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La création de l’Association des Résidents en Psychiatrie de l’Université de Montréal, avec les conséquences majeures que l’entité a eues et a toujours sur la culture qui prévaut au sein du programme de résidence et du Département de Psychiatrie de l’Université, s’est organisée dans une période de bouleversements des soins psychiatriques au Québec.

Au début des années 1960, largement considérée comme une conséquence directe de la publication de Les fous crient au secours de Jean-Charles Pagé – un ancien patient de l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu – et de la vive réaction du public désormais au fait de la réalité asilaire des patients, la Commission Bédard examine l’état des soins psychiatriques dans la province. Ce rapport, combiné à l’arrivée d’une nouvelle philosophie et vision par rapport aux troubles mentaux désormais « curables », entraîne des changements en profondeur dans la pratique psychiatrique de la province. Au cours des années suivantes, les services en santé mentale sont aux prises avec des transformations majeures : une première vague de désinstitutionnalisation, une vision plus communautariste de la psychiatrie, l’encouragement à la dispensation de soins psychiatriques dans les hôpitaux généraux, et une plus grande valorisation de la pratique psychiatrique par différents moyens financiers et politiques, entre autres (Dorvil et Guttman, 1997).

Au milieu du vingtième siècle, il n’y a environ que 200 psychiatres pour l’ensemble de la province de Québec et une infime proportion des étudiants en médecine choisissent la pratique psychiatrique. Des suites du rapport Bédard vient une augmentation considérable des demandes d’application pour la résidence en psychiatrie[1]. En plus de l’optimisme ambiant devant la réorganisation des soins et la disponibilité croissante de nouvelles options thérapeutiques, la mise en place par le gouvernement de nombreux incitatifs financiers offerts aux étudiants qui choisiront cette formation, ainsi qu’aux omnipraticiens qui désirent réorienter leur pratique vers cette discipline, n’y est pas étranger. Entre le début des années 60 et le début des années 70, on assiste ainsi à une augmentation de 600 % des admissions au programme de résidence en psychiatrie (Dorvil, 1982).

Au début des années 60, les résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal doivent compléter une formation de 4 ans, afin de pouvoir ensuite se prévaloir du titre de psychiatre. Les années de formation sont divisées en différents stages obligatoires (psychiatrie adulte, pédopsychiatrie et psychosomatique), et stages optionnels (environ 1 an). Ils assistent également à des cours théoriques d’environ 3 heures en soirée, les mercredis. Ils doivent faire des thérapies de longue durée, mais la continuité de ces thérapies n’est pas nécessairement assurée lors des changements de stages. Les résidents sont payés entre 3000 $ et 5000 $ par année environ, salaire qui est en deçà de celui offert dans la plupart des provinces canadiennes, et peuvent être nourris et logés à l’Hôpital (Le Médecin du Québec, 1967 ; Castonguay et al., 1967). La plupart sont de garde un jour sur deux, et font donc souvent des blocs de 36 heures de travail en continu avant d’avoir une soirée et une nuit de repos. Il existe neuf milieux de stages affiliés à l’Université de Montréal : l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu, l’Institut Albert-Prévost, l’Hôpital Maisonneuve, l’Hôpital Notre-Dame, l’Hôpital Hôtel-Dieu, l’Hôpital du Christ-Roi de Verdun, l’Hôpital Sainte-Justine, l’Hôpital Saint-Charles de Joliette et l’Hôpital des Laurentides à l’Annonciation. Le contenu, mais surtout la qualité de la formation varie de façon significative selon les milieux. De plus, il n’existe pas, à ce moment, l’impression de faire partie d’un ensemble, d’un tout, ou même d’une force, étant donné que les résidents des différents milieux et des différentes années ne sont souvent pas en contact entre eux.

À l’image de sa société et des soins psychiatriques au Québec, la formation en psychiatrie à l’Université de Montréal amorce aussi une petite révolution. L’afflux de nouveaux résidents et de nouvelles idées par rapport à la psychiatrie moderne contribue à une remise en question du fond et de la forme du programme de résidence. C’est toutefois à travers le désir d’organisation des résidents, via la constitution d’une association, que prennent forme des revendications claires, qui provoqueront plusieurs changements et mutations de la formation de leur époque. Entre 1964 et 1965, les résidents s’organisent et créent l’« Association des résidents en psychiatrie affiliés à l’Université de Montréal », qui deviendra, au fil des années, l’Association des Résidents en Psychiatrie de l’Université de Montréal (ARPUM)[2]. À leurs yeux, la formation d’une association est devenue une nécessité. Il est bien clair que ce regroupement n’en est pas un proprement syndical. Toutes les questions sur les conditions de travail des résidents, notamment les salaires et les avantages sociaux sont plutôt gérés par le Syndicat des médecins résidents de Montréal[3] (Le Médecin du Québec, 1967). L’Association qu’ils forment se donne plutôt comme mandat d’aborder des enjeux propres au programme de formation en psychiatrie de leur université. Elle est un moyen pour échanger de l’information et créer des rapprochements entre les résidents des différents milieux, pour mieux prendre le pouls de l’expérience académique de tout un chacun. De par des échanges fructueux, ceux-ci veulent en arriver à dresser un portrait plus exact des forces et lacunes du programme, pour ensuite faire des propositions au programme de résidence et au Département de psychiatrie. Ils souhaitent par ailleurs bénéficier d’une représentation au sein des différents comités départementaux universitaires, alors qu’une telle chose n’était pas pratique courante, sauf pour 1 ou 2 comités. La présence de résidents sur les comités, en plus d’avoir une valeur pédagogique pour eux, permettrait de faire entendre leur voix dans les groupes de travail. Ils demandent également une réforme des cours théoriques. Pour plusieurs d’entre eux, l’assistance aux séances formelles d’enseignement est problématique étant donné la case horaire en vigueur, la dispersion géographique des résidents, et le nombre important de gardes. Ensuite, la formation de l’Association se donne pour but d’arriver à une forme d’évaluation des différents professeurs, le tout dans la confidentialité. Cela permettrait une amélioration de la qualité de l’enseignement, qui demeure franchement inégale. Enfin, l’autre objectif majeur est d’uniformiser la qualité des milieux de stages. La pertinence et la valeur de l’exposition varient, tout comme celles des activités académiques et de l’encadrement offert. Les résidents souhaitent donner une rétroaction formelle des milieux, pour que le Département prenne ensuite les mesures nécessaires afin de redresser la situation. À cette époque-là, les résidents jugent même que quelques milieux doivent opérer de gros changements, sans quoi ils méritent de perdre leur affiliation.

Ces efforts des résidents, pour façonner le programme à leur image, notamment via le principe de représentativité aux tables de décision, se poursuivent durant la majeure partie des années 1970. Chaque siège additionnel qu’occupent les résidents sur les différents comités est sujet de vifs échanges, même si les relations entre interlocuteurs sont généralement bonnes. Au cours de cette période, des gains progressifs sont faits en ce qui a trait aux cours théoriques, de même qu’au perfectionnement de la qualité de l’enseignement. Les résidents jouent notamment un rôle important dans la volonté de développement d’un stage en pédopsychiatrie offert à l’Hôpital Rivière-des-Prairies. Ils obtiennent aussi gain de cause en ce qui concerne la continuité des supervisions de thérapie : désormais, les résidents peuvent garder le même patient et le même superviseur, malgré les changements de milieux de stages. À cette période, l’arrivée de la thérapie « behaviorale » en Amérique du Nord se fait progressivement. Ce sont les résidents, sous la bannière de l’Association, qui cherchent à favoriser l’implantation de l’enseignement de cette thérapie à l’Université de Montréal, un milieu qui est encore largement réticent à tout autre courant qui n’est pas d’inspiration psychodynamique. À cette période, l’organisation développe un volet plus social parmi ses mandats, notamment avec la tenue de soirées « psycho-ciné », lors desquelles un patron du choix des résidents présente un long-métrage, suivi d’une interprétation à saveur psychodynamique[4].

Au début des années 1980, l’Association vit des moments plus difficiles. Ainsi, l’intérêt même des résidents pour le groupe s’essouffle pendant quelques années. Lors des élections habituelles, seulement 2 ou 3 membres sont intéressés à participer[5]. Lesdits membres doivent se diviser la tâche et faire des pieds et des mains pour assister à tous les comités où l’Association a une chaise désignée, afin de s’assurer de ne pas perdre les acquis de représentativité. Aussi, les finances de l’organisation sont en mauvais état. Beaucoup de résidents refusent de payer la cotisation qui n’est fixée qu’à 10 dollars, et il n’existe aucune autre forme de revenus à ce moment-là. Toutefois, l’Association fait preuve de sa grande utilité lorsqu’elle met en lumière une situation qu’elle juge injuste. Ainsi à cette même période, les finissants de l’Université de Montréal réussissent globalement assez bien les examens finaux du Collège des Médecins du Québec et du Collège Royal du Canada, et sont au-dessus des moyennes canadiennes[6]. Cependant, lors d’une année en particulier, sans raison évidente, un nombre important d’échecs touchent les résidents à une seule des deux épreuves. Après vérification, il semble y avoir eu des inégalités dans l’administration de l’examen en question. Par la voix de l’Association, les résidents font part de leur constat aux responsables du Département qui s’assurent que des moyens sont dorénavant pris afin d’éviter une autre situation du genre dans le futur.

Lors de la décennie des années 90, le programme de formation en psychiatrie est à nouveau en proie à de grands changements dans sa structure. À partir de la promotion de 1993 – groupe de résidents ayant entrepris leur formation en 1988 –, la résidence s’échelonne sur 5 ans[7]. Les principaux intéressés doivent faire environ 6 mois de « tronc commun médical », puis environ 1 an et demi de psychiatrie adulte. Par la suite, ils font entre 6 mois et 1 an de pédopsychiatrie, en plus de la gérontopsychiatrie[8], de la consultation-liaison[9], et des stages optionnels. L’enjeu des formations en psychothérapie refait surface, les résidents désirant avoir la possibilité de se former en thérapie cognitive, et en thérapie interpersonnelle, notamment. La situation demande des pressions de la part de l’Association, la thérapie psychodynamique occupant encore largement l’espace dans l’esprit des superviseurs et dans le cursus de la résidence. Parmi les autres sujets préoccupants, le contingentement des postes offerts en milieu universitaire commence à devenir une réalité, les règles se resserrant durant toute la décennie. Le gouvernement provincial s’inquiète du manque de psychiatres en région, et impose des mesures incitatives, mais également restrictives, pour tenter de corriger cette pénurie, notamment via des pénalités salariales de 30 % pour les jeunes diplômés sans nomination et poste universitaires qui désirent tout de même s’installer en région universitaire[10]. Le début d’une certaine compétition entre les résidents s’installe dans la mesure où l’Université ne choisit officiellement qu’environ 1 ou 2 résidents par année pour rester en milieu universitaire. L’Association fait alors des représentations aux différentes instances pour favoriser une transparence optimale des règles d’attribution des postes. À noter qu’à cette période, encore une fois à l’image des pratiques du temps, le regroupement reçoit plusieurs subventions des compagnies pharmaceutiques, notamment pour tout ce qui touche les activités de formations ou encore pour les activités à caractère plus social. Il existe un certain faste au sein de l’Association et les finances, tout comme la participation, vont bon train.

Depuis les 15 dernières années, le dossier du nombre limité de postes universitaires disponibles demeure un sujet fréquent d’échanges et d’interventions. À partir de l’année 2000 environ, les formations complémentaires deviennent officiellement une nécessité pour occuper un poste universitaire. L’Association continue de demander une amélioration du processus d’attribution des postes, et plusieurs avancées se font faites à cet égard. Le regroupement, durant cette période, mais aussi à plusieurs moments au fil de son existence, n’hésite pas à avoir un rôle plus politique et à multiplier les interventions et représentations auprès des différents interlocuteurs, dirigeants politiques et autres organisations médicales syndicales. L’Association assure un rôle majeur de transmission bidirectionnelle des informations, entre les résidents et les dirigeants du Département. À cet égard, l’ARPETE, la communication mensuelle de l’Association, rassemble toutes les informations et nouvelles pertinentes pour les résidents. Les temps ayant changé, la méthode de financement de l’Association est revue à plusieurs reprises, afin d’éliminer progressivement l’apport des compagnies pharmaceutiques, pour en arriver à une certaine forme d’autofinancement, avec l’aide des départements hospitaliers. Le groupe est toujours à la recherche de solutions créatives pour améliorer l’expérience académique de la résidence. La création d’un logiciel pour compiler les heures de psychothérapies en est un exemple. Des prix à l’enseignement, offerts à des professeurs s’étant distingués par leur implication dans la formation des résidents, continuent d’être remis annuellement, depuis plus d’une décennie. L’organisation assure un rôle de développement professionnel, avec l’organisation de formations médicales continues annuelles – également apparues de façon plus systématique à cette période – de même que de conférences plus ponctuelles sur des sujets connexes à la pratique psychiatrique.

Pour les anniversaires du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, du programme de résidence, et pour celui de l’Association des résidents en psychiatrie de l’Université de Montréal (ARPUM), il est éclairant de revisiter les enjeux et le contexte clinico-académique, de même que sociopolitique, qui a vu la naissance du regroupement. Les différents enjeux dont l’Association s’est faite le porte-parole à travers les années se révèlent être le reflet de tiraillements et de problématiques plus larges qui ont également secoué la psychiatrie québécoise moderne au même titre que l’enseignement médical en général. Un regard sur le passé dépeint aussi un portrait qui est étrangement familier pour les résidents actuels. Les défis, les changements organisationnels, les incertitudes, les dissensions et leur résolution ont une certaine résonnance pour l’expérience du résident contemporain qui tente de tracer son chemin à travers cette période cruciale de son éducation.

À l’heure des bilans, la nécessité et la pertinence de l’ARPUM ne sont plus à prouver. Le regroupement contribue bien sûr au bien-être des résidents, mais également à leur formation. L’Association a été un moteur de changement et de renouveau pour un enseignement de qualité en psychiatrie à de multiples moments-clés de son histoire. Le département et la formation en psychiatrie en sont sortis gagnants et enrichis. Même la participation active dans l’entité est des plus éducatives pour le résident qui s’intéresse à la gestion, à la collaboration, mais surtout à la mécanique de la formation psychiatrique, actuelle et future. L’histoire regorge de résidents qui ont joué un rôle dans l’ARPUM et qui ont par la suite excellé dans leur domaine respectif. Ces résidents, une fois psychiatres, ont fréquemment eu des postes de leadership au sein même du Département de psychiatrie, et ont à leur tour prêté une oreille attentive au point de vue des résidents. La communication entre les résidents, les psychiatres et les têtes dirigeantes du programme de résidence et du Département a été de tout temps admirable, permettant l’établissement d’un climat d’apprentissage et de travail qui favorise l’épanouissement personnel et professionnel de tous, résidents et patrons.

L’Association a assuré et assure toujours le façonnement d’un département universitaire pour qu’il devienne un département à l’image des résidents, respectant leur vision et leurs aspirations. Le travail passé et actuel des résidents au sein de l’ARPUM explique aujourd’hui, au moins en partie, l’excellence du programme de formation, tout comme la vivacité et le rayonnement du Département. Tous méritent des félicitations.