Revue critique

FOI ET SAVOIR, DE L’ANTIQUITÉ À LA RENAISSANCELa constellation occidentale selon Habermas[Notice]

  • Rémi Caucanas

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  • Rémi Caucanas
    Faculté de philosophie – Études supérieures, Collège universitaire dominicain, Ottawa

« Comment comprendre aujourd’hui, de façon appropriée, la tâche de la philosophie ? » Alors que la philosophie fait face, comme de nombreuses autres disciplines, à une spécialisation croissante, le philosophe allemand Jürgen Habermas (né en 1929) propose ici une refonte stimulante de la modernité. Par-delà tous les déclinismes, il aiguille son lecteur sur les chemins d’une recherche motivante et positive pour l’avenir non seulement de la discipline philosophique mais pour l’ensemble de nos sociétés occidentales. De manière à éclairer donc des questionnements bien actuels, l’auteur propose une ample exploration de la généalogie de la pensée postmétaphysique. Partant de l’Antiquité la plus archaïque, s’appropriant en particulier le concept de “période axiale” forgé et défendu par Karl Jaspers, et déroulant le fil de l’histoire jusqu’à la Renaissance, Habermas analyse dans ce premier volume « la constellation occidentale de la foi et du savoir ». De manière stupéfiante mais non sans rappeler ses appels répétés à « s’approprier de manière systématique les motifs religieux », celui qui reste un philosophe agnostique des plus affirmés contribue ainsi de la manière la plus sérieuse et constructive au débat actuel sur le dialogue nécessaire entre foi et raison. En particulier il entend « examiner si la perspective adoptée par la pensée post-métaphysique lorsqu’elle se confronte aux traditions religieuses s’est transformée avec le regard généalogique portée sur l’origine commune de la métaphysique et du monothéisme ». Pour lui la philosophie doit examiner « attentivement, dans son rapport aux traditions religieuses, une compréhension de soi sécularisée, à la condition que la constellation présente de la pensée postmétaphysique, de la science et de la religion puisse être envisagée comme le résultat d’un processus d’apprentissage au fil duquel (sur la voie empruntée par l’Occident au fil de son évolution) la “foi” et le “savoir” se sont entrelacés (…). Une pensée postmétaphysique que sa propre généalogie a permis d’éclairer doit (…) parvenir à l’aperçu suivant : elle ne peut, dans le contexte d’une société mondiale multiculturelle, défendre véritablement l’autonomie de la raison commune qu’à la condition de se montrer disposée à l’apprentissage, sans renier pour autant son origine occidentale, et de s’impliquer dans la discussion interculturelle comme une protagoniste parmi d’autres. » (p. 147) Massif, ce premier volume se décompose en six parties d’épaisseur plus ou moins égale, regroupant généralement quatre chapitres chacune. Avec la période axiale comme pierre d’angle et une « première considération intermédiaire » comme “pause” bienvenue à l’issue de la troisième partie, on peut cependant diviser l’ouvrage en deux grands mouvements. Le premier pose une série de jalonnements conceptuels sur la problématique générale, sur la religion, sur les religions. À partir du quatrième chapitre, l’auteur opère un rétrécissement progressif sur l’Occident qui, avec des pages passionnantes sur l’histoire de l’Église présentée comme une corporation moderne, se termine sous les auspices de Machiavel et de Vitoria, au seuil même de la modernité. Mobilisant un patrimoine bibliographique colossal et un appareil critique remarquable – aux dimensions d’une carrière qui s’étale sur près de trois-quarts de siècle – l’auteur se saisit aussi de résultats issus de la recherche scientifique récente dans le domaine des sciences cognitives comme des religions comparées. Volumineux et dense, l’ouvrage s’adresse donc d’abord à un lecteur avisé et à un étudiant avancé. Mais doté d’une structure solide toute habermasienne, il se lit avec aisance… à condition de prendre et de maintenir un bon rythme de lecture. On ne peut d’ailleurs que rendre hommage au travail précis et propre qui a été mené par le traducteur Frédéric Joly et les éditions Gallimard (seule une coquille repérée, p. 725 !). On attend donc la suite avec intérêt. …

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