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Tribune
Pour ceux qui parlent le français en Afrique, la question de la francophonie restera pendant encore longtemps primordiale. De nos jours, les Africains représentent à peu près la moitié du nombre total des francophones dans le monde, un chiffre qui ne cessera d’augmenter dans les décennies à venir du fait de l’énorme croissance démographique du continent. Dans ce sens-là, la lettre ouverte au président Macron du célèbre écrivain franco-congolais Alain Mabanckou publiée sur le site de l’Obs le 15 janvier a le mérite de dynamiser le débat.
Cependant, j’aimerais revenir sur plusieurs points soulevés dans la lettre. En premier, pour répondre à son affirmation que la langue française se porte bien en Afrique, je dirai tout le contraire, c’est-à-dire qu’elle se porte mal et même très mal. Pas en nombre de locuteurs « officiels », mais plutôt en termes de niveau de langue. Nombre d’enseignants sur le terrain vous le diront, la maîtrise de la langue française a tellement baissé qu’elle menace l’avenir de ceux qui l’ont adoptée comme langue seconde, langue officielle ou langue de travail.
Situation désastreuse
Comment des élèves africains peuvent-ils apprendre les mathématiques, les matières scientifiques ou littéraires alors qu’ils ne possèdent pas les outils linguistiques pour suivre les cours qui leur sont dispensés? Et qui dispensent ces cours? Dans le primaire et le secondaire, les maîtres et les professeurs peinent eux-mêmes à s’exprimer correctement. Cette situation désastreuse a un impact négatif sur nos institutions universitaires qui voient arriver des jeunes incapables d’intégrer les concepts de base.
Certes, des enseignants se battent envers et contre tout pour former quelques étudiants de bonne volonté, mais ce n’est pas suffisant. Les nombreuses crises politiques, économiques et militaires, ainsi que le manque d’ouvrages pédagogiques et de bibliothèques dignes de ce nom ont complètement sapé le système éducatif en français qui a besoin d’une réforme profonde si l’on veut donner aux jeunes Africains des chances de réussir dans la vie.
Concernant la question de la traduction, il est bien connu que, dans l’industrie du livre en France, il se publie beaucoup plus de traductions de l’anglais vers le français, que dans le monde anglophone, où l’intérêt est moindre. Les écrivains, universitaires et scientifiques franco-français font les frais de cette situation. Réussir une carrière universitaire, littéraire ou artistique exige une bonne connaissance de la langue anglaise. Il faudrait donc une volonté plus grande de la part des éditeurs français et francophones pour occuper le marché international.
Quant à la Francophonie « institutionnelle », je suis d’accord qu’elle doit en effet faire son mea culpa car elle n’a pas répondu aux attentes des pays émergents. La Françafrique doit disparaître pour laisser place à de nouvelles relations d’entente. Mais cette admission d’échec se retourne également contre nous. Avons-nous fait assez pour exiger de nos dirigeants plus de transparence, le respect des institutions démocratiques et la construction du bien-être social? La question est de savoir si nous serons un jour prêts à prendre les rênes de notre destin.
« Un dialogue des langues »
La francophonie en tant qu’espace de solidarité reste une possibilité qu’il serait imprudent de jeter dans les poubelles de l’Histoire. Nous avons des problèmes communs requérant l’énergie de tous pour arriver à des solutions durables. Je pense, par exemple, à la question environnementale qui nous touche tous en cela qu’elle menace la planète entière. Mais alors que l’Afrique est responsable de seulement 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, trente-six pays en Afrique subsaharienne sont parmi les cinquante pays les plus meurtris par le climat avec pour conséquence des catastrophes écologiques, sanitaires et alimentaires, sans parler des mouvements de population. Cette injustice ne pourra être combattue qu’à l’échelle mondiale, grâce à des actions concertées.
Il faut instaurer un dialogue des cultures, nous rappelle Musanji Ngalasso-Mwatha, et d’abord un dialogue des langues, dans des conditions à la fois réalistes et acceptables, en évitant la diffusion à sens unique, appauvrissante pour tous. Dans tous les cas, la véritable coopération entre les peuples trouve son fondement dans le respect mutuel, l’échange équitable et la solidarité agissante.
Il est grand temps d’inscrire la littérature du Sud dans l’imaginaire du monde francophone occidental qui inclut, entre autres, le Canada, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg. Quant à la littérature française, elle a sa propre histoire et ses propres canons. Les écrivains africains, tout en partageant la même langue, ont des préoccupations et une vision du monde qui leur sont particulières. La littérature écrite en français n’a pas besoin de se réclamer de la littérature française pour exister. C’est cette différence qu’il faut célébrer avant tout, car là se trouve la vraie francophonie débarrassée de son passé colonial.
Parties annexes
Note biographique
Véronique Tadjo, née d’un père ivoirien et d’une mère française, est écrivaine, universitaire et peintre. Son dernier titre, En compagnie des hommes, a été publié aux éditions Don Quichotte en 2017.
Note
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Texte initialement publié dans Le Monde du 26 janvier 2018. Récupéré de : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/01/26/il-est-grand-temps-d-inscrire-la-litterature-du-sud-dans-l-imaginaire-francophone-occidental_5247846_3212.html#b8IHRQzcQLuHrK2q.99