Avant-Propos

Totalité, savoirs et esthétiques du roman négro-africain[Notice]

  • Justin Bisanswa

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  • Justin Bisanswa
    Université Laval, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Littératures africaines et Francophonie

La modernité du roman négro-africain a ses figures tutélaires : Charles Nokan, Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma, Valentin Mudimbe, Sony Labou Tansi. Et sa définition : témoignage, engagement, mixité de l’oral et de l’écrit. Depuis sa création, le roman négro-africain parle du monde et, comme tout roman, il est même fait pour cela (Bisanswa, 2006 : 23). C’est devenu une banalité que de le lier au contexte de production et à l’environnement socio-historique. Les coordonnateurs de ce numéro en conviennent donc aisément : il y a une manière de coup de force à étendre la modernité du roman négro-africain aux esthétiques et à sa capacité de totaliser le réel. Les essais qui suivent en constituent autant de lectures différentes. Le seul point commun à ces différentes approches reste leur attachement à l’esthétique du roman, c’est-à-dire au langage, multiforme, qui renvoie dos-à-dos chaque investigation critique, qui se laisse découvrir pour mieux se recouvrir. Mais, mieux qu’un coup de force, c’est une décision de fidélité à l’esprit de la modernité, jusque dans la dimension particulièrement habile que celle-ci affecte. La modernité ne se laisse pas envelopper tout entière dans ce qui est occidental. Moderne est le roman africain, et d’une façon qui décide de toute la dynamique littéraire du début du XXe siècle. Les romanciers africains sont les premiers, pour des raisons que nous dirons, qui fondent la littérature sur un principe de rupture et confèrent au discours lyrique, quelque forme qu’il prenne, le pouvoir non seulement de restaurer l’unité perdue du monde, mais aussi de réagir aux sollicitations de l’histoire en fonction de la position que le sujet y occupe. Les premiers aussi, encore que peu suivis en ce sens, ils s’efforcent de concilier l’indépendance revendiquée de la chose littéraire et son articulation à la sphère sociale, selon une logique contradictoire avec laquelle toutes les poétiques à venir devront compter, y compris dans le refus ou la réaction. Le roman négro-africain, depuis 1921 (Batouala), a été, au fond, victime de son succès. Il l’est aujourd’hui de son éloignement ou de sa proximité par rapport au monde, qui lisse les aspérités qu’il a présentées à ses acteurs et à ses contemporains. Peu de mots, qui furent neufs et cinglants, sont plus dévalués, en effet, que ceux d’engagement, de réalisme, de témoignage infléchis tels que ces derniers le sont, dans le langage commun, du côté de l’émotion sociale et d’une fade dénonciation coloniale ou postcoloniale, ou mis à l’index, dans le langage de la critique littéraire, d’un « mensonge » auquel viendrait enfin s’opposer la « vérité romanesque » (Girard, 1964). Le roman africain naissant était une sorte d’enveloppe manifestaire d’un nouveau concept de l’oeuvre; Aimé Césaire y voyait une « arme miraculeuse », et Kourouma, après coup, l’expression épanouie d’une « époque de crise féconde ». Concept, arme, crise : mieux qu’une énumération de noms, de titres ou de périodisations fort élastiques (contestation de l’ordre colonial, dénonciation des nouveaux régimes, paupérisation progressive du continent, immigration, etc.), voilà qui permet de recadrer le roman africain et de faire valoir ses droits à la modernité, la modernité poétique (esthétique) dont il a été intrinsèquement ou demeure porteur autant que celle qu’il a rendue possible. Les historiens de la littérature s’accordent en général pour reconnaître diverses phases dans l’épanouissement du roman africain. La première, parfois qualifiée de « contestation », irait des années 1950 à 1960. Elle se constitue contre l’ordre colonial à travers les figures du colonial et du missionnaire. Ferdinand Oyono, Sembène Ousmane et Mongo Beti en sont les principaux représentants. Sembène Ousmane est la figure intermédiaire entre cette période et …

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