Corps de l’article

Introduction

Cette étude vise à analyser les représentations de la France dans les discours et sermons des Conventions Nationales, premier corpus (et corpus double, à la fois politique et littéraire) à surgir au sein de la société acadienne, après plus d’un siècle de silence, ces « cent ans dans les bois » (Maillet, 1981) qui ont suivi l’épisode tragique de la Déportation. En effet, le lecteur des Conventions Nationales remarque aisément l’omniprésence des références à la France, dans un corpus pourtant vaste, tant par son volume que parce qu’il est étalé sur une période historique très large. Il s’agit donc de déterminer avec précision ces références et de les analyser, en tenant compte de leur évolution tout au long des différentes conventions, puis, dans un deuxième temps d’en déduire un schéma des représentations de la France et de leur rôle dans les discours. Le présent article propose de démontrer comment, à l’aide du logiciel de traitement de données Hyperbase, la première étape du travail a pu être effectuée rapidement et sans difficulté, et a permis de dégager des axes de réflexion pertinents, structures de l’article final (Laparra-Villemonte de la Clergerie, 2002).

Nous proposons donc de présenter rapidement le corpus des Conventions Nationales et l’intérêt de l’utilisation d’Hyperbase, avant de sélectionner quelques exemples significatifs de notre recherche informatisée. Nous signalerons aussi, au fur et à mesure, les pistes de travail que nous avons déduites de nos résultats et qui nous ont permis de pousser plus loin notre réflexion.

1. Les Conventions Nationales acadiennes

La petite colonie française installée depuis le début du XVIIe siècle sur les côtes maritimes de ce nouveau continent que représente l’Amérique du Nord voit son installation menacée dès la fin du siècle, à travers les conflits successifs entre la France et le Royaume-Uni qui se partagent le territoire et se battent pour une suprématie, synonyme de richesse économique. Avec le traité d’Utrecht, signé en 1713, qui marque la victoire britannique, la position de cette communauté acadienne devient de plus en plus périlleuse, jusqu’à s’avérer finalement impossible : l’automne 1755 marque le début d’une période noire qui se prolongera pendant presque une décennie et voit l’anéantissement total de la colonie, à travers une déportation systématique de la population, l’incendie des villages, la confiscation des terres, le pillage des biens.

Après presque un siècle de silence et de dispersion, les Acadiens sortent de leur isolement et se mettent en devoir de définir à nouveau les constituantes de leur identité pour mieux affirmer leur existence en tant que peuple et nation. De ce désir, naît une série de congrès, journées d’échange et de réflexion où l’élite politique et cléricale, comme la population acadienne, sont appelées à participer, par des allocutions ou par la simple manifestation de leur présence. La première de ces conventions eut lieu à Memramcook en 1881 et fut suivie par de nombreuses autres à échéances régulières : Miscouche en 1884, Pointe-de-l’Église en 1890, Arichat en 1900, Caraquet en 1905, Saint Basile en 1908, Grand-Pré en 1921, Moncton en 1927 et Memramcook en 1937.

2. L’intérêt du logiciel Hyperbase

Les discours des conventions n’ont été que partiellement publiées dans Les Conventions nationales des Acadiens (Robidoux, 1907) qui ne fut jamais suivi d’un second volume et ne comprend que les trois premières rencontres (Memramcook, Miscouche et Pointe-de-l’Église). Pour consulter les textes des Conventions, il faut donc se référer aux archives des journaux de l’époque (L’Evangéline, L’Impartial et Le Moniteur Acadien) et reconstituer le fil des discours rapportés à travers les différents numéros, ce qui pose un certain nombre de problèmes (numéros manquants, inexactitudes ou manque de précision de certains comptes rendus des discours). Ainsi les discours de la Convention de Tignish (1913), relatés par les numéros du journal L’Impartial, ont été brûlés et sont donc définitivement perdus.

De plus, le corpus est fort important; l’ensemble des textes retrouvés donne à lire presque 160 000 mots : à titre d’exemple, la première convention ne compte pas moins de 26 discours (40 245 mots) et certains orateurs pouvaient parler pendant plusieurs heures…[1] On comprend alors que sans l’utilisation d’un logiciel comme Hyperbase, il est difficile d’envisager une étude de ce genre, à moins d’y consacrer des années de recherche et de lecture. Hyperbase permet un accès ordonné aux textes, classés par conventions, et ses multiples fonctions statistiques et documentaires permettent au chercheur de vérifier les résultats avec aisance.

Les possibilités offertes par Hyperbase sont d’autant plus intéressantes qu’il n’existe à ce jour, pas d’appareil critique traitant des Conventions (autres que quelques articles issus justement de recherches sur ce logiciel), ceci étant évidemment explicable par leurs publications disparates et parcellaires. Hyperbase joue donc un rôle de défricheur, permettant de jeter enfin les bases d’une critique sur ces discours fondateurs de la société acadienne moderne.

En tout, les discours de neuf conventions ont été traitées par Hyperbase[2], à savoir celles de Memramcook (1881), Miscouche (1884), Pointe-de-l’Église (1890), Arichat (1900), Caraquet (1905), Saint Basile (1908), Grand-Pré (1921), Moncton (1927) et Memramcook (1937).

3. Premiers pas avec Hyperbase : les fonctions statistiques

Afin de comprendre l’importance des références à la France, nous avons lancé une recherche contextuelle du terme « France ». Le logiciel indiquant 109 occurrences de ce seul mot, nous avons procédé à une recherche thématique consistant à faire apparaître la liste des mots qui se retrouvent le plus souvent en rapport avec ce premier terme. Il s’agit de voir l’environnement du terme, de comprendre comment il est qualifié (Figure 1).

Figure 1

Recherche contextuelle – Environnement du mot « France »

Recherche contextuelle – Environnement du mot « France »

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La liste permet de déduire deux pôles de travail intéressants, d’une part, la très grande proximité de « France » avec les termes « vieille » et « rois » (voir l’écart réduit des mots) et d’autre part, le regroupement possible de la majorité des termes en trois champs isotopiques : l’éducation, le patriotisme, la religion. Cette liste a été vérifiée et complétée, grâce à des recherches similaires avec les fonctions initiales des termes « français- » et « franco- », ce qui permet d’obtenir les environnements de tous les substantifs et adjectifs liés au concept de « France ». À partir des constellations obtenues, nous avons créé une liste épurée de tout le vocabulaire non pertinent au profit des termes ayant une place dans l’une des trois isotopies. En croisant cette nouvelle liste avec les différentes Conventions, nous avons obtenu un tableau des contingences (Figure 2) qui permet d’observer à la fois la fréquence et l’évolution des termes au sein des discours. Il est visible que certains mots sont présents unilatéralement au sein des conventions : on distingue notamment les termes « langue », « catholique », « enseignement », « foi », « acadiens » etc. On voit déjà, alors, se dessiner les structures des allocutions, autour des piliers idéologiques que sont la foi catholique, la langue française, l’éducation. La recherche complémentaire que nous effectuerons par la suite à l’aide des fonctions documentaires d’Hyperbase, aménageant un accès direct au texte, permettra la vérification systématique et l’affinement de cette direction générale.

Figure 2

Tableau des contingences

Tableau des contingences

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L’étape suivant la construction du tableau des contingences consiste à demander au logiciel de soumettre ce tableau à l’analyse factorielle de correspondances (AFC), représenté par un graphique (Figure 3) qui permet de visualiser les termes selon leur rapport de proximité les uns avec les autres (écart réduit).

Figure 3

Analyse factorielle de correspondances (AFC)

Analyse factorielle de correspondances (AFC)

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De ce tableau, trois groupes se dégagent, correspondant à une lecture chronologique des Conventions. Isolée, la première des Conventions (Memramcook, notée MEM1), s’articule autour de mots et de thèmes fondateurs : « origine », « saint », « Louis ».

Remarquons notamment, l’adjectif « vieille » toujours présent à côté du mot « France » et les termes « acadiens » et « descendants » situés à proximité. Les Acadiens se définissent par la filiation, comme des fils d’une France ancienne, non pas nation mais royaume, une France d’avant la Révolution. L’importance de la mémoire, de la conservation du passé et des origines, permet de fédérer les participants de cette première Convention autour de racines communes.

Un deuxième groupe de Conventions situées au tournant du siècle apparaît au-dessus du deuxième axe factoriel (l’axe vertical) : il s’agit de Miscouche (MISC), Pointe de l’Eglise (Pte) et Saint Basile (StBA). Elles s’organisent autour des thèmes de l’identité de la colonie acadienne et du patriotisme (« drapeau », « tricolore », « établir »).

Enfin, dernier groupe de Conventions, Arichat (ARIC), Caraquet (CARA) et Moncton, appartiennent toutes au XXe siècle et s’articulent autour de l’importance de l’enseignement et de la transmission, un savoir lié bien évidemment à la sauvegarde et à la diffusion de la langue française, comme le montre très clairement le nuage isotopique.

Pour conclure, il faut noter la distribution diffuse des termes ayant une connotation religieuse. Ce phénomène nullement surprenant est facilement explicable compte tenu de la présence massive de membres du clergé parmi les orateurs, à quoi il faut encore ajouter le fait que plusieurs des discours (et non les moins longs) sont en fait des sermons délivrés lors de la messe d’ouverture des Conventions.

4. Établissement des axes d’étude

Le logiciel Hyperbase permet, très rapidement, de dégager des hypothèses de travail, à l’intérieur de corpus très vastes et ne présentant aucune structure formelle, puisqu’il ne s’agit que d’une recollection de discours prononcés par divers auteurs et sur plusieurs années. Trois problématiques apparaissent de façon récurrente dans les Conventions nationales, en rapport avec la perception de la France :

La France comme « fille aînée de l’Église » : nous reprenons ici une expression tirée du corpus, et qui place la France dans une perception religieuse. La France est présente dans les conventions en tant qu’elle permet de consolider l’attachement de la communauté acadienne à la religion catholique romaine. Il faut peut-être ici rappeler l’importance du clergé parmi l’élite acadienne de l’époque et bien sûr, au sein des conventions nationales.

La France dans son rôle d’éducatrice : il s’agit de traiter la France en rapport à la culture et à la langue française (elle est souvent définie comme la « mère patrie » de l’Acadie), mais aussi comme « civilisatrice », un terme propre au lyrisme et aux concepts du XIXe siècle, c’est-à-dire conquérante, colonisatrice. Si les Acadiens se définissent comme fils de cette France, c’est pour mieux se définir comme un peuple colonisateur qui apporte éducation, culture et foi sur le continent nord-américain.

La France comme garantie d’une origine commune : voilà un dernier axe de travail un peu plus complexe, au sens où la recherche sur Hyperbase demande à être éclairée et complétée par une démarche mythocritique (et mythanalytique, si l’on considère que le corpus est à la fois littéraire et politique, donc ayant un rôle socio-historique direct à jouer). Cette dernière hypothèse s’appuie sur les deux précédentes, à savoir sur la notion de sacré d’une part et sur celle d’une France « mère patrie » de l’autre : il s’agit de déterminer dans quelle mesure les références à la France permettent d’établir les fondements culturels et sociaux communs nécessaires à la constitution d’une communauté acadienne distincte.

5. Utilisation des fonctions documentaires

En règle générale, à cette étape de la recherche, nous utilisons surtout les fonctions documentaires, qui permettent de naviguer aisément et de manière précise dans les textes, à travers les fonctions « concordances » et « contextes », qui fournissent l’environnement plus ou moins resserré (ligne, paragraphe) d’un mot ou d’une expression. Elles présentent l’avantage d’un accès direct et constant au texte d’étude, ce qui permet si nécessaire, une ultime vérification des résultats obtenus. Nous ne pouvons, dans l’espace qui nous est imparti ici, reprendre de façon exhaustive l’ensemble des démarches que nous avons effectuées afin d’analyser notre corpus informatisé. Nous nous contenterons donc d’en donner quelques exemples, en privilégiant le dernier axe d’étude que nous avons signalé, celui-ci présentant l’avantage d’unifier les deux autres directions de recherche. Ainsi, nous proposons d’admettre la vérification des deux premières constellations que nous avions discernées. De plus, au cours de nos recherches, une démonstration parallèle a pu être effectuée, celle de la vision constante d’une France de l’Ancien Régime, selon des représentations passéistes qui ne considèrent l’ancien royaume que jusqu’à la Révolution de 1789 et condamnent unanimement (quel que soit l’orateur) les ravages du régime de terreur qui s’ensuivit et la débauche d’une nation païenne qui a renié Dieu et son Église.

Dès lors, la problématique majeure qu’il reste à résoudre est la suivante : dans les conventions nationales, la France est-elle hissée au rang de mythe, au sens mythocritique du terme, non pas comme une fable, ou un discours faux, mais comme un récit vrai, racontant l’origine des choses, les fondant dans un temps primordial, sacré qui leur confère leur permanence et leur raison d’être, ainsi que l’ont démontré les travaux de Mircea Eliade (Eliade, 1963) ?

L’histoire de la France, telle qu’elle est représentée dans les conventions nationales, sert-elle de fondement mythique à la société acadienne d’après la Déportation de 1755 ? Les Français qui sont venus fonder l’Acadie au début du dix-septième siècle sont-ils considérés comme des « êtres surnaturels », des personnages héroïques (au sens grec de demi-dieu) par les orateurs ? Enfin, les discours transmettent-ils la notion de sacré associée à cette fondation, qui, seule, permet de qualifier avec certitude le processus de mythification effectué à travers les images données de la France ?

Enfin, dernière question – et non des moindres – comment procéder à une telle recherche à l’aide d’Hyperbase ?

Nous avons donc établi une liste de mots (ou de débuts de mots – recherche par « initial ») étant susceptibles de signaler la construction du mythe à l’intérieur des discours (« idéal- », « saint », « sanct- », « héros », « héroï- », « sacré », « sacr- », « origin- »,« mission- », « mater- », etc.) et grâce auxquels nous avons pu repérer les termes qui s’y rapportent et leurs contextes (fonctions « concordances » et « contextes » du logiciel). Il s’agit là d’une recherche très minutieuse, puisqu’elle exige non seulement si les termes sont présents, mais aussi, et surtout, comment ils sont traités et dans quel contexte ils évoluent, afin de déterminer s’ils ont un rapport avec le mythe ou non. Cette dernière étape de travail ne peut être exécutée qu’à l’oeil nu (nous atteignons une limite de la machine !) mais est tout à fait envisageable, le corpus étant considérablement réduit. Proposons l’exemple des contextes du mot « héros » (Figure 4).

Figure 4

Contextes du terme « héros »

Contextes du terme « héros »

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La figure incluse ici donne à voir un extrait des contextes nombreux du seul terme (on en compte 22, et 54 pour la recherche par « initial » comprenant des termes comme héroïne, héroïnes, héroïque, héroïsme, etc.). Une lecture rapide des paragraphes permet de vérifier que tous sont significatifs d’une certaine idée de la fondation acadienne comme étant surnaturelle, mythique. Les premiers colons sont devenus des héros, au sens étymologique du terme. Prenons un autre exemple permettant encore d’assurer notre hypothèse (Figure 5).

Figure 5

Tableau des concordances du terme « mère »

Tableau des concordances du terme « mère »

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La figure 5 présente la liste des concordances du mot « mère », un terme extrêmement fréquent : le logiciel indique 161 occurrences. Hyperbase révèle que le terme se rapporte le plus souvent à l’expression « mère-patrie », ou pour qualifier la Vierge Marie, « mère de Dieu ». En règle générale, les termes ayant pour préfixe le « mater- » latin, tels que « maternité », « maternelle », « Mater Dei », etc. apparaissent largement dans les discours. On relève 48 occurrences qui sont pertinentes; La mère comme la patrie indiquent l’origine, à deux niveaux, l’un individuel, l’autre collectif, social. Un troisième se dessine en filigrane, derrière le texte, celui de la matrice, la mater justement, image que l’on retrouve invariablement dans les récits cosmogoniques, tels que les rapportent Claude Lévi-Strauss ou Mircea Eliade et qui assurent les fondements imaginaires de la société à laquelle ils se rapportent. Ainsi, la notion de sacré vient doubler celle de l’origine, garantissant à la collectivité une pérennité dans le temps et l’espace. De ce point de vue, la Vierge Marie, « mère de Dieu, mère du monde » comme l’indique le catéchisme de l’Église catholique romaine, constitue une figure prédominante au sein de la société acadienne : un des orateurs des conventions déclare que « Louis XIII venait de faire voeu de consacrer sa personne, ses sujets et son royaume à Marie, à la reine de l’Assomption (…) c’est sous l’inspiration de Marie que nos pères ont passé l’océan et se sont emparés du sol [acadien] ». Ainsi, le lien à la France catholique, dédiée à la Vierge n’est intéressant que parce qu’il permet de fonder, au niveau du sacré (dans le mythe donc) la colonie outre-Atlantique : sainte patronne de l’Acadie, qui pourrait mieux garantir l’origine sacrée que la figure mariale ?

De plus, si nous considérons l’évolution de ces termes relatifs à la construction de la France comme mythe fondateur de la société acadienne, les graphiques des différents termes par rapport aux conventions de 1881 jusqu’à 1937 indiquent clairement une forte concentration des occurrences dans le premier congrès (Memramcook, 1881), ainsi que dans les discours de la convention de Saint Basile (1908). Entre les deux, les termes ne sont plus prédominants et présentent même une courbe négative significative (puisqu’elle franchit le seuil indiqué par le logiciel) : les orateurs s’attachent à d’autres sujets, l’éducation, l’émigration, l’agriculture, etc. Nul hasard donc si la question de l’origine de l’Acadie, sa fondation est traitée avec tant d’importance dans la première convention : à une époque où rien n’est moins reconnu, moins assuré, que l’existence d’une communauté acadienne, il est nécessaire d’en codifier l’origine, d’en justifier la venue au monde. Or, « le sacré est. Son existence absolue et auto-référente offre un point fixe. Il s’oppose au néant et constitue à lui-même sa propre justification » écrit Mircea Eliade dans Le mythe de l’éternel retour (Eliade, 1969). Si les orateurs font appel à la France, c’est bien pour fonder la société acadienne, pour l’ancrer rituellement – religieusement – dans un espace et un temps sacré, c’est-à-dire hors de l’histoire et de ses contingences. A nouveau, en 1908, les discours présentent ce champ isotopique caractéristique du mythe; comme si, à l’aube du vingtième siècle, l’élite acadienne ressentait la nécessité de réaffirmer la présence d’une communauté distincte au sein d’un immense État canadien.

Le graphique ci-dessous (Figure 6) présente l’évolution du terme « origine », doublé de son pluriel « origines » : on retrouve bien les deux pics significatifs en 1881, lors de la première convention et en 1908, au début du nouveau siècle. Les autres termes, comme « héros », saint, saints, Marie, etc. présentent des courbes similaires.

Figure 6

Évolution des termes « origine » et « origines »

Évolution des termes « origine » et « origines »

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6. Résultats de la recherche

6.1 La « vieille France » : représentations d’une France de l’Ancien Régime

Notre recherche sur Hyperbase nous a donc permis de dégager plusieurs pistes de travail ainsi que de les vérifier : nous avons pu démontrer que la France n’est présente dans les conventions nationales que comme une France de l’Ancien Régime, c’est-à-dire une France à laquelle peuvent se référer les Acadiens. En effet, après la Révolution de 1789, la « mère-patrie » change de visage, bouleverse le rythme de ses fêtes, vote ses lois, modifie ses comptes (poids et mesures compris), imposant une éducation nationale et laïque, réécrivant jusqu’au calendrier. De l’autre côté de l’Atlantique, la communauté acadienne perd pied devant cette succession de bouleversements, accrue encore par l’instabilité politique constante. Les Acadiens ne connaissent donc plus la France contemporaine, elle ne présente plus le visage de leur culture d’origine, elle n’a donc aucune utilité dans les conventions nationales.

6.2 La France : modèle théorique d’éducation et de piété

Les deux axes majeurs de notre enquête concernaient l’éducation et la religion. Hyperbase a permis de démontrer que la France est d’abord le symbole d’une culture et d’une langue distinctes, perçues comme supérieures aux autres, ces derniers étant qualifiées de « barbares ». On retrouve une partition commune aux narrations mythiques, où l’univers est séparé en deux cercles concentriques, au centre, la société (« nous ») définie, à l’extérieur, le chaos, l’inquiète étrangeté des autres (Eliade 1965, 1978; Caillois, 1950). Dans les discours, la France est représentée comme étant conquérante, civilisatrice, plus avancée que les autres nations. Les Acadiens en déduisent donc leur propre suprématie et justifient ainsi la fondation d’une colonie qui apporte la civilisation en terre étrangère. Ils sont les descendants d’un peuple exceptionnel (les êtres surnaturels de Mircea Eliade !). De la même façon, la France est décrite comme la « fille aînée de l’Église », affirmant ainsi sa place prédominante non seulement au niveau politique et social, mais encore spirituel, sacré. Par la figure mariale, les Acadiens assurent alors à leur tour leur position privilégiée et leur origine sacrée, irréfutable.

6.3 La France : pilier mythique de la fondation collective acadienne

Finalement, les orateurs utilisent les références à la France, non pas pour établir ou rétablir un quelconque lien réel avec leurs contemporains européens, mais uniquement en tant que celles-ci permettent de renforcer l’image que la société acadienne a d’elle-même, après un siècle d’isolement. Par le processus de mythification de la France – démarche qui retient systématiquement l’aspect catholique et monarchique (donc instaurant une autorité de droit divin), redoublant ainsi la justification d’une origine sacrée – l’Acadie retrouve un sens, une transcendance, un devenir. De ce point de vue, on peut considérer les rassemblements des conventions nationales acadiennes comme de grands rituels religieux (les congrès ne commencent-ils pas par la messe ?) où la population acadienne fait l’expérience de sa légitimité comme société ayant une culture et un imaginaire particuliers et reconnus.