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Pour souligner le cinquantième anniversaire du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, nous avons choisi de présenter la contribution de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal (IPPM) au développement et au rayonnement de la vie universitaire, en présentant son dossier académique en vue de l’obtention d’un renouvellement à long terme.

Identification et renseignements personnels

L’histoire de l’Institut Philippe-Pinel et celle de notre Département universitaire sont étroitement liées et commencent toutes deux il y a 50 ans. En effet, le 23 janvier 1964 l’Hôpital psychiatrique de Bordeaux devient officiellement l’Institut Philippe-Pinel de Montréal. Il est alors administré par une corporation qui réunit des universitaires et des partenaires importants sous la présidence du juge Ouimet.

Quelques années auparavant, suite à la publication du livre Les fous crient au secours, la Commission Bédard (Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques) avait été créée. Au terme de ses travaux, la Commission recommandait la construction « immédiate et urgente » d’un hôpital psychiatrique à sécurité maximale. Elle spécifiait également que ce nouvel hôpital devrait « s’affilier aux universités et procurer aux étudiants de différentes facultés un enseignement pratique dans le champ de la psychiatrie légale ». Un groupe de travail fut dès lors constitué, afin de concevoir cet hôpital moderne adapté aux besoins de la clientèle, dans un environnement approprié, groupe qui comptait notamment sur la participation du directeur du Département universitaire de psychiatrie, le Dr Camille Laurin[1]. Dès sa conception, l’IPPM se destinait donc à devenir un lieu de formation et d’enseignement universitaire.

Quelques années se sont écoulées entre la création de la Corporation Pinel et l’inauguration de l’Institut, dans les locaux que nous lui connaissons, le 4 février 1970. Peu après, en 1975, le lien de l’Institut Pinel avec l’Université de Montréal était concrétisé dans un premier contrat d’affiliation.

Le premier directeur général de l’Institut Pinel, le docteur Lionel Béliveau, sera en poste pendant 30 ans. Au départ, il rallie quelques psychiatres, les docteurs Hélie, Marquette, Laberge, Morand, Talbot et Wolwertz, puis Maufette et Thibault, qui ont tous un point commun : ils ont été ses résidents au pavillon Albert-Prévost (dont le directeur scientifique n’était nul autre que Camille Laurin). Ils mettent en place une philosophie de soins et de services uniques. C’est aussi la naissance de la psychiatrie légale au Québec. En 1999, le docteur Lafleur prend la relève à titre de directeur général et sera suivi des docteurs Aubut et Fugère. Tous trois sont membres de notre Département universitaire.

Dès le départ également il est question de lits pour adolescents impulsifs et violents, les institutions des années 60 étant désuètes et inadaptées. Les docteurs Garneau et Lapointe, psychiatres attachés au tribunal de la jeunesse, suggèrent de réserver jusqu’à 80 lits, mais tous les intervenants se questionnent sur la cohabitation avec des adultes dans le même hôpital. En 1970 et 1971, quelques adolescents condamnés à la prison pour adulte sont envoyés à l’IPPM. Le docteur Marquette, formé en Angleterre, se montre très intéressé à un projet d’unité pour adolescents. En 1972 le juge Fauteux confie au docteur Béliveau la garde d’un jeune parricide de 17 ans, tel que le lui permet la loi. Ainsi naît l’unité des adolescents. Le docteur Marquette en assumera la responsabilité jusqu’en 1982, et le docteur Morissette prend le relais jusqu’à aujourd’hui. En 1992 la clinique externe pour adolescents agresseurs sexuels ouvre ses portes et est actuellement sous la responsabilité du docteur Robert Quenneville. En 2010 est mise en place la Clinique Réseau Jeunesse qui dessert les tribunaux, les centres jeunesse et l’ensemble des pédopsychiatres du Québec. Elle est dirigée par le docteur Gignac.

Formation, diplômes, maintien de la compétence, expérience

Dès 1970, les jeunes médecins de l’Institut souhaitent parfaire leurs connaissances. La psychiatrie légale en est à ses balbutiements et les références théoriques sont quasi absentes. Le Dr Béliveau encadre l’équipe en organisant des séminaires et discussions de groupe. Ensemble, ils cherchent, se documentent et valident des hypothèses. Le docteur Ellenberger, le docteur Cormier (fondateur de la première clinique de psychiatrie légale au Canada à l’Université Mc Gill en 1955) accompagnent l’équipe au départ et le docteur Maxwell Jones vient implanter son approche de communauté thérapeutique, approche qui montrera vite ses limites avec la population prise en charge. Un modèle hospitalier plus classique est alors mis en place. Tout est à élaborer en psychiatrie légale et dans le soin aux patients violents. De nombreux programmes sont mis en place, pour délinquants sexuels (Dr Aubut), pour antisociaux, patients des pénitenciers (Dr Durivage), troubles limites (Dr Dru), pour femmes (Dre Roy), etc. Tous s’aventurent en terrains peu connus et jouent souvent le rôle de pionniers comme avec les populations d’adolescents. Les programmes d’expertise (Dr Talbot et Dr Wolwertz) sont bien sûr eux aussi à l’avant-plan et « inventent » au fil du temps la psychiatrie légale au Québec. Ils sont étroitement liés à la psychiatrie carcérale et les psychiatres de l’IPPM agissent comme consultants dans plusieurs prisons et pénitenciers. La psychiatrie légale se développe et prend de plus en plus d’importance ici et ailleurs. Elle est en quête de reconnaissance.

Malgré 2 tentatives infructueuses depuis près de 30 ans, les docteures Fugère et Roy réussissent à obtenir la reconnaissance de cette surspécialité par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Suite à 3 ans de préparation, le Département de psychiatrie et l’IPPM, en partenariat avec le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de l’Énergie, offrent depuis 2014, le seul programme francophone de surspécialité en psychiatrie légale en Amérique du Nord, dirigé par le docteur Watts auquel succédera la docteure Brault. La première résidente de ce programme terminera sa formation en juillet prochain.

Seize psychiatres de l’Institut ont préparé et réussi l’examen de surspécialité du Collège royal en psychiatrie légale. L’hôpital dispose donc actuellement du plus important contingent de psychiatres légistes au Québec.

Enseignement

La mission de l’Institut a toujours été d’offrir des soins et services psychiatriques de qualité à une clientèle vulnérable et délaissée, mais aussi d’être un haut lieu de formation et d’enseignement, reconnu ici et à l’étranger.

Nommé en 1975, le Dr Laberge fut le premier directeur de l’enseignement de l’Institut. L’année suivante, coïncidant avec son premier contrat d’affiliation avec l’Université de Montréal, l’Institut accueille ses premiers résidents en psychiatrie et offre un enseignement de qualité à nombre de stagiaires de différents horizons. Le Docteur Talbot fut un pionnier de cet enseignement et le mentor de toute une génération de psychiatres intéressés à la pratique légale.

La spécificité de l’hôpital en matière d’évaluation du risque, de traitement et de réadaptation de patients violents, d’agresseurs sexuels, d’adolescents perturbateurs et d’expertise psychiatrique criminelle permet d’offrir des stages uniques dans le réseau. L’implication soutenue des psychiatres et pharmaciennes (Nancy Légaré) dans les cours formels et les séminaires aux résidents est aussi une longue tradition. Il en est de même pour les activités d’évaluation, d’admission et les activités pédagogiques (Dre Bouchard et Dr Bédard-Charrette, leaders pédagogiques). Nous verrons plus loin que cet intérêt pour l’enseignement et la « chose universitaire » s’est aussi inscrit dans d’importantes contributions à l’institution.

La Direction de l’enseignement met également en place un grand nombre d’activités d’enseignement et de formation continue spécifiques à la psychiatrie légale ou de façon plus large à la violence et l’évaluation du risque de violence (séminaires d’expertises, vendredi de la psychiatrie légale, colloques nationaux et internationaux). Ces formations s’adressent non seulement aux psychiatres, mais aussi à l’ensemble des professionnels de la santé mentale et à nos partenaires des milieux judiciaires, communautaires, carcéraux et policiers. En ce sens, l’Institut est reconnu comme un des chefs de file de la formation multidisciplinaire.

Recherche et érudition

En 1977 naît le service de recherche dont la direction est assurée par Sheilagh Hodgins de 1982 à 1992. Elle demeure associée au centre encore aujourd’hui. Dans les années 90, le service devient un centre de recherche que dirige Gilles Côté depuis 1998. Depuis 2003 l’IPPM est responsable de l’axe de psychiatrie légale au sein d’un partenariat qui regroupe le Centre Fernand-Seguin et le Centre de recherche de l’Hôpital Rivière-des-Prairies. En septembre 2014, l’Institut inaugurait un laboratoire de réalité virtuelle, un des premiers au Canada. Il s’agit d’un équipement d’avant-garde qui repose sur une approche multidisciplinaire intégrant la psychologie, la psychiatrie, les neurosciences et le génie logiciel multimédia. En 2015 pour la première fois un chercheur clinicien, Alexandre Dumais, est nommé suite à l’obtention d’une bourse junior 1 du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Il consacre la collaboration clinique-recherche si longtemps attendue. Les recherches portent sur les troubles de comportements violents, l’impulsivité, la délinquance sexuelle, les facteurs physiologiques et psychosociaux de la violence, etc.

Outre les nombreuses publications des chercheurs, d’envergure internationale pour plusieurs (Hodgins, Côté, Proulx, Joyal, Dumais, Renaud, etc.), les cliniciens ont aussi contribué à des ouvrages de référence en délinquance sexuelle (J. Aubut : Les agresseurs sexuels, 1993) et en psychiatrie générale (Lalonde, Aubut, Grünberg : Psychiatrie clinique, une approche biopsychosociale, 2001 ; Millaud : Le passage à l’acte, 1998, 2009). De nombreux psychiatres de l’IPPM ont collaboré à la rédaction de ces ouvrages collectifs et ont publié des articles scientifiques.

Toutes ces publications et recherches contribuent aussi à l’important rayonnement international de l’Institut.

Contribution au fonctionnement de l’institution

Les psychiatres de l’IPPM ont, depuis toujours, maintenu un grand niveau d’implication au sein de notre Département universitaire et de la Faculté de médecine. Ainsi les postes de directeur du département (Dr Hébert), directeur adjoint du département (Dr Gignac), directeur de programme (Dr Gignac, Dr Aubut), adjointe à la directrice du programme de résidence (Dre A.-M. Bouchard) et même de vice-doyenne adjointe aux études médicales postdoctorales (Dre Roy) ont été ou sont occupés par des « pinéliens » engagés et passionnés par l’enseignement et l’académisme. Plusieurs ont assumé ou assument la responsabilité de comités : Comité de nominations et de promotions du département (CONOM), Dr Millaud ; Formation continue, Dr Aubut, Dre A.-M. Bouchard.

Rayonnement

Le rayonnement national et international de l’IPPM s’est accru de manière importante à compter des années 80. Le Dr Aubut et ses proches collaborateurs suscitent alors l’intérêt des experts de l’Europe francophone avec le programme de traitement pour les délinquants sexuels. L’expertise en psychiatrie légale, les projets cliniques pour les personnalités criminelles et le travail auprès d’adolescents violents ne sont pas en reste.

À la fin des années 80, le docteur Béliveau, en collaboration avec l’Université de Montréal invite le professeur David N. Weisstub à devenir titulaire de la chaire de psychiatrie légale et d’éthique biomédicale à la Faculté de médecine. Ce dernier, juriste mondialement connu permet de renforcer le rayonnement international des deux institutions et donne des tribunes importantes aux cliniciens par le biais des congrès de l’Académie Internationale de Droit et Santé mentale et de la plus importante revue de psychiatrie légale, l’International Journal of Law and Psychiatry, dont il est l’éditeur en chef. En 2001 l’Institut est chargé d’organiser la section francophone du congrès qui se tient à Montréal. Plus de 200 personnes participent à ce volet francophone.

Les projets d’envergure ne manquent pas. En 1991, le Dr Debonnel organise un congrès international sur les pathologies de l’agir. En 1994, l’Institut programme des rencontres internationales francophones de psychiatrie et criminologie et une réunion France-Québec sur les agresseurs sexuels.

En 2000, l’Institut organise le premier Colloque international francophone Psychiatrie et Violence, en collaboration avec le CHUV de Lausanne, Suisse, le CHU de Poitiers, France et l’Université de Sassari, Italie ; la collaboration se poursuit encore aujourd’hui. Dans la foulée du premier colloque, le journal Psychiatrie et violence est lancé. Revue électronique avec comité de pairs, elle est la seule revue francophone de psychiatrie légale.

Le premier congrès international francophone sur les agressions sexuelles se déroule en 2001 et se tient, depuis, tous les deux ans. En 2007, le Dr Chamberland préside le congrès de l’International Association of Forensic Mental Health Services, un événement qui a des échos dans l’ensemble du réseau international de la psychiatrie légale.

Par ailleurs, impliqué pendant plus de 10 ans dans la planification des congrès de l’Association des médecins psychiatres du Québec, l’Institut a fait sa marque comme un acteur incontournable dans l’organisation et la diffusion de contenus en psychiatrie légale.

Plusieurs psychiatres jouent également un rôle important auprès des médias, en particulier les docteurs Chamberland et Proulx et contribuent à diminuer la stigmatisation des malades mentaux.

La psychiatrie légale fait se côtoyer la psychiatrie et le droit. Les deux se sont enrichis mutuellement au fil des ans et l’Institut a marqué la jurisprudence dans les situations de requêtes d’ordonnance de traitement contre le gré (Blais, 1991 ; cour d’appel 1994) mais aussi dans de nombreuses situations particulières d’expertises pénales. De plus à la faveur de la nouvelle surspécialité en psychiatrie légale, une collaboration a été officialisée avec la faculté de droit de l’Université de Montréal.

Nous avons mentionné l’importance du rayonnement apporté par les recherches et publications. Il faut y ajouter les multiples conférences données par nos professeurs qui sont régulièrement sollicités à titre d’experts pour des congrès ou colloques, mais aussi par des organismes gouvernementaux (ministères ou autres) ici ou à l’étranger. De très nombreux visiteurs étrangers (médecins, personnel soignant, juristes, politiciens, étudiants, etc.) sont accueillis chaque année à l’Institut et témoignent de l’importance du rayonnement de notre institution.

Conclusion

L’histoire de l’Institut Philippe-Pinel est intimement liée au développement de la psychiatrie légale au Québec. Il en a été un acteur majeur et est toujours reconnu comme tel, tant au Québec qu’à l’étranger, tout particulièrement dans la francophonie où il est vu comme un modèle, une référence.

Au confluent des influences américaines et francophones, l’IPPM a su bénéficier de cette position stratégique pour se définir d’abord, mais également pour rester au sommet des connaissances et permettre la diffusion des savoirs dans le domaine de la psychiatrie légale.

En fonction d’un tel rayonnement, et d’une collaboration aussi riche qu’ancienne avec le Département de psychiatrie l’Université de Montréal, nous sommes d’avis que l’Institut Philippe-Pinel devrait obtenir son renouvellement à long terme.