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Introduction

De tous les types de satisfaction sur lesquels se sont penchés les penseurs, c’est la satisfaction dans la vie qui fut, sans l’ombre d’un doute, celle qui retint le plus l’attention. Fortement liées au sens même de l’existence ainsi qu’aux finalités qui l’accompagnent, de tous temps les questions traitant de bonheur, de bien-être et de satisfaction de vivre furent à l’agenda (Diener, 2000). Cela dit, la satisfaction dans la vie comme thématique scientifique se veut néanmoins moderne (Bouffard, 1997). Au plus, une quarantaine d’années nous séparent des premiers écrits scientifiques sur le sujet. En fait, ce sont les travaux de Cantril (1967), de Wilson (1967) et de Bradburn (1969) qui marquent l’aube de l’ère scientifique du concept de satisfaction dans la vie. Principalement engendrée par la transformation de l’éthos du travail et motivée par l’essor grandissant de l’épanouissement personnel, la préoccupation pour la satisfaction dans la vie et ses concepts parents (bonheur, bien-être, qualité de vie, etc.) a bénéficié au tournant des années 1960 d’un intérêt académique sans précédent (Bruchon-Schweitzer, 2002). De plus, dans un climat social d’émancipation, il appert que les recherches traditionnelles en sciences humaines, s’arrêtant prioritairement aux dimensions négatives de l’agir humain (ex. : dépression, anxiété, agressivité), ne cadraient plus avec une nécessité et un désir de comprendre la norme plutôt que l’exception (Diener, Suh, Lucas et Smith, 1999) ? d’où l’émergence de la psychologie positive (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000).

Cet enthousiasme académique permit à cette thématique traditionnellement populiste de rapidement s’établir une scientificité et de se munir d’un appareillage méthodologique et théorique (Bouffard et Lapierre, 1997; Veenhoven, 1997). Le développement d’instruments permettant de circonscrire ce phénomène et les débats théoriques initiaux qu’il a suscités ont fait boule de neige en entraînant quantité d’auteurs dans la quête compréhensive des déterminants de la satisfaction de vivre. Ainsi, la satisfaction dans la vie présente actuellement une littérature fort diversifiée faisant appel à diverses disciplines académiques. Principalement concentré autour des intérêts liés à la gérontologie et à la psychologie de la santé, il demeure que l’éventail des recherches effectuées s’inspire de courants et de cadres théoriques empruntant à la plupart des champs d’études regroupés au sein des sciences sociales. Au-delà des progrès considérables faits dans la compréhension de la satisfaction dans la vie, il demeure que les explications sont parcellaires et limitées (Bouffard, 1997). Cette réalité dépeint bien l’évolution des savoirs sur le sujet. Ainsi, bien qu’ayant fortement progressée au cours des dernières années, beaucoup reste à faire afin de démystifier la notion plurielle de la satisfaction dans la vie (Diener, 2000). Cependant, contrairement à la situation prévalant au niveau de la satisfaction au travail (Gosselin et Dolan, 2001), les tentatives d’explications de la satisfaction hors travail sont loin de stagner et l’on constate un renouvellement constant des connaissances. En ce sens, il y a tout lieu de croire que l’accroissement des savoirs perdurera au cours des prochaines années et que des développements significatifs sont à prévoir (Diener et al., 1999; Kahneman, Diener et Schwarz, 1999).

Nous nous concentrerons dans les pages qui suivent à dresser un portrait de l’état de la documentation concernant le concept de satisfaction dans la vie, et cela particulièrement selon la perspective empruntée par la psychologie. Nous aborderons, pour ce faire, successivement le contexte général, le contexte théorique et le contexte empirique bordant cette thématique de recherche. Afin de structurer et de borner notre recension, nous utiliserons quatre piliers représentés par les recensions critiques de Wilson (1967), Larsen (1978), Diener (1984) et Diener et al. (1999) et cela, naturellement, sans négliger l’apport des autres auteurs importants ayant marqué, d’une façon ou d’une autre, le développement de ce champ d’intérêt.

Contexte général

La littérature s’intéressant à la satisfaction dans la vie est fort diversifiée, pour ne pas dire disséminée. Cette dispersion se traduit en terme disciplinaire selon les sciences d’attache des divers intervenants sur le sujet; mais cette dispersion est aussi terminologique, c’est-à-dire fonction des épithètes accolées à cette réalité au fil de l’évolution temporelle des savoirs. Ainsi, satisfaction dans la vie, satisfaction de vie, satisfaction de vivre, bien-être psychologique, bien-être subjectif, bonheur, qualité de vie sont autant d’étiquettes utilisées afin de décrire une réalité analogue, quoique possédant parfois certains particularismes (Voyer et Boyer, 2001). Cette fluctuation terminologique n’est cependant pas arbitraire et semble refléter les différentes vagues ayant alimenté successivement l’avancement des connaissances.

Évolution du concept

Quatre moments peuvent être identifiées dans l’élucidation des paramètres de la satisfaction issue des sphères de la vie (Bouffard, 1997), chaque épisode étant délimité par les quatre décades nous séparant de l’origine de l’intérêt pour le sujet.

Ainsi, les années 1960, années d’éclosion de la thématique, verront apparaître les concepts de satisfaction dans la vie et de bien-être dans la vie. Concentrés sur le cloisonnement de ce nouvel intérêt de recherche, les auteurs de l’époque (voir Bradburn, 1969; Cantril, 1967; Neugarten, Havighurst et Tobin, 1961; Wilson, 1967) se concentrèrent sur un débroussaillement de l’aire de recherche ainsi que sur une clarification des aspects conceptuels (exemple : portée définitionnelle) et opérationnels (exemple : outils et méthodes d’investigation). Cette première période permettra d’identifier certains paramètres objectifs (variables environnementales et socio-biographiques) et subjectifs (processus cognitifs et perceptuels) étant à l’origine de la fluctuation interindividuelle et temporelle de la satisfaction ainsi que du bien-être dans la vie.

La seconde période, concentrée autour des années 1970, approfondira les relations mises à jour et conclura, par l’entremise de plusieurs travaux (Andrews et Withey, 1976; Campbell, Converse et Rodgers, 1976; Larsen, 1978), que les facteurs objectifs n’ont que peu d’incidence sur la satisfaction dans la vie. Cette constatation, reconfirmée par des études récentes (Argyle, 1997), amènera plusieurs auteurs à délaisser les concepts de satisfaction dans la vie et de bien-être dans la vie pour emprunter la notion plus perceptuelle de bien-être subjectif (subjective well-being) comme objet de recherche. Dès lors, ce sont les dimensions subjectives qui retiendront toute l’attention en remplacement des facteurs objectifs puisque trop restrictifs, bien que présents, dans leur influence.

Les années 1980, quant à elles, seront marquées par un nouveau changement dans le vocabulaire et une redirection que l’on peut qualifier de téléologique. Bien que n’écartant pas catégoriquement la notion de bien-être subjectif, les intérêts se redirigeront partiellement vers le concept beaucoup plus symbolique de bonheur (happiness). En raison des progrès effectués dans les décades précédentes, certains auteurs (Eysenck, 1990; Wholey, 1986), afin de mieux asseoir les débats, reviendront aux fondements mêmes des écrits philosophiques afin de comprendre l’origine et la nature de ce concept métaphysique (Bruchon-Schweitzer, 2002).

Cette tendance sera rapidement rattrapée dès les années 1990 par les interrogations sur la qualité de vie (Nordenfelt, 1994). Par sa nature plus macro-sociale, le construit de qualité de vie se veut par définition multidisciplinaire, intégrant ainsi divers champs des sciences sociales, mais mettant particulièrement à contribution l’ensemble des sciences médicales et de l’ingénierie sociale. Bien qu’il soit encore difficile de décrire concrètement ce qu’est la qualité de vie et que les investigations, en ce sens, demeurent tâtonnantes, il appert que la notion de qualité de vie est prometteuse dans la perspective d’une intégration future des rapports attitudinaux issus des diverses sphères de la vie (Ventegodt, Hilden et Zachau-Christiansen, 1991).

Comme on peut aisément s’en apercevoir, bien que cette historicité soit éclairante sur l’évolution des concepts, elle demeure néanmoins superficielle et réductionniste. La littérature actuelle est loin d’être aussi scindée et force est d’admettre qu’aucun consensus ne prédomine. Dans cet ordre d’idées, plusieurs concepts coexistent et bien que des efforts de distanciation soient faits, les termes sont plus souvent qu’autrement utilisés dans un esprit synonymique (Bruchon-Schweitzer, 2002; Cheng, 2004).

En fonction de l’état de la documentation et tenant compte de la nature spécifique de notre investigation, notre recension se limitera aux notions de satisfaction dans la vie et de bien-être subjectif. Bien que présentant quelques différences conceptuelles, il demeure que ces deux concepts se veulent étroitement liés. Ainsi, « le bien-être subjectif [..] et la satisfaction de vivre sont des notions qui diffèrent l’une de l’autre à quelques nuances près, mais elles ont beaucoup de points en commun » (Myers et Diener, 1997 : 14). Plus spécifiquement, on constate qu’il est difficile de définir clairement et opérationnellement la notion de bien-être subjectif (Van Horn, Taris, Schaufeli et Schreurs, 2004). Comme en font état Diener et al. (1999), le bien-être subjectif représente davantage un champ d’intérêt scientifique qu’un construit théorique spécifique. Malgré cela, il est possible d’identifier les diverses dimensions de ce construit qui se fragmente en trois aspects soit la dimension affective, la dimension cognitive et la dimension évaluative.

Dimensions du concept

L’aspect affectif du bien-être subjectif réfère principalement aux émotions positives et négatives vécues par les individus. Pouvant être associée à ce qu’on nomme la composante hédonique (Ryan et Deci, 2001), cette dimension est relativement instable en fonction des considérations événementielles, quoiqu’en recherche d’une certaine homéostasie (Eid et Diener, 2004; Fujita et Diener, 2005). Plusieurs auteurs (exemple : Cheng, 2004; Diener, Smith et Fujita, 1995) soutiennent que l’agrégat émotif se doit d’être scindé afin de reconnaître l’indépendance des affects plaisants et des affects déplaisants.

Le second aspect, de nature plus eudaimonique (Ryan et Deci, 2001), est représenté par la dimension cognitive plus particulièrement reconnue comme étant la satisfaction dans la vie. La satisfaction dans la vie représenterait ainsi une dimension autonome à l’intérieur du construit du bien-être subjectif. Les études de Lucas, Diener et Suh (1996) ainsi que d’Andrews et Withey (1976) appuient cette séparation. Dubé, Kairouz et Jodoin (1997 : 215) iront dans le même sens en affirmant : « tandis que le bonheur renvoie à l’aspect émotionnel du bien-être et représente la prépondérance des émotions positives durant une certaine période de temps, la satisfaction représente l’aspect cognitif et identifie une évaluation plus durable de sa vie. »

Finalement, la dernière dimension associée au bien-être subjectif est l’intégration évaluative des divers domaines (exemple : travail, famille, loisir) et strates (exemple : perception de contrôle, estime de soi, valorisation) de satisfaction. Le bien-être subjectif étant, par sa nature multi-situationnelle, une intégration des micro-bien-être se doit d’être faite afin d’en arriver à un indice intégré. Cet aspect évaluatif a donc pour fonction d’estimer la contribution des composantes de la vie et de les assimiler afin de créer un état composite homogène.

Il convient de mentionner que nous demeurons sceptiques face au morcellement du construit du bien-être subjectif, scepticisme qui s’étend à la distinction pouvant être théoriquement établie entre ce concept et celui de satisfaction dans la vie. À la lumière des définitions offertes de la notion de satisfaction dans la vie, qu’on utilise celle inspirée des travaux de Diener (1984), George (1979) et Andrews et Withey (1976) ou encore celle issue des réflexions de Diener, Emmons, Larsen et Griffin (1985) et Shin et Johnson (1978), il convient de reconnaître, sans pour autant la nier formellement, que la différence entre la satisfaction dans la vie et le bien-être subjectif est fort minime. Pour cette raison, nous scruterons la littérature reliée à l’un et à l’autre de ces concepts de façon indifférenciée et utiliserons les termes de satisfaction dans la vie et de bien-être subjectif de façon interchangeable dans la suite de ce texte.

Mesure du concept

Cette ambiguïté définitionnelle n’est pas sans répercussion dans le cadre de la mesure. En effet, bien qu’une multitude de métriques existent afin de saisir la réalité attitudinale dans la vie (Bouffard et Lapierre, 1997), leur validité et fiabilité soulèvent maints questionnements (Shedler, Mayman et Manis, 1993). Ainsi, en ce qui concerne la validité, la nature même de l’objet de mesure entraîne des biais reliés à l’autodéfense et à la désirabilité sociale. Dans l’optique que la satisfaction dans la vie peut représenter, dans la croyance populaire, un indice de succès et d’émancipation, les individus auraient tendance à répondre en fonction de la perception des autres de leur propre satisfaction. Or, bien que les questions des instruments de mesure soient habituellement bien comprises, il appert que les répondants auraient tendance, le plus souvent involontairement, à embellir leur réalité personnelle. Une telle affirmation trouve écho dans le fait que moins de 1 % des individus s’estiment malheureux (Campbell et al., 1976), ce qui constitue pour plusieurs une ineptie (Hart, 1988; Powell, 1989).

La fiabilité des mesures sera, elle aussi, remise en cause. Principalement en ce qui concerne la stabilité temporelle, on constate une variation importante dans les indices enregistrés suivant une stratégie test-retest; le coefficient de corrélation s’élevant rarement au-dessus de 0,60 (Veenhoven, 1997). Ce phénomène peut être attribué à plusieurs facteurs, mais on retient particulièrement la sensibilité du répondant face au mode d’interrogation. Ainsi, les paramètres précis (exemple : temps, lieu) entourant la passation du questionnaire auraient une incidence déterminante sur les résultats et expliqueraient une proportion importante de la fluctuation des scores. Nonobstant ces faits, il demeure que « les mesures provenant des autoévaluations semblent bien avoir les qualités psychométriques requises » (Diener, 1994 : 119). Malgré le niveau acceptable des qualités métriques des instruments permettant de saisir le niveau de satisfaction individuelle (Diener, 2000), il est néanmoins conseillé d’utiliser des méthodes multiples afin de bien saisir le phénomène. Ainsi, au-delà du traditionnel instrument papier-crayon, des mesures complémentaires (exemple : observation comportementale, indices physiologiques, perception des proches, entrevues) permettent, par le biais de la triangulation, de raffermir les qualités de la mesure (Lucas, Diener et Larsen, 2003).

Deux catégories de mesure existent afin d’investiguer la satisfaction dans la vie. D’un côté, il y a les indices globaux (facet free) qui permettent, à l’aide d’une ou de quelques questions, de mesurer la satisfaction selon les préceptes du gestaltisme, c’est-à-dire dans un esprit holistique et intégratif. Les indices utilisant « une question standard » font figure de pionniers dans la quête métrique de la satisfaction dans la vie. Des instruments comme l’Échelle de Cantrill (Cantrill’s Ladder; 1967), le Delighted/Terrible Scale de Andrews et Withey (1976), l’Euribaromètre de Inglehart (1990) et l’Échelle de satisfaction de vie de Diener et al. (Satisfaction with Life Scale; 1985), traduite en français par Blais et al. (1989), représentent des exemples de mesures globales.

De l’autre côté, il est possible d’investiguer la satisfaction dans la vie à partir d’instruments mesurant plusieurs facteurs (facet specific) représentant autant de dimensions du concept. Le Life satisfaction Index (Neugarten et al., 1961), le Positive Affect and Negative Affect Scale (PANAS; Watson, Clark et Tellegen, 1988), le Affect Balance Scale (Bradburn, 1969) et le Weitz Test of General Satisfaction Scale (Weitz, 1952) représentent des mesures de cet acabit. Bien qu’il existe peu d’uniformité dans les dimensions identifiées par chacune de ces échelles, tant dans leur nombre que dans leur nature, ces dernières peuvent néanmoins s’amalgamer en deux grands paramètres soit les strates de la vie (exemple : perception de contrôle, estime de soi, valorisation) et les domaines de la vie (exemple : famille, relations personnelles, loisirs).

Somme toute, comme on est à même de le constater, le champ d’étude relatif à la satisfaction dans la vie, incluant ses concepts parents, ne jouit pas actuellement d’une très grande maturité scientifique. En fonction de son jeune âge, ce domaine d’investigation est en quête de réponses à plusieurs interrogations tant de nature conceptuelle que de portée opérationnelle. Néanmoins, le dynamisme qu’on lui connaît présentement fait foi des espoirs à l’égard de ce concept et permet d’espérer des développements prometteurs en la matière (Diener, Lucas et Oishi, 2002). Nous étant, jusqu’à maintenant, strictement intéressés aux aspects généraux du concept de satisfaction dans la vie, nous aborderons maintenant ses dimensions plus spécifiques dont son articulation théorique et ses principaux corrélats.

Contexte théorique

Des avancées théoriques importantes ont été présentées au cours des dernières décades d’étude du phénomène de la satisfaction dans la vie. Bien que Wilson (1967) considérait que le corpus théorique s’intéressant à cette thématique était plus que rudimentaire, il appert aujourd’hui qu’une pléiade de théories ont été formulées (Diener et al., 1999). Tant en ce qui concerne l’identification des besoins, qu’en ce qui concerne les processus comparatifs utilisés comme base évaluative, les diverses facettes explicatives de la satisfaction dans la vie sont maintenant appuyées sur des fondements théoriques. Néanmoins, malgré cet approfondissement des connaissances théoriques, de nombreux éclaircissements demeurent nécessaires (Diener, 2000). Ainsi, les auteurs conviennent, dans cette optique, de poursuivre la quête de l’élucidation ainsi que de l’intégration théorique des tenants et aboutissants de la satisfaction dans la vie.

Afin de répertorier les principales théories s’attardant à expliquer la satisfaction dans la vie, nous utiliserons la classification proposée par Bouffard (1997). Cette classification permet de distinguer les diverses théories en fonction de l’amplitude explicative apportée et de leur prégnance dans la littérature. En ce sens, deux catégories de théories sont distinguées, soit les théories générales et les théories dites particulières. Les théories générales sont des conceptions intégratives s’intéressant principalement à l’articulation globale de la satisfaction dans la vie alors que les théories particulières sont de portée plus limitée et démystifient davantage des aspects de la satisfaction dans la vie plutôt que son essence fondamentale.

Théories générales

Nombre d’auteurs s’entendent pour distinguer deux types de théories générales en ce qui concerne la satisfaction dans la vie (Brief, Butcher, George et Link., 1993; Feist, Bodner, Jacobs, Miles et Tan, 1995). Ainsi, on distingue les théories dites ascendantes (bottom-uptheories) qui proposent que le bien-être provient simplement de l’agrégation de toutes les micro-satisfactions issues des diverses sphères de la vie, alors que les théories descendantes (top-down theories) supposent qu’il existe des prédispositions individuelles agissant sur l’interprétation de la réalité et nourrissant un sentiment désagrégé de bien-être.

Issue principalement des travaux de Diener, Sandvik, Pavot et Gallagher (1991), de Okun, Olding et Cohn (1990) et de Cohen, Towbes et Flocco (1988), la théorie ascendante s’inspire du matérialisme philosophique illustré, entre autres, par la conception réductionniste (atomistique) de John Locke. Dans cette conception, la réalité expérientielle est objective et emmagasinée successivement par l’individu qui représente, à prime abord, une tabula rasa forgée par son environnement. Dans ce contexte, la satisfaction dans la vie n’est que la sommation simple des aspects positifs et des aspects négatifs auxquels est confrontée la personne. Ainsi, ce sont les événements surgissant dans les diverses sphères d’activités de l’individu (exemple : sphères familiale, professionnelle, conjugale, amicale) qui constitue, par cumul additif, le niveau de satisfaction qu’il ressent dans sa vie. Cette théorie porte l’étiquette ascendante puisque la satisfaction dans la vie tire sa source des sous-satisfactions dimensionnelles par lesquelles elle est entièrement déterminée.

Par contraste, la théorie descendante (Lykken et Tellegen, 1996; McCrae et Costa, 1991; Seligman, 1991) propose un ordre procédural inverse, c’est-à-dire une répercussion du niveau de satisfaction dans la vie sur l’ensemble des facettes de cette dernière. Dans une perspective plus kantienne, se rattachant davantage à une philosophie idéaliste que matérialiste, l’individu n’est plus un simple réceptacle de son environnement, mais un filtre interprétatif de la réalité contextuelle. Ainsi, il existe des éléments dans cette conception, principalement illustrés par la structure de la personnalité, prédisposant l’individu à nourrir un sentiment de satisfaction ou d’insatisfaction dans sa vie. Ces éléments influenceraient alors la perception des événements et permettraient de décanter favorablement ou défavorablement la teneur émotive de toutes situations. En fait, il y aurait transformation personnalisée de la réalité objective et création d’une réalité subjective alimentant soit la satisfaction ou l’insatisfaction dans la vie[1]. Ainsi, le bien-être passe de la dépendance à l’indépendance : la théorie ascendante conceptualisant la satisfaction de vivre comme une résultante contrairement à la théorie descendance qui lui attribue, pour sa part, un rôle de variable indépendante. Dans cet esprit, la satisfaction dans la vie s’éparpille sur toutes les facettes existentielles qui deviennent, en quelque sorte, imperméables à la quotidienneté objective.

Reprenant un débat traditionnel en psychologie concernant la prépondérance de l’inné ou de l’acquis, cette opposition apparente entre la conception ascendante et descendante du bien-être subjectif soulève deux interrogations fondamentales (Diener, 1984). Tout d’abord, ce différend met en lumière les questions relatives à la nature du concept de bien-être. Ainsi, se doit-on de considérer le bien-être comme un trait eu égard à ses origines génétiques (Keller, Bouchard, Arvey et Segal, 1992), tel que proposé par la conception descendante ? Ou, inversement, doit-on supposer que ce phénomène relève du domaine de l’état (state) en fonction de la dépendance qu’il entretient avec le vécu événementiel comme le suggère la théorie ascendante ? Il demeure très risqué, à l’heure actuelle, de répondre à ces questions, les auteurs se limitant, pour le moment, à reconnaître l’ambiguïté de la situation. (Feist et al., 1995)

Le second débat éclairé par la controverse des théories ascendante/descendante concerne le rôle particulier des événements positifs comme origine du bien-être (Lewinsohn et Amenson, 1978; Lewinsohn et MacPhillamy, 1974). Il appert qu’on a longtemps considéré qu’une attitude dépressive était engendrée principalement par une lacune affective provenant d’un manque de stimulations plaisantes dans la vie. En ce sens, la conception ascendante trouvait appui dans cette constatation. Cependant, il demeure qu’une certaine littérature (Sweeney, Schaffer et Golin, 1982) confirme que l’état dépressif entraîne une insensibilité aux aspects plaisants de la vie, authentifiant ainsi davantage la conception descendante. Encore une fois la controverse est présente. La satisfaction dans la vie doit-elle faire figure de résultante (théorie ascendante) ou à l’inverse doit-elle être envisagée comme un précurseur des maux sociaux (théorie descendante) ?

Nonobstant l’omniprésence de ces débats, il convient de mentionner que la documentation récente sur la satisfaction dans la vie s’efforce de minimiser l’apparente opposition entre la théorie ascendante et la théorie descendante et tente de créer une intégration théorique unifiant les deux conceptions (Diener, Lucas, Oishi et Suh, 2002). Ainsi, après plusieurs tentatives empiriques visant à démontrer la prévalence de l’un des deux modèles (Headey, Veenhoven & Wearing, 1991; Scherpenzel et Saris, 1994), et à la suite du constat de leur validité mutuelle (Diener et Larsen, 1993), l’heure est à la réconciliation théorique. Ainsi, des travaux comme ceux de Heller, Watson et Ilies (2004), Feist et al. (1995) et de Brief et al. (1993) représentent des tentatives concrètes d’unifier la conception ascendante et la conception descendante. Les résultats issus de ces études sont assez éloquents sur la nécessité et la puissance explicative d’un modèle intégrant les deux courants de pensée. Bien que les preuves empiriques ne soient encore que partielles et que des études s’orientant dans cette direction soient nécessaires afin de consolider les résultats actuels (Updegraff, Gable et Taylor, 2004), il semble que l’opposition entre les approches ascendante et descendante ne soit plus théoriquement viable et qu’une théorie unifiée soit en émergence.

Théories particulières

Les théories particulières de la satisfaction dans la vie représentent un ensemble de théories annexées aux théories générales, c’est-à-dire qui se veulent davantage complémentaires puisqu’en marge des centres d’intérêt des théories ascendante et descendante (Bouffard, 1997). Nullement secondaires par leur importance, ces théories particulières se veulent moins holistes et proposent une compréhension ciblée de la satisfaction dans la vie. Elles présentent donc autant d’angles, voire de paradigmes, explicatifs du phénomène nous intéressant. Se basant sur la classification offerte par Bouffard (1997) qui corrobore plusieurs des catégorisations précédentes (voir Diener et al., 1999; Diener, 1994), nous retenons quatre théories particulières soit : la théorie de l’adaptation, les théories des standards, la théorie des buts et le groupe de théories regroupées dans les conceptions cognitivistes.

La théorie de l’adaptation issue originairement des travaux de Helson (1964) et popularisée, entre autres, par Brickman, Coates et Janoff-Bulman (1978) soutient que la prégnance des événements heureux ou malheureux n’est que de courte durée. Ainsi, afin de maintenir l’homéostasie fonctionnelle, certains éléments du système psychologique sont mis à contribution afin de limiter l’influence temporelle des événements (Headey et Wearing, 1989; Lucas, Clark, Georgellis et Diener, 2003; Suh, Diener et Fujita, 1996). Par exemple, la création d’heuristiques favorisera la synthèse de l’information et biaisera ainsi, par réductionnisme, la perception des événements en fonction de leur symbolique affective (Kahneman, Slovic et Tversky, 1982). Cette stratégie mnémonique permet particulièrement de favoriser une régulation émotive et de préserver l’intégrité de l’appareil psychique (Eisenberg et al., 1995). Ainsi, le bien-être ressenti ou exprimé par un individu est davantage une représentation idéale-typée corroborant ses valeurs et ses croyances qu’un état objectif et cela, sous l’emprise des processus d’adaptation. Cette conception de la satisfaction dans la vie dépeint ce concept comme une création relativement subjective, telle que préconisée par les théories descendantes, jouissant d’une certaine indépendance événementielle. Dans ce contexte, chaque situation de vie est filtrée selon les paramètres du schème individuel et cela dans un but adaptatif, c’est-à-dire de stabilisation des fluctuations affectives. Cette assertion trouve écho, entre autres, dans la grande stabilité temporelle du bien-être subjectif individuel (Oishi, Diener, Suh et Lucas, 1999).

Les théories des standards, connues aussi sous l’appellation de théories du jugement (judgment theories), reconnaissent l’influence centrale des processus de comparaison dans le façonnement du bien-être individuel (Lyubomirsky et Ross, 1997). Il appert que la satisfaction dans la vie tire en partie son origine de l’évaluation de la distance nous séparant positivement ou négativement d’un standard. Ce standard peut épouser diverses natures : il pourra être autrui (Easterlin, 1995) dans le cas de la comparaison sociale, un niveau d’aspiration (Kasser et Ryan, 1996) ou encore, par exemple, l’expérience de l’individu comme en fait état la théorie contextuelle (Parducci, 1995). Néanmoins, il demeure, malgré l’évidence de la comparaison multilatérale telle qu’illustrée par la multiple discrepancy theory (Michalos, 1985) que le comparatif le plus puissant, lire le plus usuel, est la réalité des autres, la réalité telle que la présente autrui (Emmons et Diener, 1985). Ainsi, une tendance générale à la comparaison avec les individus de notre entourage est prévalente et détermine significativement le niveau de satisfaction ressenti par un individu (Frieswijk, Buunk, Steverink et Slaets, 2004). Bien que la croyance fut longtemps que la comparaison descendante (downward comparison), avec des gens ayant des caractéristiques « inférieures » aux nôtres, favorisait la satisfaction alors que la comparaison ascendante (upward comparison), avec des gens possédant des attributs « supérieurs », alimentait l’insatisfaction, cette prétention est de moins en moins véhiculée. Il appert aujourd’hui que la directionalité de la comparaison n’a que peu d’importance et que tant la comparaison descendante qu’ascendante peut tantôt être élément de satisfaction tantôt élément d’insatisfaction (Buunk, Collins, Taylor, Van Yperen et Dakof, 1990; Pelham et Wachsmuth, 1995). Il appert donc, dans l’esprit de ces théories des standards, que les situations objectives de vie n’auraient d’influence sur le niveau de satisfaction que via l’estimation perceptuelle, dans un rapport purement comparatif, de la valeur relative de ces dernières.

La théorie des buts est souvent annexée à la conception liée aux standards, bien qu’il soit justifié de la distinguer de cette dernière (Bouffard, 1997). En effet, les buts peuvent parfois être assimilés à ce que la théorie des standards conçoit comme des objectifs idéalisés; il s’agit alors d’un processus de comparaison intrapersonnel. En ce sens, la théorie des buts, associée à la conception téléologique de la satisfaction dans la vie, conçoit que l’individu afin de créer un sens existentiel envisage certaines visées personnelles et que l’atteinte, ou du moins le cheminement vers ces visées, procure un état de satisfaction (Austin et Vancouver, 1996). Ces désirs peuvent prendre principalement trois formes spécifiques soit celle des besoins (voir Ryan et Deci, 2000), des objectifs (voir Spence, Oades et Caputi, 2004) ou des valeurs (voir Oishi et al., 1999); la première étant plus universelle, les secondes détenant un caractère plus personnalisé. Point important à souligner, les buts n’ont naturellement pas tous la même ascendance sur la satisfaction dans la vie. Certains buts, identifiés comme étant d’orientation congruente (motive-congruent), auront plus d’effet que leurs opposés d’orientation incongruente (motive-incongruent; Brunstein, 1993). Cet état de fait est causé par la possibilité d’entretenir simultanément des buts incohérents tant dans leur nature que dans leur portée. Dans ce cas, l’atteinte d’un but créant de l’incohérence dans l’orientation existentielle n’aura par conséquent que peu d’effet positif sur la satisfaction (Judge, Bono, Erez et Locke, 2005; Kasser et Ryan, 1993).

Les théories cognitives de la satisfaction dans la vie représentent davantage une famille de théories plutôt qu’un segment homogène de conceptions. Malgré leur caractère disparate, chacune de ces théories aborde néanmoins la satisfaction dans une perspective associationniste, c’est-à-dire en fonction de la transformation de l’information objective en réalité subjective via les opérations mentales. Les théories cognitives aborderont ainsi nombre de facettes de la satisfaction. Entre autres, elles s’intéresseront à l’absorption des éléments de satisfaction via les processus d’inférences causales (Weiner, 1992), à l’évaluation cognitive des entraves au bien-être (Lazarus, 1991), aux représentations ou projections de soi dans le futur (Markus et Ruvolo, 1986) et, pour n’en citer que quelques-unes, à la médiation cognitive des événements et de son incidence sur la satisfaction dans la vie (Lent et al., 2005; Ryff et Essex, 1992). Il faut reconnaître que les théories cognitives n’ont pas, pour le moment, un effet marqué sur l’orientation des explications des phénomènes de bien-être. Elles n’en sont qu’à leur début et demeurent limitées dans leur portée explicative. Elles présentent néanmoins une perspective riche d’avenir.

Comme on est à même de le constater, au-delà des deux principaux cadres de référence reconnaissant la possibilité de l’ascendance et de la descendance de la satisfaction dans la vie, plusieurs théorisations partielles subsistent et permettent un approfondissement de la compréhension. Ces théories, identifiées comme particulières, se veulent en quelque sorte des bribes d’articulation des principes fondamentaux mis de l’avant par les théories générales. Loin d’être marginales, ces conceptions se veulent néanmoins limitées puisque ne permettant qu’une exploration fragmentaire du phénomène complexe que représente la satisfaction dans la vie.

Contexte empirique

Nous aborderons maintenant les liens empiriques mis en lumières par la recherche sur la satisfaction dans la vie. Il s’agit, en fait, de dresser un portrait d’ensemble des connaissances acquises jusqu’à maintenant sur les interrelations potentielles entre la satisfaction dans la vie et des indicateurs connexes. Bien que la façon usuelle de s’acquitter de cette tâche soit de porter attention successivement aux causes et ensuite aux conséquences, nous nous permettrons de déroger à cette règle. En effet, la documentation sur la satisfaction dans la vie ne se prête pas à cette stratégie. En fonction de l’ambivalence paradigmatique issue d’une certaine opposition traditionnelle entre la théorie ascendante et la théorie descendante, cette procédure n’aurait d’autre fonction que de scinder la recension en fonction de la perspective privilégiée par chacune des études. Afin de s’affranchir de cette situation, nous regarderons globalement les corrélats de la satisfaction dans la vie, faisant ainsi abstraction de la direction de leur influence. Néanmoins, pour chacun des groupes de variables étudiées, certaines indications seront apportées afin de comprendre la pertinence de chaque indicateur dans le cadre d’une vision systémique du phénomène de la satisfaction dans la vie.

Une quantité importante et croissante de recherches mettent en lumière les liens unissant certaines variables aux concepts de satisfaction dans la vie et de bien-être subjectif. Nonobstant quelques exceptions, on peut aisément reconnaître trois ensembles de variables ayant fait les frais d’investigations soutenues. Bien que réductionniste par définition et sensible à la codépendance, cette classification ad hoc représente, selon nous, une façon économique et élucidante d’aborder les corrélats de la satisfaction. De fait, nous reconnaissons trois segments de variables présentant une certaine homogénéité interne. Ces ensembles sont les variables socio-biographiques représentant la dimension objective du bien-être, les indicateurs de personnalité s’attardant plus particulièrement aux incidences de la socio-génétique et, finalement, les variables environnementales dépeignant la dimension subjective de la satisfaction dans la vie. Partant des constatations issues d’une recension segmentée de la documentation, nous discuterons successivement de ces trois blocs de facteurs.

Variables socio-biographiques

Plusieurs variables de nature socio-biographiques ont été utilisées pour expliquer principalement l’origine de la satisfaction dans la vie (Diener, 1984). Considérés comme des indicateurs objectifs (Diener, 1994), les facteurs socio-biographiques ne démontrent généralement pas de lien solide avec la satisfaction dans la vie. Au mieux peut-on estimer qu’ils expliquent collectivement environ 10 % de la variance (Argyle, 1997). Néanmoins, on leur reconnaît un rôle de médiateur dans l’influence indirecte des déterminants subjectifs (Campbell, 1981), ce qui redore quelque peu leur importance relative dans le contexte de la satisfaction dans la vie.

Au nombre des variables socio-biographiques les plus investiguées on retrouve l’âge, le sexe, le salaire, la scolarisation et le statut civil. Cependant, l’éventail complet se veut d’un tout autre ordre et on pourrait facilement ajouter à cette liste une douzaine d’indicateurs (exemple : la structure familiale, l’origine ethnique, le statut d’emploi, le niveau de santé) se retrouvant aussi dans la littérature mais dans une proportion moindre (Okun, Stock, Haring et Witter, 1984). Afin de nous en tenir à l’essentiel, nous allons maintenant brosser un tableau d’ensemble des caractéristiques de chacune de ces variables principales en fonction de son action sur le bien-être individuel.

L’âge présente une relation linéaire avec la satisfaction dans la vie; plus on vieillit et plus la satisfaction se veut croissante (Diener et Suh, 1998; Inglehart, 1990). Bien que certains auteurs prétendent qu’il existe un fléchissement de la relation dans les âges avancés, les récentes études sur le sujet (Horley et Lavery, 1995; Isaacowitz, 2005; Shmotkin, 1990) démentent cette affirmation en soutenant que la satisfaction dans la vie s’améliore, ou à tout le moins se maintient, tout au long de l’existence. Ces constatations nous permettent de croire que « the literacy image of the crotchety old person, dissatisfied with everything, is not a very realistic picture of older people » (Campbell, 1981 : 203). Notons néanmoins que le « terreau émotionnel » (Myers et Diener, 1997) varie considérablement dans le temps; les sources privilégiées d’alimentation de la satisfaction se transformant. Cependant, malgré des variations parfois substantielles de la composition de la satisfaction, cette dernière maintient, toute la vie durant, un niveau fort comparable d’une époque à l’autre.

En ce qui concerne le sexe, il appert que peu de différence existe entre la satisfaction dans la vie des hommes et celle des femmes (Inglehart, 1990; Shmotkin, 1990; White, 1992). Bien que certaines études (Haring, Stock et Okun, 1984; Medley, 1980) révèlent une faible distinction entre la réalité présentée par les sexes, réalité habituellement favorable aux hommes, de tels résultats demeurent marginaux et permettent d’expliquer moins de 1 % du phénomène (Fujita, 1991). Néanmoins, malgré la grande similarité de la satisfaction moyenne dans la vie entre les genres, l’articulation de cette dernière est cependant spécifique. Ainsi, les femmes seraient en proie à une plus grande instabilité émotive qui se caractériserait principalement par une grande expérience d’affects négatifs et d’affects positifs (Fujita, Diener et Sandvik, 1991; Lee, Seccombe et Shehan, 1991). Alors que l’amplitude des variations émotives chez les hommes serait de moindre importance, étant ainsi moins souvent très découragés ou très enthousiasmés. Malgré ces particularités, les niveaux de bien-être sont moyennement identiques.

Le revenu et l’éducation entretiennent évidemment un lien étroitement similaire avec la satisfaction dans la vie (Witter, Okun, Stock et Haring, 1984). Issus de leur co-détermination, ces deux indicateurs influenceront positivement la satisfaction. Bien que leur influence soit limitée (Malka et Chatman, 2003), affichant une corrélation de l’ordre de ,17 dans le cas du revenu (Haring et al., 1984) et de ,15 en ce qui concerne l’éducation (Witter et al., 1984), il faut néanmoins considérer les effets potentiellement indirects de ces variables (Clark et Oswald, 1994; Diener et al., 1999). En effet, les attentes, les objectifs ainsi que la capacité d’adaptation à l’environnement sont des dimensions affectées par le revenu et l’éducation, dimensions démontrant une influence plus probante sur le niveau de satisfaction dans la vie. Cette perspective offre quelques appuis au proverbe populaire voulant que l’argent ne fait pas le bonheur mais cause ombre à celui prétendant qu’heureux celui qui a su pénétrer les causes secrètes des choses.

Finalement, le statut civil est sans aucun doute l’indicateur présentant le moins d’ambiguïté sur son effet. Toutes les études démontrent clairement que les gens mariés (ou vivant conjugalement) sont plus satisfaits dans la vie que leurs congénères célibataires (Mastekaasa, 1995; Myers, 2000). Haring-Hidore, Stock, Okun et Witter (1985) ont réalisé une méta-analyse de 58 études américaines et ont trouvé une corrélation de ,14 entre l’état civil et la satisfaction dans la vie. Cette certitude laisse néanmoins place à deux approfondissements. Tout d’abord, dans une analyse sexuée, les bénéfices relatifs au mariage demeurent incertains (Mroczek et Kolarz, 1998). Alors que Lee et al. (1991) démontrent que les femmes tireraient davantage profit, en terme de satisfaction, du mariage que les hommes, Diener et al. (1999) viennent appuyer exactement l’inverse. La question est donc difficile à trancher pour le moment. De plus, la direction de la relation est incertaine. Est-ce la satisfaction conjugale qui se déverse dans la satisfaction globale ou l’inverse, la satisfaction globale qui amène les gens à être plus heureux au niveau conjugal ? Encore une fois, nous nous retrouvons dans l’impasse. Certains appuient la première alternative (Mastekaasa, 1995; Headey et al., 1991) tandis que d’aucuns sont partisans de la seconde réalité (Mastekaasa, 1992, 1994; Veenhoven, 1988). L’ambivalence demeure donc aussi à ce niveau, ce débat n’étant pas étranger à celui entre les théories ascendantes et les théories descendantes.

Indicateurs de la personnalité

Bien que moins fréquentes que les études s’étant intéressées aux facteurs socio-biographiques, les recherches portant sur l’influence des dimensions de la personnalité représentent le coeur actuel des interrogations sur la satisfaction dans la vie. L’intérêt pour la personnalité s’est graduellement développé de pair avec les déceptions présentées par les variables socio-biographiques. Ainsi, les premières études s’intéressant à l’influence des traits de personnalité sur la satisfaction dans la vie apparurent au tournant des années 1980. Des auteurs comme Bhagat et Chassie (1978), Queen et Freitag (1978) et Costa et McCrae (1980) font figure de pionniers dans le domaine. Cependant, on constate depuis 1990 un engouement sans précédent pour ce déterminant en fonction principalement des avancées théoriques permettant de restructurer la personnalité selon cinq facteurs de second niveau plutôt que, comme c’était traditionnellement le cas, dans l’optique des traits.

En effet, l’étude de la personnalité dans le contexte de la satisfaction dans la vie fut à ses débuts très tâtonnante. Une preuve de cette stratégie hésitante transparaît via la multitude de traits, parfois différents, parfois corollaires, utilisés dans les études de la première heure. Ainsi, DeNeve et Cooper (1998) recensent 137 traits de personnalité ayant été mis en relation avec la satisfaction dans la vie. Parmi tous ces traits, on constate que les plus déterminants sont l’attitude défensive (r =-0,40), la confiance (r =0,37), la stabilité émotionnelle (r =0,36), le site de contrôle externe (r =-,34), le besoin de contrôle (r =0,34), l’endurance (r =0,32), l’affectivité positive (r =0,31), l’estime de soi collective (r =0,31) et la tension (r =0,31). Néanmoins, malgré l’évidence d’une multitude de traits de personnalité ayant une influence significative sur la satisfaction dans la vie, il demeure que leurs effets cumulés ne représentent qu’une explication de la variance inférieure à 20 %. Ce résultat est naturellement déconcertant puisqu’en-deçà de la capacité explicative des variables socio-biographiques. En effet, l’effet combiné des variables socio-biographiques entretient une corrélation de 0,20 (Haring et al., 1984) alors que, dans un autre esprit, l’état de santé à lui seul atteint une corrélation de l’ordre de 0,32 (Okun et al., 1984). Il appert donc que les espoirs n’étaient pas fondés et que la personnalité, bien qu’influente, n’était pas le déterminant principal qu’on espérait.

Cependant, certaines études plus récentes reviennent à la charge et démontrent que la « personality is one of the strongest and most consistent predictors of subjective well-being » (Diener et al., 1999 : 279). Ce revirement vient de l’utilisation non plus de traits, mais plutôt de facteurs de second niveau comme déterminants de la satisfaction dans la vie. Au nombre de cinq [extraversion, névrosisme, ouverture à l’expérience, caractère agréable, caractère consciencieux], les facteurs de second niveau démontreront une capacité fort appréciable dans l’explication de la satisfaction dans la vie. Ainsi, selon McCrae et Costa (1991), l’ensemble des cinq facteurs permet d’expliquer entre 19 % et 25 % de la variance du bien-être dans la vie. Le portrait désagrégé permet de déterminer, toujours selon l’étude de McCrae et Costa (1991), que les facteurs les plus influents sont, en ordre d’importance, le névrosisme (r=-0,37), le caractère consciencieux (r =0,24), l’extraversion (r =0,22) et le caractère agréable (r =0,12); alors que l’ouverture à l’expérience (r =.-0,05) n’entretient pas de lien significatif. Une telle réalité est partiellement confirmée par la méta-analyse de DeNeve et Cooper (1998) où les corrélations sont de l’ordre de -0,22 pour le névrosisme, de 0,21 pour le caractère consciencieux, de 0,17 dans le cas de l’extraversion et du caractère agréable et de 0,11 pour l’ouverture à l’expérience. Cependant, malgré la qualité propre à chacun des facteurs comme déterminant du bien-être, il semble maintenant approprié de reconnaître l’influence déterminante du névrosisme ainsi que de l’extraversion sur le façonnement du bien-être subjectif vécu par les personnes (Lucas et Diener, 2001; Lucas et Fujita, 2000; Schimmack, Radhakrishnan, Oishi, Dzokoto et Ahadi, 2002; Zelenski et Larsen, 1999).

Il semble que cette nouvelle stratégie d’investigation de la pertinence de la personnalité permet de mieux cerner sa réelle importance dans le phénomène de la satisfaction dans la vie. Bien que certaines inconsistances persistent, les résultats issus des développements actuels sont encourageants et constituent, dans un certain sens, une illustration des principes jusqu’alors théoriquement hypothétiques. Néanmoins, beaucoup reste à faire en cette matière et plusieurs études devront corroborer et approfondir les connaissances jusqu’à maintenant acquises en identifiant, entre autres, les modérateurs/médiateurs de ces relations (Schimmack et al., 2002).

Variables environnementales

Il existe une certaine confusion concernant ce dernier groupe de variables que l’on classifie sous le terme de variables environnementales. Alors que les deux premiers groupes -variables socio-biographiques et indices de personnalité- créent consensus, cette dernière catégorie d’indicateurs présente davantage un spectre indéfini, regroupant souvent une pléiade de variables de nature fort différente. En ce qui nous concerne, nous considérons que les variables de l’environnement regroupent les phénomènes contextuels ayant une incidence, de près ou de loin, sur la satisfaction dans la vie. Ces variables ont donc une teneur plus temporelle et sont caractérisées par l’instabilité propre aux fluctuations situationnelles. En ce sens, bien que conscient de l’évidence de leur interdépendance, nous aborderons, dans un esprit de synthèse, cette catégorie de variables sous deux angles soit, dans une perspective verticale en fonction de l’influence des divers domaines de la vie (exemple : loisir, famille, travail) et dans une perspective horizontale, voire transversale, dans l’optique des strates de la vie (exemple : affectivité, sociabilité, sécurité)[2].

Les variables environnementales les plus étudiées sont, sans aucun doute, la satisfaction découlant des divers domaines de la vie. Bastion des théories ascendantes, les satisfactions issues des domaines de vie se veulent, dans cette optique, une désagrégation de la satisfaction dans la vie et donc, se doivent d’entretenir un lien étroit avec cette dernière. Au nombre des sphères explorées, mentionnons la satisfaction dans les loisirs, la satisfaction conjugale et familiale, la satisfaction professionnelle et la satisfaction sociale.

Au-delà de l’indice socio-biographique que dépeint l’état civil, la satisfaction issue de la sphère conjugale semble avoir des répercussions notables sur la satisfaction dans la vie (Argyle, 1997). Ainsi, il faut considérer que « la satisfaction dans le mariage est un bon prédicteur [sic.] du bonheur et de la satisfaction en général » (Argyle, 1997 : 85). À titre d’exemple, mentionnons que Emmons (1997) trouve une corrélation de 0,36 entre la satisfaction maritale et la satisfaction dans la vie, lien confirmé dans un même ordre de grandeur par plusieurs études subséquentes (Chiu, 1998; Gwanfogbe, Schumm, Smith et Furrow, 1997; Thériault et Cyr, 1996). En ce sens, il est tout a fait approprié, dans l’esprit des travaux de Glenn et Weaver (1981), de prétendre que la satisfaction maritale et familiale sont de bonnes variables de prédiction de la satisfaction dans la vie.

Autre sphère d’activités influant sur la satisfaction dans la vie, le cercle amical ou les relations d’amitié expliquent aussi une partie considérable de la fluctuation de la satisfaction dans la vie. Ainsi, comme le souligne Argyle (1997 : 88), « le bonheur est en corrélation avec le nombre d’amis, la fréquence des rencontres avec ces derniers de même qu’avec la participation à des soirées, des danses et l’appartenance à des équipes ou des clubs ». On saisit bien, dans cette citation, toute l’ampleur de ce que l’on désigne comme étant la satisfaction dans les relations amicales. Malgré certaines incertitudes liées aux divers paramètres englobant les relations d’amitié (Diener, 1984), Okun et al. (1984) estiment néanmoins que la satisfaction liée aux activités amicales (activités sociales) permet d’expliquer entre 2 % à 4 % de la variance de la satisfaction dans la vie. Cette constatation ne fait naturellement pas l’unanimité et certains auteurs (Liang, Kahana et Doherty, 1980; Solomowitz, 1979) soulèvent la faible incidence des relations amicales sur le bien-être psychologique. Cependant, les réflexions récentes (Hong et Duff, 1997; Voss, Markiewicz et Doyle, 1999) suggèrent que les satisfactions dans les relations amicales et sociales demeurent les domaines les plus déterminants de la satisfaction dans la vie et qu’une reconsidération de leur influence, par l’intégration de variables connexes (exemple : support social, ajustement social), se doit d’être inscrite à l’ordre du jour.

Du côté des strates de la vie, la réalité présentée par la documentation est plus nébuleuse. Tirant origine principalement de l’indistinction entre domaines de la vie et strates de la vie, cette ambiguïté catégorielle ne permet pas de bien délimiter l’ampleur et la portée réelle de ce qu’on qualifie de strates de la vie. Au mieux, dans un découpage se voulant horizontal, c’est-à-dire transdomaines, peut-on identifier certaines variables faisant office de strates dans la vie. En ce sens, et de façon conservatrice et intégrative, on peut croire que l’incidence des -événements de la vie- (life events) et des -activités de la vie- (life activities) s’inscrivent dans cette façon de concevoir les choses[3].

La conception des événements dans la vie trouve racine dans la philosophie utilitariste qui discute de la circulation, tantôt aléatoire tantôt volontariste, des plaisirs et des peines existentielles. Ainsi, le cours des émotions auxquelles est soumis un individu aura sans aucun doute une répercussion directe sur la détermination de sa satisfaction dans la vie (Kammann, 1983; Miller, 1980). Les événements possédant un affect positif prédisposeront à la satisfaction, alors que les événements caractérisés par un affect négatif alimenteront l’insatisfaction dans la vie (Reich et Zautra, 1981; Warr, Barter et Brownbridge, 1983). Peu importe leur sphère d’origine, la dimension événementielle se veut un déterminant du bien-être psychologique. Bien que la prégnance des événements ainsi que leur contrôlabilité puissent affecter leur incidence (Guttman, 1978), il demeure qu’ils affectent, dans des proportions encore indéterminées, la satisfaction dans la vie (Sweeney, Schaffer et Golin, 1982). Notons néanmoins que Csikszentmihalyi et Mei-Ha Wong (1991) proposent que le contexte situationnel peut expliquer jusqu’à 10 % de la variance du bien-être. Les événements dans la vie auront ainsi indirectement une répercussion sur l’affectivité, le sentiment de sécurité, la sociabilité d’un individu, affectant d’emblée la fluctuation des strates de la vie déterminant son niveau de bien-être.

Dans une logique analogue, bien que plus comportementale, les activités de la vie revêtent une importance dans la compréhension de la satisfaction. Soutenue par la théorie des activités (Markides et Martin, 1979; Sauer, 1977), l’implication dans des activités diverses augmente le bien-être. Bien que possédant un certain nombre de détracteurs (Pierce, 1981; Hoyt et al., 1980), cette théorie trouve appui dans des études longitudinales (Graney, 1975; Maddox, 1963) démontrant la simultanéité des variations entre les changements dans les activités et les changements dans la satisfaction dans la vie. Cependant, des éclaircissements se doivent d’être amenés à l’égard de cette théorie (exemple : nature des activités, nombre d’activités) et bien que l’implication dans des activités puisse affecter le bien-être, les propriétés salutogènes de ces dites activités demeurent encore méconnues. (Diener, 1984)

Conclusion

Ce tour d’horizon concernant la notion de satisfaction dans la vie permet de faire état des connaissances et des interrogations telles qu’elles se présentent actuellement. Force est de constater que les certitudes se font rares et les questionnements, omniprésents. Néanmoins, les pistes de recherche et de réflexions sont claires : consolider les savoirs actuels et débroussailler des avenues nouvelles de compréhension.

Ainsi, tant en fonction des réalités entourant les corrélats du bien-être, qu’en fonction des contextes théorique et général, cette thématique de plus en plus socialement centrale est loin de nous proposer un cadre compréhensif exhaustif et complet. Plusieurs recherches seront encore nécessaires pour raffermir les certitudes acquises et éclaircir certaines prétentions actuelles (Diener, 2000). Néanmoins, en réponse à ce que Diener (1984) déplorait, on peut confirmer que les théories jouissent actuellement d’appuis de plus en plus solides et que certains efforts d’intégration sont maintenant déployés afin d’unifier les connaissances.

Ainsi, après quelques décades d’étude des phénomènes attitudinaux dans la vie, un moment de rétrospection semble à-propos afin d’évaluer les avancées théoriques et d’évaluer les cadres conceptuels actuellement proposés. Dans cet esprit notons les efforts récents de Bruchon-Sweitzer (2002), de Diener et al. (1999) ainsi que de Rolland (2000) qui s’emploient, de diverses façons, à clarifier l’état actuel des savoirs afin de dresser un agenda de recherche conforme à l’historicité ainsi qu’aux préoccupations contemporaines. Cet agenda se devra ainsi de cibler prioritairement :

  1. une révision conceptuelle des termes : Il persiste actuellement une confusion dans les notions se référant aux réalités attitudinales dans la vie. Dans l’esprit des travaux de Voyer et Boyer (2001), de Massé et al. (1998) ou encore de Ryff (1995), il faut poursuivre l’élucidation de la terminologie employée afin d’identifier les concepts compétiteurs, les concepts analogues et les concepts complémentaires. De tels efforts nous semblent impérieux afin de limiter l’élasticité des appellations et de générer un lexique organisé du vocabulaire utilisé.

  2. une réévaluation des cadres théoriques : Par-delà les tentatives de réunification des perspectives ascendantes et descendantes, la réalité explicative du phénomène du bien-être demeure éclatée. Des efforts de parcimonie se doivent d’être priorisés afin de limiter la prolifération des paradigmes interprétatifs. En tablant sur les réflexions conceptuelles déjà amorcées (Brief et al., 1993; Feist et al., 1995), il devient primordial de contribuer à l’émergence de cadres théoriques intégratifs qui permettront d’éclairer la nature fondamentale du concept de bien-être et ainsi de motiver le développement d’une nouvelle génération de mesures.

  3. une exploration des facteurs d’adaptation : Un grand nombre d’études se sont attardées jusqu’à maintenant à identifier les déterminants ainsi que les conséquences pouvant être associées au bien-être. Bien qu’une poursuite de ces objectifs de recherche soit nécessaire, il serait souhaitable dorénavant de conjointement explorer les éléments venant modérer ces relations. Ainsi, que ce soit dans l’esprit des tenants ou des aboutissants, il appert qu’un approfondissement des savoirs concernant les médiateurs relationnels (facteurs d’adaptation/protection) favoriserait l’émergence d’une perspective interventionniste visant à promouvoir l’amélioration du bien-être et/ou la réduction des effets secondaires du mal-être.

Dans cet optique, et eu égard à l’engouement scientifique actuel pour la notion de bien-être, nous partageons l’optimisme de Diener et al. (1999), et croyons comme eux que les prochaines décades permettront des avancées fort importantes dans ce domaine; avancées qui connaîtront un rythme de progression sans précédent.