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C’est avec beaucoup d’émotion que nous présentons ce numéro de la Revue de l’Université de Moncton consacré au poète Gérald Leblanc. Car celui-ci était non seulement un des poètes les plus importants de l’Acadie, mais aussi une présence immense, une personnalité inoubliable, dont rien n’est venu combler la perte depuis son départ, annoncé mais néanmoins brutal, le 30 mai 2005. Pour ceux qui l’ont connu, il est difficile de distinguer l’oeuvre de la personne et l’hommage qui lui est rendu par cet ouvrage s’adresse à l’une et à l’autre. Nous avons considéré que le fait de faire connaître son oeuvre, d’en approfondir la connaissance en publiant des analyses rigoureuses de ses écrits, était le plus bel hommage qu’on puisse rendre à ce poète, paradoxalement, à la fois libre et engagé. Car Gérald Leblanc a vécu et écrit librement, avec une liberté qui a toujours fait passer le franc parler avant le souci de ménager les susceptibilités. Cette liberté était aussi une inspiration et un modèle, un antidote contre le poison du doute qui hante ceux que l’Histoire n’a pas logés à la meilleure enseigne. Son engagement allait dans le sens du rejet de toute contrainte et non seulement pour le droit à la parole, mais surtout pour celui d’être entendu et reconnu. Par la force de la parole poétique et créatrice, l’extrême frontière pouvait devenir le centre du monde. Il n’a jamais prêché pour son village, mais pour que tous les villages puissent contenir le monde, dans une diversité qui donne non seulement la possibilité de choisir, mais aussi d’imaginer, d’inventer et de créer. Cette joyeuse liberté était une puissante force de séduction et l’on sent à travers tous les textes qui composent cette publication, non seulement une compréhension très juste de ce qu’il a écrit, mais une affection et un attachement sincères pour celui qui a osé dans sa personne et ses écrits ne pas être comme tout le monde.

C’est sous le signe de cette ouverture et de cette diversité qu’a été conçu le présent ouvrage, qui donne une idée aussi bien des multiples orientations que peuvent prendre les études sur Gérald Leblanc que de la variété des sources qui l’ont inspiré. On trouvera en tête de ce numéro un témoignage fraternel d’Herménégilde Chiasson, « Visions de Gérald », dont le titre évoque l’un des écrivains de prédilection du regretté poète, l’auteur américain Jack Kerouac. Suivent sept articles visant à mettre en lumière quelques-uns des aspects-clés de l’oeuvre de Leblanc. Raoul Boudreau se penche tout d’abord sur la création de Moncton comme capitale culturelle dans les écrits de Leblanc. Fabienne Claire Caland part ensuite sur les traces des vagabondages de Leblanc en terre poétique, tandis que François Paré situe l’oeuvre poétique de Leblanc dans les rapports qu’elle entretient avec des écrivains visionnaires, comme Allen Ginsberg et Hakim Bey. C’est d’ailleurs en ce sens que Jean Morency propose de considérer le poète comme un écrivain du village planétaire, représentatif du monde actuel, et que Catherine Leclerc envisage la traduction de Moncton mantra, dans l’entrecroisement créatif des langues. D’un point de vue rétrospectif, Alain Masson se penche ensuite sur le processus ayant mené Leblanc à se construire en tant que poète, tandis que Monique Ostiguy propose une première description d’ensemble du fonds Gérald Leblanc, qui regroupe les archives confiées par le poète à Bibliothèque et Archives Canada. C’est de ce fonds d’archives qu’est tiré le poème inédit « Identité(s) », qui fait l’objet d’une édition critique réalisée par Pierre M. Gérin, avec la collaboration de Raoul Boudreau. Une bibliographie préparée par Benoit Doyon-Gosselin, une chronologie de la vie de Gérald Leblanc, patiemment constituée par Jonathan Roy, et un compte rendu de son dernier recueil, Poèmes new-yorkais, par Alain Masson, viennent compléter le numéro.

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Ronald Goguen, Portrait de Gérald Leblanc, photographie, 1991 (Reproduction de Léo Blanchard)

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