Corps de l’article

Introduction

Dans notre société, il est généralement reconnu que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. La recherche appuie cette conviction en mettant en relief le mécanisme de la transmission intergénérationnelle de la littératie. En effet, les chercheurs qui s’intéressent à la littératie reconnaissent qu’il y a un lien étroit entre l’environnement de littératie familiale que procurent les parents et le succès que connaît l’enfant lors de l’apprentissage formel de la lecture et de l’écriture. Un environnement où l’on fait régulièrement la lecture, pour soi-même ou avec l’enfant, où l’on retrouve une diversité de matériel de lecture et où l’on démontre des attitudes positives envers la littératie a un impact significatif sur le développement de la littératie de l’enfant (Morrow, 1995; Neuman, Copple et Bredekamp, 2000; Teale, 1984).

Les recherches ont aussi mis en évidence que, bien que la littératie soit présente sous diverses formes dans la presque totalité des foyers, les activités valorisées dans certains milieux ne sont pas toujours congruentes avec celles que l’enfant est appelé à vivre à l’école. Il en résulte que les activités scolaires ont parfois bien peu de sens pour l’enfant en dehors de l’école (Heath, 1983; Taylor et Dorsey-Gaines, 1988). Selon Morrow et Paratore (1993), cette incompatibilité entre l’école et la famille est souvent observée en milieux défavorisés. Dans les familles provenant de ces milieux, il n’est pas rare que les parents aient de faibles compétences en lecture et en écriture, ce qui pourrait constituer une variable encore plus révélatrice que la pauvreté comme telle pour expliquer la transmission intergénérationnelle de l’analphabétisme.

La présente étude s’intéresse aux parents analphabètes, que nous désignerons par les termes « parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ». L’UNESCO considère que dans une société industrialisée, une personne ayant moins d’une cinquième année scolaire est complètement analphabète alors que celle qui a moins d’une neuvième année scolaire est une analphabète fonctionnelle (Thomas, 1998). Comme tout autre parent, ceux ayant de faibles compétences en lecture et en écriture jouent un rôle de premier plan dans la mise en place de l’environnement de la littératie familiale dont bénéficient leurs enfants. Il nous semble donc important de mieux connaître leur rapport à la littératie. Certaines études ont abordé des variables reliées aux adultes ayant de faibles compétences en lecture et en écriture, mais relativement peu l’ont fait sous l’angle du rôle des parents. Nous présentons ci-dessous des études faisant état des connaissances actuelles sur les attitudes, valeurs et pratiques d’adultes peu scolarisés par rapport à la littératie.

Revue de la littérature

1. Le vécu scolaire et la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance

Dans des entrevues effectuées auprès de 84 adultes éprouvant des difficultés en lecture et en écriture, Fear (1991) s’est intéressée aux raisons auxquelles ces personnes attribuaient leurs difficultés à apprendre à lire et à écrire alors qu’elles fréquentaient l’école. Les raisons les plus souvent évoquées furent associées à la maladie, aux difficultés familiales, à l’absentéisme scolaire, au fait de devoir rester à la maison pour aider, à la timidité, au manque d’intérêt de la mère envers les apprentissages scolaires de l’enfant et au fait d’avoir des parents analphabètes. Dans la même étude, l’auteure a voulu savoir si, pendant leur enfance, les répondants avaient connu des épisodes pendant lesquels on leur avait fait la lecture. Seulement trois personnes sur 84 ont répondu par l’affirmative.

D’autre part, Beebe (1992) a exploré les antécédents scolaires et familiaux de 57 adultes ayant de faibles compétences en lecture. Par un questionnaire, elle a recueilli diverses informations qui tracent un portrait plutôt négatif de leurs expériences éducationnelles, tant scolaires que familiales. Concernant les aspects familiaux, les adultes interrogés par Beebe ont identifié certains facteurs ayant pu affecter négativement leur apprentissage de la lecture. Ils ont entre autres indiqué que le niveau d’éducation de leurs parents était peu élevé : 58 % des pères et 46 % des mères avaient une scolarité ne dépassant pas le niveau élémentaire. De plus, certains parents (25 % des pères et 9 % des mères) ne savaient pas lire du tout. Toutefois, pour ce qui est des attentes des parents envers la scolarisation de leurs enfants, il appert que bien que leurs parents étaient peu scolarisés, les personnes interrogées avaient le sentiment que ceux-ci les encourageaient à réussir à l’école (75 %) et à terminer leurs études secondaires (61 %).

Les résultats de ces deux études appuient l’idée que le vécu scolaire ainsi que l’environnement familial sont des facteurs déterminants pour l’apprentissage de la lecture. Cependant, bien que les événements passés nous aident à comprendre leur réalité actuelle, il serait intéressant de savoir comment ces adultes s’adaptent aux exigences quotidiennes où la lecture et l’écriture sont nécessaires. Par exemple, est-ce qu’ils utilisent l’écrit pour communiquer avec les membres de leur famille ? Sont-ils capables de lire la posologie d’un médicament ? Font-ils la lecture à leur enfant ?

2. Les pratiques de littératie en milieu défavorisé

Suite à une étude ethnographique de l’environnement de littératie familiale dans des familles vivant dans la pauvreté, Teale (1986) arrive à la conclusion qu’il existe des différences importantes dans les pratiques de littératie retrouvées dans ces foyers. Alors que dans certaines familles on accorde peu d’importance à l’écrit, d’autres familles offrent aux enfants un milieu propice à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Cette conclusion concorde avec les observations de Purcell-Gates (1996). Afin de mieux connaître les pratiques de littératie de 20 familles d’un milieu défavorisé, cette auteure s’est basée sur des données recueillies au cours d’une semaine d’observation dans chacun des foyers. Tout comme Teale (1986), elle a pu constater que la littératie fait bel et bien partie de la vie quotidienne des familles socioéconomiquement défavorisées. Cependant, des différences significatives entre ces familles ont été notées en ce qui a trait à la fréquence des activités de littératie. Alors que dans certaines familles, on notait environ cinq activités de littératie par heure, dans d’autres familles, de telles activités étaient quasi inexistantes. Ces deux études n’indiquent cependant pas si les variations observées sont associées au niveau de compétence en lecture et en écriture des parents.

Le niveau socioéconomique n’est probablement pas le seul facteur déterminant la relation qu’entretient la personne avec l’écrit. L’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée influencent possiblement les pratiques de littératie que démontre l’adulte. Est-il possible, pour les parents qui éprouvent des difficultés en lecture et en écriture, de maintenir une attitude positive envers la littératie ?

3. Attitude et valeur accordée à la littératie

Smith (1990) définit l’attitude envers la lecture comme un état d’esprit accompagné par des sentiments et des émotions qui rendent l’acte de lire plus ou moins probable. Une étude menée auprès de 84 adultes ayant des niveaux de compétence en lecture variés lui a permis de conclure que la lecture est une activité où il y a une forte connexion entre les attitudes et les comportements. Les adultes qui aiment lire trouvent du temps à consacrer à cette activité alors que ceux qui n’aiment pas lire lisent seulement lorsque c’est absolument nécessaire. De plus, l’auteure a mis en évidence que le niveau de compétence en lecture de l’adulte est en relation avec ses attitudes envers la littératie. Ainsi, les adultes ayant de meilleures compétences en lecture entretiennent une attitude plus favorable à son égard et, par le fait même, lisent plus fréquemment que ceux qui ont des compétences en lecture moins élevées.

À ce jour, peu de recherches ont investigué spécifiquement la relation entre les faibles compétences en lecture et en écriture des parents et leur attitude envers la littératie. On en sait également très peu sur la valeur qu’ils lui accordent. Ces lacunes peuvent possiblement expliquer la persistance d’idées préconçues voulant que les adultes ayant de faibles compétences en lecture et en écriture aient une attitude négative envers la littératie et qu’ils ne la valorisent pas autant que les lecteurs habiles. Il faudrait également s’intéresser aux croyances qu’entretiennent ces personnes envers l’acquisition de la littératie afin de ne pas laisser place à de fausses conceptions.

4. Croyances envers l’acquisition de la littératie chez l’enfant

Les croyances des parents envers le développement de la littératie de leur enfant sont en partie façonnées par leurs expériences scolaires et familiales passées (Klassen-Endrizzi, 2000). D’autres éléments tels que la culture, les traditions, le niveau socio-économique, l’environnement social, les caractéristiques spécifiques de leur enfant de même que leurs caractéristiques personnelles contribuent aussi au développement de leurs perceptions envers l’acquisition de la littératie (Powell, 1996).

Fitzgerald, Spiegel et Cunningham (1991) ont étudié les perceptions des parents envers le développement de la littératie de leur enfant en relation avec leur niveau de compétence en lecture et en écriture. 108 parents ayant un enfant à la maternelle ont participé à une entrevue et ont répondu à un test pour déterminer leur niveau de compétence dans ces domaines. Les parents qui se sont classés dans le quartile le plus haut et ceux qui se sont classés dans le quartile le plus bas furent comparés. Les chercheures ont trouvé des différences significatives distinguant les deux groupes. La différence majeure est que les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ont tendance à valoriser davantage les outils et les activités orientés vers le développement des habiletés (par exemple les cartes-éclairs, réciter l’alphabet) alors que les parents ayant un niveau de compétences plus élevé en lecture et en écriture désapprouvent fortement ce type de matériel et les activités dont le but est de faire de l’entraînement. Ces derniers perçoivent l’acquisition de la littératie comme une pratique culturelle alors que ceux ayant de faibles compétences en lecture et en écriture considèrent qu’il s’agit plutôt d’un ensemble d’habiletés à maîtriser. Ces résultats abondent dans le même sens qu’une étude antérieure menée par Heath (1983). Cette dernière avait alors mis en évidence qu’une perception traditionnelle du développement de la littératie est souvent associée à des parents provenant de milieux défavorisés ou encore à des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture.

En résumé, les recherches consultées révèlent que les personnes ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ont vécu des expériences scolaires négatives. De plus, elles ont grandi dans un environnement de littératie familiale peu stimulant (Beebe, 1992). On peut dès lors se demander si le vécu scolaire et la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance par les parents sont en relation avec leurs pratiques de littératie actuelles. Les études consultées ne nous informent pas à cet effet.

Par ailleurs, on sait qu’en milieux défavorisés, les pratiques de littératie varient beaucoup d’une famille à l’autre (Purcell-Gates, 1996). Est-il possible que les variations rencontrées soient dues au niveau de compétence en lecture et en écriture des parents plutôt qu’à leur revenu ? Peu d’études portent particulièrement sur les pratiques de littératie des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Serait-ce un élément qui différencie ceux qui offrent un bon environnement de littératie familiale ?

L’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée varient grandement chez les adultes. Selon Smith (1990), il y aurait une relation entre les compétences en lecture et l’attitude envers celle-ci. Puisque l’écrit représente un défi pour les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture, on peut supposer que leur attitude envers la littératie et la valeur qu’ils lui attribuent en sont marquées. Encore une fois, il est important d’analyser cette question car on sait peu de choses sur cet aspect de la littératie de ces parents.

Certains parents ont des croyances envers la littératie qui les amènent à l’intégrer dans des activités culturelles familiales. D’autres parents ont des croyances plus traditionnelles. Des chercheurs soutiennent que les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ont souvent des croyances traditionnelles vis-à-vis l’acquisition de la littératie (Fitzgerald, Spiegel et Cunningham, 1991). Est-ce le cas pour tous ces parents ?

Problématique de l’étude

La présente étude vise à mieux connaître les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Ces parents sont appelés à jouer un rôle important en ce qui concerne le développement de la littératie de leurs enfants. Il est donc important de mieux connaître leurs caractéristiques puisqu’ils sont des intermédiaires décisifs dans la transmission intergénérationnelle de la littératie. Plus précisément, nous tenterons de répondre aux questions suivantes :

  1. Quelle a été la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance chez les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ?

  2. Quelle est leur attitude envers la littératie et quelle valeur lui accordent-ils ?

  3. Quelles sont leurs pratiques de littératie à la maison ?

  4. Quelles sont leurs croyances envers l’acquisition de la littératie chez les enfants ?

  5. Est-ce que ces parents se différencient par rapport aux différentes variables à l’étude ?

Méthode

1. Participants

Cette étude a été réalisée grâce à la participation de 174 parents fréquentant des classes d’alphabétisation depuis six mois, en moyenne. Ces classes font partie du Programme communautaire de récupération scolaire (PCRS), parrainé par la Fédération d’Alphabétisation du Nouveau-Brunswick. Des apprenants adultes y suivent des cours de récupération scolaire de la première à la neuvième année. La participation à ce programme est volontaire et non rémunérée. Alors que certains apprenants fréquentent les classes quotidiennement, d’autres choisissent un horaire flexible, selon leur disponibilité. Ces classes se retrouvent dans plus de 120 localités de la province.

Parmi les participants à cette étude, 83,6 % n’ont pas complété une neuvième année scolaire, alors que 9,9 % n’ont pas complété une sixième année. Les participants sont majoritairement de sexe féminin (88,5 % sont des femmes et 11,5 % sont des hommes). L’âge moyen est de 35 ans. Chaque participant est le parent d’au moins un enfant âgé entre 18 ans ou moins. Pour l’ensemble des participants, on compte 280 enfants dont l’âge moyen est de 10,2 ans.

2. Instruments

Deux instruments ont servi à recueillir les données pour cette étude : le Test de Rendement pour Francophones (TRF, The Psychological Corporation, 1995) pour déterminer le niveau de compétence en lecture et en écriture des participants et un questionnaire élaboré à partir de la recension des écrits.

Le TRF est un instrument qui permet de mesurer les habiletés scolaires de base de personnes dont la langue principale est le français. Le niveau A du test, qui a été utilisé pour cette étude, comprend cinq sous-tests : « vocabulaire », « compréhension de l’écrit », « opérations arithmétiques », « résolution de problèmes » et « orthographe ». Seuls les trois sous-tests se rapportant à la lecture et à l’écriture ont été administrés. Les coefficients alpha rapportés pour le sous-test de vocabulaire, pour celui du sous-test de compréhension en lecture et celui d’orthographe sont de 0,82, 0,91 et 0,94 respectivement (The Psychological Corporation, 1995). Les résultats obtenus aux trois sous-tests ont servi à calculer une moyenne globale indiquant le niveau de compétence en lecture et en écriture de chaque participant. La cohérence interne pour l’ensemble de ces trois sous-tests fut évaluée à l’aide de l’alpha de Cronbach. Un coefficient de 0,76 indique une cohérence interne modérée (McMillan et Schumacher, 1997).

Afin de recueillir les informations concernant 1) la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance, 2) l’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée, 3) les pratiques de littératie et 4) les croyances envers l’acquisition de la littératie, nous avons élaboré un questionnaire en nous basant sur une recension des écrits touchant à ces divers aspects. Les différents items du questionnaire se retrouvent aux tableaux 2, 3, 4 et 5 dans la section Résultats. Pour ces quatre construits, la cohérence interne a été évaluée en calculant l’alpha de Cronbach. Les coefficients obtenus sont les suivants : 0,74 pour la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance; 0,68 pour l’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée; 0,79 pour les pratiques de littératie; et 0,72 pour les croyances envers l’acquisition de la littératie.

Résultats

Les résultats sont présentés en quatre parties. En premier lieu, on retrouve les résultats obtenus par les parents au TRF. Par la suite, les données descriptives calculées à partir des réponses au questionnaire sont présentées. Viennent ensuite les corrélations entre les différentes variables. Finalement, les parents sont comparés selon leur niveau de compétence par des analyses de variance.

1. Résultats au Test de Rendement pour Francophones (TRF)

Le TRF a permis d’évaluer le niveau de compétence en lecture et en écriture des participants. À partir des résultats obtenus aux sous-tests de vocabulaire, de compréhension de l’écrit et d’orthographe, l’équivalence scolaire fut calculée en faisant la moyenne de ces trois épreuves. L’intercorrélation modérée des résultats de ces trois sous-tests (coefficient alpha de 0,76) permet de faire un tel regroupement. Ces résultats sont présentés au tableau 1.

Tableau 1

Résultats au Test de Rendement pour Francophones (TRF)

Résultats au Test de Rendement pour Francophones (TRF)

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On remarque qu’en moyenne, ces parents ont une équivalence scolaire se situant entre la 5ème et la 6ème année (M =5,6). Dix-sept parents (9,8 %) ont obtenu des résultats égaux ou inférieurs à la troisième année scolaire. La majorité, soit 120 parents (69 %), ont une équivalence scolaire qui se situe entre la quatrième et la sixième année inclusivement, alors que 37 parents (21,2 %) ont des résultats qui correspondent à la septième ou à la huitième année scolaire.

2. Données descriptives des réponses au questionnaire sur la lecture et l’écriture

Les statistiques descriptives concernant les informations recueillies par le biais du questionnaire sont présentées dans les tableaux qui suivent. Le tableau 2 présente les résultats à propos de la première question, qui porte sur la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance chez les parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture.

Tableau 2

Stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance

Stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance

Note :

  • Choix de réponses pour l’item 1 :

    1=pas important, 2=pas très important, 3=assez important, 4=très important.

  • Choix de réponses pour les items 2, 3 et 4 :

    1=jamais, 2=rarement, 3=parfois, 4=souvent.

  • Choix de réponses pour les items 5 et 6 :

    1=entre 0 et 6 années d’études, 2=entre 7 et 12 années d’études, 3=études collégiales, 4=études universitaires.

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On constate qu’en moyenne les répondants ont le sentiment que leurs parents accordaient assez d’importance à l’école. Cependant, ce n’est que rarement qu’ils voyaient leur père faire la lecture, activité qui était un peu plus fréquente chez leur mère. Par ailleurs, ce n’est que rarement qu’on leur a fait la lecture lorsqu’ils étaient jeunes. Quant au niveau de scolarité de leurs parents, ils ont indiqué en moyenne que ces derniers avaient tout au plus complété une 6ème année.

La deuxième question de la recherche porte sur l’attitude des participants envers la littératie et l’importance qui lui est accordée. Le tableau 3 permet de constater qu’en moyenne, ils aiment lire parfois et qu’ils sont d’avis que la lecture est un passe-temps intéressant. On remarque également qu’en moyenne, ils accordent de l’importance à la littératie en reconnaissant que la lecture est nécessaire quotidiennement, qu’il est important de savoir lire pour trouver ou conserver un emploi, ou encore, pour utiliser la technologie. Dans une très grande mesure, les participants sont d’avis qu’il est important que leur enfant apprenne à bien lire et écrire.

Tableau 3

Attitude envers la littératie et valeur qui lui est accordée

Attitude envers la littératie et valeur qui lui est accordée

Note :

  • Choix de réponses pour l’item 1 :

    1=je n’aime pas lire du tout, 2=je lis seulement lorsque c’est nécessaire, 3=j’aime lire parfois, 4=j’aime beaucoup lire.

  • Choix de réponses pour les items 2 à 6 :

    1=tout à fait en désaccord, 2=pas d’accord, 3=d’accord, 4=tout à fait d’accord.

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Tableau 4

Pratiques de littératie

Pratiques de littératie

Note :

  • Choix de réponses pour la question 1 :

    1=moins de dix, 2=de onze à vingt, 3=de vingt à trente, 4=plus de trente.

  • Choix de réponses pour les questions 2 et 3 :

    1=jamais, 2=une fois par mois, 3=une fois par semaine, 4=à tous les jours.

  • Choix de réponses pour la question 4 :

    1=jamais, 2=rarement, 3=parfois, 4=assez souvent, 5=souvent.

  • Choix de réponses pour la question 5 :

    1=peu souvent, 2=une fois par semaine, 3=quelques fois par semaine, 4=à chaque jour.

  • Choix de réponses pour les questions 6 à 10 :

    1=jamais, 2=rarement, 3=parfois, 4=souvent.

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La troisième question concerne les pratiques de littératie des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Au tableau 4, on remarque, en consultant les énoncés se rapportant aux pratiques de lecture (2 à 5) et aux pratiques d’écriture (6 à 10), que ces parents lisent plus souvent qu’ils n’écrivent. Lorsqu’ils lisent, ils font plus souvent la lecture du journal que la lecture de magazines ou de livres. En moyenne, ils font la lecture à leur enfant une fois par semaine. Lorsqu’ils écrivent, il est plus probable que ce soit pour répondre à des besoins de la vie courante, comme faire une liste d’épicerie ou laisser un message à un membre de la famille, que pour écrire des lettres ou un journal personnel.

La quatrième question de l’étude s’intéresse aux croyances entretenues par les répondants envers l’acquisition de la littératie. On leur a proposé six énoncés dénotant une vision traditionnelle du développement de la littératie. Sur une échelle Likert allant de 1 à 4, ils ont exprimé leur opinion pour chaque énoncé. Plus un parent est en accord avec ces énoncés, plus il a une vision traditionnelle de l’acquisition de la littératie et vice-versa. Au tableau 5, on constate qu’en moyenne, les parents sont d’accord avec la plupart des énoncés.

Pour faciliter l’analyse statistique permettant de répondre à la dernière question de l’étude, nous avons calculé des scores à partir des items du questionnaire. Ainsi, pour obtenir un score représentant la stimulation à la littératie reçue pendant l’enfance par le parent, les réponses données par le répondant aux items apparaissant au tableau 2 furent additionnées. Nous avons procédé de la même façon pour déterminer un score représentant l’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée (items du tableau 3), un score représentant les pratiques de littératie (items du tableau 4) et finalement, un score représentant les croyances envers l’acquisition de la littératie (items du tableau 5).

3. Comparaison entre les groupes de parents

Afin de vérifier si les parents ayant participé à cette étude se différencient par rapport aux différentes variables étudiées, l’ensemble des parents a été divisé en trois groupes en se basant sur les résultats obtenus au TRF. Le premier groupe comprend les 17 parents ayant le plus faible niveau de compétence en lecture et en écriture, soit une équivalence scolaire qui correspond aux trois premières années du primaire. Le deuxième groupe représente les 120 parents dont l’équivalence scolaire se trouve entre la 4ème et la 6ème années scolaires inclusivement. Quant au troisième groupe, il est formé par les 37 parents ayant la meilleure performance au TRF, avec une équivalence scolaire correspondant à la 7ème ou la 8ème année scolaire. Le calcul de l’homogénéité de la variance entre les groupes a relevé des différences significatives (p<0,05). Les comparaisons entre les groupes ont été effectuées avec le test C de Dunnett. Ces résultats apparaissent au tableau 6.

Tableau 5

Croyances envers l’acquisition de la littératie

Croyances envers l’acquisition de la littératie

Note :

  • Choix de réponses pour les questions 1 à 6 :

    1=tout à fait en désaccord, 2=pas d’accord, 3=d’accord, 4=tout à fait d’accord.

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Les résultats des ANOVAS comparant les trois groupes sur les variables 1) stimulation à la littératie, 2) attitude envers la littératie et valeur qui lui est accordée, 3) pratiques de littératie et 4) croyances envers l’acquisition de la littératie, permettent de constater que les parents ne forment pas un groupe homogène par rapport à plusieurs de ces variables. En ce qui a trait à la stimulation à la littératie dont ils ont profité pendant leur enfance, les parents s’étant classés au plus bas niveau en lecture et en écriture (1ère à 3ème années) ne se démarquent pas de ceux ayant obtenu des résultats équivalents à la 4ème, 5ème et 6ème années scolaires. Cependant, les parents dont l’équivalence scolaire en lecture correspond à la 7ème ou à la 8ème année se démarquent des deux autres groupes de parents par un score plus élevé à cet indice. Le même constat s’impose pour les pratiques de littératie : les parents ayant un plus haut niveau de compétence en lecture et en écriture (7ème ou 8ème année) ont significativement plus de pratiques de littératie que les autres parents (1ère à 3ème années; 4ème à 6ème années) qui, eux, ne se distinguent pas entre eux. L’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée constitue une autre variable qui distingue les parents. Bien que ceux ayant une équivalence en lecture et en écriture qui correspond à la 1ère, 2ème ou 3ème année ne se distinguent pas de ceux ayant une équivalence en lecture et en écriture allant de la 4ème à la 6ème années, ils se distinguent de ceux ayant obtenu des résultats équivalents à la 7ème ou à la 8ème année. Ces derniers obtiennent un score plus élevé à cet indice. Cependant, les parents des deux derniers groupes (4ème à 6ème années; 7ème et 8ème années) ne se distinguent pas concernant cette variable. Finalement, en ce qui concerne les croyances des parents envers l’acquisition de la littératie, les différences observées entre les trois groupes de parents ne sont pas significatives.

Tableau 6

Effet du niveau de littératie du parent tel que mesuré par le TRF

Effet du niveau de littératie du parent tel que mesuré par le TRF

Note :

** p<0,01

TRF : Test de Rendement pour Francophones

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Discussion

Cette étude confirme que les adultes ayant de faibles compétences en lecture et en écriture ont reçu une stimulation à la littératie plutôt faible. La lecture n’était pas une activité fréquente dans l’environnement familial où ils ont grandi. Les mères, tout comme les pères des participants lisaient peu. De plus, on leur a rarement fait la lecture pendant leur enfance. La majorité des participants ont grandi dans un environnement où les parents étaient très peu scolarisés. Dans une étude réalisée par Beebe (1992) auprès d’adultes ayant de faibles compétences en lecture, 58 % des pères et 46 % des mères des participants avaient une scolarité ne dépassant pas le niveau primaire. Dans la présente étude, ces pourcentages s’élèvent à 74 % pour les pères et à 58 % pour les mères. Cependant, malgré leur faible scolarisation et leurs pratiques de lecture peu fréquentes, les parents des participants à la présente étude accordaient de l’importance à l’école, tout comme les parents des personnes interrogées par Beebe. Il est possible que ces parents, ayant vécu des difficultés propres à leur situation, étaient conscients que leurs enfants devraient atteindre un niveau d’éducation plus élevé afin d’accéder, entre autres, à de meilleures conditions socioéconomiques.

La deuxième question à l’étude portait sur l’attitude envers la littératie et la valeur qui lui est accordée par des adultes ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Il ressort, à l’analyse des données, que ceux-ci reconnaissent l’importance de la littératie. Certains considèrent que la lecture est un passe-temps intéressant, ou encore que c’est une activité qui est nécessaire à chaque jour. Ces résultats sont encourageants puisque, selon Symons, Szuszkiewicz et Bonnell (1996), des attitudes positives envers la lecture chez les parents ont un effet intergénérationnel qui se reflète sur le développement de la littératie de leurs enfants. Malgré de faibles compétences en lecture et en écriture, ceux-ci peuvent quand même entretenir une attitude positive envers la littératie. Toutefois, le seul fait que les parents reconnaissent la valeur de la littératie n’est probablement pas suffisant pour assurer la réussite scolaire de leurs enfants.

Une autre variable à l’étude portait sur les pratiques de littératie des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Chez les participants à cette étude, la lecture semble être une pratique plus courante que l’écriture. Mais les résultats suggèrent qu’ils ne lisent pas souvent et qu’ils écrivent encore moins fréquemment. Dans ces familles, les enfants n’ont donc pas souvent l’occasion de voir leurs parents faire usage de la littératie. Par le fait même, on ne leur fait pas souvent la lecture. Pourtant, comme le soulignent Burns, Espinosa et Snow (2003), ce sont là des facteurs déterminants qui influencent l’apprentissage de la lecture chez les enfants. On peut en déduire que les enfants dont les parents ont de faibles compétences en lecture et en écriture grandissent dans un environnement familial où la littératie est peu présente puisque les éléments mentionnés précédemment ne font pas partie de leur quotidien. Contrairement à l’étude de Purcell-Gates (1996), les parents de la présente étude n’ont pas des pratiques de littératie qui sont très variées. Rappelons que cette auteure n’avait pas tenu compte du niveau de compétence en lecture et en écriture des parents comme nous l’avons fait dans la présente étude. Nos résultats ne nous permettent pas d’établir une relation causale entre le niveau de compétence en lecture des parents et leurs pratiques de littératie, mais nous avons établi qu’il existe un lien entre ces deux variables.

Quant aux croyances qu’ont les parents envers l’acquisition de la littératie, il appert que les adultes que nous avons interrogés entretiennent des conceptions traditionnelles vis-à-vis l’acquisition de la littératie chez l’enfant. Ces résultats vont dans le même sens que ceux obtenus par Fitzgerald, Spiegel et Cunningham (1991) à l’effet que les parents ayant un faible niveau de littératie ont une vision du développement de la littératie orientée davantage vers la maîtrise d’habiletés isolées. Par ailleurs, mentionnons que d’après Anderson (1993), les parents transmettent à leurs enfants leurs croyances envers l’acquisition de la littératie. Les enfants des parents ayant participé à la présente étude risquent donc de développer des conceptions de la littératie pouvant affecter négativement leur apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Le niveau de compétence en lecture et en écriture démontré par les parents a un effet sur la plupart des variables étudiées. Bien que tous les parents ayant participé à l’étude aient une équivalence scolaire en lecture et en écriture qui ne va pas au-delà de la huitième année, ils se distinguent de plusieurs façons. Les parents ayant un meilleur niveau de compétence en lecture et en écriture démontrent davantage de pratiques de littératie. Ils accordent plus de valeur à la littératie et ils ont des croyances moins traditionnelles envers la façon de l’acquérir. Ces parents ont profité d’une meilleure stimulation à la littératie pendant leur enfance. On peut donc dire qu’ils ont un rapport à la littératie plus avantageux que les parents ayant des compétences en lecture et en écriture moins élevées. Les résultats de la présente étude appuient les conclusions de Smith (1990) à l’effet que plus un parent démontre un niveau de performance élevé en lecture et en écriture, plus il a une attitude positive envers la lecture et plus ses pratiques de littératie sont fréquentes. Par ailleurs, en ce qui concerne la stimulation à la littératie, Volk (1998) maintient que les relations que les parents et les enfants entretiennent avec l’écrit ont des effets réciproques : le parent qui pense que l’enfant est intéressé par l’écrit est plus susceptible de lui proposer des activités de littératie que le parent qui n’a pas cette perception. Ainsi, il est possible que dès leur enfance, les participants à la présente étude ne démontraient pas un intérêt intrinsèque pour l’écrit. Ils auraient alors enclenché une relation bidirectionnelle avec leurs parents autour de la littératie, ce qui aurait possiblement eu des conséquences néfastes sur leur niveau de compétence en lecture et en écriture à l’âge adulte.

Selon les résultats de cette étude, les parents ne se distinguent pas en ce qui a trait à leurs croyances envers l’acquisition de la littératie. Tous ont des croyances plutôt traditionnelles envers la façon dont l’enfant apprend à lire et à écrire. Fitzgerald, Spiegel et Cunningham (1991) soulignent que les parents ayant un faible niveau de littératie ont une vision traditionnelle du développement de la littératie alors que ceux dont le niveau de littératie est plus élevé perçoivent l’acquisition de la littératie comme une pratique culturelle. Dans la présente étude, nous ne sommes pas en mesure d’apprécier une telle différence entre les participants. Mais dans l’étude de Fitzgerald, Spiegel et Cunningham (1991), un écart d’environ dix années de scolarité distinguait les groupes de parents qui furent comparés. En considérant ces résultats et ceux de la présente étude, on peut supposer qu’un niveau de compétence en lecture et en écriture supérieur à la huitième année scolaire chez les parents est nécessaire pour que l’on puisse remarquer des différences dans les croyances envers l’acquisition de la littératie.

Certaines limites méthodologiques de cette étude doivent être soulignées. En premier lieu, il convient de mentionner la plus grande proportion de participants de sexe féminin (88,5 %). Il aurait été préférable d’avoir un meilleur équilibre entre les deux sexes afin de contrôler les effets pouvant découler de cette variable. Une autre limite à l’étude est le fait que la désirabilité sociale ait possiblement influencé les réponses des parents lors de l’administration du questionnaire. Bien qu’ils aient de faibles capacités en lecture et en écriture, il est probable que ces parents soient conscients des comportements que démontrent les personnes plus scolarisées vis-à-vis la littératie. Étant donné que le questionnaire leur proposait un choix de réponses pour chaque item, il pouvait être facile de choisir l’option qui semblait être la plus souhaitable. La représentativité de l’échantillon est une autre limite de cette étude. Afin de rejoindre le plus de participants possible, nous avons fait appel à des classes d’alphabétisation auxquelles les gens participent de façon volontaire. Il est possible que les participants à cette étude soient déjà sensibilisés au besoin d’améliorer leurs compétences en lecture et en écriture afin de mieux soutenir le développement de la littératie de leurs enfants. Dans ces classes, les parents profitent parfois d’ateliers portant sur la littératie familiale. Les résultats de l’étude auraient peut-être été différents si l’échantillon avait été composé de parents ne participant pas à un tel programme.

Les résultats de cette recherche font ressortir divers facteurs associés aux parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Plus particulièrement, des pratiques de littératie peu fréquentes ainsi que des croyances traditionnelles envers l’acquisition de la littératie caractérisent les participants de la présente étude. Or, il est reconnu que de telles caractéristiques parentales ont des effets négatifs sur le développement de la littératie de l’enfant (Anderson, 1993; Snow et al., 1998). Une piste de recherche qui pourrait contribuer à l’avancement des connaissances dans le domaine de la littératie familiale serait d’étudier l’effet du niveau de compétence du parent en lecture et en écriture sur le développement de la littératie de son enfant en tenant compte, plus particulièrement, de ces deux caractéristiques. Une telle recherche permettrait de déterminer si l’une ou l’autre de ces caractéristiques a un effet plus marquant sur la réussite de l’enfant. Ces résultats pourraient s’avérer intéressants pour les programmes de littératie familiale destinés aux parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture.

Conclusion

Cette étude exploratoire nous a permis de connaître quelques caractéristiques des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Les résultats révèlent que l’environnement dans lequel ils ont grandi n’offrait pas une stimulation à la littératie très riche, ce qui peut possiblement expliquer leurs compétences limitées en lecture et en écriture. Les parents ayant participé à l’étude ont des pratiques de littératie restreintes, mais malgré tout, ils ont une attitude positive envers la littératie et ils lui accordent de l’importance. Toutefois, ils entretiennent des croyances plutôt traditionnelles envers l’acquisition de la littératie. Cette étude, menée auprès de 174 parents fréquentant des classes d’alphabétisation, apporte des connaissances nouvelles quant au rapport à la littératie qu’entretiennent des parents faiblement scolarisés et ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Peu de chercheurs s’étaient intéressés spécifiquement à connaître les caractéristiques des parents ayant de faibles compétences en lecture et en écriture. Le fait d’avoir recueilli ces données permet de comprendre encore plus que pour briser le cycle de l’analphabétisme, les parents ont un rôle déterminant.