Corps de l’article

1. Introduction

Durant plusieurs siècles, les enfants ont été considérés comme étant la priorité de leurs parents[1]. Après un travail de plus de 11 ans, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en 1989 la Convention relative aux droits de l’enfant[2]. Elle définit notamment les normes universelles quant aux soins, aux traitements et aux protections qu’un État doit accorder aux enfants[3]. L’article 12 fera l’objet de cet article : il exige que soit considérée l’opinion de chaque enfant sur les questions qui le concernent, selon le degré de maturité de l’enfant[4]. Ainsi, l’article 12 confère « un droit important qui autorise l’enfant à être l’acteur de sa propre vie, et pas seulement un bénéficiaire passif des soins et de la protection des adultes »[5].

Bien que le Canada ait ratifié la Convention, celle-ci n’a pas été incorporée au droit canadien[6]. Par contre, une présomption de common law prévoit que toute loi adoptée par un pays doit respecter les obligations juridiques internationales du pays en question, faisant partie ou non du droit interne[7]. Dans l’éventualité où un traité international n’a pas été incorporé au droit canadien, les tribunaux ne peuvent s’y référer que pour les aider à interpréter certains principes, notamment en matière de droits de la personne[8]. Les cours canadiennes confirment d’ailleurs que la Convention relative aux droits de l’enfant est une source de référence directe et commune pour ce pays[9]. Quelles sont donc les obligations du Nouveau-Brunswick en ce qui concerne la représentation de l’enfant devant les tribunaux? En juin 1993, le Nouveau-Brunswick a d’ailleurs affirmé, après avoir évalué ses lois et ses programmes, que ceux-ci respectaient juridiquement et fondamentalement le but de la Convention[10].

En vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents[11], l’adolescent qui est accusé d’un crime a « droit d’avoir recours sans délai, et ce personnellement, à l’assistance d’un avocat à toute phase des poursuites intentées contre lui »[12]. Par contre, le même droit n’est pas garanti dans le cas où un enfant serait impliqué dans d’une cause en protection de l’enfance ou en matière de garde et d’accès. Dans ces cas, le tribunal dispose de plusieurs moyens procéduraux pour entendre la voix de l’enfant – moyens qui sont prévus dans les lois provinciales : l’enfant peut être représenté par un avocat, un parent, un travailleur social ou toute autre personne; l’enfant peut être entendu directement par le tribunal; les parties peuvent soumettre au tribunal un rapport « voix de l’enfant » qui expose les points de vue de l’enfant par rapport à la situation, etc[13].

L’objectif de cet article est d’exposer le lecteur à la technique du rapport « voix de l’enfant » adoptée par les tribunaux du Nouveau-Brunswick pour entendre la voix de l’enfant dans les causes civiles. Pour ce faire, nous nous pencherons sur les décisions judiciaires qui discutent de ce moyen procédural. Ainsi, après avoir exposé l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant et les obligations qui en découlent (partie 1), nous discuterons de la manière dont les tribunaux du Nouveau-Brunswick prennent en compte la voix de l’enfant dans les instances civiles, notamment par l’étude d’un rapport « voix de l’enfant » (partie 2).

2. L’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant

La Déclaration des droits de l’enfant prévoit que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance »[14]. À cet égard, la Convention relative aux droits de l’enfant reconnait l’enfant comme un sujet de droit à part entière : un enfant jouit de la même protection constitutionnelle qu’un adulte[15]. Toutefois, certaines mesures de protection ont été ajoutées dans le but de répondre à la vulnérabilité de ceux-ci étant donné leur condition et leur âge[16].

Le paragraphe 12(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant garantit le droit à un enfant, s’il est capable de discernement, d’exprimer son opinion sur des questions qui le concernent. Cette opinion sera prise en considération selon son âge et sa maturité[17]. Le Comité des droits de l’enfant a précisé certains concepts. D’abord, chaque État partie doit établir des mesures adéquates dans le but de faire respecter ce droit[18]. Le Comité rappelle que toute forme non verbale de l’opinion de l’enfant doit être reconnue et considérée[19]. En ce qui concerne les termes « capables de discernement », le Comité a précisé que chaque État devrait présumer qu’un enfant est capable de se construire une opinion de façon autonome sur une question qui le concerne. Le Comité précise que l’âge seul ne peut pas déterminer si la Cour devrait ou non prendre en considération l’opinion de l’enfant[20]. La Cour se doit de regarder les deux critères, soit l’âge et le degré de maturité de façon individuelle pour déterminer si l’enfant est en mesure de formuler une opinion autonome sur une question qui le concerne[21]. L’enfant a également le droit de choisir s’il veut ou non exprimer son point de vue sur toute question qui le concerne et il est de son droit de ne pas subir de manipulation ou d’être soumis à une influence d’une tierce partie[22].

Le paragraphe 12(2) de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit le droit de l’enfant « d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant »[23]. Les États ont comme obligation de s’assurer que la procédure prévue pour la participation de l’enfant est accessible et adaptée en fonction des besoins de celui-ci[24]. De plus, l’enfant peut être entendu « soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié ». Le Comité explique que lorsqu’un enfant prend la décision d’exprimer son opinion sur une question qui le concerne, il doit choisir par la suite la méthode qu’il désire utiliser[25]. Il est primordial que ce soit l’enfant qui choisisse la méthode qu’il désire. Si l’enfant choisit d’exprimer son opinion à l’aide d’un représentant, celui-ci doit être compétent pour travailler avec des enfants et être familiarisé avec le processus décisionnel utilisé[26]. Le représentant peut être un parent, un avocat ou toute autre personne[27]. Cependant, il est essentiel que l’opinion de l’enfant soit transmise en fonction des désirs exprimés par l’enfant[28].

Le Comité des droits de l’enfant et le Comité sénatorial des droits de la personne ont constaté qu’au Canada, les droits accordés aux enfants sont souvent écartés et violés en raison de préjugés, d’obstacles politiques et économiques au Canada[29]. Au lieu d’adopter une loi fédérale qui garantirait aux enfants canadiens une protection uniforme de leurs droits reconnus par la Convention relative aux droits de l’enfant, le gouvernement canadien a préféré maintenir les lois provinciales existantes - qui offrent une protection différente selon le lieu géographique où se trouve l’enfant.

3. La voix de l’enfant dans les procédures de garde et d’accès : un portrait néobrunswickois

Comme le mentionne le juge Walsh de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick :

Applying the principles of the United Nations Convention on the Rights of the Child to the domestic law context, Martinson J. wrote:

Under the Convention all children have two separate though related legal rights to be heard in all matters affecting them, including judicial proceedings. The first is the right to express their views so long as they are capable of forming their own views. The second is the right to have those views given due weight in accordance with their age and maturity. A child’s evolving capacity will be relevant to how the views are expressed, and the weight or importance to be attached to them[30].

La Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario[31] et la Child, Family and Community Service Act de la Colombie-Britannique[32] prévoient qu’en matière de protection de l’enfance, un enfant a le droit d’être représenté par un avocat afin de faire valoir ses intérêts dans une instance qui le concerne[33]. Au Québec, l’enfant est reconnu comme sujet de droit : il peut être entendu lors de procédure judiciaire et administrative et peut avoir recours à un avocat dans n’importe quelle situation[34].

Au Nouveau-Brunswick, les enfants peuvent être entendus personnellement[35] ou par la voix de leurs parents ou d’un autre porte-parole responsable lorsqu’une question qui l’intéresse est présentée devant une Cour[36]. En 2016, la Loi sur les services à la famille a été modifiée pour permettre à la Cour de nommer un « avocat ou porte-parole responsable [pour] exposer les intérêts et préoccupations de l’enfant » lorsque des questions quant à sa garde sont soulevées[37].

Ainsi, l’opinion de l’enfant – en matière de protection de l’enfance et de droit de garde et d’accès au Nouveau-Brunswick – peut être transmise de différentes manières : (i) le ouï-dire; (ii) le témoignage devant la cour; (iii) une rencontre avec l’enfant en cabinet; (iv) une enquête effectuée par le Bureau de l’avocat des enfants; et (v) une évaluation indépendante effectuée sur l’ordre du tribunal[38]. Devant les tribunaux de la province, l’opinion de l’enfant est dans la plupart des cas transmise au tribunal au moyen d’un rapport « voix de l’enfant »[39]. En effet, comme le mentionne le juge Baird de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunwick :

[v]oice of the Child reports are very helpful in custody and access cases where children are of an age that they can be properly interviewed, where they are shielded from the necessity to appear and to give evidence themselves in the presence of strangers and their parents.[40]

Dans l’arrêt AFG c DAB, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick définit cette évaluation dite « voix de l’enfant » comme étant une « évaluation habituellement effectuée par un psychologue afin de connaître l’opinion de l’enfant dont les parents se séparent, afin d’aider le juge à prendre sa décision »[41]. Dans ce cas, l’enfant va rencontrer le professionnel de la santé – souvent un ou une psychologue – qui remettra un rapport à la Cour. Il est possible pour l’enfant de rencontrer cette personne à plusieurs reprises; des rapports peuvent être soumis à la Cour à différents intervalles[42]. Ces rapports peuvent porter sur tous les éléments au sujet de la situation de l’enfant :

L’obtention de renseignements de toutes sortes auprès des enfants, notamment de jeunes enfants, dans un large éventail de domaines pertinents afférents au litige peut aboutir à de meilleures décisions qui ont de plus grandes chances de donner des bons résultats. Ils ont des choses importantes à dire dans des domaines comme les calendriers, notamment le temps passé avec chaque parent, qui ont leur préférence, les activités parascolaires et les devoirs, les congés scolaires, les écoles et les allers-retours entre leurs deux foyers en précisant quel est à leurs yeux le meilleur arrangement. Ils peuvent également donner leur propre point de vue sur la vie qu’ils mènent, notamment sur les répercussions que la séparation a eues sur eux ainsi que la façon dont ils ont vécu la conduite de leurs parents[43].

En reprenant ses propres termes dans PRH c MEL, la Cour d’appel dans AFG c DAB confirme toutefois qu’un tribunal n’a aucune obligation d’ordonner une telle évaluation : « [u]n juge ne devrait ordonner une évaluation, laquelle suppose une preuve ou une opinion d’expert, que lorsque se posent une question ou un problème précis qui nécessitent l’intervention d’un expert »[44].

Il est important de garder en tête que la voix de l’enfant n’est qu’un seul des critères pris en compte par le tribunal pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’il se penche sur des questions de droit de garde et d’accès; pour en arriver à sa décision finale, le tribunal se penchera également sur l’état de santé de l’enfant, sur ces liens affectifs, sur son besoin de sécurité, etc.[45] Comme le mentionne la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick :

les tribunaux accordent habituellement une importance considérable aux recommandations d’un évaluateur, mais celles-ci ne sont qu’un des facteurs qu’ils doivent prendre en considération aux fins de leur décision. Le tribunal peut également choisir de ne pas tenir compte des recommandations de l’évaluateur.[46]

Toutefois, dans les cas où l’enfant est mature et bien articulé, un juge pourra accorder une importance considérable au rapport « voix de l’enfant » :

L’importance qui doit être accordée aux vues et aux préférences d’un enfant dépend évidemment des faits. Et, bien entendu, le choix ultime ne saurait revenir à une enfant, surtout à une enfant qui n’est âgée que de dix ans. Après tout, la Cour n’évalue pas seulement l’intérêt supérieur de l’enfant à court terme, mais celui à long terme également. Quoi qu’il en soit, les volontés d’un enfant sont importantes et, en l’espèce, je suis prêt à accorder un poids considérable à ce qu’elle a exprimé [étant donné que les explications que l’enfant a données à l’évaluateur sont cohérentes sur le plan de la logique et solidement fondées sur les expériences qu’elle a vécues jusqu’à présent].[47]

La prise en compte ou non de l’opinion d’un enfant dépend de son degré de maturité – et donc de son âge. Même si le Comité sur les droits de l’enfant a soulevé à plusieurs reprises que l’âge de l’enfant ne devrait pas influencer la Cour à prendre ou non en considération son opinion, la Cour supérieure du Québec (Chambre familiale) affirme que l’opinion d’un enfant de plus de 12 ans sera largement déterminante lorsqu’« il n’est pas capricieux, apparaît motivé, est formulé par un enfant mature, équilibré et capable de prendre une décision réfléchie, et ne résulte pas de l’influence indue d’un parent »[48]. L’opinion d’un enfant âgé entre 8 et 11 ans est fortement prise en considération[49]. Un rapport « voix de l’enfant » est rarement pris en compte par le tribunal pour un enfant de moins de 7 ans[50].

4. Conclusion

Aucune loi fédérale n’existe pour garantir à tous les enfants canadiens un traitement identique dans les causes de garde et d’accès. En matière de représentation devant les tribunaux, les droits des enfants diffèrent grandement d’une province à une autre : certaines autorisent la représentation d’un enfant par un avocat, d’autres permettent la représentation de l’enfant par l’entremise d’un tiers (parent, travailleur social), l’entretien entre le juge et l’enfant ou la soumission au tribunal d’un rapport « voix de l’enfant ». Est-ce que le Nouveau-Brunswick respecte ces obligations en matière de représentation de l’enfant? En matière de questions touchant le droit et l’accès, les tribunaux du Nouveau-Brunswick peuvent prendre en compte un rapport « voix de l’enfant » et accorder une importance variable en fonction de la maturité de l’enfant – souvent établie en fonction de son âge –, de la cohérence de ses propos et des autres facteurs à prendre en compte pour déterminer son intérêt supérieur. On peut donc dire que la voix de l’enfant – dans la mesure où l’enfant est en mesure d’exprimer cette opinion – est prise en compte par les tribunaux du Nouveau-Brunswick.

Par contre, la soumission d’un rapport « voix de l’enfant » n’est pas automatique. Dans certains cas, le tribunal jugera qu’un tel rapport n’est pas nécessaire. En Écosse, toute demande touchant à la protection de l’enfant ou à une question de garde et d’accès enclenche une obligation d’en informer l’enfant touché, qui peut ensuite soumettre son opinion au tribunal[51]. Plusieurs ont d’ailleurs affirmé que la voix de l’enfant est primordiale dans les procédures judiciaires qui le touchent[52] : un enfant ne devrait donc pas être empêché d’exprimer son opinion dans de telles procédures, s’il souhaite le faire. Le législateur néobrunswickois serait certainement à l’avant-garde des autres provinces canadiennes en prévoyant explicitement dans la loi provinciale le droit de chaque enfant d’être entendu dans les procédures judiciaires de protection de l’enfance et de garde et d’accès, dans la mesure où l’enfant est en mesure d’exprimer son opinion et ses voeux et s’il souhaite le faire. Des mesures appropriées, dont des fonds pour couvrir les frais associés à la production d’un rapport « voix de l’enfant » et des formations pour les avocats et juges qui traitent de ces dossiers, devraient être mises en place pour offrir aux enfants touchés par des décisions en matière de protection de l’enfant et en matière de garde et d’accès un forum pour que leur voix soit entendue.