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1. Introduction

La gestion durable des ressources en eau devient de plus en plus importante, en particulier dans les régions touchées par le stress hydrique (SUÁREZ-VARELA et al., 2015). La gestion durable et efficace des ressources en eau peut influencer la performance des services d’eau potable et d’assainissement (SEPA).

Les SEPA doivent répondre à des exigences de gestion, en fournissant l'eau potable à un prix abordable (SMETS, 2008) et de bonne qualité afin de répondre aux besoins actuels et futurs des clients sur un horizon de long terme. De plus, la nécessité de mobiliser un financement durable destiné à maintenir et à renouveler des réseaux doit être assurée.

Ces services sont confrontés à de nombreux défis se rapportant à l’amélioration de leurs performances en prenant en compte les dimensions économiques, sociales et environnementales. Relever ces défis nécessite aussi de considérer des objectifs techniques et financiers. Face à ces contraintes, les gestionnaires des SEPA prennent en considération des modèles économiques viables pour améliorer leurs services. D’après l’OCDE (2010), plusieurs critères ont été utilisés pour évaluer la durabilité des modèles économiques:

  • La capacité de maintenir le service;

  • La capacité de générer des recettes pour couvrir les coûts de fonctionnement;

  • Les impacts du prix de l’eau sur la gestion des SEPA.

La gestion de ces services est une tâche complexe qui, à l’échelle mondiale, incombe majoritairement aux autorités publiques compte tenu des enjeux parfois contradictoires entre la viabilité économique et la durabilité sociale. Face à cette situation, quel modèle économique peut-on envisager pour rendre compte des conditions d’équilibre entre d’une part, les coûts d’exploitation et les coûts d’investissement (dans une perspective de coût complet, les coûts de transaction, les coûts d'opportunité et les coûts environnementaux devraient aussi être pris en compte par un modèle économique systémique), et d’autre part, les recettes et, le cas échéant, les transferts d’équilibre liés à l’activité de distribution de l’eau potable et d’assainissement des eaux usées. Le recours à une tarification durable est un instrument économique qui permet d'atteindre cet objectif (SUÁREZ-VARELA et MARTINEZ-ESPIÑEIRA, 2017). En effet, les politiques de tarification de l'eau ont un potentiel important pour favoriser une gestion durable des ressources en eau (MARZANO et al., 2018). Les tarifs d’eau doivent être équitables, financièrement stables et économiquement efficaces (LOPEZ-NICOLAS et al., 2018). La littérature suggère un tarif plus élevé qu'aujourd'hui pour atteindre l'efficacité. Mais le recouvrement des coûts doit être durable (CAMDESSUS et WINPENNY, 2003). Cette question est délicate, car l’eau est considérée comme un bien social et un droit de l’homme (WAHID, 2017).

Le secteur de l’eau en Algérie est confronté à des difficultés importantes :

  • Une pénurie d’eau brute dans la plupart des régions du pays;

  • Des services d’eau potable et d’assainissement peu performants (BENBLIDIA, 2011; BOUKHARI et al., 2017);

  • Des installations d’assainissement obsolètes ou peu performantes puisqu’elles ne fonctionnent pas selon leur capacité;

  • Une qualité des SEPA fournis aux ménages, largement perfectible (KERTOUS, 2013);

  • Les subventions ne sont pas non plus explicites et ciblées en faveur des populations pauvres.

Plusieurs études démontrent les possibilités d’augmentation des tarifs et d’amélioration du recouvrement des coûts. Une évolution optimale du recouvrement des coûts entraînerait une amélioration de la situation financière des services d’eau. En outre, les subventions, si elles sont conçues de manière appropriée et bien ciblée, répondraient aux préoccupations des catégories économiquement les plus faibles. Un tel processus de réforme pourrait mener à une durabilité socioéconomique.

La tarification de l’eau appliquée en Algérie ne couvre même pas les charges d’exploitation. Le recouvrement durable des coûts d’exploitation est une priorité, car le tarif doit fournir des recettes suffisantes pour permettre au service de recouvrer les charges de l'approvisionnement de l’eau potable et de l’assainissement des eaux usées et de respecter ses obligations financières, à court et à long terme. Par exemple, la moyenne d’une facture d’eau dans le budget d’un ménage algérien s’évalue autour de 1 % de son revenu global (BENBLIDIA, 2011; BOUKHARI et al., 2017).

Dans le cadre de cet article, une analyse de la situation financière actuelle a été effectuée pour le cas des SEPA. À cet effet, nous avons discuté les points suivants : la structure tarifaire, le recouvrement des coûts, l’efficacité économique, l’équité, le prix abordable, etc.). La collecte, le traitement et l’analyse des données relatives à la gestion financière des SEPA seront envisagés dans le périmètre du département de Souk-Ahras. Comme tous les autres départements de l’Algérie, ce territoire souffre d’un stress hydrique, et d’une offre de SEPA inadaptée pour répondre aux besoins des populations. Enfin, nous proposerons la mise en perspective des variables économiques et physiques et de leurs relations dans le cadre d’un schéma logique illustratif de la structure et de la dynamique de l’offre de services. Cela nous permettra de mettre en évidence les contraintes et les orientations stratégiques qui déterminent cette offre de services.

En revanche, dans le cadre de la présente réflexion, notre approche sera strictement inductive : il ne s’agira pas de soumettre la réalité économique à des normes gestionnaires (par exemple, recouvrement intégral des coûts, etc.) que postulerait un cadre de pensée centrée sur la profitabilité et un cadre strictement micro-économique. Notre démarche sera effectivement inductive puisqu’elle considèrera le modèle économique comme un instrument méthodologique pour rendre compte et formaliser le fonctionnement effectif du secteur d’eau à long terme et non pas comme une référence normative à laquelle la réalité devra se soumettre.

2. Cadre législatif et orientations stratégiques de la loi relative à l’eau en Algérie

En Algérie, le secteur de l’eau fait l’objet d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics qui lui consacrent d’importants financements (BOUKHARI et al., 2017). Les dépenses publiques dans ce secteur sont souvent illustrées par des investissements dans les grandes infrastructures telles que la construction des barrages et des usines de traitement, la réalisation de grands transferts interrégionaux, la réhabilitation des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement, et aussi la construction des usines de dessalement et des stations d’épuration.

Les dépenses publiques allouées au secteur de l'eau ont augmenté au cours des dernières années : le cumul des montants autorisés pour la période analysée (1999-2012) s’évalue à environ 43,642 milliards $ US (KHERBACHE et OUKACI, 2017) et il a atteint les 50 milliards $ US en 2017. Malgré ces montants mobilisés, la gestion des SEPA est encore perfectible dans la plupart des villes algériennes (GUEBAIL et al., 2011; BOUKHARI et al., 2017). Une partie seulement de l’eau potable produite est réellement distribuée aux usagers en raison d'importantes pertes (physiques et commerciales) dans les réseaux, les rendements physiques sont très faibles, ne dépassant pas dans certains cas 50 % (BOUKHARI et al., 2011; KERTOUS, 2013; KHERBACHE et OUKACI, 2017).

En Algérie, les services d’eau potable sont gérés par l’Algérienne des eaux (ADE) alors que l’assainissement relève de l’Office National d’Assainissement (ONA). Placés sous la tutelle du Ministère des Ressources en eau (MRE), l’ADE et l’ONA sont des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial (EPIC), créés par le décret exécutif n° 01-102 du 21 avril 2001. Dès la fin des années 90, l’État a mis en place une nouvelle stratégie de développement du secteur de l’eau par la mise en oeuvre d’une politique nationale de l’eau. Ensuite, l’État a adopté une nouvelle loi n° 05-12 du 4 août 2005 portant le Code des eaux .

La loi relative à l’eau en Algérie fixe les principes, les régimes juridiques et les règles applicables pour l'utilisation, la gestion et le développement durable des ressources en eau, en tant que bien de la collectivité nationale. Cette loi précise aussi les modes de gestion ainsi que la tarification des services de l’eau, de l’assainissement et l’eau agricole. Les 48 wilayas (départements) en Algérie sont réparties en cinq zones tarifaires et chaque zone a son tarif de base pour l’eau potable et l’assainissement (Tableau 1) (Art. 137). Les zones 1, 2 et 3 regroupent les départements du Nord algérien; ils ont le même tarif de base pour l’eau potable et l’assainissement. La zone 4 regroupe quelques départements de l’Ouest qui ont un manque dans leurs ressources en eau, par contre, les départements du Sud (Sahara) sont rassemblés dans la zone 5.

Tableau 1

Tarif de base de l’eau potable et de l’assainissement en Algérie (décret du 9 janvier 2005)

Basic tariff for drinking water and sanitation in Algeria (decree of 9 January 2005)

Tarif de base de l’eau potable et de l’assainissement en Algérie (décret du 9 janvier 2005)

a100 DA (dinars algériens) = 0,72 €

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L’eau distribuée aux abonnés est facturée selon un barème de tarifs progressifs à plusieurs tranches trimestrielles de consommation d’eau (Tableau 2). D’après le tableau 2, la tarification de l’eau potable et de l’assainissement en Algérie est fondée sur deux principes : i) la définition de trois catégories d'usagers (domestique, industriel, commercial) et de quatre tranches de consommation d'eau pour les usagers domestiques, ii) la progressivité de la tarification pour les ménages en fonction des quantités d’eaux consommées.

Tableau 2

Barème de tarifs de l’eau pour les différentes catégories d’usagers et tranches de consommation trimestrielle en Algérie

Water tariff scale for different user categories and quarterly consumption bands in Algeria

Barème de tarifs de l’eau pour les différentes catégories d’usagers et tranches de consommation trimestrielle en Algérie

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En Tunisie, les SEPA appliquent un tarif unique à travers tout le pays. Ce système de tarification est composé de deux types de redevances : fixe et volumétrique. La partie volumétrique est variable et augmente avec la quantité d'eau consommée (sept blocs). Les charges fixes de l’eau potable varient en fonction du diamètre du compteur et celles de l’assainissement varient en fonction du bloc de consommation (Tableau 3).

Tableau 3

Tarifs progressifs par tranche de consommation d’eau potable pour un usage domestique en Tunisie en 2016 (SONEDE, 2016)

Progressive tariff rates of drinking water for domestic usage in Tunisia in 2016 (SONEDE, 2016)

Tarifs progressifs par tranche de consommation d’eau potable pour un usage domestique en Tunisie en 2016 (SONEDE, 2016)

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Au Maroc, le tarif résidentiel comporte quatre blocs, le plus bas correspondant à une consommation inférieure à 6 m3 par mois et le plus élevé à une consommation supérieure à 35 m3 par mois. Toutefois, la tarification varie d’une localité à l’autre (LYDEC, 2016) (Tableau 4). Sachant que la facturation de l’eau au Maroc est mensuelle, elle est trimestrielle pour le cas de l’Algérie et la Tunisie (Tableau 5).

Tableau 4

Tarifs de l’eau potable pour les particuliers à Casablanca (Maroc) en 2016 (LYDEC, 2016 )

Drinking water tariffs for individuals in Casablanca (Morocco) in 2016 (LYDEC, 2016)

Tarifs de l’eau potable pour les particuliers à Casablanca (Maroc) en 2016 (LYDEC, 2016 )

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Tableau 5

Tranches de consommation d’eau dans les trois pays

Water consumption bands in the three countries

Tranches de consommation d’eau dans les trois pays

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La progressivité des tarifs appliqués dans les trois pays (Algérie, Maroc et Tunisie) permet aux ménages à condition socio-économique modeste d’accéder à l’eau potable à bon marché. Le prix de l’eau appliqué en Algérie et Tunisie est inférieur au coût de revient (SEBRI, 2015), mais pour le cas du Maroc, il est seulement dans la première tranche que le prix de vente hors taxes (HT) de l'eau (2,99 dirhams marocains [DH] pour les ménages casablancais) est inférieur à son prix d'achat HT (4,88 DH pour Casablanca). En Algérie, il est très en dessous des coûts d’exploitation (opération et maintenance). Dans certains cas il ne couvre que 80 % du coût total, ou ne couvre à peine que la seule charge de salaire (le premier poste de charge de l’ADE est représenté par les salaires, qui s’élèvent à 26 milliards de dinars algériens (DA), presque autant que le chiffre d’affaires, qui est de 28 milliards de dinars en 2016). Le déficit est couvert par l’État sous forme de subventions d’équilibre, prévues pour compenser la différence entre les charges réelles d’exploitation et le produit des ventes d’eau. Il en résulte un chiffre d'affaires faible qui, allié à la limitation du tarif, aboutit à une situation financière difficile pour les gestionnaires des SEAP, qui les empêchent d’assurer un bon fonctionnement de l’offre de leurs services aux usagers. À titre d'exemple, en Algérie, le consommateur paie 0,046 €∙m‑3 en première tranche de consommation, dite sociale, contre 0,062 € en Tunisie et 0,272 € au Maroc (Figure 1).

Figure 1

Différence du tarif de l’eau entre les trois pays

Difference in the price of water between the three countries

Différence du tarif de l’eau entre les trois pays

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Par comparaison, si on considère que le prix du par mètre cube en tranche sociale en Algérie représente l'indice 100, en Tunisie le même indice passe à 135 et au Maroc il atteint 599. Un raisonnement en parité de pouvoir d'achat (PPA) entre ces trois pays affinerait la signification de cette mise en perspective tarifaire même si empiriquement on doit pouvoir affirmer que ce n'est pas la PPA qui va expliquer l'essentiel de ces écarts. Le Maroc, par un vaste dispositif de péréquations entre tranches, entre « métiers » (de l'électricité vers l'assainissement) et entre territoires recherche un recouvrement viable des coûts en dépenses d’exploitation (operating expenditure : OPEX) et, autant que faire se peut, en dépenses d'investissement de capital (capital expenditure : CAPEX).

En Algérie, la facturation aux usagers des SEPA (Figure 2) est établie sur la base du barème des tarifs par zone tarifaire territoriale. Elle comprend deux éléments :

  • Une partie variable, d'un montant proportionnel au volume consommé pendant un temps donné et mesuré au compteur particulier;

  • Une partie fixe dite redevance fixe d'abonnement, d'un montant couvrant tout ou partie des frais d'entretien du branchement particulier, de location et d'entretien du compteur d'eau et de gestion commerciale des usagers, dont les taux sont les suivants : 240 DA par trimestre pour l'eau potable et 60 DA pour l’assainissement.

Figure 2

Évolution du montant de la facture d’eau (dinars algériens) en fonction de la consommation trimestrielle

Evolution of the water bill (Algerian dinars) according to the quaterly consumption

Évolution du montant de la facture d’eau (dinars algériens) en fonction de la consommation trimestrielle

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À cela s’ajoute :

  • La redevance de gestion fixée à 3 DA∙m‑3 consommé;

  • Les redevances « économie de l’eau » et « protection de la qualité de l’eau » : le taux est de 8 % pour les wilayas du Nord (4 % pour chaque redevance) et de 4 % pour les wilayas du Sud (2 % pour chaque redevance);

  • La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : 9 % appliquée sur les produits « eau ».

La figure 2 montre que l’ADE bénéficie seulement de presque 60 % de la facture d’eau, et les 40 % sont destinés à l’ONA et les autres organismes de l’eau sous forme de redevances.

3. Méthodes

L'idée principale de cette recherche s'articule autour de la politique de tarification de l'eau domestique dans le département de Souk-Ahras. L'approche utilisée pour déterminer le coût des services d'eau a consisté à analyser les données financières disponibles de toutes les entités impliquées dans la fourniture de services et à évaluer leurs dépenses annuelles pour une période de 2006-2017.

Cette section présente schématiquement la situation financière des deux unités ADE et ONA du département de Souk-Ahras. Nous analyserons successivement :

  • La situation en matière du prix de l’eau (tarification et subvention);

  • La relation entre les charges et les recettes;

  • La performance financière.

On analysera ensuite l’évolution des tarifs, les recettes, charges et les subventions des deux services pour la période 2006-2017.

3.1. Zone d’étude

Le département de Souk-Ahras est situé au nord-est de l’Algérie (Figure 3). Il couvre une superficie de 4 358 km2 environ. Le département de Souk-Ahras est presque comme tous les autres départements de l’Algérie, souffre d’un stress hydrique, d’un taux élevé des pertes sur les réseaux d’alimentation en eau potable et d’une offre de SEPA inadaptée pour répondre aux besoins des populations (BOUKHARI et al., 2017).

Figure 3

Situation du département de Souk-Ahras

Location of the department of Souk-Ahras

Situation du département de Souk-Ahras

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Depuis le 1er juillet 2006, la gestion des services d’eau potable dans le département de Souk-Ahras est assurée par l’ADE, et la gestion des services de l’assainissement relève de l’ONA. Nous considérerons ici uniquement les communes gérées par l’ADE et l’ONA de Souk-Ahras. Elles sont au nombre de 16 sur les 26 que compte le département (les dix autres communes fonctionnent en régie communale).

L’unité ADE de Souk-Ahras compte 66 199 abonnés domestiques, elle gère 1 097 km de réseau d’adduction et de distribution d’eau potable, 93 réservoirs de stockage d’eau potable, 30 forages et une station de traitement (ADE, 2018). De son côté, l’ONA contrôle 864 km de réseau d’assainissement et trois stations d’épuration (ONA, 2018).

3.2. Analyse des volumes d’eau

Au regard des données étudiées, il existe une grande différence entre les volumes produits par l'opérateur, les volumes distribués et les volumes consommés par les ménages pour les années 2006-2017 (Figure 4) (ADE, 2018). D’après les services de l’ADE locale, la principale cause de ce déficit est la perte d’eau dans le système de distribution de l’eau potable.

Figure 4

Différence entre les trois volumes pour le département de Souk-Ahras (ADE, 2018)

Difference between the three volumes for the department of Souk-Ahras (ADE, 2018)

Différence entre les trois volumes pour le département de Souk-Ahras (ADE, 2018)

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D’après la figure 4, entre 2006 et 2017 il y a eu d'abord une augmentation du volume produit à cause de l’augmentation de la demande en eau potable, mais on a ensuite observé une diminution des volumes distribués dans les années 2015-2017 à cause de l'effet de la sécheresse sur la disponibilité de la ressource ces dernières années. En ce qui concerne les volumes d’eau distribués et facturés, il y a eu une amélioration dans les années 2012-2014 suite aux projets de réhabilitation des réseaux d’alimentation en eau potable, mais après cette période, les volumes distribués et facturés ont diminué à cause de la réduction du volume produit.

4. Résultats et discussion

D’après la législation algérienne relative à l’eau, les SEPA sont des services publics industriel et commercial : ils doivent disposer statutairement d’un budget équilibré en recettes et en dépenses.

  • Les recettes d’exploitation proviennent de la facture d’eau à la charge des usagers.

  • Les dépenses comprennent : les frais d’exploitation et d’administration des services, notamment les frais de personnel; les coûts de maintenance et de réparation et par définition ces dépenses ne comprennent pas les coûts d’investissements qui sont financés par le budget de l’État.

4.1. Tarif de l’eau potable et de l’assainissement en Algérie

Idéalement, un système équilibré du prix de l’eau devrait permettre de dégager des recettes suffisantes pour assurer la couverture des dépenses de fonctionnement, d’entretien, d’investissement et d’amélioration de la qualité et de l’efficacité des SEPA. Mais comme par exemple en matière de transport en commun intra-urbain, ou de production et distribution d'électricité, l'adage qui affirme que « l'eau paye l'eau » ne se vérifie pas. La question n'est donc pas dans un recouvrement intégral mythique et risqué des coûts, mais dans la recherche d'un modèle économique viable. Ce qui ne suppose ni opacité ni inefficience des ressources mobilisées.

Le tarif de l’eau en Algérie a été révisé plusieurs fois entre les années 1985 et 2005. En valeur courante, un tarif de base unique était appliqué sur l’ensemble du territoire national; maintenu à 1 DA∙m‑3 de 1985 à 1990, ce tarif a ensuite connu une augmentation pour atteindre 3,60 DA∙m‑3 en 1996. Une nouvelle hausse des tarifs de l’eau potable est intervenue en 2005, avec un tarif de base spécifique, variant de 5,80 à 6,30 DA∙m‑3 selon cinq zones. Après 2005, le tarif de l’eau est resté inchangé.

En défalquant l’inflation, on observera que le prix réel de l’eau a diminué. En considérant l’année 1985 comme année de base, on calculera le prix de l’eau hors inflation comme en atteste la figure 5, le tarif de l’eau en Algérie a augmenté moins vite que l'inflation entre 1985 et 2017.

Figure 5

Évolution de l’inflation et du prix nominal (dinars algériens) de l’eau en Algérie (1985-2017)

Evolution of inflation and of nominal price (Algerian dinars)of water in Algeria (1985-2017)

Évolution de l’inflation et du prix nominal (dinars algériens) de l’eau en Algérie (1985-2017)

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La figure 5 atteste que le prix nominal de l’eau n’a pas suivi l’inflation. En conséquence, le prix réel de l’eau potable a baissé. Plus l’inflation a augmenté et plus le prix réel de l’eau a diminué puisque l’écart entre les deux variables s’est nettement creusé entre 1985 et 2017.

Les charges d’exploitation ont enregistré une augmentation de 24 % durant l’exercice 2014, alors que le chiffre d’affaires augmentait seulement de 14 %. En contrepartie de ces déficits, l’ADE reçoit une sujétion de service public. À titre d’exemple, entre 2011 et 2015, cette sujétion ainsi que différentes mesures d’appui financier se sont élevées à 55 milliards de dinars. Le déficit accumulé durant la même période s’élevait à 78 milliards de dinars, soit un trou béant de 23 milliards de dinars dans les finances de l’entreprise. Ce montant n’est pas loin du chiffre d’affaires de l’entreprise, qui est, de plus, est menacée de voir sa subvention réduite en raison des restrictions budgétaires.

4.2. Comparaison de l’évolution du prix de l’eau avec d’autres produits

Nous avons effectué une comparaison de l'évolution du prix de l'eau avec certains produits alimentaires (pain, tomate et pomme de terre) en Algérie. Nous avons observé dans la figure 6 qu'au cours de la même période (1985-2017) le prix nominal des services de l’eau a augmenté moins vite que le prix des autres produits alimentaires témoins.

Figure 6

Évolution du prix nominal (dinars algériens) des produits de base

Evolution of nominal price (Algerian dinars) of basic commodities

Évolution du prix nominal (dinars algériens) des produits de base

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Cette comparaison livre un indice sur le caractère social de la tarification de l’eau en Algérie (même s’il ne faut pas perdre de vue que l’accès généralisé à l’eau est annoncé comme un objectif social, mais paradoxalement la disponibilité des fluides et leur distribution peinent à s’aligner sur ce choix stratégique).

4.3. Coût du service d’eau et d’assainissement en Algérie

Le niveau du tarif devrait être déterminé en utilisant une approche basée sur les coûts des SEPA, ainsi que, les demandes des consommateurs (VAROUCHAKIS et al., 2017). En Algérie, il n’existe que peu d’études qui précisent le coût des services de l’eau. Selon notre recherche bibliographique, nous avons identifié :

  • L’étude SOGREAH/ICEA (2002) révèle que le coût de l’eau en tête de réseau est de 35 DA∙m‑3. La distribution de l’eau coûte 20 à 25 DA∙m‑3, soit au total entre 55 à 60 DA∙m‑3. Le coût réel de l'eau varierait entre 73 et 82 DA∙m‑3 avec un coût d’assainissement de 31,5 à 35 DA∙m‑3. Le coût de l'eau se situerait alors dans une fourchette de 100,5 à 117 DA∙m‑3.

  • Une étude de BENACHENHOU (2005) a montré que le coût réel du mètre cube d’eau en Algérie est d’environ 130 DA∙m‑3.

  • Le coût réel du mètre cube d’eau et d’assainissement pour la ville de Souk-Ahras est de 125 DA∙m‑3 (BOUKHARI et al., 2011), incluant les coûts d’investissement et de fonctionnement (eau potable et assainissement) pour un prix de vente de 18 DA∙m‑3.

  • Dans une autre étude réalisée à l’ENSH, le coût réel d’eau est égal à 170 DA∙m‑3 pour la ville de Bordj Bou Arreridj (ZEROUAL et al., 2013).

4.4. Coûts de fonctionnement des SEPA du département de Souk-Ahras

Précisons que les données relatives aux SEPA du département de Souk-Ahras ne portent que sur les coûts d’exploitation de l’ADE et l’ONA, les coûts d'investissement restant à la charge du Ministère des Ressources en eau (MRE). Ces coûts de fonctionnement qui déterminent le petit équilibre comptable comprennent les dépenses suivantes : les frais du personnel; les dépenses d’électricité; achat d’eau brute (barrage); autres charges : les dépenses d’entretien et de réparation et les frais généraux (véhicules, locaux, direction, matériels de laboratoire, etc.) et produits chimiques.

À partir des données instantanées de l’année 2017, nous avons établi une analyse de ventilation des charges de fonctionnement (valeur nominale) de l’ADE et de l’ONA de Souk-Ahras. Cependant, nous avons préféré une analyse dynamique pour la période de 2006-2017 (Figures 7 et 8) pour mettre en évidence l’évolution différentielle des charges, et en particulier la hausse relative de la charge salariale pour l’ADE et l’ONA. L’évolution de la charge salariale pour les deux opérateurs suit la même tendance : les charges d’exploitation augmentent sous l’effet d’une hausse nominale continue de la masse salariale.

Figure 7

Dépenses nominales (dinars algériens) du service de l’eau potable (ADE, 2018)

Nominal expenses (Algerian dinars) of the drinking water service (ADE, 2018)

Dépenses nominales (dinars algériens) du service de l’eau potable (ADE, 2018)

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Figure 8

Dépenses nominales (dinars algériens) du service de l’assainissement (ONA, 2018)

Nominal expenses (Algerian dinars) of the sanitation service (ONA, 2018)

Dépenses nominales (dinars algériens) du service de l’assainissement (ONA, 2018)

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Autant pour la distribution d'eau potable que pour l'assainissement, il aurait été intéressant de construire un indice de performance du personnel (employés des SEPA) en faisant pour chaque « métier » eau et assainissement et entre plusieurs opérateurs nationaux et internationaux, une comparaison des ratios « chiffre d'affaires/charges de personnel » et « volumes distribués/nombre d'agents ». Mais une difficulté méthodologique peut surgir quand, comme au Maroc, les opérateurs sont multiservices (eau potable + assainissement + pluvial + électricité + éclairage public) sans disposer d'une comptabilité analytique par métier.

4.5. Recettes des services d’eau du département de Souk-Ahras

La figure 9 montre que les dépenses d'exploitation ne sont pas couvertes par les recettes facturées et recouvrées par les services d’eau. Donc, le petit équilibre comptable n’est pas atteint pour les SEPA de Souk-Ahras.

Figure 9

Différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement (dinars algériens)

Difference between revenues and operating expenses (Algerian dinars)

Différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement (dinars algériens)

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Recul des recettes et hausse des dépenses : l’équilibre économique (budgétaire) des SEPA n’est pas atteint. Cette situation conduit les pouvoirs publics à soutenir les opérateurs (ADE et ONA) en leur allouant des subventions.

Presque 70 % des abonnés de l’ADE du département de Souk-Ahras sont des ménages (catégorie domestique) qui paient l’eau au tarif social (première tranche ≤25 m3 par trimestre), à peine 0,046 €∙m‑3 pour l’eau potable dont le prix de revient se situe autour de 0,365 €. Pour chaque mètre cube produit, les pertes sont supérieures à 0,32 €, ce qui donne un déficit financier de 6 048 000 € pour l’année 2017. C’est une situation classique pour les entreprises déficitaires : quand la production s’améliore, les déficits explosent.

4.6. Subvention

L'État, à travers son administration (MRE) ou par l'intermédiaire d'entreprises publiques (ADE et ONA), fournit aux usagers une eau potable tarifée à un montant inférieur à son coût de production. Les factures des consommateurs ne couvrant qu'une partie des dépenses, d'autres sources de financement, en particulier les subventions, doivent être mises en place. Le mécanisme général des subventions est que l'aide fournie au secteur de l’eau peut abaisser les coûts de production (subvention des coûts d’énergie) mais surtout va accroître substantiellement les ressources des services d’eau potable (subvention directe dans les comptes d’exploitation de l’ADE et l’ONA). Les recettes facturées étant inférieures aux dépenses de fonctionnement, une subvention annuelle de la Direction générale (DG-ADE) est versée au compte de l’unité ADE de Souk-Ahras. Le même mécanisme fonctionne pour l’ONA local.

En conclusion des sections précédentes, il apparaît que le système de gestion des SEPA nécessite un important appui budgétaire public pour assurer non seulement les grands investissements dans le secteur de l’eau, mais identiquement d’importantes subventions directes conditionnent l’équilibrage du compte d’exploitation de chaque unité ADE et ONA. Les services d’eau et d’assainissement en Algérie ont toujours souffert d’une faiblesse financière (BOUKHARI et al., 2017) en recherchant des solutions pour améliorer les recettes destinées à couvrir les dépenses de fonctionnement. Face à cette situation, les premières questions auxquelles sont confrontés les deux services sont les suivantes :

  • Comment assurer la durabilité économique du service, dans un contexte difficile?

  • Dans une approche à long terme, quelle est la nature (viabilité) de l’équilibre économique de long terme (modèle économique-dynamique)?

Selon les données disponibles et l’analyse proposée, il apparaît que les deux unités locales ADE et ONA sont loin du recouvrement intégral des coûts en raison des faibles tarifs (politique sociale de l’État) et de la masse des dépenses. Sur la base de ce constat, un questionnement se pose : comment un service de l’eau organise-t-il son fonctionnement et assure la viabilité économique des services? Quel est le modèle économique adéquat pour l’amélioration de la performance des SEPA pour le cas du département de Souk-Ahras?

La gestion économique mise en évidence paraît déterminée par une stratégie sociale (les fortes subventions versées dans le compte d’exploitation des services d’eau). Nous avons commencé notre analyse par un diagnostic instantané (évaluation moyenne de l’ensemble des variables). Nous avons sélectionné les variables-clés et repéré leur évolution en introduisant le facteur temps. Puis, nous avons observé comment ont évolué les variables clés qui permettront de préciser si la référence au recouvrement des coûts est pertinente ou bien si la logique du modèle renvoie à d’autres enjeux stratégiques, en particulier une offre de service à caractère social qui est adossée à un subventionnement public conséquent.

5. Conclusion

Malgré les lourds investissements de l’État en vue d’améliorer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, les unités de l’ADE et de l’ONA rencontrent des difficultés pour gérer et exploiter ces deux services et aussi pour entretenir leur patrimoine à cause de l’évolution rapide de la démographie dans les villes, les déficits budgétaires de ces deux entreprises publiques causés par les tarifs trop bas de l’eau et de l’assainissement et des rendements physiques et commerciaux insuffisants. En conséquence, les compagnies de distribution offrent des services de piètre qualité (une distribution discontinue) avec de faibles performances opérationnelles. D’après des données officielles, le pourcentage d’eau non comptabilisée (pertes commerciales et techniques) est estimé à environ 50 % (BOUKHARI et al., 2017), cette situation problématique s’explique principalement par l’état défectueux des réseaux, un renouvellement des infrastructures sous-dimensionné et par une exploitation technique et commerciale mal maîtrisée.

L'avantage d'avoir une telle approche est qu'elle permet aux décideurs et aux gestionnaires des SEPA d'exprimer la façon dont ils ont l'intention d’améliorer la performance de leurs services. Nous avons commencé par la détermination des variables clés afin de mener notre étude sur les deux compagnies ADE et ONA du département de Souk-Ahras. Il s’agit de la population, des abonnés, des volumes (produit, distribué, facturé, recouvré), des coûts de fonctionnement (hors investissement), des recettes HT (eau et assainissement), des subventions, et du facteur « temps ».

Il existe des relations causales entre les différentes composantes (variables) de notre modèle. Afin de garantir aux clients un SEPA amélioré et durable, l'offre de services doit avoir une position favorable (qualité de service/prix abordable de l’eau et de l’assainissement). Pour y parvenir, les unités locales de l’ADE et de l’ONA doivent : i) offrir une eau de bonne qualité (volume produit) et assainir toutes les eaux usées pour ces clients, ii) minimiser les fuites d’eau sur les réseaux, iii) maîtriser les coûts de fonctionnement, iv) recouvrir les factures d’eau, v) améliorer les recettes pour une viabilité économique et vi) diminuer les subventions de l’État.

La gestion économique actuelle des SEPA en Algérie a une orientation clairement sociale, c.-à-d., les objectifs sociaux dominent et les objectifs économiques jouent un rôle secondaire. Mais le paradoxe est que, en l'état, le modèle économique ne semble pas en mesure d'assurer sa pérennité. En effet, le modèle actuel est équilibré, mais il est fragile à cause du taux croissant de subvention versée dans le compte d’exploitation des services d’eau. Il combine des objectifs sociaux et économiques, l'idée principale est de créer non seulement des recettes supplémentaires, mais aussi d'accroître la satisfaction de la clientèle en répondant aux besoins de façon plus satisfaisante. Cela rendrait l'eau plus abordable à long terme.

Le faible poids du coût de l'eau sur le revenu des ménages, qui ne dépasse pas 2 %, laisse une marge pour réviser le prix de l'eau. Cependant, cette option doit tenir compte du fait que l’ajustement tarifaire ne doit pas ignorer la nécessité de garantir un accès universel à une quantité minimale d’eau. De toute évidence, les objectifs de durabilité écologique, d’efficacité économique et d’équité sociale ne peuvent être atteints en s’appuyant uniquement sur des politiques tarifaires. Par exemple, l'augmentation des revenus peut permettre aux citoyens de faire face aux coûts d'accès aux services, tandis que les améliorations technologiques peuvent contribuer à économiser les ressources en eau.