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1. Introduction

Depuis les années 1950, le climat terrestre a connu des changements représentés, essentiellement par le réchauffement dû aux gaz à effet de serre, en étroite relation avec l’activité humaine (GIEC, 2013). Parmi les conséquences de ces changements on note pour de nombreux pays : 1) une augmentation de la température, 2) une diminution des précipitations et de la masse des calottes glaciaires, 3) une élévation du niveau de la mer et 4) une raréfaction des ressources en eau. Les pays maghrébins (Algérie, Maroc et Tunisie) n’ont pas été épargnés par l’impact de ces changements qui affectent négativement la plupart de leurs ressources en eau. Au Maroc, le bassin d’Essaouira, qui fait l’objet de cette étude, est affecté depuis plusieurs années se traduisant par la raréfaction de la ressource en eau, l’augmentation de la salinité suite à l’invasion des eaux de mer et l’accentuation de la salinité du sol, dégradant ainsi la qualité de la source en eau.

Dans son rapport de septembre 2013, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) affirme que le réchauffement climatique du globe est sans équivoque, ajoutant que l’influence humaine est la cause principale de ce réchauffement. Parmi les résultats de ce réchauffement, on note ceux obtenus pour les facteurs climatiques : 1) la tendance à la hausse de la température moyenne du globe (0,85 °C), 2) l’augmentation des précipitations dans les régions continentales de moyenne latitude de l’hémisphère Nord et dans l’est de l’Amérique du Sud . Par contre, une diminution a été enregistrée au Sahel, en Méditerranée, en Afrique australe et dans une partie de l’Asie du Sud (GIEC, 2013).

Les pays du Maghreb n’ont pas été épargnés par le changement climatique. Le nord-ouest de l’Algérie a connu une réduction de l’ordre de 40 % des précipitations annuelles à partir de la première moitié des années 1970 (UNESCO, 2010; NOUACEUR et al., 2013), accompagnée d’une hausse de température. Selon UNESCO (2010), les lames d’eaux de surface écoulées annuelles moyennes pour la période de 1976 à 2002 sont de 28 % à 36 % plus faibles que celles de la période 1949-1976, et cette réduction est attribuée principalement au changement climatique. D’après l’Institut national de la météorologie tunisienne, le régime pluviométrique en Tunisie durant le 20e siècle a été marqué par l’alternance de périodes sèches et de périodes humides. Quant aux températures, une tendance à la hausse de plus d’un degré depuis les années soixante a été observée. En plus de cette hausse, la Tunisie souffrirait d’une amplification des processus d’érosion asséchant les sols et augmentant la salinité des réservoirs d’eau. Au Maroc, les ressources hydriques sont limitées, elles sont estimées à 20 milliards de mètres cubes, soit une moyenne de 700 m3∙a-1 par habitant, ce qui correspond à une situation de stress hydrique assez élevé. Le nombre d’années en déficit pluviométrique est plus important que le nombre des années excédentaires (DRIOUECH, 2010; DRIOUECH et al., 2013; SEBBAR et al., 2011; STOUR et AGOUMI, 2009; SINAN et al., 2009), notamment les cycles de 1980-1985, 1990-1995 et 2007-2010. D’après BABQIQI (2014), la comparaison des moyennes des températures annuelles sur les deux périodes 1971-1980 et 1998-2007 montre une tendance à la hausse (de 0,3 à 2,5 °C selon les régions).

2. Description du site

2.1 Localisation géographique

Le bassin d’Essaouira est situé sur la façade atlantique du Maroc, à l’extrémité occidentale de la chaîne haute Atlasique. Ce bassin occupe une superficie de 1 827 km2. Il comprend plusieurs systèmes aquifères dont les structures et les ressources sont souvent mal connues. Les plus importants de ces systèmes aquifères appartiennent à deux unités synclinales : l’unité de Bouabout située dans la partie est du bassin et l’unité synclinale d’Essaouira qui représente la partie ouest du bassin. Ces deux unités sont séparées par le diapir de Tidzi (Figure 1).

Figure 1

Situation géographique et carte géologique de la zone d’étude

Location and geological map of the study area

Situation géographique et carte géologique de la zone d’étude

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2.2 Cadre géologique et structural

Au niveau du bassin d’Essaouira, les formations du Trias et du Jurassique n’ont que des affleurements très réduits et localisés au coeur d’anticlinaux (Jbel Hadid au nord-ouest, Jbel Amsitène au sud-ouest et diapir de Tidzi), alors que les formations du Tertiaire et du Quaternaire se rencontrent dans les cuvettes synclinales (Figure 1). La formation du Trias est constituée d’argiles rouges salifères, de basaltes doléritiques et de pélites gréseuses. La formation du Jurassique est composée d’une alternance de dépôts carbonatés (calcaires et dolomites) et marneux riches en évaporites (gypses et anhydrites). Les formations du Crétacé et du Quaternaire sont présentées dans la coupe stratigraphique synthétique (Figure 2) (DUFFAUD et al., 1966). D’après celle-ci, le Crétacé inférieur est formé de calcaires et marnes alternant avec quelques niveaux gréseux de 200 m d’épaisseur moyenne; le Crétacé moyen débute par des dépôts marno-gréseux de l’aptien (60 m), suivis de marnes vertes pyriteuses de l’albien (100 m). Les marnes dominent aussi au cénomanien (200 m), elles sont riches en anhydrites et s’intercalent avec des passées de quelques niveaux calcaires. Ces marnes constituent le mur de l’aquifère turonien calcaro-dolomitique à silex, fracturé, de 60 m d’épaisseur en moyenne. Le Crétacé s’achève par des marnes dolomitiques et des calcaires surmontés de marnes grises gypsifères et siliceuses à intercalations gréseuses du Sénonien qui séparent les deux aquifères turonien et plio-quaternaire de la zone synclinale d’Essaouira (DUFFAUD et al., 1966).

Figure 2

Coupe stratigraphique synthétique du Crétacé et du Tertiaire de la zone d’étude. Le symbole ―●― représente les systèmes aquifères de la partie aval et ―★― les systèmes aquifères de la partie amont du bassin d’Essaouira

Synthetic stratigraphic cross section of the Cretaceous and Tertiary of the study area. The symbol ―●― stands for the downstream aquifer system, and ―★― for the upstream aquifer system of the Essaouira basin

Coupe stratigraphique synthétique du Crétacé et du Tertiaire de la zone d’étude. Le symbole ―●― représente les systèmes aquifères de la partie aval et ―★― les systèmes aquifères de la partie amont du bassin d’Essaouira

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Le bassin d’Essaouira est une vaste zone synclinale ouverte sur l’océan atlantique. Il est affecté par plusieurs plissements et accidents qui permettent l’individualisation de nombreuses cuvettes synclinales telles que i) la cuvette synclinale de Bouabout occupant la partie amont du bassin, traversée par l’oued Igrounzar, et ii) la cuvette synclinale d’Essaouira (partie aval du bassin), les deux sont séparées par le diapir de Tidzi. La partie amont est caractérisée par un aquifère logé dans les calcaires et les calcaires dolomitiques du cénomano-turonien, la base imperméable et le toit du système sont assurés respectivement par les argiles grises du cénomanien inférieur et les marnes blanches sénoniennes (Figure 3a) (BAHIR et al., 2008; CHAMCHATI et BAHIR, 2013). En aval, les ressources en eau souterraine sont contenues dans deux réservoirs principaux. Le réservoir plio-quaternaire à matrice de grès calcaire marin ou dunaire présente une conductivité hydraulique primaire par porosité et renferme une nappe libre importante. Le deuxième réservoir est représenté par le turonien. Celui-ci renferme une nappe très rapidement captive sous les marnes sénoniennes dans la structure synclinale et probablement en contact direct avec le plio-quaternaire sur les bordures de cette structure, au nord vers l’oued Ksob, à l’ouest à l’approche du diapir caché d’Essaouira, à l’est et au sud au voisinage du diapir de Tidzi (Figure 3b) (BAHIR et al., 2013; BAHIR, 2007; JALAL et al., 2001).

Figure 3

Coupes géologiques : A) partie amont et B) partie aval de la zone d’étude (localisation cf. Figure 1)

Geological cross section: A) upstream part and B) downstream part of the study area (location on Figure 1)

Coupes géologiques : A) partie amont et B) partie aval de la zone d’étude (localisation cf. Figure 1)

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3. Matériels et méthodes

Une série de campagnes d’échantillonnage ont été réalisées en 1990, 1995, 2000, 2004, 2009, 2015 et 2016 dans le bassin d’Essaouira. La profondeur du niveau d’eau, les conductivités électriques, le pH et les températures ont été mesurés sur le terrain. Les analyses des éléments chimiques ont été effectuées au laboratoire d’hydrogéologie de la faculté des sciences Semlalia de Marrakech. Les anions (Cl-, SO42-, NO3-) ont été dosés par chromatographie ionique en phase liquide sur un appareil DIONEX relié à un intégrateur électronique, les cations (Ca2+, Mg2+, Na+, K+) par spectrométrie d’absorption atomique sur un appareil VARIAN type 640, et l’alcalinité par pH-metric à l’aide d’une solution d’acide sulfurique.

Sur le plan climatique, l’indice d’aridité de DE MARTONNE (1926) a été calculé selon l’équation 1 :

P correspond à la pluviométrie moyenne annuelle en mm, et T représente la température moyenne annuelle en °C.

Les séries climatologiques ont été examinées pour les tendances et pentes sur une base annuelle en appliquant le test de Mann-Kendall et le test Sen via le logiciel XLSTAT® (version d’essai).

Le test de Mann-Kendall (MANN, 1945; KENDALL, 1975) est un test statistique non paramétrique utilisé pour détecter la présence d’une tendance linéaire (à la hausse ou à la baisse) au sein d’une série chronologique. Soit la série Xi (x1, x2,...xn), cette méthode définit la normale standard multivariable UMK comme suit (Équation 2) :

equation: 5039772n.jpg, equation: 5039773n.jpget n est le nombre de données de la série.

Dans ce test l’hypothèse nulle H0 « absence de tendance » est acceptée si la valeur p est supérieure au niveau de signification alpha. Le sens de la tendance est défini par le coefficient statistique de Mann-Kendall UMK. Si UMK est positif, la tendance est à la hausse et si UMK est négatif, la tendance est à la baisse.

Les teneurs en oxygène-18 (18O) et deutérium (2H) ont été déterminées par spectrométrie de masse. En utilisant les méthodes proposées par FRIEDMAN (1953) et par EPSTEIN et MAYEDA (1953), chaque échantillon a été analysé trois fois afin d’augmenter la précision. Les valeurs sont exprimées en δ (‰) par rapport au standard international V-SMOW (Vienna-Standard Mean Ocean Water).

Les teneurs en tritium (3H) ont été mesurées par compteur à scintillation liquide suite à un enrichissement par électrolyse des échantillons d’eau (IAEA, 1976; LUCAS et UNTERWEGER, 2000). Ces teneurs s’expriment en unité tritium (UT).

La détermination des teneurs en carbone-13 (13C) et les activités en carbone-14 (14C) ont été effectuées sur le CITD (carbone inorganique total dissous) des eaux souterraines, précipité sur le terrain sous forme de carbone de baryum (BaCO3). Les activités en 14C ont été mesurées en utilisant un compteur à scintillation liquide (PACKARD TRI-CARB 4530). Ces activités s’expriment en pourcentage de carbone moderne (pcm). Les erreurs associées à cette méthode varient avec la quantité du carbone disponible dans chaque échantillon. Elles augmentent lorsque la teneur en 14C est faible. Les valeurs du 13C obtenues dans le CITD par spectrométrie de masse sont exprimées par ‰ à V-PDB (Vienna-PeeDee Betemnite). Les incertitudes analytiques sur les mesures sont de ±0,1 ‰ pour 18O; ±1 ‰ pour 2H; 0,6 UT pour 3H et de 0,1 ‰ pour 13C. Toutes les analyses isotopiques ont été réalisées au sein de l’Institut technologique et nucléaire de Lisbonne au Portugal.

L’évaluation de l’impact du changement climatique sur la ressource en eau du bassin d’Essaouira a été approchée par l’étude combinée de l’évolution du niveau piézométrique, des paramètres physicochimiques et par la technique isotopique.

4. Résultats et discussion

4.1 Cadre climatique

Selon l’indice d’aridité de De Martonne (Équation 1), le bassin d’Essaouira est situé dans une zone semi-aride (l’indice varie de 9 à 11,2), caractérisée par des influences océanique (perturbation de l’ouest), continentale et montagnarde. L’aridité est marquée dans le bassin surtout en été, elle est relativement croissante en allant de l’atlantique vers le continent. Cette croissance d’aridité est le résultat de l’éloignement des influences océaniques, où les précipitations diminuent et les écarts thermiques augmentent.

Au niveau de la station Igrounzar, les températures présentent une très importante variation saisonnière. En hiver, les températures minimales peuvent atteindre -11 °C, alors que les maximales sont de l’ordre de 40 °C (période 1986-2004). À partir du diagramme ombrothermique (Figure 4), la saison chaude s’étale du mois de mars jusqu’au mois de novembre, alors que la période humide s’étale de novembre à mars. Les températures montrent une tendance à la hausse avec un réchauffement de l’ordre de 2 °C (période 1986-2004) (Figure 5a). Ceci reste en parfaite cohérence avec la tendance à la hausse au niveau de la température observée à l’échelle globale. Les précipitations varient d’une année à l’autre autour d’une moyenne annuelle de 306 mm (Figure 5b). Pour les séries d’années dépouillées (1940 à 2012), on remarque des années pluvieuses dont la hauteur dépasse largement la moyenne, telles que : 1940-1943, 1946-1947, 1952-1956, 1960-1964, 1982, 1987-1989, 1995-1997, 2005-2006, 2009-2011) et d’autres déficitaires avec la dominance des dernières. L’application du test de tendance de significativité de Mann-Kendall et de correction de la pente de Sen ont montré que la série des précipitations affiche une tendance à la baisse (UMK = -2,65) avec une pente de Sen égale à -1,22. Cependant, les précipitions présentent une irrégularité interannuelle et une tendance générale à la baisse de l’ordre de 12 % depuis le début de la période d’observation.

Figure 4

Diagramme ombrothermique de la station d’Igrounzar (1987-2004)

Ombrothermic diagram of the Igrounzar station (1987-2004)

Diagramme ombrothermique de la station d’Igrounzar (1987-2004)

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Figure 5

Variation a) des températures mensuelles et b) des précipitations moyennes annuelles à la station d’Igrounzar

Variation in a) monthly temperatures and b) annual rainfall at the Igrounzar station

Variation a) des températures mensuelles et b) des précipitations moyennes annuelles à la station d’Igrounzar

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4.2 Piézométrie

L’évolution de la piézométrie dans le bassin d’Essaouira a été mesurée aussi bien dans sa partie amont (aquifère cénomano-turonien) que dans sa partie aval (aquifère plio-quaternaire).

4.2.1 Nappe cénomano-turonienne

Les campagnes de mesure du niveau piézométrique effectuées de 2006 à 2010 ont permis d’établir les courbes d’évolution du niveau d’eau d’un certain nombre de points d’eau tels que 1126/52 et 1166/52 (Figure 6). La représentation graphique de l’évolution du niveau piézométrique pendant la période 2006-2010 montre une baisse du niveau d’eau en allant du juin 2006 jusqu’en octobre 2008. Par la suite, le niveau d’eau commence à remonter sur une période de huit mois, puis recommence à décliner.

Figure 6

Évolution du niveau piézométrique (NP) dans les puits 1126/52 et 1166/52

Evolution of the piezometric level in water wells 1126/52 and 1166/52

Évolution du niveau piézométrique (NP) dans les puits 1126/52 et 1166/52

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4.2.2 Nappe plio-quaternaire

La figure 7a représente la carte piézométrique type (juin 2015), et montre un sens d’écoulement global du sud-est vers le nord-ouest, conditionné par le redressement de son substratum à l’est suite au soulèvement du diapir de Tidzi.

Figure 7

a) Carte piézométrique type et b) évolution du niveau piézométrique (NP) de la nappe plio-quaternaire en fonction du temps

a) Piezometric map type and b) evolution of groundwater level of the Plio-Quaternary aquifer with time

a) Carte piézométrique type et b) évolution du niveau piézométrique (NP) de la nappe plio-quaternaire en fonction du temps

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Les campagnes de mesure du niveau piézométrique de la nappe plio-quaternaire durant 1990,1995, 2000, 2004, 2009, 2015 et 2016 ont permis de dresser le graphe de la figure 7b. À partir de celle-ci, une tendance généralisée à la baisse des niveaux piézométriques au sein des points d’eau 3/51; 11/51; 138/51; 149/51; 327/51 est observée, et ce depuis 1990 jusqu’à 2016, confirmant ainsi l’impact du changement climatique sur la ressource. Quant au point 15/51, on observe une remontée due au fait de sa situation dans une dépression topographique drainant les eaux de pluie lors d’averses courtes et intenses qui caractérise un milieu semi-aride.

Cette variation du niveau piézométrique ne peut être expliquée que par l’effet conjugué du changement climatique et de la surexploitation. La surexploitation a été confirmée par de nombreux puits devenus secs lors de la campagne de 2015, notamment les puits 116/51 et 117/51 (depuis 2004) (BAHIR, 2007), 101/51 (depuis 2009) (CHAMCHATI, 2014), M3, M5, M7, 93/51 et 103/51 (depuis 2015).

La cuvette synclinale, renfermant un important aquifère turonien, est la plus sollicitée pour l’approvisionnement en eau potable de la ville d’Essaouira et des agglomérations avoisinantes.

4.3 Hydrochimie

L’étude de la chimie de l’eau a pour but l’identification de son faciès, sa qualité, ainsi que son aptitude à l’irrigation. Le diagramme de Piper montre que les eaux de la nappe plio-quaternaire forment une seule et même famille qui se caractérise par le facies de type Na-Cl en 1990,1995 et en 2009 (MENNANI, 2001; CHAMCHATI et BAHIR, 2011). Or, en 2015, un facies mixte de types Mg-Cl dominant et Ca-Cl est observé (Figure 8). Cette évolution du faciès est le résultat du phénomène d’échange de base (dilution) suite à l’infiltration des précipitations exceptionnelles qu’a connu cette zone au cours du début du cycle pluvieux de 2015. La qualité des eaux varie, en fonction des précipitations. En se basant sur la conductivité électrique et les teneurs en chlorures, cette qualité est très médiocre durant le cycle sec de 1995, mais présente une modeste amélioration durant le cycle pluvieux de 2015. On observe une dégradation en allant du nord vers le sud, et ce, en s’éloignant de la zone d’infiltration d’eau de surface, constituée par l’oued Ksob, et un séjour de plus en plus long de ces eaux. (Tableau 1, figures 9 et 10). La dégradation de la qualité de la ressource est due au déficit pluviométrique causé par les changements climatiques et l’activité anthropique.

Figure 8

Faciès chimique des eaux de la nappe plio-quaternaire en 1990, 1995, 2009 et 2015

Chemical facies of the Plio-Quaternary aquifer waters in 1990, 1995, 2009, and 2015

Faciès chimique des eaux de la nappe plio-quaternaire en 1990, 1995, 2009 et 2015

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Tableau 1

Grille simplifiée indiquant la qualité des eaux souterraines au Maroc (source : http://www.water.gov.ma [consultation le 15 janvier 2016])

Simplified groundwater quality in Morocco (source: http://www.water.gov.ma [consulted 15 January 2016])

Grille simplifiée indiquant la qualité des eaux souterraines au Maroc (source : http://www.water.gov.ma [consultation le 15 janvier 2016])

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Figure 9

Distribution spatiotemporelle des conductivités électriques (CE) des eaux de l’aquifère plio-quaternaire (1990-2015)

Spatio-temporal distribution of electrical conductivities of the Plio-Quaternary aquifer waters (1990-2015)

Distribution spatiotemporelle des conductivités électriques (CE) des eaux de l’aquifère plio-quaternaire (1990-2015)

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Figure 10

Distribution spatiotemporelle des concentrations en chlorures des eaux de l’aquifère plio-quaternaire (1990-2015)

Spatio-temporal distribution of chloride concentrations in the Plio-Quaternary aquifer waters (1990-2015)

Distribution spatiotemporelle des concentrations en chlorures des eaux de l’aquifère plio-quaternaire (1990-2015)

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4.4 Isotopie

Dans le bassin d’Essaouira, le fonctionnement hydrodynamique est fortement influencé par la structure (plis et failles) qui conditionne les écoulements (BAHIR, 2007). En application dans la zone d’étude, les isotopes de la molécule d’eau, l’oxygène-18 (18O), le deutérium (2H) et le tritium (3H), et le carbone-14 (14C) peuvent procurer des éléments de réponse dans la délimitation des aires et des conditions de recharge des aquifères ainsi que leurs relations et leur âge. Les teneurs isotopiques en 18O et 2H des eaux plio-quaternaires sont comprises respectivement entre -3,47 et -4,56 et entre -26,2 et -19 δ ‰ vs V-SMOW. Celles des eaux de la nappe turonienne sont comprises entre -4,17 et -4,56 et entre -26,8 et -21,4 δ ‰ vs V-SMOW.

La droite de corrélation 2H-18O (Figure 11) d’équation δ²H = 7,72 x δ18O + 10,53 (r² = 0,82) est proche de la droite des eaux météorique mondiale (DMM) de pente 8 avec un excès en 2H voisin de 10 (CRAIG, 1961). Elle caractérise les précipitations d’origine océanique et l’équation de cette droite a été calculée sans tenir compte des points d’eau 390/51, 272/51, 260/51, M42 et oued Ksob identifiés comme évaporés parce qu’ils s’inscrivent au-dessous de la DMM. Le point 272/51 marqué par l’évaporation à l’aquifère plio-quaternaire se trouve au voisinage immédiat de l’oued, ce qui confirme l’alimentation de la nappe par l’oued Ksob déjà mise en évidence dans le quart nord-est du secteur par la piézométrie et la minéralisation plus faible de l’aquifère. La position du point 390/51 captant la nappe turonienne sur le diagramme 2H-18O indique en complément une eau évaporée. Les autres points d’eau analysés s’alignent sur la droite météorique, ce qui laisse apparaitre que l’alimentation des eaux de l’aquifère, notamment celle de l’aquifère turonien s’effectue rapidement sans évaporation notable.

Figure 11

Corrélation 2H-18O dans les eaux souterraines de la zone synclinale d’Essaouira (2006)

Correlation of 2H-18O in the groundwater of the synclinal area of Essaouira (2006)

Corrélation 2H-18O dans les eaux souterraines de la zone synclinale d’Essaouira (2006)

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Le tritium est un élément radioactif qui entre dans le cycle de l’eau par les précipitations. Sa présence dans les eaux souterraines avec des concentrations supérieures à une unité tritium (UT) signifie une recharge actuelle. Par contre, les eaux ayant des teneurs inférieures à 1 UT sont considérées anciennes avec un âge pré-1952, date des premiers essais nucléaires (MAZOR, 1991; FARID et al., 2013). Un total de 18 échantillons d’eau des aquifères plio-quaternaire et turonien prélevés en 2006 ont été sélectionnés pour le dosage du 3H (Tableau 2). Les teneurs en 3H ont varié d’une valeur minimale inférieure à 1 UT et une valeur maximale de 4,4 UT. Les échantillons 11/51, 21/51, 27/51, 148/51, 346/51 et 386/51 dont les teneurs en 3H sont supérieures à 1 UT sont considérés comme étant des eaux récentes. Alors que les eaux anciennes sont détectées dans le reste des points d’eau tels que 149/51, M98, 15/51, 363/51, 93/51 et M24.

Tableau 2

Composition isotopique des eaux de la cuvette synclinale d’Essaouira (campagne 2006) avec plio- quaternaire (PQ) et turonien (T) (localisation cf. Figure 7a)

Isotopic composition of groundwater samples in the synclinal bowl of Essaouira (2006 campaign) with Plio-Quaternary (PQ) and Turonian (T) (location on Figure 7a)

Composition isotopique des eaux de la cuvette synclinale d’Essaouira (campagne 2006) avec plio- quaternaire (PQ) et turonien (T) (localisation cf. Figure 7a)

a Par rapport au standard international Vienna-Standard Mean Ocean Water (V-SMOW)

b Unité tritium

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Pour estimer les activités initiales du 14C de ces eaux souterraines, plusieurs modèles ont été testés (Tableau 3). Ces modèles peuvent tenir compte de la dilution chimique du 14C des mélanges isotopiques ou encore des mélanges isotopiques avec échange isotopique. L’analyse du tableau 3 permet de dégager que : les deux points d’eau 65/51 et 386/51 présentent des pourcentages en 14C supérieurs à 85 %, ce qui les rend actuels. Le puits 65/51 situé à proximité de l’oued Ksob, capte les eaux de l’aquifère turonien et approvisionne la ville d’Essaouira en eau potable. Ce puits présente une teneur en 18O de -4,53, valeur intermédiaire entre la teneur isotopique de -4 des eaux plio-quaternaires et -5 des eaux turoniennes, indiquant un apport d'eaux turoniennes par pompage de l’aquifère plio-quaternaire. Le forage 386/51 captant les eaux de l’aquifère turonien alimente en eau potable l’aérodrome de la ville d’Essaouira. Le forage M98 à une teneur en 14C de 80 % montre une alimentation antérieure aux essais nucléaires des années 1952 et son âge radiocarbone ne peut pas dépasser quelques centaines d’années quel que soit le modèle d’interprétation utilisé. Le forage 390/51 captant les eaux de l’aquifère turonien, alimente la ville d’Essaouira avec un débit de 60 L∙s-1, soit 50 % des besoins en eau. L’eau de ce forage a un âge radiocarbone de l’ordre de 6 500 ans d’après le modèle de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), un peu inférieur, mais toujours de plusieurs milliers d’années selon les autres modèles. Ceci indique une eau très ancienne qui est en train de s’épuiser. Le forage 380/51 captant les eaux de l’aquifère turonien se trouve de la même situation avec un âge radiocarbone supérieur à 20 000 ans quel que soit le modèle utilisé, indiquant par là également le faible taux de renouvellement de la nappe turonienne. Le puits Ait Brahim captant le plio-quaternaire a un âge radiocarbone 2 831 ans selon le modèle de l’AIEA. L’activité actuelle en 14C de la source Aghbalou qui provient de l’aquifère barrémien-aptien, alimentant en eau potable et abreuvant le cheptel d’une population de 10 000 habitants avec un débit de 30 L∙s-1, présente une teneur en tritium inférieure à 1 UT. L’eau de ce puits est donc antérieure aux essais nucléaires et son âge radiocarbone est de quelques centaines d’années quel que soit le modèle.

Tableau 3

Calcul de l’activité initiale du 14C et de l’âge des eaux souterraines de la zone côtière d’Essaouira (campagnes 1996 et 2007) selon différents modèles

Calculation of the initial 14C activity and groundwater age in the coastal area of Essaouira (1996 and 2007 campaigns) according to different models

Calcul de l’activité initiale du 14C et de l’âge des eaux souterraines de la zone côtière d’Essaouira (campagnes 1996 et 2007) selon différents modèles

aA0 : Activité initiale en 14C du carbone minéral total dissous lors de la recharge de l’aquifère (pcm : % carbone moderne)

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5. Conclusion

Comme les autres bassins des zones côtières, le bassin d’Essaouira n’a pas été épargné par l’effet du changement climatique qui s’ajoute à l’effet de la surexploitation des eaux souterraines. Cet effet se manifeste par : i) une tendance à la hausse des températures avec un réchauffement de l’ordre de 2 °C et une tendance généralisée à la baisse des précipitations de 20 %; ii) une dépression du niveau piézométrique pendant les années sèches et une modeste remontée au cours des années pluvieuses, avec une tendance générale à la baisse et iii) une dégradation de la qualité des eaux en s’éloignant de l’oued Ksob (source d’infiltration d'eau de surface dans l’aquifère). Les résultats isotopiques ont montré que la recharge de l’aquifère dépend des précipitations et que le renouvellement de l’aquifère turonien est faible.

La complémentarité des approches hydroclimatiques, hydrodynamiques, hydrochimiques et isotopiques ont abouti au diagnostic de l’état de vulnérabilité des aquifères du bassin d’Essaouira face au changement climatique. Cependant, la mise au point d’une stratégie d’exploitation rationnelle permettrait de valoriser ses eaux tout en sauvegardant ses potentialités à long terme. Ainsi, le recours à des ressources non conventionnelles, telles que les eaux de mer dessalées pour l’alimentation en eau potable ou les eaux usées épurées pour l’agriculture, doit être considéré comme une priorité afin d’éviter le déclenchement d’une situation sérieuse de pénurie en eau.