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Écrit par Robert Cheaib et traduit de l’italien par Robert Kremer, Au-delà de la mort de Dieu. La foi à l’épreuve du doute est un livre de grand public à saveur mystique où théologie – proprement dite – et anthropologie sont interreliées et s’éclairent mutuellement. Excepté le prologue, qui prend comme point d’appui la parabole de l’insensé de Nietzsche, les six chapitres du livre sont introduits par divers épisodes de l’histoire de Moïse qui servent de tremplin à différentes thématiques.

Le prologue, équivalant aux chapitres par ses 24 pages, cherche à éveiller ou réveiller le questionnement autant chez l’athée que le croyant, présentés comme « compagnons de route, dans une alliance silencieuse, à la recherche d’un possible sens à la vie humaine, à la quête d’un possible Dieu » (p. 25). Comme l’insensé de Nietzsche, qui s’étonnait de l’inconsidération collective concernant l’impact de « la mort de Dieu » sur la question de l’identité humaine, Cheaib cherche à stimuler ses lecteurs à l’examen du lien délicat qui les unit.

Le ch. 1 entame une réflexion sur « le silence de Dieu » par l’entremise des textes bibliques relatant le séjour pénible des Israélites en Égypte, s’échelonnant sur plus de 400 ans. Concédant que la question de « la mort de Dieu » est absente de l’A.T., Cheaib trouve cependant que la notion du silence de Dieu s’en approche en quelque sorte. La discrétion divine dans le temps, trame de fond de plusieurs récits bibliques, constitue entre autres l’espace de liberté divine et humaine. C’est là que le désir de l’homme pour Dieu peut être ravivé et « où le “oui” à Dieu a de la valeur précisément parce qu’il peut dire “non” » (p. 49).

Le chapitre suivant, inspiré des multiples femmes ayant contribué à la survie du bébé Moïse en dépit de l’ordre du pharaon, s’intitule « aider Dieu ». Il s’agit là d’une réflexion sur le mal et la souffrance dans l’optique de l’absence de Dieu dans l’histoire. Les croyants, loin d’avoir des oeillères quant à la présence du mal dans le monde, y sont encore plus sensibilisés par leur contemplation du Bien suprême que représente Dieu. Celui-ci est présent dans la souffrance via ceux et celles qui promeuvent la vie. Dieu lui-même souffre de la souffrance humaine dans l’incarnation du Christ. En reprenant les propos de Dietrich Bonhoeffer, Cheaib recadre la perspective : c’est ultimement le croyant qui est appelé à participer aux souffrances de Dieu pour la vie du monde.

Au ch. 3, le narratif sur le buisson ardent sortant Moïse de l’acédie spirituelle amène à penser le thème de « la surprise de Dieu ». Les interventions divines de « l’Éternel dans le temps » sont un paradoxe qui est source de valorisation de l’histoire pour son peuple et constitue une approche qui incite « à ne pas se référer à lui à partir de l’abstrait, mais du concret » (p. 85). Cette surprise divine au sein de l’arbuste enflammé est aussi manifestation de sa « com-passion », définie comme « pâtir avec » (p. 87). Cela conduit à une réflexion sur « l’impassibilité divine » (apheteia) qui, après une critique, est réhabilitée grâce à une distinction empruntée à saint Bernard (p. 88-90). D’autres exemples d’intervention inattendue de Dieu dans l’histoire sont illustrés par les témoignages de conversion subite d’André Frossard et Olivier Clément (p. 96-103).

Les trois derniers chapitres traitent respectivement de Dieu dans le désir, la pensée et l’amour.

Le meurtre de Moïse, ses quarante ans de solitude au désert, sa curiosité devant le buisson ardent représentent différentes modalités du désir qui, le long du chemin, sera raffiné par Dieu : de la frustration du désir, en passant par l’acédie, la nostalgie et l’émerveillement, le cheminement mosaïque mène finalement au désir de la vision béatifique (« fais-moi voir ta gloire »). L’avant-dernier chapitre traite surtout du nom de Dieu, Yhwh, de son mode d’être comme étant interpersonnel : être présent à quelqu’un et pour son peuple, et aux humains en particulier par l’entremise de la conscience. Enfin, le chapitre intitulé « Dieu dans l’amour » propose que Dieu cherche des personnes comme Christ au coeur « humano-divin », des humains qui se font écho du coeur de Dieu. Lorsque Dieu propose à Moïse de réinitialiser son plan en éliminant le peuple idolâtre, « Moïse perçoit dans ce ‘laisse-moi’ la supplication de Dieu qui veut opérer le salut, mais ne le peut que s’il en trouve le désir dans le coeur de l’homme et un espace pour le salut sur la terre » (p. 166).

En fin d’analyse, Au-delà de la mort de Dieu est un livre de théologie spirituelle bien écrit comportant plusieurs citations incisives de grands penseurs en théologie et en philosophie. La lecture est légère et agréable, stimulante sur le plan existentiel. Le style fait penser à Blaise Pascal. L’ouvrage vise le commun des mortels et n’a pas pour but d’approfondir des questions spécialisées en théologie.