLEGATE, 2012). En ce sens, BOWMAN et al. (2014) suggèrent que le moyen de générer une confiance du public envers la science serait peut-être de s’approprier, en tant que scientifiques, des arguments basés non seulement sur des données, mais également sur l’éthique. Comme dans toute situation de danger, la personne qui possède l’information susceptible de causer du mal à une autre personne a une obligation morale de lui fournir cette information (BOWMAN et al., 2014). Ainsi, GLANTZ et KELMAN (2013) abondent en ce sens et soutiennent que quiconque « détient le pouvoir d’agir » pour éviter le danger a « l’obligation légale, morale et politique de le faire ». En effet, l’éthique en science et en environnement prend souvent la forme du principe de précaution, qui maintient que douter de la présence d’un risque efface tout doute quant à l’action de prévenir pour diminuer ses impacts (BOWMAN et al., 2014). Ces arguments montrent qu’il est moralement obligatoire pour les scientifiques de fournir l’information au public. Enfin, un SAP complètement dirigé par des intérêts scientifiques n’est pas la solution. Ce type de système ad hoc n’est qu’un volet d’un système plus intégré, et ultimement concentré vers le risque, la vulnérabilité et l’aléa (BASHER, 2006). Le système ne doit pas seulement diffuser l’information dans un seul sens, mais bien depuis la communauté vers les autorités et la science, une approche bidirectionnelle.

4.3 La rétroaction positive : l’alerte précoce comme véritable système intégré

Lors de la prise de décision sur le lancement d’une alerte, ZILLMAN (2003) propose de diffuser l’alerte si le danger est immédiat, mais aussi d’annoncer des avis d’information dans le cas contraire. Cette étape permet de s’assurer d’un continuum de communications dans le temps, en dehors des épisodes extrêmes souvent dans la mire des scientifiques (BURNINGHAM et al., 2008). Le processus linéaire favorise l’étude de l’extrême, abandonnant les vulnérabilités de tous les jours et souvent incrémentielles, qui affectent les gens (MANYENA, 2012). Or, réduire la vulnérabilité doit se réaliser avant la matérialisation d’un désastre, grâce à une collaboration continue entre tous les acteurs, mais également par un retour d’expérience de la part des gens qui subissent le désastre. Cette composante d’auto-évaluation permet au SAP d’améliorer son efficacité (WALKER, 1989), mais bien que présente dans la plupart des SAP sur papier (Figure 2), est rarement appliquée (BAUDOIN et al., 2014). De plus, le retour d’expérience devrait se faire aussi dans le cas de fausses alertes pour maintenir notamment la confiance de la population envers le SAP.

En intégrant la communauté à la science et aux décisions, le système de type top-down s’approprie la véritable sémantique du terme « système » et devient un SAP end-to-end-to-end (BAUDOIN et al., 2014; KELMAN et GLANTZ, 2014; OMM, 2010) (Figure 4). Ce processus permet de penser après le désastre et avant le prochain. Il embrasse la notion de résilience : ce qui revient à « une approche proactive de long terme par retour d’expérience et d’adaptation pour mieux prévenir les futures crises » (QUENAULT, 2015). Il permet non seulement d’évaluer les risques, de détecter une menace, d’acheminer une alerte, et d’entreprendre des actions sécuritaires, il ouvre aussi la porte à la diminution de la vulnérabilité et à une augmentation de la résilience des communautés (BAUDOIN et al., 2014).

Comme le montre NEUSSNER (2015) avec le cas des typhons aux Philippines, les alertes dans le système top-down sont envoyées depuis des centres d’opérations vers les villages. Il n’y a cependant pas de rétroactions possibles, car il n’y a pas de structure qui permet ce flux inversé. Il en résulte alors une intégration improductive des leçons tirées (UNISDR, 2006a). Dans une étude comparative entre les impacts causés par un tsunami en Californie et à Hawaï en 1964, ANDERSON (1969) conclut que les dommages recensés sur l’île sont largement inférieurs en raison, surtout, des rétroactions du public en général et des experts sur leurs expériences vécues lors de précédentes alertes aux tsunamis. Ainsi, la rétroaction permet d’accumuler des recommandations et de collectivement reconnaître le besoin de changement dans le système (ANDERSON, 1969), ce qui permet, à long terme, de « reconstruire mieux » pour diminuer la vulnérabilité (UNISDR, 2015).

5. Conclusion

Les SAP ne sont pas tous efficaces. Les aspects techniques sont bien étudiés et compris. Ils démontrent des fortes capacités de prédictions, et peuvent détecter et envoyer des alertes en temps quasi réels sur divers dispositifs de haute technologie ou simplement traditionnels. Mais la technologie ne doit pas être considérée comme le coeur du SAP si l’objectif est une diminution de la vulnérabilité. Les éléments soulevés montrent qu’au contraire, les acteurs d’un SAP efficace doivent concentrer leurs efforts sur la collaboration pour améliorer les prises de décisions qui mènent à des réponses concertées.

Ce travail a présenté le mode opérationnel des SAP dans la réduction des risques de désastres. Les SAP sont appliqués depuis plusieurs décennies pour permettre aux populations vulnérables d’entamer des actions pouvant les sauver face à un aléa, ou leur permettre d’agir pour sauvegarder leurs biens ou l’environnement. Depuis leur promotion par les Nations Unies dans les années 1990, la méthode habituellement appliquée de SAP consiste en un cheminement d’une information depuis la détection d’une menace vers le citoyen. Dans ces systèmes cependant, le citoyen agit presque uniquement comme receveur d’information, alors que la technologie permet de détecter la menace et agit comme vecteur d’information. L’efficacité de ce processus peut être quantifiée grâce à l’évaluation des rapports entre les bonnes détections et les fausses alertes. Un choix judicieux de SAP en fonction des budgets disponibles peut reposer sur ces analyses qui permettent de choisir les seuils d’alerte, tout en intégrant les incertitudes associées aux technologies. Cependant, la connaissance des risques et la capacité de réponse des communautés sont généralement exclues du mode opérationnel. Pour cette raison, dans plusieurs cas, il est difficile de garantir une efficacité. La technologie ne doit donc pas être considérée comme le coeur du SAP si l’objectif est une diminution de la vulnérabilité. Les SAP actuels qui diminuent la vulnérabilité des populations sont des réussites collaboratives entre plusieurs acteurs sous l’influence d’une communauté informée.

Pour diminuer la vulnérabilité des populations face aux aléas, le SAP intervient en offrant suffisamment de temps aux gens pour se préparer et pour agir dans le but d’être en sécurité. En agissant en mode préventif, il peut augmenter la résilience et la capacité d’adaptation d’une communauté dans son environnement, ce qui permet au système dynamique de s’adapter aux nouvelles situations suite à des désastres. Les changements climatiques modifient les fréquences et intensités des événements sévères, et les gouvernements doivent adapter leurs plans de gestion de risque et les systèmes d’alerte à ces incertitudes. Ainsi, ce travail fait ressortir trois éléments qui font intervenir l’ensemble des acteurs de cette gestion. D’abord, pour fonctionner efficacement, un SAP doit être adapté aux besoins de la communauté, répondre à ses attentes, utiliser le savoir local autant que la science et bénéficier de retours d’expériences pour rendre plus efficace la préparation à de futurs aléas. Ceci peut commencer et se concrétiser par des rencontres inter et multisectorielles. Ensuite, le SAP est une opportunité pour les scientifiques de rendre leurs recherches appliquées dans les communautés, et une occasion de démocratiser la science pour la rendre utile aux yeux de tous. Les spécialistes des différents domaines d’études des sciences sociales et naturelles devraient voir le SAP comme un système holistique. C’est l’occasion d’entamer des projets en fonction des besoins réels soulevés par les gens qui vivent dans des environnements sensibles et souvent influencés par les changements climatiques, et non uniquement à partir des intérêts de recherche. Cette approche participative peut se mettre en place par un suivi et une gestion durable de l’environnement, ce qui en retour peut y réduire les impacts des aléas. Enfin, un SAP ne peut être efficace que si les communications y circulent librement et mènent à des réponses concertées. Une rétroaction de la part des communautés vers le système permet de bénéficier des retours d’expériences et catalyse des actions de préparation. Ces éléments semblent requis pour éviter un mirage technologique, pour réussir un rebond vers l’avant.