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Introduction

Tout comme les autres provinces canadiennes, le Nouveau-Brunswick a subi des restructurations majeures de son système de santé depuis les années 1990. Les ressources humaines et l’organisation des soins ont été profondément marquées par ces changements. Suite à ces réformes, on se sert de différents modèles de prestation des soins infirmiers dans la province. Cependant, peu de recherches s’intéressent à la relation de travail entre les infirmières et les infirmières auxiliaires face à ces changements. Quelques études révèlent des tensions entre ces deux groupes concernant l’étendue de leur rôle, ce qui provoque parfois des situations difficiles dans les milieux de soins (Adams, Lugsden, Chase, Arber et Bond, 2000; Besner et al., 2005; Daykin et Clarke, 2000; Rhéaume, Dykeman, Davidson et Ericson, 2007). Pour cette raison, il serait important d’augmenter les connaissances sur les relations de travail entre ces deux groupes, pour faciliter l’adaptation aux nouveaux rôles des intervenants de la santé.

Problématique

En 2004, le Ministère de la Santé et du Mieux-être du Nouveau-Brunswick a demandé aux établissements de santé d’entreprendre des démarches afin de profiter pleinement du champ de pratique de chaque intervenant de soins (Ministère de la Santé et du Mieux-être, 2004). Cette demande a exigé essentiellement une réorganisation de la méthode de prestation des soins aux patients. Ce changement avait comme but principal d’optimiser le rôle des intervenants en soins infirmiers (infirmières, infirmières auxiliaires, aides et préposés) qui oeuvrent auprès des patients. Ceci apporterait les changements suivants : un remaniement de la répartition du travail entre les infirmières et les infirmières auxiliaires résultant en un rôle élargi et plus axé sur la gestion des soins pour l’infirmière et en des tâches plus complexes pour l’infirmière auxiliaire (AIINB et AIIAANB, 2003).

Avant ces changements, les infirmières auxiliaires dispensaient, sous la direction de l’infirmière, des soins aux personnes qui nécessitaient une surveillance simple, qui étaient en phase de convalescence ou qui étaient atteintes d’affections subaiguës ou chroniques (AIINB et AIIAANB, 2003). Le champ de pratique des infirmières et des infirmières auxiliaires a évolué de façon significative au cours des années. Toutefois, Backman (2000) remarque une inconsistance dans les champs de pratique entre les infirmières et les infirmières auxiliaires à travers le pays.

Les quelques études qui se sont intéressées à la relation de travail entre les membres du personnel infirmier suggèrent qu’il existe des tensions ou incertitudes par rapport à l’organisation des soins et en ce qui concerne les changements dans les rôles (Adams et al., 2000; Besner et al., 2005; Daykin et Clarke, 2000; Rhéaume et al., 2007). Les entrevues auprès des infirmières dans deux études néo-brunswickoises montrent que celles-ci ne sont pas toujours à l’aise pour déléguer des soins aux infirmières auxiliaires car elles s’inquiètent des qualifications de ces dernières (Rhéaume 2003; Rhéaume et al., 2007). De plus, les infirmières dans ces études perçoivent à l’occasion les infirmières auxiliaires comme une menace pour leur sécurité d’emploi. Une étude récente au Canada auprès du personnel infirmier révèle une confusion de rôle au sein de la profession infirmière et entre le personnel infirmier et les autres professionnels de la santé (Besner et al., 2005). Cette confusion de rôle pourrait s’expliquer par les changements fréquents dans la division du travail du personnel hospitalier à la suite des réformes du système de santé (Blythe, Baumann et Giovannetti, 2001; Decter, 1997; Workman, 1996).

Plusieurs études précisent des situations où les prestataires de soin démontrent de l’ambiguïté de rôle lors des réformes des années 1990. Toutefois, peu d’études en science infirmière utilisent spécifiquement ce concept ou la théorie des rôles. (Barter, McLaughlin et Thomas, 1997; Blythe et al., 2001; Jervis, 2002; Rhéaume et al., 2007; Warr, 2002). D’après ces écrits, la distinction entre les rôles des infirmières et des infirmières auxiliaires n’est pas toujours claire. À long terme, un manque de connaissance de leur propre rôle ainsi que du rôle et des qualifications de chacun de leurs collègues provoque de l’insatisfaction de la part des infirmières relativement au travail du personnel de soutien (Barter et al., 1997; McLaughlin et al., 2000). De leur côté, Wu et Norman (2006) examinent la relation entre la satisfaction au travail, l’ambiguïté de rôle et le conflit de rôle auprès de 75 étudiantes infirmières et observent que plus l’ambiguïté de rôle est grande, moins grande est la satisfaction au travail, ce qu’observe aussi Chang (2003) dans son étude longitudinale de nouvelles infirmières diplômées.

Un deuxième concept qui se dégage des écrits sur l’impact des réformes de la santé sur les infirmières est le conflit de rôle. Quoique aucune étude canadienne n’a exploré le concept de conflit de rôle parmi les infirmières dans un contexte de réorganisation des soins, les écrits suggèrent que les infirmières vivent un conflit de rôle suite à l’ajout de responsabilités et suite aux coupures dans plusieurs services de soutien (Aiken et al., 2001; Baumann et al., 2001; Keddy, Gregor, Foster et Denney, 1999; Rhéaume et al., 2007; Shannon et French, 2005). Plusieurs facteurs ont contribué au conflit de rôle, soit l’augmentation de la charge de travail en général, l’augmentation du nombre de patients assignés aux infirmières ainsi que plusieurs tâches sans rapport avec le travail d’une infirmière, telles que des tâches ménagères et secrétariales (Barter et al., 1997; Blythe et al., 2001; Dunleavy et al., 2003; Ingersoll, 1995; McLaughlin et al., 2000; Rhéaume et al., 2007). De plus, les infirmières sont responsables de superviser et de contrôler la qualité du travail du personnel de soutien. Même si plusieurs de ces tâches ne font pas partie de leur champ de pratique, les infirmières continuent d’assumer de plus en plus de responsabilités afin que la personne soignée ne manque de rien (Dunleavy et al., 2003; Keddy et al., 1999).

Plusieurs études examinent les séquelles négatives du conflit de rôle. Des études auprès des étudiantes en science infirmière et des nouvelles infirmières diplômées montrent une relation négative entre le conflit de rôle et la satisfaction au travail (Redfern, Hannan et Norman, 2002; Rosse et Rosse, 1981; Seo, Ko et Price, 2004; Wu et Norman, 2006). Le conflit de rôle est aussi relié à l’impuissance psychologique (Piko, 2006) et prédit les symptômes de stress (Dailey, 1990).

La théorie des rôles

La théorie des rôles fut choisie comme cadre conceptuel pour cette étude. La théorie des rôles, développée en 1964 par Kahn et al. fut utilisée par plusieurs auteurs au courant des années, dont pour la recherche en science infirmière Barter et al. (1997), Langan (2003), McLaughlin et al. (2000) ainsi que Rheiner (1982). Kahn et al. (1964) conçoivent cette théorie suite à des études sur le stress vécu par des employés dans diverses structures organisationnelles. Selon cette théorie, un rôle est un ensemble de comportements effectués par une personne occupant une place dans un groupe quelconque. Ce groupe peut être la famille ou les collègues concernés par le comportement de la personne. Le rôle se développe de façon cyclique (Langan, 2003). Ce cycle débute lorsque le rôle est transmis et se termine lorsque le rôle est accompli avec les conséquences qui s’ensuivent. Les personnes impliquées dans le cycle du rôle sont la « personne-clé », celle qui accomplit le rôle et la « personne-transmetteure », celle qui transmet un rôle. Selon la théorie, les stresseurs principaux, en ce qui concerne le cycle du rôle, sont le conflit de rôle et l’ambiguïté de rôle. Les conséquences de ces stresseurs sont, en général, une performance inadéquate, de la détresse et de la tension ressentie par la personne-clé (Hardy et Conway, 1988).

Une personne éprouve de l’ambiguïté de rôle lorsqu’elle perçoit un manque d’information claire et consistante pour exercer son rôle (Kahn, Wolfe, Quinn, Snoek et Rosenthal, 1964). À long terme, la personne peut devenir moins efficace dans ses différents rôles. Par exemple, une infirmière doit s’occuper des patients qui lui sont assignés ainsi que d’une infirmière auxiliaire qu’elle doit superviser. Si l’infirmière ne connaît pas l’étendue des compétences de l’infirmière auxiliaire, elle peut être insatisfaite du travail en équipe avec cette personne qui ne répond pas à ses attentes.

Le conflit de rôle se retrouve fréquemment dans la profession infirmière. Un conflit dans le rôle est détecté lorsqu’il y a un problème concernant la transmission d’un rôle ou, encore, lorsque la personne-transmetteure ne considère pas les besoins de la personne-clé. Par exemple, la personne-clé peut vivre un conflit de rôle si les attentes qui lui sont transmises dépassent ses habiletés ou encore lorsqu’elle manque de temps et de ressource pour accomplir ses rôles (Kahn et al., 1964). Plus spécifiquement, une infirmière peut vivre un conflit de rôle lorsque les responsabilités dont elle doit s’acquitter lors d’un relais prennent plus de temps que prévu. On peut observer un autre exemple de confit de rôle lorsque des situations de soins complexes imposent des demandes excessives à l’infirmière (Barter et al., 1997). Selon Hardy et Conway (1988), le conflit de rôle a généralement les conséquences suivantes : le conflit interne, la tension, l’insatisfaction et la confiance diminuée envers les supérieurs ou l’organisation. De nombreuses études sur les effets de la tension de rôle auprès de différentes populations soulignent leurs conséquences négatives sur l’individu et l’organisation. Sur le plan individuel, la tension de rôle augmente le stress (Schaubroech, Cotton et Jennings, 1989) et diminue la satisfaction au travail (Koustelios, Theodorakis et Goulimaris, 2004; Rizzo, House et Lirtzman, 1970). Sur le plan organisationnel, la tension de rôle diminue la performance au travail (Tubre et Collins, 2000) et augmente l’intention de quitter l’emploi (Glazer et Beehr, 2005).

But

Le but de cette étude est de décrire la perception qu’ont les infirmières de leur rôle ainsi que du rôle des infirmières auxiliaires dans le contexte de la réorganisation des soins infirmiers.

Les questions de recherche sont les suivantes :

  1. Quelle est la perception des infirmières en ce qui concerne leur rôle et celui des infirmières auxiliaires dans le contexte des réformes de la santé?

  2. Quelle est l’expérience des infirmières en ce qui a trait à l’ambiguïté de rôle?

  3. Quelle est l’expérience des infirmières en ce qui a trait au conflit de rôle?

Méthode

Cette étude utilise un devis descriptif simple et une approche qualitative. Les données ont été recueillies au cours d’entrevues auprès des infirmières oeuvrant dans le milieu hospitalier.

1. Échantillon

Les participantes sont sélectionnées selon le principe de l’échantillonnage intentionnel. Dans cette situation, les infirmières sont choisies en fonction de leur expérience de travail avec les infirmières auxiliaires sur deux unités de soins dans un milieu hospitalier à courte durée. Deux unités de soins médicaux et chirurgicaux sont sélectionnées pour l’étude. La sélection des deux unités s’est faite en fonction des rôles qu’occupent les infirmières et les infirmières auxiliaires. Dans ces unités, les infirmières et les infirmières auxiliaires sont assignées à un nombre variable de personnes (entre 6 à 8 patients), selon l’acuité des problèmes de celles-ci. Les infirmières exercent les soins plus complexes, tels que l’administration des médicaments et le soin des plaies, alors que les infirmières auxiliaires font les soins de base, tels que la surveillance des signes vitaux et les soins d’hygiène. De plus, ces deux unités étaient choisies par la régie de santé comme unités pilotes pour la réorganisation des soins et l’établissement des champs de pratique élargi des infirmières et des infirmières auxiliaires. L’échantillon se compose de 10 infirmières également réparties entre les deux unités de soins. Ces infirmières ont en moyenne 10,9 années d’expérience. Elles sont âgées de 20 à 50 ans. Les infirmières travaillent à l’unité de recrutement en moyenne depuis 9,15 années et ont travaillé avec des infirmières auxiliaires depuis 9,6 années en moyenne.

Les participantes de l’étude sont recrutées par l’entremise de deux infirmières gestionnaires travaillant sur les unités choisies. La chercheuse a rencontré les infirmières gestionnaires pour leur expliquer l’étude et répondre à leurs questions. Ensuite, les infirmières gestionnaires ont envoyé par courrier électronique, aux infirmières qui correspondent aux critères d’inclusion, une lettre de la chercheuse expliquant l’étude. Suite au consentement verbal de ces infirmières à l’infirmière gestionnaire, la chercheuse a pris un rendez-vous avec celles-ci à l’endroit de leur choix. Les infirmières ont rempli un consentement écrit avant de participer à l’étude.

Les participantes recrutées pour l’étude répondent à trois critères d’inclusion et deux critères d’exclusion. Les critères d’inclusion sont les suivants : 1) travailler comme infirmière de chevet dans un centre hospitalier depuis au moins deux ans; 2) travailler avec des infirmières auxiliaires; 3) parler français. Les critères d’exclusion étaient les suivants : 1) avoir pratiqué comme infirmière auxiliaire autorisée ou avoir suivi la formation d’infirmière auxiliaire avant de devenir infirmière et 2) avoir pratiqué comme infirmière gestionnaire dans ce centre hospitalier. Les entrevues durent entre 45 à 60 minutes et sont enregistrées avec l’accord des participantes.

2. Collecte des données

Les questions d’entrevue sont inspirées d’une réflexion suivant la recension des écrits sur la réorganisation des soins, le rôle professionnel des infirmières, les concepts d’ambiguïté et de conflit de rôle, puis validées par deux professeurs, autres que les auteurs de l’étude, en science infirmière avec une expertise en recherche qualitative. Les thèmes principaux des questions touchent la perception de l’infirmière de son rôle et du rôle de l’infirmière auxiliaire, tout en examinant la réorganisation des soins imminente. Un questionnaire sociodémographique est utilisé pour recueillir des données telles que l’âge, la formation, le nombre d’années d’expérience en soin infirmier ainsi que le nombre d’années travaillées avec des infirmières auxiliaires. L’approbation des comités d’éthique de l’établissement d’enseignement et du centre hospitalier a été obtenue avant le déroulement de cette étude.

3. Analyse des données

Après la transcription intégrale des entrevues, les données furent analysées en s’inspirant de la méthode de Lincoln et Guba (1985). En premier lieu, la transcription des entrevues a été fractionnée en unités résumant une idée principale. Ces unités peuvent prendre la forme d’un mot ou d’une phrase et sont à la base de l’élaboration des catégories. La formation de catégories s’est faite à partir de l’assemblage des unités en catégories provisoires. L’utilisation de la méthode d’analyse comparative constante de données permet de comparer constamment les données pour redéfinir les unités ainsi que pour développer et raffiner les catégories. Les nouvelles unités de données sont continuellement comparées avec les unités de données identifiées antérieurement. Le processus se répète jusqu’à ce que toutes les unités soient classées sans avoir à recourir à la création de nouvelles catégories. En dernier lieu, la chercheuse compare les catégories afin d’identifier des modèles et des relations entre les différentes catégories. Deux expertes en recherche qualitative ont validé les thèmes finaux. Ces expertes ne furent pas impliquées dans l’élaboration des questions d’entrevue.

Résultats

Quatre thèmes principaux se dégagent de l’analyse du contenu des entrevues ainsi que onze sous-thèmes. Les quatre thèmes principaux sont les suivants : les changements imminents, la dichotomie entre le rôle de soignante et le rôle de gestionnaire des soins, l’ambiguïté et le conflit de rôle. Pour cet article, les thèmes d’ambiguïté et de conflit de rôle seront discutés, ainsi que leurs sous-thèmes.

1. L’ambiguïté de rôle

Selon les entrevues, les infirmières vivent une certaine ambiguïté dans leur rôle et dans leur travail avec les infirmières auxiliaires. Trois sous-thèmes expliquent cette réalité, notamment, le transfert des tâches entre les infirmières et les infirmières auxiliaires, l’incertitude du modèle de soins idéal et le manque de connaissance du rôle de chacun.

2. Le transfert des tâches d’un groupe à l’autre

Bien que le domaine des soins infirmiers soit un milieu en changement perpétuel, des réformes imminentes provoquent un sentiment d’incertitude en ce qui concerne le transfert des tâches des infirmières aux infirmières auxiliaires. En effet, au moment où cette étude se déroule, les changements dans les rôles des infirmières et des infirmières auxiliaires ne sont qu’à l’étape préliminaire et beaucoup d’inquiétudes sont exprimées de part et d’autre. Les participantes indiquent que, présentement, les infirmières auxiliaires effectuent les soins simples alors que les infirmières accomplissent les soins plus complexes. Cette répartition du travail existe depuis longtemps et les participantes expriment un certain degré de confort avec cette division de travail. Les participantes ont des difficultés à identifier les tâches qui devraient être déléguées aux infirmières auxiliaires; cependant, elles peuvent plus facilement expliquer quelles tâches ne devraient pas leur être déléguées, comme, par exemple, les pansements complexes, l’administration des injections et des narcotiques.

De toute évidence, les participantes hésitent en ce qui concerne la délégation des tâches aux infirmières auxiliaires. Elles croient, quand même, que certaines tâches pourraient être déléguées. Les participantes identifient l’exécution des pansements simples comme une tâche facilement reléguable. Mais plusieurs participantes s’expriment avec incertitude quant à toutes les nouveautés par rapport aux soins des plaies; très peu de pansements tombant sous la bannière de pansements simples. Pour ce qui est de l’administration des médicaments, la majorité des infirmières de l’étude ne souhaitent pas la déléguer, pour la simple raison qu’elles ne sont pas confortables en ce qui a trait au niveau de connaissances des infirmières auxiliaires. Une infirmière affirme à ce sujet :

[...] Comme un médicament pour la tension artérielle, il y en a qui en prenne 15 façons. Ils peuvent ben matcher « Bétaloc 50 puis 0930 » mais qu’est ce qui arrive si sa pression est 80 pis t’es pas supposé de lui donner? Ils ont-tu cette formation-là qui va leur dire ça? Ça j’suis pas confortable.

Cependant, l’opinion des infirmières au sujet de la délégation de l’administration des médicaments change selon le milieu de soins. Plusieurs infirmières disent qu’il est acceptable que les infirmières auxiliaires administrent les médicaments dans les foyers de soins et peut-être même dans les unités de soins prolongés. Elles sont d’avis qu’aux unités de chirurgie, par exemple, la condition de la personne peut changer rapidement et que l’infirmière auxiliaire n’a pas nécessairement les connaissances pour comprendre la pertinence d’omettre un médicament dans certaines situations.

3. Les modèles de la prestation des soins

La façon dont les soins sont prodigués est une source de préoccupation pour les infirmières. D’un côté, elles apprécient un travail d’équipe efficace, alors que de l’autre côté, elles suggèrent que la façon idéale de prodiguer des soins serait un modèle de soins intégraux. Par soins intégraux, les infirmières s’entendent pour dire qu’elles auraient moins de personnes soignées à leur charge et qu’elles effectueraient pour ces personnes les soins de base comme les soins plus complexes. Ainsi, il n’y aurait pas, ou très peu, d’infirmières auxiliaires travaillant auprès du patient.

Les infirmières souhaiteraient pratiquer d’après un modèle de soins intégraux pour deux raisons principales. Premièrement, elles croient que la qualité des soins serait meilleure, car elles ne sont pas toujours satisfaites de la qualité des soins prodigués par les infirmières auxiliaires. De plus, l’infirmière n’aurait pas à se préoccuper de savoir si les soins délégués ont été accomplis. Les infirmières qui ont déjà pratiqué d’après ce modèle déclarent qu’à cette époque, elles ressentaient plus de satisfaction à l’égard des soins qu’elles donnaient. Comme l’explique une infirmière :

J’avais trouvé ça, quand j’ai été aux soins pour une couple d’années, j’avais trouvé ça bien. J’avais pas besoin de me fier sur personne. Si l’ouvrage n’était pas fait, c’était ma faute. Ça que je trouve dur, c’est te faire dire : « ceci n’a pas été fait ». C’est moi qui est responsable, moi, j’vais me faire blâmer pour ce qui n’a pas été fait.

Deuxièmement, certaines infirmières expliquent qu’en étant la seule dispensatrice de soins pour une personne soignée, elles auraient davantage de temps pour approfondir certains aspects de leur rôle, comme effectuer des évaluations cliniques avancées et développer des relations thérapeutiques plus efficaces avec les personnes soignées.

4. Comprendre le rôle de chacun

Les infirmières avaient quelques difficultés à décrire leur propre rôle. Après un certain temps lors des entrevues, la plupart d’entre elles décrivaient deux rôles principaux, celui de soignante et celui de gestionnaire de soins. Les infirmières en grande majorité, expliquent leur rôle en utilisant des exemples de tâches bien spécifiques accomplies au quotidien. Par exemple, elles expliquent que leur rôle de soignante est surtout relié à l’évaluation clinique et aux tâches déléguées par le médecin telles que l’administration des médicaments. Quant à leur rôle de gestionnaire des soins, elles énumèrent les tâches spécifiques reliées à la planification des congés, tels que l’enseignement auprès de la personne et de sa famille.

La majorité des participantes indiquent qu’elles connaissent bien le rôle des infirmières auxiliaires. Un consensus se dégage : le rôle principal de ces dernières est d’exécuter les soins de base, plus précisément les soins d’hygiène, de mobilité et d’alimentation. Cependant, quelques participantes avouent ne pas connaître l’étendue de la formation des infirmières auxiliaires. Ainsi, les infirmières ne sont pas certaines des soins plus complexes pour lesquels les infirmières auxiliaires auraient des compétences. D’un autre côté, toutes les participantes perçoivent que les infirmières auxiliaires ne connaissent pas suffisamment le rôle des infirmières et cela crée, à l’occasion, des conflits entre les deux groupes. Les participantes affirment, en effet, que certaines infirmières auxiliaires émettent des commentaires négatifs lorsque les infirmières sont assises à faire la planification des congés. Une infirmière précise :

Je crois que, des fois, ce n’est pas important à leurs yeux. « Les infirmières sont toutes assises au poste. Ben, qu’est-ce qu’elles font là? ». Ben oui, mais là, j’ai les nouvelles ordonnances et il faut que j’appelle celle-ci [..]. Peut-être que ce n’est pas important à leurs yeux ça ou c’est mal compris, je dirais peut-être. (Entrevue 3)

À la lumière de la situation actuelle, quelques infirmières affirment que la réorganisation des soins infirmiers risque de provoquer encore plus de confusion quant aux rôles de chacun des membres du personnel. Une des questions qui les préoccupent concerne ce qui arrivera si l’auxiliaire fait des tâches autrefois exécutées par l’infirmière, tandis que cette dernière planifie un congé au lieu d’être au chevet du patient. Ces infirmières se demandent si les rôles actuels ne risquent pas alors d’être inversés : l’infirmière auxiliaire s’occupera à exercer un champ de pratique élargi, comme effectuer un pansement. Les infirmières croient alors qu’elles seraient obligées à répondre aux cloches d’appel et intervenir en conséquence, car personne d’autre ne sera disponible.

En somme, les thèmes principaux suggèrent que les infirmières éprouvent de l’ambiguïté dans leur rôle et dans leur travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires. En premier lieu, le transfert des tâches est source de confusion. Les infirmières pensent que les infirmières auxiliaires peuvent faire certaines tâches simples, mais elles préféreraient tout de même garder le contrôle. En deuxième lieu, certaines infirmières aimeraient pratiquer des soins intégraux au lieu de travailler en équipe. Comme elles seraient les seules à s’occuper du patient, toutes les tâches leur appartiendraient et elles seraient les seules responsables de la qualité des soins. Le dernier thème de cette section souligne qu’il y un manque de connaissance du rôle de chacun. Les infirmières nomment les tâches effectuées au quotidien par les infirmières auxiliaires, mais avouent ne pas connaître leur formation ni l’étendue de leur compétence.

5. Le conflit de rôle

Deux sous thèmes reflètent un conflit de rôle. Ces thèmes sont reliés à un excès de responsabilités dans le travail quotidien et le travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires.

6. Un excès de responsabilités

Quand, dans les entrevues, les infirmières discutent de leur responsabilité dans leur travail quotidien, elles parlent d’une charge de travail lourde et des tâches qu’elles ont beaucoup de difficulté à accomplir, faute de temps et de ressources. Cette charge de travail lourde est provoquée, en partie, par une panoplie de tâches sans rapport avec le travail d’une infirmière, telles que faire des collations, apporter des verres d’eau, ou passer le téléphone aux patients qui sont confinés au lit ou à une chaise. De plus, les infirmières doivent souvent prendre la relève pour des soins de base, tels que les soins d’hygiène, puisqu’il manque du personnel ou encore la charge de travail à l’unité dépasse les capacités des infirmières auxiliaires. Comme les infirmières se sentent responsables de la prestation de soins de qualité aux personnes soignées, elles continuent à compenser ces manques et font couramment des heures supplémentaires rémunérées. Une infirmière explique : « On fait du surtemps et des fois le surtemps est critiqué mais tu n’as pas le choix. Je ne peux pas aller dîner si un patient est inconfortable [...] ».

Les participantes discutent l’étendue de leur rôle. Elles expriment de l’inquiétude à propos des responsabilités associées au rôle de gestionnaire des soins. Par exemple, les participantes expliquent que la planification des départs du patient est de plus en plus compliquée. En fait, les séjours hospitaliers écourtés jumelés à l’acuité et aux multiples besoins des personnes hospitalisées complexifient les congés. Toutefois, cette fonction doit fréquemment être relayée au second plan à cause de toutes les tâches imposées par les soins de base nécessitant une attention immédiate.

Les infirmières s’adaptent à ces situations difficiles. Quelques infirmières choisissent certains patients dans leur charge de travail et, pour ces personnes, elles exercent complètement leur rôle de soignante et de gestionnaire des soins. Pour les autres patients, elles accomplissent uniquement leur rôle de soignante; elles s’en tiennent donc aux traitements, aux médicaments et aux tâches déléguées. Ces infirmières arrivent à la conclusion que cette stratégie est la seule façon d’arriver à gérer la charge de travail du milieu de soins actuel. Comme l’explique cette infirmière :

[...] j’peux avoir six patients, pis je dis « well », aujourd’hui, trois patients, je vais juste passer leur pill [...] parce que les trois autres, je vais aller plus en détail parce que j’ai pas le temps de toute m’occuper des six à pleine capacité.

7. L’infirmière et le travail d’équipe

Les infirmières parlent aussi du travail d’équipe lors des entrevues. Elles croient qu’il est facile pour les infirmières de travailler en équipe avec d’autres infirmières. Cependant, le travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires cause des tensions. Le travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires est à la source de plusieurs difficultés. Comme la charge de travail par rapport aux soins de base est importante, plusieurs participantes perçoivent qu’elles doivent consacrer beaucoup de temps à aider les infirmières auxiliaires et négligent ainsi certains aspects de leur travail. La raison de cette situation se trouve dans le fait que la charge de travail par rapport aux soins de base est importante; les infirmières se sentent donc dans l’obligation d’assister les infirmières auxiliaires dans des soins comme accompagner des patients à la salle de bains et répondre à de nombreuses cloches d’appel. Elles craignent que les soins de base essentiels ne soient pas fournis sans leur implication.

De plus, la délégation des soins aux infirmières auxiliaires est un problème que vivent la majorité des infirmières de l’étude pour quelques raisons. Tout d’abord, des infirmières croient que l’attitude de certaines infirmières auxiliaires rend plutôt délicate la délégation, car plusieurs acceptent difficilement les directives des infirmières. Ensuite, selon la perception de certaines infirmières, la formation qu’elles ont reçue ne leur inculque pas une culture de délégation des tâches. En fait, lorsqu’elles sont encore étudiantes, pour se montrer compétentes, elles doivent arriver à gérer seules, et de façon efficace, leur charge de travail. Par conséquent, les infirmières, surtout les plus novices, perçoivent des tensions, car elles tenteront de faire tout le travail elles-mêmes au lieu de le déléguer.

En somme, les infirmières de l’étude vivent un conflit de rôle d’abord en essayant de travailler dans un milieu où l’excès de responsabilités fait partie du quotidien. Cet excès de responsabilités découle de plusieurs facteurs tels que les tâches sans rapport avec le travail des infirmières, les soins de base et la planification complexe du congé. Ensuite, elles signalent un conflit de rôle dans leur travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires pour deux raisons principales. D’une part, elles doivent souvent aider les infirmières auxiliaires dans les soins de base et, d’autre part, la délégation des tâches est difficile, ce qui contribue à l’excès de tâches.

Discussion

Nos résultats indiquent que les infirmières dans cette étude vivent l’ambiguïté et le conflit de rôle dans leur travail quotidien. L’ambiguïté de rôle découle de trois situations, soit le transfert des tâches d’un groupe à l’autre, l’incertitude envers le mode de prestation de soins idéal, ainsi que le manque de connaissances concernant les rôles de chacun. Pour sélectionner les tâches qui pourraient être déléguées après la réorganisation des soins, les participantes s’appuient sur la tradition selon laquelle les infirmières auxiliaires ne font que des soins simples. Comme le souligne l’étude de Rhéaume (2003), les infirmières du milieu hospitalier au Nouveau-Brunswick sont habituées à travailler avec une méthode de prestation des soins où l’infirmière auxiliaire est limitée dans ses tâches et ne pratique pas à sa pleine capacité. Elles préfèrent, comme les infirmières de l’étude actuelle, exercer un contrôle sur la délégation des tâches aux infirmières auxiliaires. De plus, les participantes discutent de leur rôle actuel et futur en fonction d’une énumération de tâches spécifiques et non de leur compétence. Les différents groupes d’infirmières dans l’étude de Besner et al. (2005) ont cette même difficulté et décrivent la pratique de chacun en fonction des tâches fonctionnelles et non de la gamme d’expertise ou de compétence nécessaire pour une pratique professionnelle. Cette difficulté qu’ont les infirmières à voir au-delà des tâches spécifiques peut être attribuable, en partie, à la réalité de leur travail quotidien et la division de leur rôle en tâches spécifiques qui peut être délégué ou non, selon les circonstances, telles que la journée de la semaine ou l’absence de personnel nécessaire pour accomplir tous les soins auprès de la personne. Dans notre étude, il n’y a pas de différences, dans l’énumération de tâches spécifiques, entre les infirmières qui ont plus de formation et celles qui en ont moins.

Dans notre étude, les infirmières expriment de l’incertitude face au modèle de prestation des soins : à certains moments, elles valorisent le travail en équipe avec les infirmières auxiliaires alors qu’à d’autres moments, elles souhaiteraient effectuer tous les soins elles-mêmes. Trois éléments expliquent le souhait des infirmières d’exécuter les soins intégraux. En premier lieu, selon la théorie des rôles, lorsqu’il est difficile de répartir les tâches entre plusieurs travailleurs et de contrôler les limites de chacun, un mécanisme d’adaptation serait d’assumer tout le travail (Hardy et Conway, 1988). Ainsi, dans un modèle de soins intégraux, les infirmières seraient les seules à s’occuper de la personne et il n’y aurait pas lieu de se questionner pour savoir si une tâche doit être déléguée ou non. En deuxième lieu, les infirmières sont peu encouragées, lors de leur formation, à déléguer des tâches. Leur formation met beaucoup d’emphase sur les capacités des étudiantes infirmières à prodiguer efficacement des soins de base et à favoriser le confort de la personne soignée. Pour cette raison, les jeunes infirmières sont peu confortables avec la délégation aux autres professionnels de la santé. En troisième lieu, le souhait réel des infirmières derrière leur désir de prodiguer un soin intégral semblerait être de consacrer davantage de temps aux personnes soignées, leur permettant de combler les besoins de celles-ci, tout en maintenant une bonne relation thérapeutique. Quoique ce souhait semble irréaliste étant donné les pressions sur le système de santé, les infirmières dans l'étude actuelle veulent, quand même, se rapprocher de cette méthode de prodiguer des soins.

En effet, pour les participantes de la présente étude, l’imputabilité et la continuité des soins dominent leur discours et se trouvent au centre de leur inquiétude face aux infirmières auxiliaires. Tel que l’indiquent Sandhu, Duquette et Kérouac (1991), le choix de mode de prestation des soins est étroitement lié aux concepts de totalité, imputabilité, continuité et coordination des soins. Les participantes sont conscientes de ces liens, même si elles n’ont pas le pouvoir de changer cette situation. L’étude de Brannon (1994) aux États-Unis à propos du changement du mode de prestation des soins sur une unité démontre bien l’effet des changements auprès du personnel infirmier. Les infirmières avaient peu de contrôle sur les soins des personnes avec les soins d’équipe, et, en effet, les infirmières auxiliaires jouissaient d’une bonne relation avec les patients. L’adoption des soins intégraux était bien vue par les infirmières de chevet et contribuait à combler les lacunes qu’elles ressentaient face au contrôle qu’elles avaient sur leur pratique et envers les personnes soignées. Mais, avec les soins intégraux, la charge de travail des infirmières augmente considérablement, si l’on prend en compte les tâches qu’occupaient les infirmières auxiliaires dans le passé. Le dilemme des différents modes de prestation et les conséquences de chacun sur la pratique professionnelle et la personne soignée est loin d’être résolu.

Les résultats montrent que le rôle des infirmières auxiliaires n’est pas clair pour les participantes, et ils soulignent l’importance de bien comprendre les compétences des autres. Certes, les infirmières opposent peut-être une résistance à l’élargissement du rôle de l’infirmière auxiliaire, car elles n’ont pas confiance et ne sont pas au courant des qualifications de ces dernières. Si les infirmières ne sont pas bien informées de l’étendue des compétences des infirmières auxiliaires, elles passeront beaucoup de temps à surveiller le travail de ces dernières et ne pourront pas se concentrer sur leur propre rôle élargi. L’étude de Besner et al. (2005) corrobore ces résultats. D’après ces auteurs, il y avait non seulement un chevauchement de rôle entre les membres du personnel infirmier, mais la majorité de ces personnes ne connaissaient pas les rôles des autres ni leur formation. Selon la théorie des rôles, un groupe travaillant avec un autre dont il ne connaît pas les qualifications ni l’étendue du rôle peut ressentir une insatisfaction à travailler avec ce dernier (Hardy et Conway, 1988). L’étude de McLaughlin et al. (2000) qui compare les rôles d’un groupe d’infirmières au Royaume-Uni avec un groupe aux États-Unis montre que le groupe qui connaît le moins les capacités ou la formation du personnel de soutien est moins satisfait du travail de celui-ci. De même, les résultats de la présente étude font ressortir en fait une insatisfaction des infirmières vis-à-vis leur travail avec les infirmières auxiliaires.

Les résultats de cette étude indiquent que les infirmières vivent un conflit de rôle dans leur travail quotidien. Cette situation est liée à l’excès de responsabilités qu’elles perçoivent et au travail en équipe avec les infirmières auxiliaires. Les études antérieures révèlent que les infirmières ont vécu le même conflit de rôle associé à un excès de responsabilités après les réformes des années 1990. L’excès de responsabilités, à ce moment-là, était surtout relié à la documentation des soins prodigués (Corey-Lisle, Tarzian, Cohen et Trinkoff, 1999; Rhéaume et al., 2007) et à des tâches sans rapport avec les responsabilités professionnelles de l’infirmière. Par exemple, elles devaient veiller au transport des patients à différentes épreuves diagnostiques, répondre au téléphone et distribuer des cabarets de repas (Aiken et al., 2001; Shannon et French, 2005).

Les infirmières dans cette étude s’adaptent à l’excès de responsabilités en priorisant l’exécution des ordonnances médicales et des soins physiques. Cette situation est évidente dans d’autres milieux de soins également. Baumann et al. (2001) expliquent en effet qu’après les réformes du système de santé canadien, les infirmières se trouvent dans la situation de devoir sélectionner certaines tâches, choisir de prodiguer plus de soins de qualité moindre, en plus de négliger les besoins psychosociaux des personnes soignées. Toutefois, Bacharach, Bamburger et Conley (1990) illustrent qu’il peut être sécurisant pour les infirmières d’effectuer des tâches routinières et très spécifiques. En fait, les infirmières qui pratiquent de cette façon perçoivent moins de conflit dans leur rôle. Il est plus facile, pour ces infirmières de planifier leur journée car ces tâches sont prévisibles et bien maîtrisées par ces dernières. Ceci pourrait offrir une explication au fait que les infirmières de cette étude sont réticentes à déléguer certains aspects de leur rôle qui relèvent de tâches bien spécifiques. De nouveaux rôles et de nouvelles tâches non connues et non maîtrisées viendront certainement perturber une routine et par le fait même, déclencher un sentiment de conflit de rôle chez les infirmières.

Les infirmières de cette étude critiquent à plusieurs reprises la qualité des soins. Plusieurs études appuient ces inquiétudes (McGillis-Hall, Doran et Pink, 2004; Tourangeau, Giovannetti, Tu et Wood, 2002) en démontrant qu’un pourcentage plus élevé d’infirmières mène à un taux de mortalité plus bas, à moins d’erreurs dans l’administration des médicaments et à moins de plaies de pression. D’autres recherches font état du fait que les infirmières se sentent responsables de remplacer le personnel absent, ou encore qu’elles sont très préoccupées par le bien-être des personnes à leur charge et tentent de répondre à tous leurs besoins en assumant le travail qui devrait être fait par le personnel de soutien (Dunleavy et al., 2003; Keddy et al., 1999). La supervision du personnel de soutien entraîne un excès de responsabilités pour les infirmières (Blythe et al., 2001; Rhéaume et al., 2007). En somme, pour toutes ces raisons, il pourrait être difficile pour les infirmières de s’intégrer dans un rôle plus éloigné du soin direct de la personne. Ainsi, les infirmières de la présente étude risquent de se sentir dépassées par les nouvelles responsabilités qui s’ajoutent aux responsabilités traditionnelles.

Les résultats de cette étude donnent plusieurs pistes pour les soins infirmiers et pour la formation infirmière. Premièrement, il serait important qu’il y ait plus de communication entre les infirmières et les infirmières auxiliaires afin d’assurer une compréhension intégrale des rôles de chacun. Comme il semble que l’ambiguïté de rôle soit source d’insatisfaction et de tension entre les infirmières et les infirmières auxiliaires, des séances de discussions régulières seraient primordiales, surtout durant l’implantation des réformes, ainsi qu’un suivi aux unités de soin concernées. Deuxièmement, les milieux de soins devraient offrir des explications précises quant aux changements prévus, tout en impliquant le personnel infirmier. En effet, la clarification des rôles de chacun doit être prioritaire avant tout changement dans la méthode de prestations des soins, et ce, par un examen des points communs et différents dans le rôle et la formation des professionnels de la santé (Besner et al., 2005). Troisièmement, le personnel infirmier doit bien comprendre qui est responsable des soins de base et, au besoin, on devrait embaucher du personnel supplémentaire afin de vaquer à la lourde charge de travail associée aux soins de base. Finalement, les programmes de formation des infirmières doivent mettre davantage d’emphase sur la pratique de collaboration et les connaissances non seulement de leurs rôles, mais des autres prestataires de soins, pour faciliter les habiletés de délégation et clarifier le rôle de gestionnaire.

Cette étude pourrait servir de tremplin pour plusieurs recherches futures. Comme il n’y a pas d’études qui explorent les concepts d’ambiguïté et de conflit de rôle chez les infirmières travaillant en équipe avec les infirmières auxiliaires, cette recherche pourrait être reprise à plus grande échelle. Il serait aussi pertinent de reproduire l’étude avec des infirmières auxiliaires pour comprendre leur vécu. De plus, il serait important d’évaluer les résultats des réformes de la santé au Nouveau-Brunswick et leur impact chez le personnel infirmier en se basant sur le même cadre théorique que celui de cette étude. La théorie des rôles permet non seulement de saisir les concepts d’ambiguïté de rôle et de conflit de rôle, mais aussi de mieux comprendre le vécu des personnes et de développer alors des stratégies pour faciliter la transition dans des moments de changement important.

Conclusion

Le point de départ de cette étude était d’analyser la perception que les infirmières ont de leur rôle et du rôle des infirmières auxiliaires, tout en explorant les concepts d’ambiguïté et de conflit de rôle. Les résultats ne sont qu’un point de départ. Cependant, ils permettent de comprendre que l’infirmière vit de l’ambiguïté par rapport à son propre rôle et à celui de l’infirmière auxiliaire, en ce qui concerne les changements fréquents qui ont lieu dans la répartition du travail, ainsi qu’en ce qui a trait au modèle de prestation des soins. Enfin, les résultats de l’étude déterminent qu’il existe un manque de connaissance du rôle et des qualifications des infirmières, d’une part, et des infirmières auxiliaires, d’autre part, ce qui provoque des tensions entre ces deux groupes. Les résultats indiquent aussi que les infirmières de l’étude perçoivent du conflit dans leur rôle découlant de l’excès de responsabilités que constituent les tâches sans rapport avec le travail de l’infirmière, les soins de base et le travail d’équipe avec les infirmières auxiliaires. Cependant, il serait pertinent d’examiner à nouveau les concepts d’ambiguïté et de conflit de rôle entre les membres du personnel infirmier, particulièrement dans un contexte de changement du système de santé.

Enfin, il y a deux limites à cette étude. Premièrement, le recrutement par échantillon intentionnel peut causer une limite à l’étude, car il est possible que certaines infirmières aient accepté de participer à cette recherche dans le but d’exprimer certaines expériences spécifiques qu’elles auraient vécues avec les infirmières auxiliaires. Deuxièmement, le fait que l’étude se déroule dans un même établissement limite les résultats, car les infirmières auxiliaires ont des rôles différents dans d’autres hôpitaux de la province.