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L’intérêt des lecteurs et des chercheurs pour la littérature franco-ontarienne n’a fait que s’accroître depuis les années 1970, période où se met en place un véritable mouvement littéraire d’affirmation identitaire en Ontario français. On le constate notamment par la vitalité dont font preuve les réseaux de l’édition (les différentes maisons d’éditions, les salons du livre, les revues permettant la diffusion des oeuvres) et du spectacle (les différentes troupes de théâtre, les productions locales, les festivals de musique), mais également par le nombre croissant d’ouvrages universitaires qui, depuis les travaux de René Dionne, particulièrement au cours des années 1990, ont démontré un intérêt certain pour l’ensemble de la production littéraire franco-ontarienne sous toutes ses coutures : étude des genres, des thèmes, des auteurs, des institutions et ainsi de suite. L’Introduction à la littérature franco-ontarienne que présentent Lucie Hotte et Johanne Melançon s’inscrit dans la suite de ce mouvement d’effervescence qui entoure la production littéraire franco-ontarienne en offrant, sous la forme d’une histoire littéraire, une rétrospective des oeuvres et des auteurs marquants de la littérature franco-ontarienne. Pour ce faire, Lucie Hotte et Johanne Melançon, qui signent respectivement un chapitre sur le roman et sur la chanson, en plus de cosigner les textes d’introduction et de conclusion, se sont entourées de spécialistes reconnus chacun travaillant sur les différents genres littéraires : Jane Moss, pour le théâtre, François Paré, pour la poésie, et Michel Lord, pour la nouvelle.

Dans une introduction qui s’impose en fait comme le véritable premier chapitre tant par sa longueur – il s’agit d’un texte qui fait près de soixante-dix pages – que par son contenu, d’une très grande richesse, Lucie Hotte et Johanne Melançon proposent une définition claire du corpus littéraire franco-ontarien en le repositionnant de façon magistrale dans le contexte socio-historique qui a conduit à la formation et à l’affirmation, dans les années 1970, des fondements de ce que serait la littérature franco-ontarienne. Si l’année 1970 sert de jalon historique à la « naissance » de la littérature franco-ontarienne telle qu’elle est étudiée aujourd’hui, et qu’elle est présentée dans les différents chapitres de l’ouvrage, on peut en trouver la source dans une histoire plus ancienne qui remonte jusqu’au temps de l’exploration du territoire ontarien. Aussi, les auteures proposent-elles un retour fort pertinent sur les écrits d’avant 1970 dont les auteurs ont parcouru le territoire qui est aujourd’hui celui de l’Ontario et qui en ont fait le sujet de leur production. Cette lecture des premières productions littéraires en Ontario français permet une division de l’histoire littéraire franco-ontarienne en trois grandes époques : la littérature coloniale (1610-1866), la littérature canadienne-française (1867-1969) et la littérature franco-ontarienne (1970 à nos jours). S’ajoute à ce retour historique de la production littéraire d’avant 1970 une mise en contexte des enjeux sociaux (scolaires, politiques et institutionnels) qui ont marqué l’histoire des francophones en Ontario. L’introduction permet donc de saisir d’emblée les problématiques qu’explorent les chapitres de l’ouvrage à travers la production littéraire à partir des années 1970.

Bien que chaque chapitre présente un genre précis de la production littéraire franco-ontarienne (théâtre, poésie, chanson, roman et nouvelles), on constate qu’il y a une constante dans l’évolution du discours littéraire : la prise de parole des écrivains, dans les années 1970, correspond à un sentiment d’urgence d’affirmer leur présence sur le territoire ontarien. Jane Moss signale justement que, à ce titre, le théâtre a joué un rôle important dans l’expression culturelle des Franco-Ontariens en ce sens qu’il « s’est vu attribuer comme fonction principale de créer un espace pour l’affirmation de l’âme d’un peuple, de mettre en place un lieu de conscientisation collective qui soit aussi un "’lieu social’, un point de rencontre dans le langage" » (p. 71). C’est dans cette optique qu’est fondé, à Sudbury, la Coopérative des artistes du Nouvel-Ontario (CANO) dont les membres animeront la scène culturelle franco-ontarienne tant par la production théâtrale (Moé j’viens du Nord, ‘stie) que poétique et musicale (notamment par la création d’une formation musicale autour d’André Paiement en 1975). Il y a donc, dans la littérature franco-ontarienne naissante, la mise en place d’une « poétique de l’identité », pour reprendre l’expression de François Paré, qui se traduit par le désir des auteurs de représenter les réalités franco-ontariennes en s’adressant directement à la population. Le théâtre voudra mettre en scène des problématiques dans lesquelles les spectateurs pourront se reconnaître; la poésie fera de même, comme le souligne Paré dans la présentation des oeuvres de Patrice Desbiens, Jean Marc Dalpé ou de Robert Dickson, tout comme la chanson qui, remarque Melançon, s’inscrit dans la continuité du mouvement théâtrale. Dans les genres narratifs du roman et de la nouvelle, Lucie Hotte et Michel Lord constatent qu’il y a d’abord un désir de représenter l’histoire et l’espace franco-ontariens. Il y a, dans cette représentation, l’expression d’une conscience collective qui se définit à travers les lieux propres aux Franco-Ontariens.

Si la conscience collective semble être au centre de la production littéraire naissante de l’Ontario français, les années 1980 à nos jours semblent poser les écrivains dans un rapport plus individuel au monde qui les entoure. Les personnages des romans, par exemple, parcourent les espaces franco-ontariens moins à la recherche d’une identité collective que de la place que peut y occuper le soi. Michel Lord signale, au sujet de la nouvelle, que l’« errance à travers l’espace peut aussi prendre la figure du voyage intérieur amenant les personnages à se transformer en profondeur au contact de l’autre ou à demeurer résolument dans leur solitude malheureuse. » (p. 257) Si le phénomène s’observe dans les genres narratifs, qui tendent à prendre de plus en plus d’importance dans la production littéraire, il se remarque également dans les autres genres : Jane Moss parle de « l’individualisation des pratiques théâtrales », François Paré remarque également un mouvement vers la subjectivité et l’intimité des sujets qui succède à la poésie de la collectivité des années 1970 et, enfin, Johanne Melançon constate que « depuis le milieu des années 1990, l’identité franco-ontarienne, liée à la langue française et à la culture canadienne-française, n’est plus un thème d’actualité » (p. 186). Les auteurs franco-ontariens explorent désormais leurs rapports à l’autre linguistique, culturel ou sexuel tout en tentant de s’affirmer en tant que subjectivité dans un monde de plus en plus individualisé.

Bien qu’il soit possible, en proposant une lecture parallèle des différents chapitres de l’Introduction à la littérature franco-ontarienne, de trouver un mouvement d’ensemble qui marque l’évolution des différents genres littéraires, il importe de souligner que l’ouvrage n’a rien de redondant. Au contraire, chaque chapitre se démarque par la richesse des informations propres au genre présenté. De fait, il semble difficile, voire impossible, de bien mettre en évidence, dans le cadre d’une recension, la richesse du contenu de cet ouvrage que nous offrent Lucie Hotte et Johanne Melançon, car les collaborateurs ne se contentent pas d’esquisser un portrait d’ensemble de la production littéraire, ils proposent également une lecture approfondie des différents auteurs, et de leurs oeuvres, qui ont marqué la littérature franco-ontarienne. Pour cela, il se pourrait bien que l’Introduction à la littérature franco-ontarienne devienne un ouvrage de référence incontournable tant pour les étudiants que pour les professeurs et chercheurs qui s’intéressent, de près ou de loin, à la littérature franco-ontarienne.