Corps de l’article

Introduction

Le Canada est un pays ayant approximativement 30 millions d’habitants et est composé de deux principaux groupes ethniques : anglophones et francophones. Le pays est d’ailleurs officiellement bilingue (anglais, français). En 1996[1], 73,4 % de la population canadienne étaient anglophones (langue maternelle) alors qu'environ 24,6 % étaient des francophones (Statistiques Canada, Recensement de 1996). Pendant que la grande majorité des francophones (85,88 %) résident dans la province du Québec où ils surpassent de loin les anglophones, la province du Nouveau-Brunswick occupe la deuxième place en termes de proportion de francophones comparée aux anglophones. En 1996, d’après le recensement du Canada, il y avait 729 630 personnes qui résidaient dans la province du Nouveau-Brunswick dont approximativement 32,9 % parlaient français et 66,8 % parlaient anglais. Une des caractéristiques uniques de la province du Nouveau-Brunswick est que c’est la seule province officiellement bilingue au Canada. En 1969, le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick a décrété la loi des langues officielles, reconnaissant officiellement le droit des deux communautés linguistiques dominantes de recevoir de toute institution de la fonction publique des services dans une des deux langues officielles.

Récemment, le gouvernement fédéral et celui du Nouveau-Brunswick, dans le cadre de Équipe Canada Inc. et Équipe Commerce Nouveau-Brunswick, ont lancé un partenariat pour attirer des entreprises de la province et pour augmenter la participation des entreprises dans le marché international[2]. Étant donné le fait que le Nouveau-Brunswick est composé de deux communautés ethniques principales ayant chacune sa propre langue, ses propres institutions religieuses et pédagogiques, sa propre répartition géographique, ses propres organisations sociopolitiques et (à un certain degré) économiques (Couturier, 1988), il est possible que chaque communauté ethnique, tout en participant au même marché mondial international, puisse avoir des modes d’expansion (ou stratégies) différents. La présente étude a été conçue pour examiner ces possibilités.

La plupart des recherches comparatives sur les francophones et anglophones (les deux principaux groupes ethniques de la province) se sont concentrées sur les différences culturelles (Couturier, 1988), les différences socio-économiques (Beaudouin et Leclerc, 1993; Saint-Germain et Lavoie, 1992) et les activités de loisir (Couturier, 1988). L’étude de l’expansion internationale des entreprises des groupes ethniques et les études comparatives de ces stratégies sont relativement absentes dans ces recherches comparatives. Or, il est particulièrement pertinent d’aborder cette perspective, étant donné que les forces de la mondialisation continuent à évoluer et à se développer, que des blocs économiques régionaux ont émergé récemment comme une préoccupation majeure et que le gouvernement est intéressé à augmenter la participation des entreprises dans le marché international.

L’objectif de la présente recherche est donc d’identifier les types d’expansion internationale utilisés par les entreprises des deux principales communautés ethniques et linguistiques, francophones et anglophones du Nouveau-Brunswick, et de comparer leurs stratégies d’expansion dans le marché international. En d’autres termes, quelles sont les stratégies dominantes des entreprises francophones et celles des entreprises anglophones ? Est-ce que ces stratégies sont différentes au sein de chaque taille d’entreprise et entre les tailles d’entreprise ? Est-ce qu’il y a un lien entre le recours à une stratégie particulière et l’origine ethnique ? Quelle stratégie est associée positivement ou négativement à quel groupe ethnique ? Est-ce que les relations sont constantes d’une taille à l’autre et quelles relations sont contingentes à la taille des entreprises ? Nous entendons par stratégie dominante le type de stratégie le plus fréquemment utilisé par un groupe, ou catégorie, d’entreprises. L’investigation de ces questions peut donner une certaine pénétration intelligente préliminaire des capacités relatives de chaque groupe à stimuler sa compétitivité internationale et de l’impact de l’appartenance ethnique en tant que déterminant des modes d’expansion internationale.

Revue de la littérature

Les études comparatives entre francophones et anglophones au Canada se sont intéressées surtout à comparer les francophones et anglophones au Québec et au Nouveau-Brunswick. Nous concentrons notre attention ici sur les études comparatives des deux groupes au Nouveau-Brunswick, étant donné que cette province est le terrain de la présente étude.

1. Francophones et anglophones dans la province du Nouveau-Brunswick

Les études comparatives entre francophones et anglophones de la province du Nouveau-Brunswick peuvent être classées en trois catégories : études culturelles, études des loisirs et études socio-économiques.

Sur le plan culturel, les études non empiriques font le profil des francophones du Nouveau-Brunswick de la même façon qu’elles ont fait le profil des francophones du Québec. Les francophones ont été perçus comme étant plus socialistes, sociaux, collectivistes, tournés vers une éthique catholique romaine, suiveurs, orientés vers Être, ayant une préférence pour la couleur claire (vive), pendant que les anglophones ont été perçus comme étant plus capitalistes, conservateurs, réservés, individualistes, tournés vers une éthique protestante, ayant un niveau élevé de réalisation, leaders, orientés vers Action (Doing) et ayant une préférence pour les couleurs douces (Couturier, 1988). D’après Couturier (1988), il y a très peu de preuves empiriques pour soutenir les postulats de différences culturelles entre les francophones et anglophones du Nouveau-Brunswick. Il ajoute que quelques études portant sur le loisir ont rapporté des différences entre les deux groupes ethniques sur certaines variables, d'autres n’ont pas rapporté de différences significatives. Il signale le besoin d’explorer davantage les valeurs culturelles.

Les études sur le loisir ont aussi traité des différences culturelles. Dans sa thèse de doctorat, Couturier (1988) examine la relation entre l’appartenance ethnique, définie par la langue parlée à la maison, des skieurs parlant français et anglais de la province du Nouveau-Brunswick et les systèmes de valeur, les préférences, le comportement au ski. À partir d’une base d’échantillonnage de 3 961 skieurs tout terrain (cross-country), 1 000 skieurs âgés de plus de 13 ans ont été sélectionnés aléatoirement. Un total de 496 questionnaires utilisables ont été retournés. Les résultats suivants indiquent les différences entre les deux groupes. La langue (mesurée par l’appartenance ethnique) était un déterminant majeur des variations sur un nombre considérable de valeurs et préférences (Couturier, 1988). Les skieurs qui parlent anglais sont plus conservateurs, orientés vers l’avenir, préoccupés par la famille, préoccupés par une relation intime proche et plus pragmatiques que ceux qui parlent français. Les skieurs qui parlent anglais accordent la plus grande importance aux valeurs suivantes : sécurité de la famille, salut, amitié vraie, skier en solitude, être avec les compagnons et les amis personnels. Ceux qui parlent français accordent la plus grande importance à la vie confortable, au plaisir, à la santé, à la reconnaissance sociale, à la relation avec la nature, à la sécurité, au repos physique, à la créativité, à l’évasion, à la réflexion sur les valeurs personnelles et à la vantardise (montrer la valeur) de l’équipement. Ceux qui parlent français sont plus hédonistes, extravertis, individualistes, orientés vers le présent et plus préoccupés par leur santé et l’impression des autres que ceux qui parlent anglais (Couturier, 1988). L’âge et le statut socio-économique étaient des déterminants puissants des différences de valeurs et préférences des deux échantillons, souligne-t-il (Couturier, 1988).

Les études socio-économiques comparatives des deux communautés du Nouveau-Brunswick se sont concentrées sur le revenu moyen par personne, le taux de chômage, le pourcentage de la population active qui a plus de quinze ans, le pourcentage de cols blancs et ouvriers manuels, le pourcentage de la population inactive, le niveau de l’éducation (Beaudin et Leclerc, 1993; Saint-Germain et Lavoie, 1992). D’après Beaudin et Leclerc (1993), l’écart entre les francophones et anglophones sur ces variables a augmenté depuis les années 1960. À l’exception du niveau d’éducation, les francophones ont une position médiocre en comparaison des anglophones : leur situation est maintenant pire que dans les années 1960.

Comme nous venons de le voir, aucune étude de cette recension de la littérature n’a abordé l’expansion internationale des groupes ethniques ou des entreprises des minorités et comment celle-ci se compare aux stratégies des entreprises du groupe dominant. Eu égard à la globalisation des marchés, il serait utile et intéressant d’identifier les stratégies utilisées par les entreprises des groupes des minorités ou groupes ethniques pour entrer dans les marchés internationaux. Cela peut nous donner une certaine idée au sujet de leurs capacités à stimuler leur compétitivité internationale.

2. Modes d’expansion internationale

Les modes d’expansion internationale ont été souvent étudiés. La revue de la littérature sur le domaine révèle que les chercheurs se sont intéressés à la typologie de ces modes, au développement de modèles théoriques explicatifs des modes et à des études empiriques.

Au niveau de la typologie, Beamish et al. (1991) et Dunning (1993) font remarquer qu’il y a beaucoup de classifications chevauchant les modes d’expansion internationale, mais pour entrer dans le marché international, les entreprises peuvent choisir parmi les principaux modes suivants : importation/exportation directes ou indirectes, bureau des ventes, entrepôt, licence, joint-venture, franchisage, contrat de management, formation technique, clé en main, sous-traitance, intérêts minoritaires à l’étranger ou joint-venture, filiales intégralement contrôlées. Plusieurs autres auteurs se sont mis à établir des sous-catégories de cette typologie. Meissner (1990) classifie les modes en huit catégories : exportations, accords de licence, franchise, joint-venture, branche (succursale) à l’étranger, usine de production, filiale. Ces degrés d’internationalisation (ou choix d’un mode d’entrée), dit-il, sont étroitement liés au degré d’engagement de ressources (capital) et du management de l’entreprise dans le pays d’origine et dans le pays hôte. Mayrhofer (2002) regroupe les différentes modalités en quatre catégories : l’exportation, la licence, les sociétés communes et les filiales locales. Il mentionne également d’autres catégories : contrôle majoritaire total versus contrôle partiel, modes capitalistiques versus non capitalistiques. Cette classification elle-même est sujette à caution. Par exemple, certaines licences et modes contractuels sont associés à l’équité (participation à l’unité), donc un mode capitalistique, alors que Mayrhofer classe la licence dans les modes non capitalistiques.

Au niveau des modèles explicatifs, la théorie éclectique de la firme multinationale élaborée par Dunning (1988) est pionnière. Selon Dunning (1988), trois conditions nécessaires et simultanées (connues sous le nom OLI advantages) déterminent l’activité de toute entreprise engagée au niveau international : (1) avantages spécifiques à la propriété ou à l’entreprise, (2) avantages spécifiques à l’internalisation et (3) avantages spécifiques à la localisation. Après cette oeuvre pionnière, plusieurs auteurs ont proposé d’autres modèles touchant à l’un ou l’autre des éléments du modèle initial de Dunning. Ainsi, selon Mayrhofer (2002), Bell et al. (1997) ont mis au point un modèle qui intègre quatre séries de facteurs explicatifs : (1) les variables stratégiques, (2) les variables spécifiques à la firme, (3) les variables transactionnelles et (4) les variables de localisation. Les variables stratégiques comprennent la stratégie internationale, l’intensité concurrentielle, la croissance des secteurs d’activité. Les variables spécifiques à la firme concernent l’expérience internationale de l’entreprise, l’expérience acquise dans le pays d’accueil, l’expérience de l’entreprise dans l’activité concernée et la taille relative de l’entreprise. La variable transactionnelle porte sur le degré de spécificité des actifs et la réputation de l’entreprise. Enfin, les variables de localisation ont trait aux différences culturelles entre le pays d’origine et le pays d’accueil, au risque associé au pays d’accueil, à la politique gouvernementale et à la richesse économique du pays d’accueil (Mayrhofer, 2002).

Certains modèles théoriques tentent de prendre en considération spécifiquement les effets de la culture nationale du pays d’origine. Mais, selon Mayrhofer (2002) qui cite Tse et al. (1997), ces modèles intégrateurs qui considèrent les effets de la culture nationale du pays d’origine sont peu nombreux. Ainsi, Lachman, Nedd et Hinings (1994), bien que ne traitant pas spécifiquement des formes d’expansions internationales des entreprises, ont présenté un cadre théorique sur l’effet de la différence culturelle entre le pays d’origine et le pays hôte et de la disponibilité des ressources sur l’efficacité des organisations et du management qui vont à l’étranger. Il postule que la différence (incongruence) entre les valeurs centrales du pays hôte et celles de l’entreprise étrangère amène l’entreprise étrangère à adopter des approches de management, impliquant des stratégies d’entrée et d’adaptation différentes.

Au niveau empirique, Kim et Hwang (1992) se sont intéressés à développer et à vérifier un modèle pour uniquement trois modes d’entrée (filiale, joint-venture, licence) de multinationales manufacturières américaines dans les marchés étrangers. Le modèle présente trois groupes de variables dont les auteurs pensent qu’ils influencent la décision du mode d’entrée. Ce sont les variables globales stratégiques, les variables environnementales et les variables spécifiques à la transaction. En collectant des données auprès des dirigeants situés au niveau de la firme et non pas au niveau des filiales, ils ont mis l’accent sur les décisions stratégiques globales au niveau corporatif, c’est-à-dire les décisions qui impliquent des liens entre opérations dans plusieurs pays. Les résultats soulignent l’importance des décisions stratégiques globales. Le modèle, bien que intéressant, est pertinent uniquement pour les entreprises qui ont des opérations dans plusieurs pays et s’il y a des liens entre ces opérations transfrontalières. Il est à noter que leur modèle et ses variables n’incluent pas la culture ni la langue.

Les études empiriques qui tiennent compte de la culture sont peu nombreuses. L’article de Mayrhofer (2002), consacré uniquement à la revue de la littérature de ces études empiriques, en dénombre dix. Les dimensions culturelles utilisées dans les dix études empiriques sont : le contrôle de l’incertitude, la distance hiérarchique, l’individualisme vs le collectivisme, le degré d’intégration. Il mentionne que cinq études ont évalué l’influence de deux dimensions, alors que les cinq autres s’appuient sur une seule dimension culturelle. Les dimensions des valeurs culturelles de Hofstede (1980), à savoir le contrôle de l’incertitude, la distance hiérarchique, l’individualisme vs le collectivisme, sont les plus utilisés, soit neuf études sur dix. Parmi ces trois dimensions, le contrôle de l’incertitude se révèle la dimension la plus utilisée, soit huit études sur dix (Ibid. : 28-29). Mayrhofer souligne que les chercheurs sont arrivés à différents résultats, sans tendance générale. Ainsi, l’incidence de la variable contrôle de l’incertitude est positive dans deux études et négative dans deux autres. L’intensité de la liaison constatée entre les deux variables (contrôle de l’incertitude et mode d’entrée) varie également selon les études. Les différences de résultats pourraient certes s’expliquer par la diversité des champs d’observation retenus, mais, ajoute-t-il, « elles soulèvent néanmoins la question de la pertinence de ce facteur culturel pour ce champ de recherche » (Ibid. : 32). En effet, tous les auteurs auxquels il fait allusion, à l’exception d’un sur dix, se sont concentrés sur trois dimensions de la culture de Hofstede (1980) : le contrôle de l’incertitude, la distance hiérarchique, l’individualisme vs le collectivisme. Ils ont négligé, voire ignoré, que Hofstede n’a pas dit que ce sont là les seules dimensions de la culture. En fait, Hofstede (1980) mentionne qu’il y a d’autres composantes de la culture, dont la langue et les groupes ethniques et que cette composante de la culture, la langue, offre une grande possibilité de développement systématique de théories. Il dit explicitement : « Culture, as I use the word in this book, includes language. » (Hofstede, 1980) Cependant, toutes les études empiriques portant sur la culture et les modes d’entrée (au niveau du management international) dont Mayrhofer (2002) a fait la recension se sont cantonnées dans les trois dimensions et n’ont pas examiné la relation entre la langue ou les groupes ethniques et les formes d’expansion internationale des entreprises. C’est ce que la présente étude se propose de faire.

Mayrhofer (2002) souligne également que la majorité de ces travaux portant sur l’influence de la culture sur les modes d’entrée sont centrés sur les mouvements d’expansion internationale effectués par les entreprises américaines ou japonaises. Or, ajoute-t-il, l’incidence de certains déterminants du choix du mode d’entrée varie selon les recherches, ce qui soulève la question de l’importance de l’origine nationale des acteurs. En outre, poursuit-il, « si, depuis la fin des années 1980, plusieurs investigations empiriques ont tenté d’évaluer l’influence de l’environnement culturel des entreprises sur le choix du mode d’entrée, la relation entre ces deux variables n’est pas clairement établie... et de nouvelles études empiriques sont nécessaires. » (Mayrhofer, 2002). Il importe donc de poursuivre la recherche dans le domaine.

L’originalité du présent article se situera donc au niveau de la population examinée et de l’approche. En effet, primo, la majorité des études antérieures sur ce sujet ont traité de la différence culturelle entre deux pays différents. Le présent article a ceci de particulier qu’il traite de la différence entre deux peuples habitant un même pays et soumis au même système politique, économique, etc. Autrement dit, il est fort possible de voir l’influence due à la culture seule. Secundo, la majorité des études antérieures ont mesuré la culture en utilisant trois des quatre dimensions développées par Hofstede (1980) qui sont en fait des dimensions des valeurs et ne constituent pas toute la culture nationale. La présente étude utilise la langue ou origine ethnique comme composante de la culture conformément au sens général de la culture donné par Hofstede (1980), Huntington (1996) et Ball et McCulloch (1999), soit une mesure beaucoup moins abstraite que les dimensions utilisées par les études antérieures. Tertio, aucune des études empiriques antérieures ne s’est intéressée à toutes les formes d’expansion internationale. La présente étude prend en considération toutes les formes d’expansion internationale des entreprises.

Méthode

Les données de la présente étude viennent d’un sondage que nous avons entrepris sur l’expansion internationale des entreprises du Canada Atlantique. Pour recueillir les données, nous avons posté un questionnaire à 570 entreprises sélectionnées selon la méthode de l’échantillonnage aléatoire systématique, à partir d'une base d’échantillonnage de 1 065 entreprises des quatre provinces du Canada Atlantique : Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve. Pour chaque province, les entreprises ont été classées en ordre croissant de taille (nombre d’employés) et alphabétique. Puisque nous nous sommes intéressés à tous les types d’expansion internationale, aussi bien expansion vers ou dans les pays autres que les États-Unis, et qu’aucun document n’existe qui permette l’identification d’entreprises qui rencontrent ce critère, la préparation de la base d’échantillonnage fut une tâche difficile. Il a fallu faire appel à plusieurs sources d’information qui étaient souvent confidentielles et contradictoires. Les principales sources de l’information à la préparation de la base d’échantillonnage étaient les répertoires manufacturiers de chaque province, les centres de commercialisation internationale provinciaux du Gouvernement Fédéral, la base de données BOSS (Business Opportunities Sourcing System) du Gouvernement fédéral et les ministères provinciaux responsables du commerce international. Composé de questions ouvertes et fermées, l’objectif du questionnaire était de recueillir de l’information générale sur les entreprises, telle que l’emplacement du siège social, les types d’industrie ou activités, les types d’affaires internationales utilisés, les pays étrangers desservis, les types de produit/service vendu, l’expérience internationale, la séquence suivie, le nombre d’employés, la taille des ventes, le pourcentage de ventes internationales, la propriété (contrôle canadien ou étranger) et l’origine ethnique des actionnaires canadiens qui ont le contrôle. Les questionnaires ont été envoyés au président ou directeur général de l’entreprise (pour chaque entreprise incluse dans l’échantillon) dont le nom apparaît dans les documents qui ont servi à la préparation de la base. Il y avait aussi une enveloppe retour affranchie et une lettre d’invitation à participer à l’étude.

Des 570 questionnaires postés, 240 ont été remplis en 45 jours, soit un taux de réponse de 42 %, et 21 ont été retournés sans réponse pour les raisons suivantes : non-récupération, adresse incomplète, déménagement sans laisser d’adresse. Parmi les 240 entreprises qui ont répondu au questionnaire, 195[3] étaient impliquées dans un ou plusieurs types d’expansion internationale. De ces 195 entreprises, 186 appartenaient à des Canadiens et avaient leur siège social au Canada Atlantique, avec la répartition suivante entre les quatre provinces Atlantiques : Nouveau-Brunswick 93 (50 %), Nouvelle-Écosse 56 (30.11 %), Île-du-Prince-Édouard 17 (9.14 %) et Terre-Neuve 20 (10.75 %). De ces 93 entreprises du Nouveau-Brunswick, 89 sont des entreprises de petite et moyenne taille (moins de 500 employés), et 4 sont de grandes entreprises (500 employés minimum). Pour conserver une certaine homogénéité en termes de taille, et parce que les entreprises francophones sont composées uniquement de petite et moyenne taille, les 89 entreprises de petite et moyenne taille (moins que 500 employés) du Nouveau-Brunswick constituent l’échantillon d’analyse de la présente étude. Dans l’analyse des données, le test Π2 (Chi deux), le test des proportions et le test de Cochran ont été utilisés, puisque la variable dépendante (l’usage d’un type d’expansion internationale) est mesurée sur l’échelle nominale. La comparaison des proportions intra et intergroupes ethniques, intrataille des entreprises, en utilisant chaque forme d’expansion internationale, a été effectuée pour réaliser l’objectif de la recherche. Le test Π2 a été utilisé conformément à la méthode recommandée par Siegel (1956). Dans des cas de petits échantillons, et quand les fréquences attendues (espérées) étaient moins que 5 dans la méthode recommandée par Siegel, la transformation de l’arcsine a été utilisée conformément à Keith et Cooper (1974). La variable indépendante fondamentale (origine ethnique) a deux catégories, francophone et anglophone. La deuxième variable indépendante (taille de l’entreprise) a été divisée en deux catégories, les petites entreprises (moins de 50 employés) et les entreprises moyennes (50 à 499 employés) conformément à la classification du Gouvernement du Canada (D’Ambroise, 1989). Les deux groupes ethniques ont été comparés en premier au niveau global, ensuite à chaque niveau de la taille pour contrôler les différences de la taille. La relation ou association (positive ou négative) entre un type d’expansion internationale et l’origine ethnique a été déterminée conformément à la méthode recommandée par Allard (1992). Dans la présente analyse, 72 hypothèses statistiques ont été testées (48 hypothèses ont été utilisées pour comparer les deux groupes ethniques aux niveaux agrégé et taille, et 24 hypothèses ont été utilisées pour identifier les stratégies dominantes des groupes ethniques aux niveaux agrégé – global – et taille), car les 89 entreprises analysées ont utilisé 12 types d’expansion internationale.

Pour situer le lecteur, on peut définir la variable expliquée (soit le % d’entreprises ayant une forme i) à partir des catégories ou variables indépendantes par la notation suivante :

  • pijk = % des entreprises ayant une forme i, avec la taille j, du groupe ethnique k

  • i = 1, 2, ... 12         j = 1, 2         k = 1, 2

Les grandes hypothèses statistiques de comparaison ont les formes suivantes :

Comparaison des deux groupes ethniques au niveau global

  1. H0 : pi.1 = pi.2 : pour chaque forme d’expansion internationale adoptée, la distribution des entreprises entre les deux groupes ethniques est uniforme; autrement dit, il n’y a pas de différence entre les francophones et les anglophones pour chaque forme d’expansion internationale.

    H1 : pi.1pi.2 : pour chaque forme d’expansion internationale adoptée, la distribution des entreprises entre les deux groupes ethniques n’est pas uniforme; autrement dit, il y a une différence entre les francophones et les anglophones pour chaque forme d’expansion internationale. Il y a une association entre l’utilisation d’une stratégie et l’origine ethnique.

Stratégies dominantes des entreprises francophones au niveau global et sur l’ensemble des formes :

  1. H0 : p1.1 = p2.1 = ... = p12.1 : la distribution des entreprises des francophones entre les différentes formes d’expansion internationale est uniforme; autrement dit, le pourcentage des entreprises des francophones ayant adopté chaque forme d’expansion internationale est le même.

    H1 : p1.1p2.1 ≠... ≠ p12.1  : la distribution des entreprises des francophones entre les différentes formes d’expansion internationale n’est pas uniforme; autrement dit, le pourcentage des entreprises des francophones ayant adopté chaque forme d’expansion internationale n’est pas le même.

La formulation des autres hypothèses est identique à celle en 1 et 2. Essentiellement, l’analyse examine en ordre le niveau général ou global (ou agrégé) et le niveau taille. Pour chaque approche, nous avons essayé de produire des relations ou associations continues ou invariables (relations qui sont trouvées à tous les niveaux de l’analyse, global ou intrataille, et des relations contingentes - celles qui varient selon le niveau d’analyse).

Résultats

Les résultats donnent successivement une comparaison des types d’expansion trouvés entre les groupes ethniques au niveau général (agrégé) ou global et une comparaison par taille et entre taille (c’est-à-dire quand la taille est contrôlée).

1. Modes d'expansion des francophones et anglophones : niveau global

La comparaison des entreprises anglophones et francophones dans son ensemble fait ressortir une différence entre les deux groupes. Les entreprises anglophones utilisent une plus grande variété de types d’expansion internationale (11 types au total, en moyenne 1,5 types avec un maximum de 4 types par entreprise) que les entreprises francophones (8 types au total, en moyenne 1,4 types avec un maximum de 2 types par entreprise), mais la différence des moyennes n’est pas significative statistiquement. Les types d’expansion internationale adoptés par les entreprises anglophones comprennent presque tous les types connus d’expansion internationale, alors que les entreprises francophones sont beaucoup plus concentrées sur l’exportation (voir le tableau 1). Les entreprises francophones n’emploient pas la majorité des stratégies modernes populaires utilisée dans l’expansion internationale, tels que la formation de joint-venture internationale ou alliances stratégiques internationales, la création de projets clé en main à l’étranger, l’usage d’initiatives de licence internationale ou de services de consultation internationale.

1.1 Modes d’expansion par exportations

En termes d’exportations, les entreprises des deux groupes ont des stratégies différentes. La stratégie dominante des entreprises francophones est l’usage de maisons de commerce dans l’exportation des biens (47 % des entreprises francophones comparé à 25 % pour les entreprises anglophones), tandis que la stratégie dominante favorisée des entreprises anglophone est l’exportation à des acheteurs étrangers ou distributeurs étrangers (49 % des entreprises anglophones comparé à 29 % pour les entreprises francophones). Les maisons de commerce étant situées au Canada, nous sommes peu enclin à inclure cette stratégie dans la rubrique de l’exportation, parce que l’entreprise qui utilise cette méthode ne traite pas directement avec un agent étranger. Au niveau statistique, les deux groupes ethniques diffèrent considérablement sur trois stratégies d’exportation : exportation via les maisons de commerce, exportation aux consommateurs finals et autres types d’exportation.

Pour les deux autres stratégies, exportation aux acheteurs étrangers et exportation aux agents internes et représentants, le pourcentage d’entreprises qui utilisent ces stratégies est le même pour les deux groupes ethniques (voir le tableau 1). Le recours aux autres types d’exportation est la stratégie pour laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande, en termes d’exportation : le coefficient Phi est le plus élevé ici (0.48). En se basant sur les tests statistiques, la relation entre stratégies d’exportation et origine ethnique peut être résumée comme suit. Le groupe anglophone est associé positivement avec l’exportation directe aux consommateurs finals et aux autres types d’exportation, alors que le groupe francophone est associé négativement avec ces stratégies; cependant, l’association est faible (le coefficient Phi est 0.39) pour l’une et ni faible ni forte pour l’autre (Phi = 0.48). Le groupe francophone est associé positivement avec l'exportation via les maisons de commerce, alors que le groupe anglophone est associé négativement avec cette stratégique d’exportation (l’association est faible; Phi = 0.23).

Tableau 1

Modes d’expansion internationale des anglophones et francophones : au niveau global

Modes d’expansion internationale des anglophones et francophones : au niveau global

N.B. Le total de colonnes n’est pas 100; certaines entreprises ont plus qu’un mode d’expansion internationale NS = non significatif à 5%; S = significatif à 5%

-> Voir la liste des tableaux

1.2 Modes d’expansion autres que l’exportation : types impliquant plus d’engagement de ressources et de management à l’étranger

Au niveau de ces modes d’expansion internationale, il existe des différences statistiques significatives entre les deux groupes ethniques pour les cinq stratégies suivantes : la formation de joint-venture et de filiales intégralement contrôlées, la fourniture de services de consultation, la sous-traitance et le commerce de contrepartie (troc). Les entreprises francophones recourent à la sous-traitance internationale et au troc (commerce de contrepartie), c’est-à-dire aux stratégies qui encourent peu de risque (le moins de risque). Seulement une entreprise déclare avoir une filiale étrangère intégralement contrôlée. L’association la plus forte est trouvée entre l’origine ethnique et le recours au troc. En d’autres termes, le recours au troc est la stratégie sur laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande; à 0.75, le coefficient Phi est le plus élevé de tous. En se basant sur le test statistique, les relations qui émergent entre l’origine ethnique et les types d'expansion internationale impliquant plus d’engagement à l’étranger peuvent être résumées comme suit : le groupe anglophone est associé positivement avec la formation de joint-venture internationale, la formation de filiales étrangères intégralement contrôlées, les services de conseil internationaux; pendant que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à ces stratégies. Le groupe francophone est associé positivement avec l’usage de la sous-traitance internationale et du troc (commerce de contrepartie), pendant que le groupe anglophone est associé négativement avec ces stratégies.

Tout compte fait, le degré de mondialisation des entreprises francophones est limité parce qu’elles sont impliquées dans très peu d’investissement direct avec les pays étrangers. Aucune entreprise francophone n’a de joint-venture internationale, et seulement une a déclaré avoir une filiale étrangère intégralement contrôlée. Quand elles desservent les pays étrangers par le biais de stratégies de non-exportation, elles adoptent les types qui exigent le moins d’investissement en termes d’opérations internationales. Donc, elles ont tendance à ne pas adopter ce que Rugman (1981) appelle l’internalisation. Leur comportement est différent de celui des entreprises anglophones. Quand elles recourent aux types d’expansion internationale autre que l’exportation, les entreprises anglophones préfèrent les types qui leur donnent un certain contrôle, ou un contrôle total, sur les opérations à l’étranger. Elles tendent, par conséquent, à adopter ce que Rugman appelle l’internalisation[4].

2. Modes d'expansion internationale des francophones et anglophones par taille

Le tableau 2 indique qu’il y a des variations des stratégies des entreprises selon la taille, tant en termes d’exportation que pour les types d’expansion impliquant plus d’engagement des ressources et du management à l’étranger.

2.1 Modes d’expansion par exportation par taille et groupe ethnique

En tenant compte des tests statistiques, l’analyse des données révèle les relations suivantes entre origine ethnique et stratégies d’exportation par taille (voir tableau 2). Pour les petites entreprises, les différences statistiques existent entre les deux groupes ethniques pour les trois stratégies d’exportation suivantes : exportation aux acheteurs étrangers ou distributeurs, exportation aux consommateurs finals et autres types d’exportation. Le recours aux autres types d’exportation est la stratégie pour laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande, en termes d’exportation. En s’appuyant sur les tests statistiques, les relations entre stratégies d’exportation et origine ethnique dans le groupe des petites entreprises peuvent être résumées comme suit. Le groupe anglophone est associé positivement avec l’exportation aux acheteurs étrangers, avec l’exportation aux consommateurs finals et avec les autres types d’exportation. Alors que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à ces stratégies. Ces relations existaient au niveau global. Bref, on peut conclure qu’il existe des différences entre les deux groupes ethniques même après que la taille ait été contrôlée.

Pour les entreprises de taille moyenne, les différences statistiques existent entre les deux groupes ethniques pour les trois stratégies d’exportation suivantes : exportation aux agents internes et représentants, exportation aux consommateurs finals et autres types d’exportation. L’intensité ou la force de l’association entre les deux groupes et chacune de ces stratégies reste plus ou moins la même. Les relations entre ces stratégies d’exportation et l’origine ethnique dans le groupe des entreprises de la taille moyenne se présentent comme suit : le groupe anglophone est associé positivement avec l’exportation aux agents internes et représentants, pendant que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation n’était pas significative au niveau global, tout comme au niveau des petites entreprises. Le groupe anglophone est associé positivement avec l’exportation aux consommateurs finals, alors que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global et au niveau des petites entreprises, mais l’intensité ou la force de l’association est plus forte ici : le coefficient Phi est 0.46 comparé à 0.39 au niveau global, et 0.36 au niveau des petites entreprises. Le groupe anglophone est associé positivement avec les autres types d’exportation, pendant que le groupe francophone est associé négativement avec que le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global et est restée la même au niveau des petites entreprises, et l’intensité ou la force de l’association reste plus ou moins la même ici : le coefficient Phi est 0.46 comparé à 0.48 au niveau global, 0.50 au niveau des petites entreprises. Bref, on peut conclure que les différences entre les deux groupes ethniques demeurent même après que l’effet de la taille ait été enlevé.

En résumé, dans chaque catégorie ou niveau de taille, les deux groupes ethniques diffèrent considérablement sur trois stratégies d’exportation. Au niveau des petites entreprises, les deux groupes diffèrent sur l’exportation aux acheteurs étrangers ou distributeurs, l’exportation aux consommateurs finals et les autres types d’exportation, alors qu’au niveau des entreprises de taille moyenne, ils diffèrent sur l’exportation aux agents internes et représentants, l’exportation aux consommateurs finals et les autres types d’exportation. Le recours aux autres types d’exportation est la stratégie pour laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande. En somme, l’effet de la taille a différencié les deux groupes ethniques sur seulement l’exportation aux acheteurs étrangers ou distributeurs et l’exportation aux agents internes et représentants.

Tableau 2

Modes d’expansion internationale des anglophones et francophones par taille

Modes d’expansion internationale des anglophones et francophones par taille

N.B. Le total de colonnes n’est pas 100; certaines entreprises ont plus qu’un mode d’expansion internationale;

NS = non significatif à 5%; S = significatif à 5%; Ind. = Indéterminé : aucun test n’est utilisé.

-> Voir la liste des tableaux

La nature des relations entre certaines stratégies d’exportation et l’origine ethnique n’est pas non affectée par la variation de la taille. Les stratégies en question sont l’exportation aux consommateurs finals et les autres types d’exportation. Les relations entre origine ethnique et l’exportation aux consommateurs finals, d’un côté, et les autres types d’exportation de l’autre, n’ont pas varié, quelle que soit la taille des entreprises; elles sont restées ce qu’elles étaient au niveau global. Donc, au niveau de chaque taille, aussi bien qu’au niveau global, l’exportation aux consommateurs finals et les autres types d’exportation sont associés positivement avec le groupe anglophone et associés négativement avec le groupe francophone. En revanche, les relations entre origine ethnique et exportation aux agents internes et représentants, ou exportation aux distributeurs étrangers, sont contingentes au niveau de la taille. Par conséquent, elles varient d'après le niveau de la taille. Tout compte fait, les relations entre origine ethnique et stratégies d’exportation varient aux deux niveaux de la taille.

2.2 Modes d’expansion autres que l’exportation : types impliquant plus d’engagement des ressources et de management à l’étranger

En tenant compte du test statistique, l’analyse des données révèle que, en se concentrant sur chaque catégorie de la taille, les entreprises des deux groupes ethniques présentent des différences significatives. Les relations suivantes entre origine ethnique et stratégies impliquant plus d’engagement des ressources et de management à l’étranger par taille ont été trouvées. Pour les petites entreprises, il existe des différences statistiques entre les deux groupes ethniques pour les trois types avancés d’expansion suivants : conseil, sous-traitance et commerce de contrepartie. Le recours au commerce de contrepartie est la stratégie pour laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande pour ces stratégies impliquant le plus d’engagement à l’étranger : le coefficient Phi est le plus élevé ici, soit 0.70. Les relations significatives entre ces stratégies et l’origine ethnique dans le groupe des petites entreprises peuvent être résumées comme suit. Le groupe anglophone est associé positivement avec la consultation, alors que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global, mais l’intensité ou la force de l’association est plus forte ici. Le groupe francophone est associé positivement avec la sous-traitance, pendant que le groupe anglophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global, mais l’intensité ou la force de l’association est plus forte ici. Le groupe francophone est associé positivement avec le commerce de contrepartie (troc), pendant que le groupe anglophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global, mais l’intensité ou la force de l’association reste plus ou moins la même. Bref, on peut conclure qu’il existe des différences entre les deux groupes ethniques même après que la taille ait été contrôlée.

Pour les entreprises de taille moyenne, il existe des différences statistiques entre les deux groupes ethniques pour les deux types suivants de stratégies d'expansion : les joint-ventures et les filiales intégralement contrôlées; l’intensité ou la force de l’association est la même sur les deux stratégies. Les relations significatives entre stratégies et origine ethnique dans le groupe des entreprises de taille moyenne peuvent être résumées comme suit : le groupe anglophone est associé positivement avec les joint-ventures, alors que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global, mais l’intensité ou la force de l’association est plus forte ici. Le groupe anglophone est associé positivement avec les filiales intégralement contrôlées, pendant que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à cette stratégie. Cette relation existait au niveau global où l’intensité ou la force de l’association était plus forte. Cette relation n’existait pas au niveau de petites entreprises, parce que les petites entreprises n’ont pas de filiales intégralement contrôlées. Bref, on peut conclure qu’il existe des différences entre les deux groupes ethniques même après que la taille ait été contrôlée.

En résumé, dans chaque catégorie ou niveau de taille, il y a des différences significatives entre les deux groupes ethniques par rapport aux stratégies d’expansion internationale impliquant le plus d’engagement de ressources et de management à l’étranger. Au niveau des petites entreprises, les deux groupes diffèrent par rapport au recours à la consultation, à la sous-traitance et au commerce de contrepartie (troc); par contre, au niveau des entreprises de taille moyenne, les différences apparaissent sur le plan du recours aux joint-ventures internationales et des filiales intégralement contrôlées à l’étranger. Le recours au commerce de contrepartie est la stratégie pour laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande. Le test d’interaction n’a pas été effectué parce que peu d’entreprises ont utilisé des stratégies impliquant le plus d’engagement à l’étranger. L’incidence de la petite taille paraît sur trois stratégies; les deux groupes ethniques diffèrent sur trois stratégies : consultation, sous-traitance et commerce de contrepartie. L’incidence de la taille moyenne paraît sur deux stratégies impliquant le plus d’engagement à l’étranger; les deux groupes ethniques diffèrent sur deux stratégies : la joint-venture et les filiales intégralement contrôlées. En résumé, l’effet de la taille a différencié les deux groupes ethniques sur cinq stratégies : joint-venture, consultation, filiales intégralement contrôlées, sous-traitance et commerce de contrepartie.

La nature des relations entre les stratégies (impliquant le plus d’engagement) utilisées par les groupes de taille et l’origine ethnique dépend des stratégies et du groupe de taille visés. Par exemple, les relations entre origine ethnique et joint-venture, formation de filiales étrangères, sous-traitance, commerce de contrepartie et consultation sont contingentes à la taille, donc, elles varient selon le niveau de la taille des entreprises impliquées. Pour les petites entreprises, les deux groupes ethniques diffèrent par rapport à la consultation, la sous-traitance et le commerce de contrepartie. Le groupe anglophone est associé négativement avec la sous-traitance et le commerce de contrepartie, pendant que les francophones sont associés positivement avec ces stratégies. Pour les entreprises de taille moyenne, les deux groupes ethniques diffèrent sur les joint-ventures et les filiales intégralement contrôlées. Le groupe anglophone est associé positivement avec ces stratégies, pendant que les francophones sont associés négativement avec elles.

Dans les études empiriques recensées par Mayrhofer (2002), il a été dit que les entreprises des pays ayant un contrôle de l’incertitude élevé (évitant le risque) choisissent un contrôle majoritaire ou total (filiales contrôlées, acquisitions) et celles des pays ayant un contrôle de l’incertitude faible (preneurs de risques) choisissent un contrôle partiel (exportations, joint-venture, licence, filiales non contrôlées, franchise). Deux études empiriques avaient confirmé cette relation, deux autres avaient confirmé son contraire. Pour la dimension distance hiérarchique, il a été trouvé qu’une forte distance hiérarchique (style autoritaire, centralisateur) accroît la probabilité que les entreprises choisissent le contrôle majoritaire ou total, mais les auteurs soulèvent la remise en cause de la validité des résultats de Hofstede. Dans le cas de la dimension individualisme-collectivisme qui n’a pas été testée dans plusieurs études, les entreprises de culture individualiste préfèrent les filiales contrôlées, tandis que les cultures collectivistes choisissent les sociétés communes avec des partenaires locaux (joint-venture).

Dans la présente étude empirique, ces dimensions de la culture n’ont pas été examinées. À leur place, nous avions comme variable indépendante l’appartenance ethnique ou origine ethnique. Donc, ces études antérieures aident peu à interpréter nos résultats. Toutefois, par extrapolation, on pourrait faire un certain rapprochement. Par exemple, Couturier (1988 : 83) précise dans ses résultats que la langue (mesurée par l’appartenance ethnique) était un déterminant majeur des variations sur un nombre considérable de valeurs et préférences au Nouveau-Brunswick. Les valeurs qu’il a étudiées ne correspondent pas exactement aux dimensions ci-dessus de Hofstede. Toutefois, pour la dimension individualisme-collectivisme, on pourrait trouver, par extrapolation, une certaine correspondance. En effet, il constate que les skieurs français sont plus individualistes que ceux qui parlent anglais. Selon les études empiriques de la relation entre la culture et les modes d’entrée, si les francophones sont plus individualistes, les entreprises francophones choisiraient le contrôle majoritaire ou total, tandis que les entreprises anglophones opteraient pour le contrôle minoritaire. Ceci va à l’encontre des résultats de notre recherche. En revanche, Major et al. (1994) disent que les résultats de leur recherche n’indiquent pas de différence entre les deux groupes pour 86 % des 21 valeurs de la dimension individualisme-collectivisme chez les dirigeants anglophones et francophones du Québec suivant le MBA. S’il n’y a pas de différence de valeurs, par extrapolations, il n’y aurait pas de différence de stratégies d’expansion internationale. Ceci irait également à l’encontre de nos résultats. McCarrey (1988) avait trouvé qu’au Québec, les francophones avaient une orientation collective tandis que les anglophones donnent plus d’importance à l’individualisme et à l’autonomie. Selon les études empiriques de la relation entre la culture et les modes d’entrée, si les anglophones sont plus individualistes, les entreprises anglophones choisiraient le contrôle majoritaire ou total, tandis que les entreprises francophones opteraient pour le contrôle minoritaire. Ceci confirme les résultats de notre recherche.

Conclusion

La présente recherche tentait de répondre entre autres aux questions suivantes : quelles sont les stratégies dominantes des entreprises francophones et celles des entreprises anglophones ? Est-ce que ces stratégies sont différentes au sein de chaque taille d’entreprise et entre les tailles d’entreprise ? Est-ce qu’il y a un lien entre le recours à une stratégie particulière et l’origine ethnique ? Quelle stratégie est associée positivement ou négativement à quel groupe ethnique ? Est-ce que les relations sont constantes d'une taille à l’autre et quelles relations sont contingentes à la taille des entreprises ?

La comparaison des types d’expansion internationale utilisés par les entreprises francophones et anglophones (petite et moyenne taille) de la province du Nouveau-Brunswick révèle une différence marquée entre les deux groupes ethniques et linguistiques. Les types d’expansion internationale adoptés par les entreprises anglophones impliquent presque tous les types connus d’expansion internationale, pendant que les entreprises francophones n’emploient pas les stratégies modernes populaires d’expansion internationale, tels que la formation de joint-ventures internationales ou alliances stratégiques internationales, la licence internationale, la création de projets clés en main et la consultation internationale. Aussi, les deux groupes ont des stratégies dominantes différentes. L’exportation aux acheteurs étrangers est la stratégie dominante des entreprises anglophones au niveau global, quelle que soit la taille des entreprises, alors que la stratégie dominante des entreprises francophones varie selon la taille. Par conséquent, une politique (ou programme) du gouvernement qui est uniforme en termes d’exportation ou affaires internationales ne satisferait probablement pas aux besoins de la majorité des entreprises francophones et pourrait élargir l’écart entre les deux communautés.

En outre, les entreprises des deux groupes diffèrent significativement tant au niveau global qu’au niveau de catégorie de taille. Sur le plan global, les différences significatives se retrouvent au niveau de huit types d’expansion internationale (sur 12), à savoir l’exportation via les maisons de commerce, l’exportation aux consommateurs finals, les autres types d’exportation, la formation de joint-venture, la formation de filiales intégralement contrôlées, la fourniture de services de consultation, la sous-traitance et le commerce de contrepartie (troc). Le groupe anglophone est associé positivement avec l’exportation directe aux consommateurs finals et aux autres types d’exportation, alors que le groupe francophone est associé négativement avec cette stratégie; le groupe anglophone est associé positivement avec la formation de joint-ventures internationales, la formation de filiales intégralement contrôlées, les services de conseil internationaux; pendant que le groupe francophone est associé négativement avec le recours à ces stratégies. Le groupe francophone est associé positivement avec l’usage de la sous-traitance internationale et avec le troc (commerce de contrepartie), pendant que le groupe anglophone est associé négativement avec ces stratégies. L’association la plus forte est trouvée entre l’origine ethnique et le recours au troc. En d’autres termes, le recours au troc est la stratégie sur laquelle la différence entre les deux groupes ethniques est la plus grande.

Les différences significatives entre les deux groupes ethniques demeurent même après que l’effet de la taille ait été contrôlé. Ces différences existent sur cinq modes d’expansion internationale : exportation directe aux consommateurs finals, autres types d’exportation, sous-traitance, commerce de contrepartie, filiales intégralement contrôlées et consultation. Au niveau des petites entreprises, les différences les plus prononcées impliquent le commerce de contrepartie (troc), alors qu’au niveau des entreprises de taille moyenne, les différences les plus prononcées impliquent trois modes d’expansion : l’exportation directe aux consommateurs finals, les autres types d’exportation et la formation de filiales entièrement contrôlées. Donc, au moment de traiter avec les entreprises du Nouveau-Brunswick, les entreprises étrangères doivent prendre en considération l’origine ethnique et la taille de l’entreprise.

La nature des relations entre certaines stratégies d’exportation et l’origine ethnique n’est pas affectée par la variation de la taille. Les stratégies en question sont l’exportation aux consommateurs finals et les autres types d’exportation. Donc, au niveau de chaque taille, aussi bien qu’au niveau global, l’exportation aux consommateurs finals est associée positivement avec le groupe anglophone et est associée négativement avec le groupe francophone. Les autres méthodes d’exportation sont associées positivement avec le groupe anglophone et négativement avec le groupe francophone. En revanche, les relations entre origine ethnique et exportation aux agents internes et représentants, ou exportation aux distributeurs étrangers, sont contingentes au niveau de la taille. Par conséquent, elles varient d’après le niveau de la taille.

La nature des relations entre les stratégies d’expansion internationale impliquant le plus d’engagement utilisées par les groupes de taille et l’origine ethnique dépend des stratégies et du groupe de taille visés. Par exemple, les relations entre origine ethnique et joint-venture, la formation de filiales étrangères, la sous-traitance, le commerce de contrepartie et la consultation sont contingentes à la taille, donc elles varient selon le niveau de la taille des entreprises impliquées. Pour les petites entreprises, les deux groupes ethniques diffèrent par rapport à la consultation, la sous-traitance et le commerce de contrepartie. Le groupe anglophone est associé négativement avec la sous-traitance et le commerce de contrepartie, pendant que les francophones sont associés positivement avec ces stratégies. Pour les entreprises de taille moyenne, les deux groupes ethniques diffèrent sur les joint-ventures et les filiales intégralement contrôlées. Le groupe anglophone est associé positivement avec ces stratégies, pendant que les francophones sont associés négativement avec elles.

Comme nous l’avons vu dans les études de la revue de la littérature sur la relation entre la culture et les modes d’entrée, les modèles explicatifs et les études empiriques sur la relation entre la culture et les modes d’entrée dans les marchés étrangers n’ont pas considéré l’appartenance linguistique ou ethnique dans leurs nombreux facteurs. La présente recherche révèle l’importance de tenir compte de cette composante de la culture.

À la lumière de ces résultats, plusieurs décisions peuvent être soulevées. Pourquoi les entreprises de petite et moyenne taille francophones n’utilisent pas les types modernes et populaires d’expansion internationale telles que les alliances stratégiques ? Une politique (ou programme) uniforme du gouvernement en termes d’exportation ou commerce international est-elle cause ? Quel serait l’effet d’autres facteurs qui ne sont pas contrôlés dans cette étude tels que les marchés desservis, l’expérience internationale, etc. ? Serait-il possible de considérer un programme de développement du commerce international pour les entreprises en se basant sur la discrimination positive en leur faveur, tel qu’il en existe au niveau de l’emploi ?