La découverte inespérée du manuscrit De l’essence double du langage rappelle non seulement l’existence d’un important corpus de textes saussuriens originaux accessible depuis les années 1960-1970 (notes d’étudiants et autographes), mais il permet en outre de réinterpréter l’intégralité de ce corpus, et partant de réévaluer et de postuler une compréhension entièrement renouvelée du programme scientifique pensé par le Genevois. Le numéro d’Arena Romanistica en témoigne : dirigé par François Rastier, il est significativement intitulé “De l’essence double du langage et le renouveau du saussurisme”, et l’article de Simon Bouquet qui figure dans ce numéro sous-titré “Quand De l’essence double du langage réinterprète les textes saussuriens”). Ce numéro spécial d’Arena Romanistica(Journal of Romance Studies) c’est le premier collectif sur De l’essence découvert voici vingt ans. Publié en 2013 à l’occasion du centenaire de la mort de Ferdinand de Saussure, comme le précise François Rastier dans le chapitre introductif, par le privilège accordé à la lecture de l’ouvrage manuscrit De l’essencedouble du langage, le numéro entend contribuer de manière révélatrice à la relecture de l’ensemble du corpus saussurien. L’ensemble du volume divisé en quatre sections d’inégale longueur, traite de diverses problématiques que suscite la lecture du manuscrit De l’essence. En ce sens, la parole est donnée à plusieurs spécialistes de Saussure, dont trois traducteurs des Écrits de linguistique générale – et donc du manuscrit nouvellement découvert dans l’orangerie. Les contributions les plus significatives se trouvent dans les deux premières sections. Ainsi, hormis celle de Simon Bouquet, co-éditeur, avec Rudolf Engler, de l’édition française (se penchant sur le problème de la typologie des unités linguistiques, seconde section du numéro), nous pouvons y lire celles de trois autres auteurs d’éditions étrangères, respectivement : la contribution de Tullio De Mauro, traducteur de l’édition italienne et grand érudit saussurien (qui problématise, dans la première section du numéro la question de l’apport terminologique de De l’essence); la contribution de Ludwig Jäger, traducteur de l’édition allemande (première section du numéro où l’auteur propose un essai de synthèse concernant plusieurs problématiques ouvertes par trois groupements de notes de Saussure dont : le problème de l’identité de l’auteur, le problème de la fragmentarité, le problème du statut théorique, le problème de la définition de l’unité/entité linguistique, le problème de la légitimation du point de vue, etc.); ainsi que celle de Kazuhiro Matsuzawa, traducteur de l’édition japonaise (qui pose, dans la seconde section du numéro, le problème de l’ordre de présentation). Une autre contribution intéressante est celle d’un philosophe du langage, important auteur de synthèse qui aura contribué dès les années 90 à maintenir éveillé l’intérêt pour l’oeuvre de Saussure dans ce qu’elle a de plus novateur : il s’agit d’Arild Utaker et son article significativement intitulé “Le retour de Saussure” (qui étudie, dans la seconde section du numéro, la problématique de la dualité et la question du sens). Dans la troisième section, Marie-José Béguelin et Giuseppe D’Ottavi traitent du rapport entre linguistique générale et linguistique descriptive dans l’oeuvre de Saussure. Le dossier se clôt par les recensions de deux ouvrages importants : Jurgen Trabant recense l’ouvrage récent de Ludwig Jäger, Ferdinand de Saussure zur Einführung (Hamburg : Junius 2010); Régis Missire, l’ouvrage d’Arild Utaker La philosophie du langage, une archéologie saussurienne (PUF 2002). Parmi la diversité apparente des problématiques traitées dans ces articles (questions philologiques, questions herméneutiques, problèmes linguistiques, etc.), la plus importante semble être celle du rapport entre linguistique générale et linguistique descriptive. Autrement-dit quel est le statut du projet scientifique de De l’essence double du langage?Epistémologie ou gnoséologie?, telle est, selon François Rastier, la …