Corps de l’article

1. Introduction

Au Québec, l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) a pour but d’assurer la sécurité et le développement des enfants se retrouvant dans une situation de compromission[1]. Les motifs de signalements définis à l’article 38 de la loi autorisent l’État à intervenir dans la vie des familles exclusivement dans les cas où ces situations menacent la sécurité ou le développement de l’enfant[2]. Les services d’aide mis en place par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) visent à mettre un terme à la compromission ainsi qu’à prévenir la résurgence de celle-ci[3]. Bien qu’elle fût modifiée à quelques reprises depuis son entrée en vigueur en 1979, cette loi conserve toujours cette même finalité. Il s’agit de la première loi québécoise qui reconnaît l’enfant comme un sujet de droit (D’Amours, 1993).

Dans le Manuel de référence sur la protection de la jeunesse (2010), le gouvernement du Québec rappelle que la protection de l’enfant incombe d’abord et avant tout à ses parents[4]. Conséquemment à ce principe de la primauté de la responsabilité parentale, l’esprit de la LPJ vise à favoriser le maintien de l’enfant dans son environnement familial immédiat. Le corollaire de cette prémisse réside dans l’application du principe de gradation des mesures d’intervention. En effet, le placement d’un jeune en centre jeunesse se veut une mesure de dernier recours.

Comme le montrent les plus récentes statistiques québécoises, 48,7 % des enfants recevant les services de la DPJ sont suivis dans leur milieu familial (gouvernement du Québec, 2016). Parfois, le maintien du jeune dans sa famille n’est plus possible, mais toujours dans l’esprit d’un continuum de service, la DPJ explorera d’autres avenues avant d’envisager un placement en institution. Toujours en 2016, 7,8 % des jeunes pris en charge par la DPJ étaient confiés à un tiers significatif et 31,9 % se retrouvaient en famille d’accueil. La proportion de jeunes placés en foyer de groupe ou en centre de réadaptation était de 11,6 %.

Malgré les actions mises de l’avant par les services sociaux, certains jeunes adoptent de manière récurrente et persistante des comportements tels que la fugue, la consommation d’alcool et de drogue, l’automutilation, les tentatives et idéations suicidaires, la violence et les conduites sexuelles problématiques[5]. La compromission initiale est alors accentuée par l’aggravation des difficultés comportementales du jeune (Lafortune, Lachance et Fenchel, 2010). Devant le danger des situations dans lesquelles se retrouvent ces jeunes, l’organisation actuelle des services offerts par la DPJ permet de recourir exceptionnellement à une mesure d’intervention qui restreint leur liberté, et ce, au nom de leur protection. Il s’agit dans le jargon du milieu du programme d’hébergement en encadrement intensif.

L’objectif principal de cette recherche est de connaître les effets de la réforme de l’encadrement intensif dans la pratique clinique. Dans cette étude de type exploratoire (Groulx, 1998), une approche qualitative basée sur l’entretien semi-directif a été privilégiée. Toutes les entrevues ont débuté par une question générale visant à obtenir les perceptions des intervenants entourant les changements provoqués par l’adoption de la réforme. Cette question énonçant l’entrée en matière était formulée ainsi : « Que pensez-vous de l’introduction en 2007 du nouvel article de loi balisant l’encadrement intensif[6]? ». Une grille d’entrevue servait de support afin de relancer l’entretien au besoin[7].

Cette démarche rend possible « l’exploration de l’intérieur des pratiques nouvelles en ce qui concerne des problématiques encore mal circonscrites. » (Groulx, 1998, p. 12). Aussi, la souplesse de cette technique permet de comprendre et de saisir les nuances du phénomène à l’étude par le biais du sens que lui donnent les acteurs sociaux (Savoie-Zajc, 2010). La richesse du matériel ainsi obtenu nous a permis de découvrir plusieurs enjeux sous-jacents au recours à l’encadrement intensif. Nous avons notamment pu cerner la complexité du processus décisionnel lorsqu’il apparaît opportun d’orienter un jeune vers cette mesure et la difficulté de cette tâche au moment de réviser la pertinence de maintenir ou non l’hébergement dans ce type d’unité (Lavoie et Lafortune, 2015).

Entre les mois de mai et septembre 2011, vingt-cinq intervenants travaillant en centre jeunesse ont été interrogés. La collecte des données a été effectuée au Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU) et au Centre jeunesse de Laval, car les filles de Montréal orientées en encadrement intensif sont transférées dans les installations de Laval (CJM-IU, 2008). Désirant construire un échantillon diversifié et représentatif, la sélection des participants s’est effectuée en fonction des diverses catégories d’emplois au sein de l’organisation (Pires, 1997). Ce choix de terrain nous a permis de nous entretenir avec trois chefs de service d’unité d’encadrement intensif, cinq conseillers à l’accès[8], six intervenants référents[9], six chefs de service, deux intervenants travaillant dans un service d’encadrement intensif et trois gestionnaires cliniciens. Pour s’assurer que les intervenants référents détenaient une expérience significative du recours à l’encadrement intensif, ils devaient avoir fait une demande de service depuis l’entrée en vigueur de la réforme. En conformité avec le principe de saturation empirique, un terme a été mis à la collecte de données lorsque les points de vue recueillis ont commencé à être redondants (Blanchet et Gotman, 2007).

Pour le dépouillement des données, une fois tous les entretiens retranscrits dans leur intégralité, nous avons opté pour une démarche d’analyse thématique (Blanchet et Gotman, 2007; Paillé, 1996). Une première lecture des entretiens a permis d’associer les extraits de verbatim avec un thème. L’inventaire de ces divers thèmes a ensuite abouti à l’élaboration d’une grille d’analyse. Pour assurer la fidélité lors de la cotation des thèmes, le verbatim d’une entrevue a été codé par l’étudiante et son directeur de recherche afin d’établir un niveau d’accord inter juges. Ce dernier était amplement satisfaisant pour poursuivre les analyses puisque lors de l’exercice 70 % du contenu a été codé dans les mêmes catégories générales (Lavoie, 2013). Ensuite, à partir de cette grille, il a été possible de codifier à nouveau chacun des entretiens dans une perspective d’analyse verticale. En dernier lieu, une analyse horizontale comparant l’ensemble des entrevues nous a permis d’identifier les similitudes et les divergences de perceptions des participants.

La première section expose le contexte à l’origine la réforme. Ce retour en arrière situe les enjeux légaux ayant nécessité d’amender la LPJ afin d’y indiquer les conditions d’admission en encadrement intensif. La deuxième section présente les résultats de la recherche en fonction des quatre objectifs poursuivis par l’introduction de l’article 11.1.1 dans la LPJ. Ce portrait de l’état de la pratique au moment de la collecte des données illustre les changements découlant de la mise en oeuvre de la réforme. L’analyse met à l’avant-plan les avancements ayant une incidence sur le respect des droits des jeunes. Bien que l’amendement à la loi soit bénéfique pour respecter le droit à la liberté des jeunes sous la tutelle de la DPJ, les témoignages des intervenants démontrent qu’il reste encore à faire pour que l’ensemble des droits des jeunes soit incarné dans les pratiques. Notamment, il est nécessaire de développer des stratégies d'intervention qui favoriseront la mise en place d'une continuité des services. La conclusion ouvre sur des pistes de recherche qui permettront de poursuivre la réflexion sur le déploiement de services de réadaptation adaptés aux besoins des jeunes.

2. L’évolution du régime de protection de l’enfance au Québec : de l’autorité paternelle à l’encadrement étatique

En regardant l’histoire de l’évolution de la protection de la jeunesse au Québec, nous constatons que la logique de prise en charge des enfants en détresse a été construite autour de l’institutionnalisation. À l’époque de la colonisation, le clergé s’occupait de prendre soin des indigents. Rapidement, le sort des enfants orphelins et déviants deviendra préoccupant, puisque ces jeunes laissés à eux-mêmes menaçaient l’ordre social (Joyal, 1999, 2000; Malouin, 1996). Ces auteurs notent que ce sont les communautés religieuses qui assumèrent la responsabilité de ces jeunes vagabonds ou délinquants autour des orphelinats et des hospices.

À cette époque, l’éducation des enfants était régie par l’obéissance à l’autorité du père. En vertu des lois applicables, celui-ci pouvait demander à l’État d’intervenir pour placer en institution un enfant incontrôlable (Durand-Brault, 1999; Fecteau, Ménard, Trépanier et Strimelle, 1998; Mayer et Keable, 2016) ou défiant son autorité (Dupont-Bouchat, Pierre, Fecteau, Trépanier, Petit, Schnapper et Dekker, 2001). Ce pouvoir du père sur sa progéniture lui permettait « de faire incarcérer un enfant rebelle dans une prison publique » (Ibid., p. 246). Lorsqu’un jeune avait moins de seize ans, le président du tribunal civil ne pouvait pas s’opposer à la volonté paternelle.

Conformément aux durs préceptes disciplinaires de l’époque, le recours aux écoles de réforme et d’industrie pour éduquer les jeunes était fréquent. Dans ces institutions, un régime de vie strict, axé sur la discipline était la voie privilégiée pour redresser ces jeunes (Fecteau et coll. 1998; Malouin, 1996; Pouliot, Turcotte et Monette, 2009). Cette institutionnalisation massive des enfants abandonnés et des jeunes rebelles visait à préserver l’ordre social contre la prolifération de la délinquance juvénile (Joyal, 1999, 2000; Malouin, 1996; Provost, 1991). Cette croyance que le recours au placement en internat est nécessaire pour éduquer et réformer la jeunesse déviante était encore très présente dans les mentalités au Québec à la fin des années 1950 (Malouin, 1996). Peu importe le motif de leur admission, tous les jeunes étaient traités de la même façon puisque les deux types d’institutions avaient un fonctionnement similaire (Durand-Brault, 1999; Malouin, 1996).

Aucune distinction n’était alors effectuée entre les jeunes en besoin de protection et ceux faisant l’objet de répression à la suite d’une conduite délinquante. Cet amalgame entre la protection des enfants abandonnés ou négligés et l’incarcération des jeunes criminels a perduré dans les pratiques (Durand-Brault, 1999; Joyal, 1999; Joyal et Provost, 2000; Trépanier, 2000). Très tôt, cette mixité de la clientèle fut pointée du doigt comme étant un obstacle aux efforts d’éducation des jeunes à protéger (Dupont-Bouchat, 2003). Malgré les critiques exposant les limites et les échecs du placement en institution, les alternatives à cette pratique coercitive ont eu du mal à s’imposer (Dupont-Bouchat, 2003; Pouliot, Turcotte et Monette, 2009).

Même si le temps des écoles de réforme et d’industrie semble loin du monde contemporain, en 1976 les travaux de la commission Batshaw concluaient que les stratégies d’intervention en centre de réadaptation étaient peu développées et que les approches punitives prédominaient (Joyal, 1999). Au début 2000, les enquêtes menées par certains juristes (Desrosiers et Lemonde, 2000) ainsi que celles effectuées par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) ont mis en lumière le traitement des jeunes pris en charge dans les institutions de la DPJ. Le constat mis de l’avant se révèle similaire à ce que dénonçait plus tôt le rapport Batshaw. En effet, une proportion importante des adolescents étaient placés en centre de réadaptation fermé et leurs conditions de vie ressemblaient à un enfermement carcéral. Le climat impersonnel et artificiel qui règne dans ces institutions est similaire aux pensionnats d’autrefois (Favreau, 2005). Rappelons qu’en vertu de la LPJ, ces jeunes y sont placés pour des motifs de protection. Par conséquent, leur privation de liberté n’est aucunement en lien avec leur responsabilité criminelle.

La légalité d’une telle pratique fut d’ailleurs contestée devant les tribunaux une décennie plus tôt[10]. Dans cette cause, la plaignante placée en centre jeunesse en vertu de la LPJ conteste son transfert dans une unité où le régime de vie est conçu pour accueillir la clientèle des jeunes contrevenants. La requête devant la Cour supérieure vise à déclarer illégal son placement dans ce milieu de garde fermé. En considérant qu’aucune disposition à la LPJ ne permettait de recourir à une telle privation supplémentaire de la liberté de l’adolescente, le juge conclut que les garanties juridiques inhérentes à l’application de l’article 24 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne avaient été brimées. Il rejeta ainsi l’argument de la défense stipulant que le milieu de vie où séjournait l’adolescente était un centre d’accueil comme un autre. Quelque temps après, une analyse juridique de la CDPDJ arrive à ce même constat. Ce type de mesure, privant sans fondement légal la liberté des jeunes, contrevient au respect des droits prévus dans les chartes canadienne et québécoise (Tessier, 1998). En d’autres mots, le noeud du litige réside dans le fait que l’absence de références aux unités sécuritaires dans la LPJ prive les jeunes de tout contrôle judiciaire, ouvrant ainsi la porte à des abus possibles (Boulais, 1990).

Confronté à la pression des défenseurs des droits de la personne qui réclamaient le bannissement d’une telle pratique, le législateur québécois réagit à cette épineuse question lors de la réforme à la LPJ en 2005. L’article 11.1.1 définit le contexte dans lequel s’inscrit l’encadrement intensif. Cette balise ancre les fondements de cette mesure restrictive de liberté sur le concept de dangerosité. L’encadrement intensif se distingue des mesures de contention et d’isolement, car il ne s’agit pas de mettre le jeune temporairement hors d’état de nuire, mais bien de l’insérer dans un nouveau milieu de vie à connotation thérapeutique (Desrosiers, 2005). Comme le souligne à juste titre cette auteure, il s’agit d’une pratique qui mérite d’être étudiée afin d’être mieux comprise. Dans le cadre de cet article, la présentation de nos résultats de recherche se veut une contribution en ce sens.

3. L’encadrement intensif : le point de vue des intervenants sur la réforme

Les spécialistes du débat sur l’encadrement intensif identifient que la réforme visait à susciter des changements dans les quatre domaines suivant (Brault, Lachance et Sarrazin, 2009) : 1) le respect du droit à la liberté; 2) le caractère restrictif et exceptionnel de l’encadrement intensif; 3) la recherche de solutions alternatives et 4) la mise en place d’un processus d’évaluation qui supporte la décision d’orienter un jeune dans un service d’encadrement intensif. En reprenant chacune de ces sphères, les prochaines sections s’attarderont à illustrer, par le biais du savoir expérientiel des intervenants rencontrés, l’incidence de la réforme de l’encadrement intensif sur les pratiques.

3.1. Le respect des droits fondamentaux

L’inscription de l’encadrement intensif dans la loi et l’adoption du Règlement[11] qui encadre les conditions d’exercice de cette pratique réitèrent le caractère légal du placement sécuritaire pour les jeunes en besoin de protection (Desrosiers et Lemonde, 2007; Naves et Touahria-Gaillard, 2009). Pour les intervenants rencontrés, la modification de la LPJ et les restrictions entourant le recours à l’encadrement intensif sont motivées par le souci de respecter le droit à la liberté des jeunes.

Tel que l’illustre l’extrait #1, avant la réforme, l’utilisation de l’encadrement intensif était fréquente et un nombre important de jeunes y était hébergé :

Extrait #1

Il y avait beaucoup trop de jeunes en encadrement intensif avant, je pense. Ça ne répondait pas à leurs besoins carrément. L’endroit était beaucoup trop sécurisé pour leurs besoins.

intervenant référent

Les participants ont réalisé qu’à cette époque le recours à un tel placement était inapproprié. Trop souvent le dispositif sécuritaire propre à l’encadrement intensif se révélait non congruent avec les besoins de réadaptation de certains jeunes. En guise d’exemple, certains intervenants ont fait référence aux jeunes qui étaient hébergés dans une telle unité de vie, mais qui sortaient tous les jours du centre de réadaptation pour aller à l’école ou faire des activités parascolaires. Dans un pareil cas de figure, le jeune vaque à ses activités à l’extérieur et il revient au centre sans que les intervenants aient craint pour sa sécurité. Par conséquent, aucun motif ne justifiait alors qu’au retour du jeune au centre s’applique un placement sécuritaire comme l’encadrement intensif.

Certains participants ont exprimé à quel point les jeunes placés dans l’ancien encadrement intensif y restaient sur une période de temps prolongée, car un tel placement était considéré comme équivalent aux autres milieux de vie. Avant la réforme, il n’y avait pas de processus mis en place pour réviser la pertinence de la mesure lorsqu’un jeune était orienté dans une unité sécuritaire comme l’encadrement intensif. Ainsi, autrefois un jeune pouvait rester placé dans un centre de réadaptation fermé jusqu’à la fin de l’ordonnance de protection :

Extrait #2

Avant, on envoyait un jeune en encadrement intensif et quand il fonctionnait bien on le laissait là.

conseiller à l’accès

L’accent mis dans la loi sur le concept de dangerosité favorise le respect du droit à liberté des jeunes[12]. Cette clarification des critères d’admission fait en sorte que ce sont seulement les jeunes dont les conduites autodestructrices sont graves, persistantes et récurrentes qui seront orientés vers ce programme. L’obligation de réévaluer la pertinence du séjour[13] et la possibilité de recourir au tribunal de la jeunesse pour contester la mesure[14] sont aussi des éléments de la pratique désormais régis par la loi. Pour les intervenants, ces composantes ont pour objectif de protéger les jeunes contre les préjudices d’un potentiel abus de pouvoir. Les propos suivants illustrent en partie cette idée voulant que la possibilité de recourir au tribunal pour contester la décision d’orienter un jeune en encadrement intensif favorise le respect de sa liberté :

Extrait #3

Donc, ultimement, je pense que les droits des jeunes sont respectés, parce que c’est une mesure qui peut être contestée, par le parent ou par le jeune lui-même.

chef de service, milieu d’hébergement référent

Cependant, certains participants ont affirmé avoir remarqué qu’au début cette disposition aurait créé un climat d’insécurité entourant les prises de décisions. Certains conseillers à l’accès auraient appréhendé le fait d’avoir à justifier leur décision au juge en cas de contestation devant le tribunal de la jeunesse. Cela aurait fait en sorte que certaines décisions pouvaient être prises dans une logique où l’accent était mis sur les critères quantitatifs au détriment du jugement clinique :

Extrait #4

Dans les premiers temps, il y avait une espèce de rigueur qui, à mon point de vue à moi, ne faisait pas sens.

conseiller à l’accès

Extrait #5

C’était davantage dans des aspects juridiques. Cochez « oui », cochez « non » et si tu coches « non », il n’y va pas.

chef de service, milieu d’hébergement référent

Extrait #6

Au départ, il y avait une frilosité extrême pour envoyer un jeune en encadrement intensif. Je crois qu’on craignait beaucoup aussi tous les recours légaux.

chef de service, milieu d’hébergement référent

Toutefois, contrairement à cette perception que tous les jeunes s’opposeraient en contestant la mesure, il s’avère dans les faits que le recours au tribunal est peu utilisé. Entre 2008 et 2012, sept jugements à ce sujet ont été répertoriés dans la base de données CANLII (Lavoie, 2013). Dernièrement, l’enquête sur la prévalence des fugues au centre jeunesse de Laval ne rapportait aucune nouvelle plainte devant le tribunal concernant l’utilisation de l’encadrement intensif (Lebon, 2016).

En réaction aux constats que les conditions de vie de certains jeunes placés en centre de réadaptation en vertu de la LPJ étaient similaires à celles des jeunes délinquants, l’objectif principal de la réforme visait à concilier le droit à la liberté et le droit à la protection (Desrosiers et Lemonde, 2007). L’évaluation systématique, qui s’appuie sur le concept de dangerosité et les critères de gravité, d’intensité et de récurrence qui lui sont associés, permet le resserrement du processus d’admission en encadrement intensif. Moins de jeunes y sont placés et lorsqu’ils y sont orientés, un examen périodique de la pertinence de la mesure est désormais mis en place. Cette obligation d’évaluer périodiquement la pertinence du séjour en encadrement intensif fait en sorte que la liberté du jeune sera brimée que le temps nécessaire à sa réadaptation.

3.2. Le caractère restrictif et exceptionnel de l’encadrement intensif

La nécessité de tenir compte du droit à la liberté des jeunes placés pour leur protection s’est immédiatement fait sentir sur l’infrastructure des centres jeunesse[15]. En avril 2007, l’Association des centres jeunesse du Québec (ACJQ) comptabilisait, dans l’ensemble du réseau, 71 unités avec la désignation d’encadrement intensif. Après l’adoption de la réforme, il en restait seulement 29 en septembre 2010 (CDPDJ, 2011). Le nombre de places d’hébergement disponible est donc passé d’environ 865 à 350 lits[16]. Aux yeux des participants, ces changements ont eu de nombreuses conséquences. Premièrement, il a fallu réduire considérablement le nombre d’unités d’encadrement intensif :

Extrait #7

Toutes les [anciennes] unités d’encadrement intensif ont été transformées en encadrement dynamique. Donc, on a ouvert la porte de la réception et les portes des unités.

chef de service, milieu d’hébergement référent

Tel que l’illustre l’extrait précédent, la réforme a engendré des modifications architecturales dans les institutions. Plus spécifiquement, il s’agit de la disparition des portes verrouillées et des clôtures à l’extérieur des centres de réadaptation[17]. Plusieurs associent l’abolition de ce dispositif sécuritaire et la réorganisation de l’offre de service qui suivit avec un alourdissement de la clientèle desservie par leur service d’hébergement. Cette impression de faire face à des jeunes ayant de plus lourdes problématiques est présente de manière unanime dans les discours des intervenants. À tous les paliers de services, c’est-à-dire du foyer de groupe à l’encadrement intensif, les participants exposent le sentiment d’être confronté à des jeunes dont les difficultés comportementales sont profondément cristallisées.

Extrait #8

On s’est retrouvé avec des jeunes, dans nos milieux, qui présentaient des difficultés plus importantes.

chef de service, milieu d’hébergement référent

Extrait #9

La lourdeur des cas est plus importante. T’sais au lieu d’avoir 3 filles dans l’unité avec des difficultés importantes, toutes nos 11 filles sont importantes.

intervenant référent

Deuxièmement, les intervenants qui travaillent dans les services d’encadrement intensif ont exprimé avoir rencontré certaines difficultés en lien avec l’ajustement de cette offre réduite versus la demande. Après la diminution des places d’hébergement disponible en encadrement intensif, certains services ont connu des périodes d’achalandage pouvant nuire à la qualité du travail de réadaptation. Les extraits suivants illustrent à quel point différents intervenants arrivent à un constat similaire. Ils observent qu’à partir d’un certain nombre de jeunes dans l’unité, les conditions de travail peuvent devenir non propices à l’accompagnement soutenu et personnalisé qui se doit d’être offert en encadrement intensif[18].

Extrait #10

Passé 9 [jeunes] c’est difficile au niveau de la gestion du groupe.

chef de service, encadrement intensif

Extrait #11

Au-delà de 8 jeunes, ça devient difficile de faire un travail rigoureux. […] Parce que, plus il y a de jeunes et plus il y a de stimuli.

chef de service, encadrement intensif

Extrait #12

Avoir un groupe de 12-14 jeunes dans la même unité de vie, ça n’a pas de sens. Il vient à manquer d’air pour tout le monde.

intervenant, encadrement intensif

Troisièmement, les participants associent très clairement les modifications engendrées par la réforme à l’augmentation considérable du nombre de fugues. Le fait d’avoir déverrouillé les portes des unités afin de faciliter la circulation dans le centre susciterait chez certains jeunes la tentation de fuir à la moindre frustration :

Extrait #13

Maintenant, lorsqu’un jeune est choqué, il se pousse, il s’en va et il fugue. On n’avait pas ces problèmes-là [avant la réforme].

chef de service, intervenants référents

Extrait #14

À cause que les portes sont ouvertes, on a eu une élévation du nombre de fugues.

conseiller à l’accès

En sachant très bien que les jeunes en fugues sont vulnérables et susceptibles de se retrouver en situation de danger, les intervenants craignent pour la sécurité de ceux dont ils ont le mandat de protéger. Confrontés à l’impuissance, ils estiment que ces changements ont eu comme conséquence de leur enlever des moyens d’intervention. Sans la possibilité de recourir à la contrainte aussi facilement qu’avant la réforme, ils se sentent démunis au point de réclamer le retour aux pratiques coercitives d’autrefois.

Extrait #15

[Avec le retrait de l’encadrement statique], les gens avaient l’impression qu’ils perdaient des moyens pour venir en aide aux jeunes.

gestionnaire clinique

Extrait #16

Donc, à partir du moment où l’éducateur ne peut plus faire ça [restreindre la liberté du jeune en barrant la porte], il me dit : « je n’ai plus de moyen ».

chef de service, intervenants référents

Extrait #17

L’autre chose, c’est que je pense que l’histoire des portes fermées en bas, ça devrait se refermer. […] Je veux dire, ça permettrait aux unités dynamiques d’être en situation de moins grande impuissance.

conseiller à l’accès

Au printemps 2016, ce débat sur le niveau d’encadrement statique requis dans les centres de réadaptation pour contrer la fugue a refait surface dans l’actualité publique (Lebon, 2016). Cela nous porte donc à croire qu’il y a encore beaucoup à accomplir avant d’effacer les privations de liberté des pratiques de réadaptation. Ces résultats indiquent qu’il y a encore un énorme travail de sensibilisation et de créations de pratiques alternatives pour que le réflexe de recourir au placement sécuritaire s’estompe des mentalités. Au lieu de retourner en arrière, nous sommes d’avis qu’il serait préférable d’investir dans la formation continue des intervenants. Permettre à ceux-ci de s’approprier les approches et les outils développés pour soutenir la réadaptation des jeunes[19] estomperait probablement ce sentiment d’impuissance. Pour nous, cette consolidation des compétences cliniques des intervenants va de pair avec l’exigence qu’a la DPJ de rendre des services adaptés aux besoins des jeunes[20].

3.3. La recherche de solutions alternatives

L’avènement du nouvel environnement juridique a été perçu pertinent, nécessaire et utile par la majorité des participants. Selon eux, la réforme fut bénéfique pour l’avancement des pratiques de réadaptation puisque les changements ont provoqué une réflexion des acteurs sur l’intervention auprès des jeunes en difficulté. Ce questionnement sur la réadaptation et les services offerts a permis de bonifier les approches d’intervention de l’ensemble des unités de réadaptation. Cette démarche a entraîné une révision des programmes d’intervention ainsi que des pratiques. Plusieurs participants ont invoqué le fait que la réforme a consolidé l’approche psychoéducative (Gendreau, 2001) dans le développement des programmes d’intervention. Cela a aussi permis de revoir l’implantation de la méthode cognitive-comportementale (LeBlanc, Dionne, Proulx, Grégoire et Trudeau-LeBlanc, 2002; LeBlanc et Trudeau-LeBlanc, 2014) dans l’élaboration des activités spécifiques de réadaptation. Comme les extraits suivants l’expriment, ce vent de changement s’est fait sentir dans la plupart des milieux de vie :

Extrait #18

La venue de l’encadrement intensif ça l’a obligé à revoir nos pratiques.

gestionnaire clinique

Extrait #19

[Depuis la réforme], il y a beaucoup de réflexions qui se font. […] Et un désir de travailler autrement.

chef de service, intervenants référents

Toutefois, le changement le plus radical est celui qui a mené à la conception d’une programmation spécifique et à l’élaboration d’outils d’intervention propres aux unités d’encadrement intensif et qui n’existaient pas avant la réforme. L’élaboration de la philosophie d’intervention à préconiser dans les unités d’encadrement intensif s’est articulée en puissant dans trois modèles d’intervention dont l’efficacité a été démontrée dans d’autres contextes. Plus précisément, le modèle théorique de la préparation au changement (Prochaska, DiClemente et Norcross, 1992) et l’approche motivationnelle (Miller et Rollnick, 2006) servent de repères pour déterminer la réceptivité et le degré de reconnaissance du jeune dans sa démarche de réadaptation. La gestion clinique du risque (Andrews, Bonta et Hoge, 1990) facilite l’inscription du recours à l’encadrement intensif selon le critère de dangerosité prévu par la loi. De plus, ce référentiel théorique aide à identifier les cibles prioritaires à inclure dans le plan d’intervention (Brault et Lafortune, 2009).

Pour promouvoir la mise en place de ces nouvelles pratiques, deux manuels de formation ont été produits (Brault, Lachance et Sarrazin, 2009; Brault et Lafortune, 2009). L’élaboration de ce cadre d’intervention vise à soutenir le jugement clinique des intervenants en vue d’une standardisation du processus de réadaptation. Pour certains des intervenants rencontrés, le travail accompli lors d’un séjour en encadrement intensif se distingue de ce qui se fait dans les unités d’origine. Dans les passages ci-dessous, les participants expliquent ce changement et illustrent l’impact prometteur de ce dernier sur la réadaptation des certains jeunes :

Extrait #20

Avant dans l’ancien encadrement intensif, je pense qu’il n’y avait pas d’approche aussi intensive sur des [motifs] aussi spécifiques.
C’est comme si on a mis un milieu thérapeutique en accéléré.

conseiller à l’accès

Extrait #21

Le changement de la loi sur l’encadrement intensif au niveau de la LPJ, ça amène nécessairement la création d’un programme spécifique d’encadrement intensif pour ces jeunes-là, avec la création d’outils concomitants.

chef de service, intervenants référents

Ce caractère différent du programme de réadaptation conçu pour les unités d’encadrement intensif amène certains participants à dire que les intervenants de l’encadrement intensif ont développé au fil du temps une expertise qui leur est distinctive. Les extraits suivants illustrent la reconnaissance de cette spécificité clinique propre au milieu de l’encadrement intensif :

Extrait #22

Les éducateurs en encadrement intensif deviennent des spécialistes en intervention de crise. Ils sont vraiment bons pour arrêter les jeunes, les questionner, les amener à réfléchir.

chef de service, intervenants référents

Extrait #23

Moi, j’ai vu des jeunes faire des prises de conscience et des cheminements en 30 jours, qu’ils n’auraient jamais faits en 6 mois dans leur unité [de référence].

conseiller à l’accès

Toutefois, au moment de réaliser notre étude, cette spécificité dans l’intervention auprès des jeunes lors de leur séjour en encadrement intensif semblait avoir un effet indirect et indésirable sur la continuité de services de réadaptation. Pour certains intervenants, la difficulté d’arrimer les pratiques d’intervention à l’ensemble des milieux d’hébergement expliquerait en partie la récurrence des séjours en encadrement intensif de certains jeunes.

Afin d’assurer une continuité des services, le contenu clinique spécifiquement élaboré pour les unités d’encadrement intensif devrait maintenant faire l’objet d’une dissémination dans les autres milieux d’hébergement. Selon certains participants, il serait aussi temps d’envisager la création d’une mesure intermédiaire entre l’encadrement intensif et les autres unités de vie (Lavoie et Lafortune, 2015). Les extraits suivants mettent en lumière l’importance de diffuser l’approche motivationnelle de l’encadrement intensif dans l’ensemble des services de réadaptation :

Extrait #24

Si on a une approche, on utilise des méthodes, mais qu’il n’y a pas de suite au niveau des encadrements dynamiques ou réguliers, des fois c’est difficile la continuité.

chef de service, encadrement intensif

Extrait #25

Des fois, ils [intervenants de l’encadrement intensif] sont désespérés parce qu’ils nous disent : « on l’avait embarqué dans quelque chose, il était motivé ».

chef de service, intervenants référents

La réflexion sur les meilleures pratiques de réadaptation à mettre en place dans les unités d’encadrement intensif était toujours palpable au moment de la collecte des données. Notamment, un chef de service d’encadrement intensif se questionnait sur la possibilité d’ajuster la programmation de l’unité selon la thérapie comportementale dialectique élaborée par Linehan (2000) pour les filles ayant un profil s’approchant du trouble de personnalité état-limite. Bref, son discours est fortement empreint du souhait sincère d’adapter les services cliniques au profil spécifique des jeunes filles hébergées dans l’unité.

Extrait #26

Avant nous autres, on n’avait pas de cas psychiatriques. Là on est rendu avec des cas psychiatriques. Donc, qu’est-ce qu’on fait? Est-ce qu’on applique les mêmes approches? Est-ce qu’on va chercher d’autres approches?

chef de service, encadrement intensif

3.4. La mise en place d’un processus d’évaluation

Conformément au cadre légal[21], la décision de recourir à un placement sécuritaire en encadrement intensif doit reposer sur le « niveau de dangerosité que représente l’enfant pour lui-même ou autrui. » (CJM-IU, 2008, p. 9). La légitimité de la privation de liberté d’une mesure de placement en encadrement intensif se justifie par le fait que les comportements du jeune nuisent gravement à sa sécurité. Le niveau de risque se détermine par la probabilité que le jeune se place, à brève échéance, dans des situations susceptibles de porter atteinte à son intégrité physique ou psychologique (Brault, Lachance et Sarrazin, 2009). L’enjeu de l’évaluation réside dans la mise en place d’un processus décisionnel qui tient compte des connaissances scientifiques et empiriques du concept de dangerosité.

Pour atteindre cette validation scientifique, il a fallu un long travail d’opérationnalisation du concept de dangerosité. Ces travaux, amorcés bien avant la réforme de la loi, ont été réalisés par un comité d’experts piloté par ACJQ (Brault, Lachance et Sarrazin, 2009; Lafortune et Fenchel, 2010; Lafortune, Lachance et Fenchel, 2010). Au moment de réaliser cette recherche, l’outil qui permet de dresser le portrait comportemental et clinique du jeune en était à sa sixième version. Cet instrument de mesure est connu dans le milieu sous le nom de la Grille d’orientation vers un programme d’encadrement intensif. Il permet d’évaluer la gravité, l’intensité et la récurrence, au cours des trois derniers mois, des six comportements suivants : fugue, toxicomanie, violence, automutilation, conduites suicidaires (idéations et tentatives) et comportement sexuel problématique.

Ultimement, l’implantation systématique de cette procédure d’évaluation au sein de tous les centres jeunesse sert à uniformiser les pratiques (Despatie, Dunberry et Waddell, 2009). Grâce à ce rigoureux processus d’analyse, l’admission d’un jeune en encadrement intensif s’effectue sur la base d’une décision documentée et objective de la situation. Dans l’ensemble, nous avons constaté que l’outil d’aide à la décision est bien connu par les différents intervenants. Ils utilisent la Grille d’orientation pour dresser un profil comportemental complet et mettre en évidence les pistes de solutions alternatives qui ont été explorées :

Extrait #27

Quand on répond à ces questions-là [de la grille], ça nous permet d’avoir le niveau de difficulté relationnel de la jeune.

chef de service, intervenants référents

Extrait #28

Quand on est rendu là [à recourir à l’encadrement intensif] c’est parce qu’il y a vraiment beaucoup de choses qui ont été essayées.

gestionnaire clinique

Bien que la tendance générale aille dans ce sens, il est possible de constater que, dans certains cas de figure, des disparités subsistent. Certains participants dénoncent avec véhémence que d’un décideur à l’autre, parfois pour une situation de nature similaire, la décision d’admettre un jeune en encadrement intensif ne serait pas la même. C’est notamment le cas lorsque le jeune se mettrait en danger en s’engageant dans un mode de vie déviant. Étant donné que les infractions criminelles comme le vol, le recel, la vente de drogue sont régies par l’application de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA)[22], ces comportements ne devraient pas faire l’objet des motifs recevables pour appliquer une mesure d’encadrement intensif. Dans l’exemple suivant, la participante exprime qu’au travers son expérience, elle a pu constater des prises de décision non uniforme :

Extrait #29

Je me fais dire pour un, et je te dis que c’est vrai ça : « on ne peut pas pallier à la LSJPA » par une conseillère à l’Accès. Et dans la même journée, il y a une demande d’encadrement intensif qui est acceptée […] et c’est que des faits LSJPA: fugues, vol, vente d’arme, vente de dope. C’est juste ça qu’il y avait sur la demande.

chef de service, intervenants référents

Ce cas de figure nous donne l’impression qu’il reste encore ardu pour certains intervenants de bien distinguer le mandat respectif de chacune des lois. Nous pensons que ce réflexe de vouloir recourir à l’encadrement intensif pour un jeune qui commet des crimes punissables en vertu de la LSJPA vient de la confusion historique entre les deux types de clientèle. Rappelons le climat des premières institutions pour jeunes où l’application des punitions de toutes sortes, l’enfermement et l’isolement servaient à corriger et à éduquer (Cliche, 2007; Malouin, 1996). Bien que certains auteurs ont critiqué la valeur éducative de ce type de mesure (Gordon, 2003; Miller, 1984), l’emploi de telles pratiques où la privation de liberté sert à éduquer les enfants persiste dans les moeurs (Desrosiers, 2005).

La pérennisation de ce climat institutionnel axé sur la discipline et l’emploi de mesures restrictives de liberté se comprend au regard du concept d’inertie socioculturelle proposé par Lemay (2009). Ce concept explique comment l’avènement d’une réforme juridique engendre parfois peu de changement radical. Ses travaux sur le droit de la jeunesse montrent que les pratiques et les représentations tendent à se perpétuer par la force des habitudes et des réflexes fortement ancrés dans les traditions. Cette coutume d’associer l’usage de la privation de liberté dans un but de réadaptation s’avère être à nos yeux un résidu des pratiques qui existaient autrefois dans les écoles de réforme et d’industrie.

Aussi, le fait que ce soit encore la même autorité qui administre l’application des deux lois facilite cette dérive (Favreau, 2005). Ce dernier propose que l’application de la LSJPA soit sous la juridiction du ministère de la Justice et qu’aucun enfant bénéficiant des services sociaux de la LPJ ne puisse être hébergé dans les centres de réadaptation destinés aux délinquants juvéniles. Une telle distinction permettrait de « développer une expertise et de clarifier leur rôle auprès de leur clientèle et de la population » (Favreau, 2005, p. 67).

4. Conclusion

Au Québec, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, il est possible d’assurer la sécurité des jeunes dont les comportements sont dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui en recourant à un placement en milieu fermé. Dans le cadre de la recherche présentée ici, nous avons cherché à connaître et à décrire les impacts concrets de la réforme à l’encadrement intensif. Au regard des discours recueillis, il est clair que les changements provoqués par l’amendement à la loi ont favorisé un plus grand respect des droits fondamentaux des jeunes. Toutefois, concilier intérêt de l’enfant et respect de ses droits demeure un défi récurrent (Mayer et Keable, 2016). La qualité parfois variable de l'accompagnement clinique et les obstacles à la continuité des services sont parmi les enjeux que nous avons décelés.

L’étude présentée ici expose un seul côté, soit celui-ci du point de vue des intervenants en centres jeunesse. Afin de développer des services en adéquation avec les besoins de ces jeunes, il nous apparaît déterminant que des travaux futurs se penchent sur leurs trajectoires de vie et de services. Pour ce faire, un devis de recherche quantitatif, exploitant les abondantes informations contenues dans la base de données des centres jeunesse (Turcotte, 2007), pourrait comparer les jeunes ayant été admis en encadrement intensif avec ceux pour qui une telle mesure n’est pas nécessaire. À l’instar de cet auteur, il nous semble crucial d’utiliser ces informations concernant les caractéristiques des usagers et les services offerts afin de favoriser la cohérence et la continuité du processus de réadaptation. Aussi, une comparaison entre le profil des jeunes bénéficiant du service d’encadrement intensif et celui des jeunes délinquants permettrait de valider ou non l’épineuse question de leur ressemblance clinique. Cet avis qu’il est adéquat de jumeler dans la même unité des jeunes délinquants avec des jeunes à protéger n’est pas partagé par tous les intervenants rencontrés (Lavoie, 2013).

Il serait aussi intéressant de recueillir les récits des expériences de jeunes et leurs parents. Qu’ont-ils retenu de cette expérience de services? À leurs yeux, comment ce placement sécuritaire influence-t-il la trajectoire de réadaptation? Dans ce type de travaux, il serait possible de s’intéresser à la valeur éducative et à l’effet d’un séjour en encadrement intensif. D’autres recherches en lien avec les droits des jeunes sont nécessaires. Il nous apparaît urgent de réfléchir à la mise en oeuvre du droit à être entendu et à celui de participer au processus décisionnel. Comment ont-ils l’impression de prendre part au processus de réadaptation? Quels sont les mécanismes mis en place pour qu’ils puissent prononcer et exprimer leur point de vue? Ces questionnements analysés sous la perspective tant des jeunes que de leurs parents seront forcément porteurs d’une autre facette de l’encadrement intensif.

Voilà des avenues de recherche pour soutenir le développement des pratiques d’intervention en encadrement intensif qui incarnent un respect accru des droits des jeunes. Toutefois, l’ampleur d'un tel chantier nécessite des investissements substantiels sur le plan financier et organisationnel. À cela, les résultats de recherche doivent être eux aussi valorisés dans la pratique. C’est via le partage des savoirs et l’innovation dans le déploiement des stratégies d'intervention que les services mis en place par les institutions de protection de la jeunesse répondront adéquatement aux besoins et à l’intérêt de l’enfant (Favreau, 2005).