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1. Introduction

Les protozoaires ciliés sont des éléments importants du nanoplancton et du microzooplancton. Ils représentent, en matière d’abondance et de biomasse, une composante non négligeable des écosystèmes aquatiques (Porteret al., 1985; Lairet al., 1998). Pace et Orcutt (1981) montrent que les ciliés peuvent atteindre des densités de 103 à 104 ind•L-1 et qu’ils peuvent représenter, dans certains milieux lacustres, jusqu’à 50 % de la biomasse totale de la communauté zooplanctonique. Ils sont, par ailleurs, d’excellents bioindicateurs de la pollution organique (Foissner, 1988; Foissner et Berger, 1996) et peuvent être utilisés pour l’épuration bactériologique des eaux polluées (Nola et al., 2003).

Ces microorganismes restent en général très peu étudiés en Afrique, notamment dans les écosystèmes d’eau douce où les travaux les plus marquants sont ceux effectués par Dragesco durant la décennie 1980 (cf. Dragesco et Dragesco-Kerneis, 1986). Au Cameroun, quelques travaux ont été réalisés concernant particulièrement des aspects systématiques (Dragesco, 1970; Dragesco et Njiné, 1971; Njiné, 1977, 1978, 1979; Foto Menbohan, 1989, 1997) et écologiques (Foto Menbohan, 1989, 1997; Foto Menbohan et Njiné, 1998; Njiné et Foto Menbohan, 1998; Nolaet al., 2003) des peuplements de ciliés aquatiques. Cependant, en dehors des travaux de Njiné (1977) sur les ciliés de mares temporaires à Yaoundé, aucune étude n’a été effectuée sur les ciliés des milieux aquatiques lentiques permanents en général et lacustres en particulier. On sait donc peu de choses sur les variations saisonnières des ciliés en zone tropicale en général et au Cameroun en particulier. Le présent travail a pour but d’étudier la composition et la distribution spatiale et saisonnière des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé.

2. Matériel et méthodes

2.1 Site d’étude

Le Lac Municipal de Yaoundé se situe entre 3° 51’ 37’’ N de latitude et 11° 30’ 40’’ E de longitude. C’est un écosystème qui a été caractérisé comme hypereutrophe (Zébazé Togouet, 2000; Niyitegeka, 2001; Kemkaet al., 2003). Il s’agit d’un lac de barrage construit en 1951 sur le cours d’une rivière (le Mingoa) qui traverse le coeur de la ville de Yaoundé (Figure 1). Ses caractéristiques morphologiques et hydrologiques sont résumées dans le tableau 1. Ce lac héberge une communauté phytoplanctonique diversifiée et dominée par des cyanobactéries qui peuvent représenter jusqu’à 97 % de l’abondance totale (Tadonlékéet al., 1998). Ce peuplement se remanie en permanence, ce qui caractérise bien les milieux hypereutrophes où aucun stade d’équilibre n’est atteint (Kemkaet al., 2004). L’herbier du lac, c’est-à-dire la zone littorale où on observe un développement de la végétation macrophytique, est dominé par des espèces telles que : Ipomea aquatica, Cyclosus striatus, Pistia stratiotes, Leersia hexandra, Commelina benghalensis, Impatiense invirgii et Nymphea alba (Kemkaet al., 2004).

Figure 1

Situation du Lac Municipal dans la ville de Yaoundé.

Location of Municipal Lake of Yaoundé.

Situation du Lac Municipal dans la ville de Yaoundé.

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Tableau 1

Caractéristiques morphologiques et hydrologiques du Lac Municipal de Yaoundé.

Morphologic and hydrologic characteristics of municipal Lake Yaoundé.

Caractéristiques morphologiques et hydrologiques du Lac Municipal de Yaoundé.

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Le climat local, dit Yaoundéen (Suchel, 1972), est un climat de type tropical chaud et humide, avec une atténuation des précipitations due à l’altitude. Ce climat est en effet caractérisé par une pluviométrie modérée d’environ 1 576 mm/an et par quatre saisons dont deux saisons de pluies (une petite saison de mi-mars à juin et une grande saison de mi-août à mi-novembre) et deux saisons sèches (une petite saison de juillet à mi-août et une grande saison de mi-novembre à mi-mars) de durée variable. Les mois de décembre, janvier et février sont des mois sub-arides alors que septembre et octobre sont des mois de fortes pluviosités (Figure  2).

Figure 2

Variation de la pluviométrie et de la température de Yaoundé pendant la période d’étude.

Variation of temperature and rainfall in Yaoundé during the study period.

Variation de la pluviométrie et de la température de Yaoundé pendant la période d’étude.

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2.2 Échantillonnage

Les échantillons ont été prélevés toutes les semaines d’avril à décembre 1997, dans la zone pélagique du lac et au niveau de la zone littorale (herbier). Dans la zone pélagique, trois stations (A, B et C) ont été échantillonnées. La station A est située dans la partie amont du lac, la station B dans sa partie centrale et la station C au niveau de la partie aval. À chaque station, les échantillons ont été prélevés à la surface (0 m) et à 0,5 m; 1,0 m; 1,5 m et 2,5 m de profondeur. L’échantillonnage en zone pélagique a été effectué à l’aide d’une bouteille fermante de type Van Dorn, opaque et d’une contenance de 6 L. Douze litres d’eau ont été prélevés chaque fois et concentrés à travers un tamis de 34 µm d’ouverture de maille, jusqu’à obtention de 10 mL d’échantillon ramenés au laboratoire pour les comptages. La station D, située dans l’herbier (zone littorale), a été échantillonnée à l’aide d’un récipient de verre, après agitation des macrophytes pour une étude qualitative des ciliés. À cet effet, différents sous-échantillons de 50 mL ont été prélevés et mélangés. Après homogénéisation, 500 mL sont ramenés au laboratoire dans une enceinte isotherme en même temps que les 10 mL précédents et examinés dans les 2 à 3 heures suivantes.

2.3 Variables abiotiques

La température, la lumière incidente, la transparence de l’eau et le pH ont été mesurés in situ, respectivement au moyen d’un thermomètre à mercure, d’un luxmètre, d’un disque de Secchi (diamètre = 30 cm) et d’un pH-mètre Shott C.G. 818. L’oxygène dissous a été mesuré par la méthode dite de Winkler (Mackerethet al., 1978). La couleur de l’eau, les matières en suspension (MES) et l’azote ammoniacal ont été mesurés par spectrophotométrie (Spectrophotomètre Hach DR/2000) selon les méthodes APHA (1985).

2.4 Variables biotiques

Pour l’étude qualitative, les déterminations de ciliés ont été effectuées sur le vivant, à l’aide de clés d’identification préconisées dans les ouvrages de Kahl (1932), Dragesco ET Njiné, (1971) et Dragesco et Dragesco-kerneis (1986). Concernant l’étude quantitative, les dénombrements ont été effectués dans des boîtes de pétri, sur des échantillons frais et à l’aide d’une loupe binoculaire WILD M5 aux grandissements 250x et 500x. Des sous-échantillons de 1 mL prélevés après homogénéisation ont été utilisés et les individus dénombrés ont été successivement retirés de la partie aliquote à l’aide d’une micropipette (Legendre et Watt, 1972). Pour minimiser les erreurs (Frontier, 1972), les comptages sont effectués en triplicat et au moins 100 individus sont comptés chaque fois. En cas d’encombrement pour certains échantillons, des dilutions (1/2, 1/4, 1/5…) ont été réalisées et lorsque le nombre de 100 individus n’était pas atteint, des fractions supplémentaires ont été analysées jusqu’à l’épuisement des 10 mL de l’échantillon. Sime-Ngandoet al. (1990) montrent l’efficacité et l’importance des dénombrements de ciliés sur le vivant, alors que Frontier (1972) arrive à la conclusion suivant laquelle en comptant 100 individus d’un échantillon, on fait une erreur acceptable en écologie des peuplements. En outre, la fixation déforme certains ciliés, rendant l’identification parfois impossible. Les abondances obtenues ont été ensuite rapportées au litre.

La biomasse (poids frais) des ciliés a été estimée de façon indirecte par la méthode des biovolumes (Sime-Ngandoet al., 1990) et a été utilisée pour les analyses de corrélation (r de Spearmann) et de régression multiples (Fry et Iles, 1993). L’indice de similarité de Sorensen a été calculé entre les stations échantillonnées.

3. Résultats

3.1 Environnement physico - chimique

Au cours de l’étude, la température de la colonne a peu varié, avec une amplitude de ± 2,5 °C. Il en est de même des valeurs du pH qui ont fluctué de ± 0,5 autour de 7. Cela n’est pas le cas pour la pénétration de la lumière qui est rapidement atténuée par les eaux du lac, avec un abattement de plus de 40 000 lux dès 0,5 m de profondeur. La lumière incidente maximale est obtenue au cours du mois d’avril (Tableau 2).

Tableau 2

Moyennes et écart-types des variables physico-chimiques des eaux du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude.

Mean values of the physico-chemical water variables measured in Municipal Lake of Yaoundé during the study period.

Moyennes et écart-types des variables physico-chimiques des eaux du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude.

Lum. Inc. = lumière incidente; O. dis = Oxygène dissous; N. am = Azote ammoniacal; Trans. Sécchi = Transparence au disque de Sécchi

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Les MES sont nettement plus élevées en profondeur qu’en surface, ce qui explique sans doute les variations verticales de la couleur des eaux du lac. De manière générale, les eaux du Lac Municipal de Yaoundé sont colorées et chargées en MES. Par ailleurs, pendant les mois sub-arides, le lac reçoit moins de MES. La profondeur de disparition du disque de Secchi est restée en dessous de 1 m au cours de l’étude, au niveau des trois stations pélagiques. Elle atteint son niveau le plus bas en janvier 1997. Les concentrations en oxygène dissous baissent graduellement avec la profondeur. En effet, les valeurs sont comprises entre 4,1 et 18,3 mg•L-1 (correspondant respectivement à 47 % et 235 % de saturation) en surface alors que des conditions plutôt anoxiques prévalent dans les couches inférieures du lac, notamment à partir de 2,5 m de profondeur. Les teneurs en azote ammoniacal sont plus élevées dans les eaux profondes qu’en surface. Les plus fortes valeurs sont enregistrées en septembre et en décembre (Tableau 2).

3.2 Composition spécifique

Cinquante huit (58) espèces de ciliés appartenant à 10 ordres et à 28 familles différentes ont été identifiées au cours de cette étude (Tableau 3); sept de ces espèces rares n’ont pu être clairement déterminées. Parmi les 58 espèces, 62 % sont littorales et périphytiques alors que 37 % seulement sont pélagiques. Uronema nigricans a été observé dans tous les échantillons des stations pélagiques et Coleps hirtus dans 97 % de ces échantillons. Ces deux espèces sont les espèces les plus fréquentes du Lac Municipal de Yaoundé. Spirostomum ambigum n’est présent que dans la zone littorale alors que sept espèces n’apparaissent pas dans cette zone littorale. Il s’agit de Lagynophrya rostrata, L. simplex, Enchelyodon camerounensis, Spathidium sp., Coniculostomum sp., Histriculus sp. et Stylonychia sp. En matière de biomasse, les ciliés dominants sont Prorodon africanum qui atteint en poids frais 5 260 µg•L-1 et Coleps hirtus dont le maximum se situe à 3 800 µg•L-1. Uronema nigricans arrive en troisième position avec une biomasse maximale de 3 100 µg•L-1.

Tableau 3

Liste taxonomique des ciliés et fréquences d’apparition des différentes espèces.

Taxonomic list of the ciliate species and their frequencies.

Liste taxonomique des ciliés et fréquences d’apparition des différentes espèces.

N.B. : * espèces pélagiques, ** espèces récoltées au Cameroun pour la première fois; ***Herbier = Zone littorale

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Les valeurs de l’indice de similarité calculées entre les différentes stations sont présentées dans le Tableau 4. Ce tableau indique une forte similarité entre les peuplements des ciliés des stations A et B, d’une part, et des stations B et C, d’autre part. Par ailleurs, la zone littorale présente les plus faibles indices de similarités avec les autres stations. On observe en outre une différence significative entre cette zone et la station C.

Tableau 4

Matrice des indices de similarité entre les différentes stations échantillonnées.

Matrix of similarity indexes between the different study stations in the lake.

Matrice des indices de similarité entre les différentes stations échantillonnées.

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3.3 Importance quantitative et variations saisonnières

On observe des variations saisonnières plus ou moins marquées de la densité totale des ciliés pendant la période d’étude, au niveau des trois stations pélagiques (Figure 3). Ces fluctuations sont généralement plus marquées en profondeur (entre 1 et 2,5 m) qu’en surface (0 et 0,5 m) où les valeurs maximales apparaissent en septembre-octobre, lorsque les pluies sont importantes. La densité la plus importante, 21 800 ind•L-1 a en effet été enregistrée à 0,5 m de profondeur à la station A, le 14 octobre 1997. De façon globale, les abondances des ciliés pélagiques, dominées par Uronema nigricans et Coleps hirtus (densités toujours supérieures à 2 000 ind•L-1), sont plus importantes entre 0,5 m et 1,5 m de profondeur dans toutes les stations, particulièrement pendant les saisons de pluies. Elles sont plus faibles à la station A à 2,5 m de profondeur. Coleps hirtus présente des effectifs d’une relative constance pendant toute la période d’étude à la station A, alors qu’aux stations B et C, on observe une augmentation graduelle de la densité avec les pluies. Uronema nigricans présente un effectif important à la station B entre août et novembre pendant les fortes pluies. Prorodon africanum n’apparaît que de façon très sporadique entre septembre et novembre lorsque les pluies déclinent. Dans l’espace (de la station A à la station C) et dans le temps (de avril à décembre), on assiste à un remplacement de cette espèce par Prorodon sp. En matière de biomasse (en poids frais), les variations de la biomasse totale des ciliés sont relativement plus faibles que celles de l’abondance totale, avec cependant une concentration des valeurs les plus élevées plutôt en fin d’année comme pour les abondances (Figure 4). Comme pour les abondances, la biomasse la plus importante a été observée à la station A à 0,5 m de profondeur (130 mg•L-1).

Figure 3

Variations saisonnières des abondances des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude.

Seasonal variation of ciliate abundances in Municipal Lake of Yaoundé during the study period.

Variations saisonnières des abondances des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude.

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Figure 4

Variations saisonnières de la biomasse des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude en poids frais.

Seasonal variation of ciliate wet weight biomass in Municipal Lake of Yaoundé during the study period.

Variations saisonnières de la biomasse des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé pendant la période d’étude en poids frais.

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D’un point de vue statistique, l’analyse par régression multiple montre que les principales variables prédictives des variations de la biomasse totale des ciliés sont l’oxygène dissous (r= 0,366; p < 0,001) et le pH (r= 0,274; p < 0,001). Concernant les espèces les plus caractéristiques, en dehors de la pluviométrie, l’oxygène dissous, la température et la conductivité interviennent significativement dans la distribution de Uronema nigricans (r= 0,206; p < 0,01), de Vorticella campanula (r= 0,108; p < 0,05) et de Pleurotricha lanceolata (r= 0,105; p < 0,05). Par ailleurs, l’oxygène dissous et le pH expliquent 41 % de la variance associée à la distribution de Coleps hirtus (r= 0,450 et 0,346 respectivement; p < 0,001), alors que la température et la charge particulaire sont significativement liées aux variations de Disematostoma gyrans (r= 0,144 et r= 0,121; p < 0,01) et de Paradileptus conicus (r= 0,305 et r= 0,181; p < 0,001). La conductivité et la température semblent également jouer un rôle significatif dans les variation saisonnières de la biomasse de l’espèce Tetrahymena pyriformis (r= 0,403 et r= 0,193; p < 0,01).

Aux stations B et C, la distribution de la biomasse totale est expliquée surtout par l’ion ammonium avec des valeurs relativement faibles de r2 (r= 0,178 et r= 0,294 pour p < 0,01). En outre, les variations de différentes espèces sont chaque fois le fait d’une seule variable prédictive pour une faible valeur de r2 (r2 < 0,3 et p < 0,01). Par ailleurs, Prorodon africanum et Uronema nigricans à la station B d’une part, puis Coleps hirtus et Uronema nigricans à la station C d’autre part, ont des distributions des biomasses expliquées par trois prédicteurs (azote ammoniacal, oxygène dissous et gaz carbonique)

4. Discussion

Les caractéristiques physico-chimiques des eaux du Lac Municipal de Yaoundé sont typiques de celles de petits lacs tropicaux peu profonds, comme le lac Georges en Ouganda (Viner, 1969) et les lacs Oguta (Nwadiaro, 1987) et OPA (Akinbuwa et Adeniyi, 1996) du Nigeria. Ces lacs se caractérisent par la faible variation de la température des eaux et une absence de gradient thermique vertical (Lewis, 1987). Ce sont plutôt des variations verticales des paramètres tels que l’intensité lumineuse, les teneurs en oxygène dissous ou en éléments nutritifs qui, généralement, définissent la variabilité verticale saisonnière dans ces lacs (Klein, 1959; Almazan et Boyd, 1978). Dans le cadre de cette étude, ces variations indiquent que la zone 0,5 - 1,5m (zone trophogène) constitue une strate importante dans le fonctionnement du Lac Municipal de Yaoundé, ce qui rejoint les conclusions de Tadonlékéet al. (1998) et de Kemkaet al. (2003). Cette strate constitue, vraisemblablement, la zone où s’effectue l’essentiel de la photosynthèse, alors que dans la couche tropholytique micro-aérophile à anaérobie profonde (à partir de 2,5 m de profondeur), l’oxydation respiratoire et les processus réducteurs sont sans doute prépondérants, comme le suggèrent les concentrations en ammonium qui sont plus élevées dans les zones profondes du lac (Tableau 2).

Le nombre d’espèces de ciliés identifiés (58 espèces) semble relativement faible pour un lac hypereutrophe, ce qui rejoint les conclusions de Dragesco (1973) qui relevait déjà la faible diversité spécifique des communautés de ciliés dans les milieux aquatiques tropicaux. Ce nombre est pourtant supérieur aux 28 espèces mises en évidence par Gomes et Godinho (2003) dans un lac similaire (le lac Monte Alegre) situé au Brésil, au cours d’une étude annuelle. Cela peut s’expliquer par le fait que le lac Monte Alegre offre, par sa plus faible profondeur, moins de microhabitats pour le développement des ciliés que le Lac Municipal de Yaoundé. La ressemblance entre le peuplement cilié du Lac Municipal de Yaoundé et celui rapporté dans des milieux lotiques du Cameroun (Foto Menbohan, 1989; Foto Menbohan et Njiné, 1998), suggère une distribution consmopolite des espèces rapportées au cours de cette étude. Par ailleurs, plus de 60 % des espèces que nous avons identifiées se développement essentiellement dans la zone littorale du lac et sont, pour la plupart, des espèces périphytiques. Cela corrobore les études de Green (1995) et de Lougheed et Chow–Fraser (1996) sur la richesse spécifique des zones littorales lacustres. La zone pélagique du Lac Municipal de Yaoundé est moins riche en espèces, avec une structure de peuplement qui reste dominée par trois, voire quatre ou cinq espèces.

Au cours de cette étude, la densité totale des ciliés a fluctué de 0 à 2,1 x 104 ind•L-1, ce qui correspond aux chiffres rapportés dans d’autres lacs tropicaux de même taille. Par exemple, Gomes et Godinho (2003) ont dénombré de 3,6  à 3,89 x 103 ind•L-1 de ciliés à la surface et de 7,11 à 9,75 x 104 ind•L-1 de ciliés au fond du lac Monte Alegre; ce qui correspond bien à la moyenne de 103 à 104 relevée par Pace et Orcutt (1981). Cependant, plus d’études sont nécessaires dans des petits lacs tropicaux, afin de permettre une comparaison plus pertinente. D’un point de vue temporel, les variations de la densité et des biomasses des ciliés du Lac Municipal présentent généralement les plus fortes valeurs au cours de la grande saison des pluies. Ces observations rejoignent celles de Njiné (1977) dans différents types de mares au Cameroun. Pendant les pluies, on assiste à un apport important de matière organique dans le milieu (Tadonlékéet al., 1998), ce qui a sans doute pour conséquence d’accroître le potentiel de croissance des ciliés. Beaveret al. (1988) ont montré un développement important des ciliés dans les lacs oligotrophes et eutrophes dont les eaux sont bien mélangées. Noges et Kisand (2004) ont également montré que la resuspension des sédiments liée à l’action du vent et les variations du niveau d’eau sont des variables pouvant influencer significativement les densités du bactérioplancton et du protozooplancton. Cela expliquerait, sans doute, les corrélations que nous avons pu mettre en évidence entre les ciliés et l’oxygène dissous et les MES. Les pluies engendrent, par ailleurs, une dilution de certains facteurs physico-chimiques. Zébazé Togouet (2000) arrive à la conclusion suivant laquelle, pendant la saison sèche, les ciliés de grande taille sont les plus abondants alors que ceux de petite taille le sont en saison pluvieuse. C’est sans doute pourquoi des espèces comme Coleps hirtus, Uronema nigricans et Prorodonovalis sont plus abondantes en septembre.

La forte variabilité saisonnière du nombre de ciliés au cours de cette étude implique que de nombreux autres facteurs que la pluie et les ressources, comme la prédation, affectent les peuplement ciliés étudiés (Beaveret al., 1988; Sanders et Lewis, 1988; Sime-Ngando, 1991; Pinel-Alloulet al., 1995; Keckeiset al., 2003). De plus, le peuplement cilié du Lac Municipal de Yaoundé reflète probablement la qualité des eaux de ce lac (Cairn, 1978; Foissner, 1988; Back, 1985; Dragesco et Dragesco-Kerneis, 1986; Njiné et Foto Menbohan, 1998, Boneckeret al., 1997, 1998). Ainsi, des espèces comme Coleps hirtus, Didinium nasutum, Frontonia atra, Prorodon africanum, P. ovalis, Strombidium gyrans, Uronema nigricans et U. acutum sont connues comme étant caractéristiques des milieux aquatiques hypereutrophes.

5. Conclusion

Ce travail nous permet d’affirmer que la communauté des ciliés du Lac Municipal de Yaoundé est relativement peu diversifiée et constituée d’espèces caractéristiques des milieux aquatiques hypereutrophes. Ces peuplements ciliés sont majoritairement composés d’espèces littorales et périphytiques. On observe une forte variabilité spatio-temporelle, en relation avec les facteurs de l’environnement parmi lesquels le régime pluvial jouerait un rôle important.