Corps de l’article

Introduction

L’augmentation de l’itinérance ainsi que la morbidité et la mortalité élevées des personnes en situation d’itinérance en font un problème social majeur (Hulchanski, Campsie, Chau, Hwang et Paradis, 2009 ; Ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2014). Ces personnes rapportent souvent des troubles mentaux (TM), des maladies physiques et des troubles liés à l’usage de substances psychoactives (TUS). Malgré l’importance de leurs besoins, les services qui leur sont offerts sont souvent perçus comme inaccessibles (Jaworsky et coll., 2016 ; Russolillo, Moniruzzaman, Parpouchi, Currie et Somers, 2016 ; Skosireva et coll., 2014). Au Québec, l’itinérance se concentre surtout à Montréal, où se situe la majorité des refuges (MSSS, 2014). En 2018, 3 149 personnes en situation d’itinérance ont été dénombrées à Montréal minimalement pour une nuit (Latimer et Bordeleau, 2019). Les femmes représentent une part croissante des personnes en situation d’itinérance, estimée de 23 % à 45 % selon les études (Conseil du statut de la femme, 2012 ; Green et coll., 2012 ; Yaouancq et coll., 2013).

Pour contrer l’itinérance, les politiques publiques ont priorisé l’insertion en logement, accompagnée ou non d’autres services essentiels (MSSS, 2014). La stabilité résidentielle des personnes itinérantes placées en logement représente néanmoins un défi (Fitzpatrick-Lewis et coll., 2011). À cette fin, les programmes de logements transitoires (LT) ont été conçus en Amérique du Nord dans les années 1980-1990 (Kertesz, Crouch, Milby, Cusimano et Schumacher, 2009 ; Société canadienne d’hypothèques et de logement [SCHL], 2004). Le LT soutient un cheminement séquentiel : du refuge à un LT, puis à un logement permanent avec ou sans soutien. Il vise le développement de compétences et aptitudes nécessaires à l’obtention et au maintien d’un logement permanent (SCHL, 2004). Selon une enquête canadienne menée par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, la proportion d’individus ayant trouvé un logement permanent après un passage en LT serait de 66 % à 90 % (SCHL, 2004). Le LT tend cependant à être supplanté progressivement par le logement permanent avec soutien sans LT préalable, dont le logement d’abord (Housing first) représente l’un des programmes principaux (Goering et coll., 2014 ; Henwood, Derejko, Couture et Padgett, 2015 ; Kertesz et coll., 2009 ; SCHL, 2004).

Globalement, peu de connaissances sont disponibles sur les conditions de succès et la capacité du suivi post-LT à maintenir la stabilité résidentielle des personnes en situation d’itinérance et spécifiquement celle des femmes, ainsi qu’à améliorer leur intégration dans la communauté (Sabatelli Iaquinta, 2016). L’itinérance chez les femmes se distingue de celle des hommes, notamment par le besoin d’une plus grande sécurité dans le logement souvent lié à de la violence vécue à l’enfance et à l’âge adulte, des responsabilités familiales qui peuvent entraîner plus de méfiance dans les relations sociales, et par une prévalence habituellement plus élevée des TM (et moindre de TUS) que chez les hommes (La rue des femmes, 2010). Quelques études qualitatives ayant analysé l’impact du LT sur la stabilité résidentielle subséquente des femmes en situation d’itinérance ont identifié divers facteurs contribuant à son succès : présence d’un environnement sécuritaire, durée de séjour, qualité de l’alliance thérapeutique développée avec les intervenants, présence dans le LT d’une communauté de femmes ayant vécu des expériences similaires et d’un service de soutien continu (Fotheringham, Walsh et Burrowes, 2013 ; Melbin, Sullivan et Cain, 2003). L’existence de logements permanents abordables et de services de soutien post-LT paraissait également essentielle (Henwood et coll., 2015). Les études s’étant intéressées à l’impact du soutien en logement permanent, surtout reliées au programme logement d’abord, concluent à l’efficacité de ce suivi à maintenir les personnes en logement comparé aux interventions usuelles (Greissler, 2014 ; Patterson, Rezansoff, Currie et Somers, 2013).

Afin d’assurer une continuité de soutien auprès de leurs anciens usagers en LT qui ont été insérés en logement permanent, plusieurs ressources au Québec, notamment dédiées aux femmes, ont instauré un suivi post-LT (Greissler, 2014). Ce suivi peut prendre différentes formes afin de répondre aux besoins spécifiques des personnes, dont les femmes (p. ex. accompagnement psychosocial et soutien informationnel) (Greissler, 2014). Cette étude vise à cerner les besoins des usagères préalablement hébergées en LT, puis insérées dans un logement permanent comprenant un suivi post-LT, l’implantation du suivi post-LT incluant les activités offertes, l’intensité du suivi et les facteurs facilitant ou entravant son fonctionnement. Enfin, l’impact du suivi post-LT est étudié, mesuré par la satisfaction à rencontrer les besoins des usagères, le maintien de leur stabilité résidentielle et l’amélioration de leur intégration communautaire.

Méthodologie

Contexte de l’étude

Une étude de cas a été effectuée dans le cadre d’un projet pilote qui a soutenu une recherche actuellement en cours, financée par le Conseil de recherche en sciences humaines (Fleury, Dorvil, Bertrand, Clément, L’Espérance et Brochu, 2018). Elle a impliqué deux ressources communautaires de Montréal offrant du LT et du suivi post-LT. Dans ces ressources, le LT comprenait des appartements ou des chambres privées et des salles communautaires où les usagères pouvaient résider pour une période maximale : 1 à 3 ans. Il intégrait des services diversifiés reliés à l’intégration communautaire, incluant des activités hebdomadaires individuelles et de groupe. Quant au suivi post-LT offert aux usagères à leur sortie du LT, il était d’une durée indéterminée, dispensant des activités variées (soutien aux activités quotidiennes, à la socialisation, etc.) et intégrant des approches diversifiées (p. ex. réduction des méfaits, axées sur les forces) adaptées aux besoins des usagères. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique du Douglas Institut universitaire en santé mentale, et tous les participants ont signé un formulaire de consentement à la recherche.

Collecte de données

Le recrutement des participants à l’étude s’est effectué de janvier à août 2018. Il a impliqué des femmes en situation d’itinérance, résidant dans l’une des deux ressources offrant du LT et bénéficiant d’un suivi post-LT, ainsi que leur intervenante (n = 2) et les gestionnaires des ressources (n = 4). Les usagères devaient avoir plus de 18 ans, parler français ou anglais, consentir à effectuer 2 entretiens dans un intervalle de 6 mois, et à ce que leur intervenante transmette des fiches de contact remplies après chaque suivi post-LT pour des fins de recherche. Les usagères avaient été sollicitées par les intervenantes du suivi post-LT sur une base volontaire. S’agissant d’une étude pilote et en raison de la nouveauté du programme de suivi post-LT dans les ressources, seulement 10 femmes ont été recrutées, pour un taux de réponse de 83 %.

Dimensions à l’étude

Un cadre conceptuel adapté de Love (2004) (Figure 1) a été élaboré, comprenant l’évaluation : a) des besoins des usagères reliés à leur suivi post-LT ; b) de l’implantation du suivi post-LT incluant les activités de suivi réalisées, l’intensité du suivi et les facteurs facilitant et entravant son déploiement ; et c) de l’impact du suivi post-LT relié à la satisfaction de la rencontre des besoins des usagères, le maintien de leur stabilité résidentielle et l’amélioration de leur intégration communautaire. Une stratégie de triangulation des données a aussi été retenue (données qualitatives, quantitatives et d’usagères, leur intervenante et gestionnaire) (Denzin, 1989).

Figure 1

Cadre conceptuel adapté de Love (2004)

Cadre conceptuel adapté de Love (2004)

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Les besoins des usagères quant au suivi post-LT ont été mesurés par un questionnaire (1 h) comportant des questions fermées et ouvertes, dont la passation a été assistée par une agente de recherche clinicienne. Ils ont été identifiés au temps 0 (T0), et tenaient compte des domaines reliés à la gestion : des activités de la vie quotidienne (p. ex. ménage, course, effectuer les repas), de la santé incluant les émotions, de la socialisation, et de l’insertion au travail ou aux études. Ce questionnaire a aussi collecté de l’information sociodémographique (p. ex. âge, parcours résidentiel) et clinique (p. ex. TM, TUS) sur les usagères, mesurée par des instruments standardisés (Tableau 1).

Pour cerner l’implantation du suivi post-LT, des fiches de contact (questions fermées ; 10 minutes) ont été remplies par les intervenantes des usagères (n = 2) après chaque suivi, ainsi qu’une entrevue de groupe réalisée avec les intervenantes et les gestionnaires (équipe de direction), effectuée au T1 (durée = 90 minutes, n =6). Les fiches de contact comprenaient des données factuelles telles que la date, la durée et le lieu du suivi post-LT, les types d’approches retenus (p. ex. systémique, axée sur les forces) lors du suivi et les types d’activités réalisées. L’entrevue de groupe a généré de l’information sur le contexte de déploiement, le fonctionnement et les facteurs facilitant et entravant le suivi post-LT.

Tableau 1

Instruments de mesure

Instruments de mesure

Tableau 1 (suite)

Instruments de mesure

*Les échelles standardisées ont été validées pour une population francophone.

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L’impact du suivi post-LT a été mesuré à partir du questionnaire adressé aux usagères au T1. La satisfaction a été mesurée par une échelle de Likert, considérant la durée et la fréquence du suivi, la facilité à contacter les intervenantes et leurs approches d’intervention, et la rencontre des besoins des usagères (activités de la vie quotidienne, santé, socialisation, travail ou études). La stabilité résidentielle a été mesurée par le fait d’avoir déménagé ou non pendant les 6 mois de suivi post-LT, incluant des questions ouvertes sur les raisons d’un tel déménagement si la situation s’était présentée. L’intégration communautaire des usagères a inclus plusieurs échelles standardisées, identifiées dans le Tableau 1, s’intéressant à l’inclusion à leur environnement ou à des réseaux sociaux, leur qualité de vie, leur niveau d’incapacité et leur utilisation des services sociaux et de santé.

Analyse des données

Une méthode d’analyse mixte a été retenue. Étant donné la taille restreinte de l’échantillon (n = 10 usagères), seules des analyses quantitatives descriptives et de comparaison (T0 vs T1) ont été réalisées. Les analyses descriptives sur des variables catégorielles ont été produites à l’aide de la distribution de fréquence ; celles sur des variables continues à l’aide de pourcentages et de la valeur moyenne. Les analyses de comparaison ont été effectuées sur quelques variables clés catégorielles à l’aide du Chi-carré ou du test de Fisher (lors de valeurs inférieures à 5) ou continues à l’aide de l’ANOVA.

La collecte des données qualitatives et l’analyse mixte ont suivi 5 étapes (Titscher, Wodak, Meyer et Vetter, 2000) : 1) enregistrement des entrevues et transcription des verbatim ; 2) lectures préliminaires et construction d’unités de signification balisées par le cadre conceptuel de l’étude (Figure 1) ; 3) codage ; 4) triangulation des données quantitatives et qualitatives, où ces dernières données ont servi à contextualiser les données quantitatives ; et 5) triangulation des informations reliées aux usagères (questionnaire), aux intervenantes (fiches de contact) ainsi qu’aux intervenantes et gestionnaires (entrevue de groupe).

Résultats

Description de l’échantillon

La moyenne d’âge des usagères au T1 était de 48 ans (Tableau 2). La plupart des usagères avaient arrêté leur scolarité avant le niveau collégial. Toutes, à l’exception d’une, étaient célibataires, divorcées, ou veuves. Moins de la moitié d’entre elles avaient des enfants, mais aucun n’était mineur ou à charge. Neuf d’entre elles avaient été en itinérance chronique, c’est-à-dire avaient été dans la rue avant leur insertion en LT plus de 12 mois, ou au moins 3 fois dans les 4 dernières années (Byrne et Culhane, 2015). Elles recevaient du suivi post-LT depuis 25 mois en moyenne. Toutes sauf une avaient au moins une maladie physique chronique comme le diabète. Toutes avaient un trouble de la personnalité, et 2 un TUS ou un TM-TUS concomitant. La moitié d’entre elles souffrait de dépression, et 3 de troubles anxieux. Quant aux professionnels rencontrés (n = 6), ils avaient en moyenne 6,8 années de pratique auprès de la clientèle en situation d’itinérance ou des femmes en difficulté. Ils avaient travaillé dans la ressource depuis 3,6 années en moyenne, et avaient en moyenne 50 ans.

Besoins des usagères

Le questionnaire adressé aux usagères (T0) a permis de constater que, concernant les activités de la vie quotidienne, une majorité (70 %) désirait un soutien d’accompagnement pouvant se traduire par des conseils et de l’encouragement, notamment pour effectuer leurs achats, leur ménage ou gérer leur budget. Quant à leur santé, les usagères ont exprimé en majorité (70 %) des besoins liés au contrôle de leurs émotions (p. ex. se confier, être écoutée, etc.). Une minorité d’usagères (30 %) a aussi signalé le besoin d’obtenir des informations concernant l’obtention de traitement ou cesser l’usage de substances psychoactives. Concernant les besoins de socialisation, 50 % des usagères ont mentionné désirer recevoir du soutien informationnel sur les activités ou ressources disponibles leur permettant de rencontrer d’autres personnes, et ainsi briser leur isolement. Enfin, 40 % des usagères ont exprimé des besoins quant aux possibilités d’insertion au travail ou aux études.

Tableau 2

Description de l’échantillon pour les femmes suivies en logement permanent

(n = 10, au temps 1 de l’étude)

Description de l’échantillon pour les femmes suivies en logement permanent

1 Itinérance chronique : avoir passé 12 mois consécutifs dans la rue ou 4 périodes sur 3 ans.

2 Détresse psychologique : trois échelles différentes ; 63 = score maximal de détresse psychologique. Plus le score est élevé, plus la détresse psychologique est élevée.

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Implantation du suivi post-LT

Documentés à partir des fiches de contact (T1), 10 suivis post-LT par usagères ont été en moyenne comptabilisés, représentant globalement 103 interventions dispensées sur les 6 mois par leur intervenante (Tableau 3). Le suivi post-LT était en moyenne de 64 minutes. Il s’est effectué le plus souvent au bureau de la ressource (32 %) ou par téléphone (35 %), sinon chez les usagères (17 %) ou dans des lieux publics (p. ex. café, parc) (17 %). Le suivi post-LT s’est basé en majorité (80 %) sur des approches biopsychosociales ou systémiques, ou axées sur les forces. Les interventions effectuées lors du suivi post-LT ont intégré en majorité à chaque suivi des interventions reliées au maintien de la santé (dans 99 % des suivis post-LT), au soutien aux activités de la vie quotidienne (dans 78 %), et à l’amélioration de la socialisation (dans 63 %). Un peu moins d’un suivi post-LT sur 3 (30 %) incluait des activités visant l’insertion au travail ou aux études. Plus particulièrement reliées au maintien de la santé, les interventions ont impliqué la gestion : du stress, de la détresse ou des TM (dans 37 % des suivis) ; des problèmes de santé physique (24 %) ; de consommation de substances psychoactives (21 %) ; de violence ou en lien avec la justice (17 %).

Basés sur l’entrevue de groupe (T1), les facteurs facilitant le suivi post-LT principalement identifiés étaient surtout reliés : a) à l’insertion préalable en LT, rapportée avoir consolidé l’autonomie des usagères particulièrement pour les activités de soutien à la vie quotidienne ; b) à l’intensité du suivi post-LT ; c) à l’alliance thérapeutique développée entre les usagères et leurs intervenantes provenant, entre autres, d’une attitude flexible et attentionnée des intervenantes ; et d) à la motivation des usagères à se rétablir (le score moyen relevé par leur intervenante étant de 4,5 sur 5). D’après les intervenantes, cette motivation élevée s’expliquait majoritairement par la maturité des usagères, leur permettant d’accorder plus de crédit aux actions de réinsertion. Une certaine expérience de vie était ainsi nécessaire pour que le LT et le suivi post-LT aient des effets bénéfiques sur elles. Les facteurs défavorisant le plus le fonctionnement du suivi post-LT se rapportaient : a) à la durée limitée de l’insertion en LT spécifiquement pour les usagères ayant vécu des traumas importants ; b) aux comportements réfractaires de certaines usagères lors des suivis, peu disposées à prendre leurs médications ou consommant des substances psychoactives ; c) au manque de temps des intervenantes et les difficultés reliées à la logistique des suivis ; d) aux problèmes d’accès aux services de santé, et spécifiquement aux services spécialisés de santé mentale ; et e) au manque de logements permanents abordables répondant adéquatement aux besoins des usagères.

Tableau 3

Implantation du suivi post-LT

(T1) (n = 10 sujets ; 103 épisodes de suivi)

Implantation du suivi post-LT

Tableau 3 (suite)

Implantation du suivi post-LT

HLM : Habitations à loyer modique.

OSBL : Organisme sans but lucratif.

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Impact du suivi post-LT

Basée sur le questionnaire adressé aux usagères (résultats au T1 comparés au T0), la majorité a été rapportée être « plutôt à complètement » satisfaite du suivi post-LT quant à la plupart des aspects mesurés : durée et fréquence du suivi ; facilité à contacter leurs intervenantes ; rencontre de leurs besoins reliés aux activités de la vie quotidienne, au maintien de leur santé, et à l’insertion au travail ou aux études (Tableau 4). Elles ont particulièrement rapporté que le suivi post-LT facilitait l’adaptation de leur rythme de vie, leur permettant d’être plus fonctionnelles au quotidien. Les usagères se considéraient aussi majoritairement « plutôt à complètement » satisfaites concernant la contribution du suivi à l’amélioration de leur socialisation. Au T1, 8 usagères avaient conservé le même logement, démontrant un niveau élevé de stabilité résidentielle. Par ailleurs, les 2 usagères ayant déménagé évaluaient ce changement comme étant positif, leur ayant permis d’améliorer leurs conditions résidentielles.

Quant à leur intégration communautaire comparée sur plusieurs indicateurs (p. ex. réseau social, avoir ou non un travail, qualité de vie, utilisation des services), elle n’a pas évolué d’une façon significative dans la période de 6 mois à l’étude (Tableau 5).

Tableau 4

Impact de l’intervention (T1) : Niveau de satisfaction (n = 10)

Impact de l’intervention (T1) : Niveau de satisfaction (n = 10)

1  Le niveau de satisfaction est mesuré sur une échelle de Likert à 5 niveaux.

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Tableau 5

Intégration communautaire (T0 vs T1)

(n = 10, à 6 mois)

Intégration communautaire (T0 vs T1)

* Chi-carré de Pearson : permet de comparer deux variables catégorielles.

** Test exact de Fisher : remplace le test de Pearson lorsqu’au moins une des variables catégorielles a des valeurs inférieures à 5.

***ANOVA t test : permet de comparer deux variables continues ou une variable continue et une variable catégorielle.

1 Amis sur qui on peut compter : personnes logées, qui n’ont pas de troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives et qui n’ont jamais été sans domicile fixe

2 Intégration physique : échelle de 0 à 1 ; 7 = score maximal d’intégration physique. Plus le score est élevé, plus l’intégration physique est réussie.

3 Intégration psychologique : échelle de 1 à 5 ; 20 = score maximal d’intégration psychologique. Plus le score est élevé, plus l’intégration psychologique est réussie.

4  Niveau d’incapacité : échelle de 0 à 5 ; 55 = score maximal d’incapacité. Plus le score est élevé, plus l’incapacité est importante.

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Discussion

Cette étude pilote visait à mieux cerner les conditions de succès et la capacité du suivi post-LT à favoriser la rencontre des besoins des usagères précédemment en situation d’itinérance, le maintien de leur stabilité résidentielle et leur intégration dans la communauté. Les usagères de l’étude avaient un profil similaire aux femmes en situation d’itinérance ou recevant du LT décrites dans la littérature : en situation d’itinérance chronique, assez âgées (près de 50 ans), ayant pour la plupart des TM et des maladies physiques chroniques et un faible réseau social (Fotheringham et coll., 2013 ; Patterson et coll., 2013).

Les usagères de l’étude ont signalé avoir de nombreux besoins de base et de santé. Se nourrir, gérer un budget ou maintenir un logement sont identifiés dans la littérature comme les premières étapes essentielles à l’intégration communautaire (Sabatelli Iaquinta, 2016 ; Henwood, Hsu, Dent, Winetrobe, Carranza et Wenzel, 2013). Une fois ces besoins de base satisfaits, des améliorations peuvent se manifester quant à la qualité de vie en général et l’état de santé (Drury, 2018 ; Kessler et coll., 2003). Parmi les besoins de santé, le soutien émotionnel a été rapporté prioritaire chez les usagères de l’étude, s’expliquant par l’historique d’abus physique, sexuel ou psychologique, dont la prévalence est souvent soulignée comme élevée dans la littérature chez les femmes en situation d’itinérance (Von Korff et coll., 2005). Vivre dans la rue est aussi rapporté dans les études comme plus dangereux pour les femmes que pour les hommes (Hatton, 2008). L’amélioration de sa santé et de sa sécurité intégrant l’acquisition d’information permettant de s’intégrer dans la communauté a ainsi été identifiée comme besoin essentiel des usagères de cette étude pour résoudre leur problème. Les besoins de santé reliés au traitement de substances psychoactives sont apparus toutefois moins prioritaires pour ces usagères que les besoins de soutien émotionnel ou encore les besoins de base, ce qui est conforme aux résultats d’études antérieures (Brown et Steinman, 2013 ; Stein, Andersen et Gelberg, 2007). Par ailleurs, ces dernières ont aussi témoigné avoir généralement un faible réseau social, lequel est reconnu comme facteur de protection (Goering et coll., 2011). Dans la littérature, cette situation résulte souvent d’une faible estime personnelle et d’importants problèmes émotionnels (Von Sydow, Beher, Schweitzer et Retzlaff, 2010). Les ressources offrant du logement spécifiquement pour les femmes en situation d’itinérance doivent ainsi tenir compte de leurs besoins particuliers, lesquels incluent plusieurs attributs affectifs comme l’intimité, le confort, la sécurité et le bien-être personnel (Davis et Kutter, 1998). Quant aux besoins moindres des usagères de cette étude concernant leur insertion en emploi ou aux études, ils pourraient s’expliquer par le fait qu’en raison de leur âge et de leurs conditions de santé, la plupart ont renoncé à la possibilité de réintégrer le marché du travail ou les études. Il est admis dans la littérature que l’état de santé des personnes itinérantes ayant 50 ans, ce qui correspond à près de la moyenne de notre échantillon, se compare à celui des personnes ayant 15 à 20 ans de plus dans la population générale (Brown et Steinman, 2013).

L’intensité du suivi post-LT dispensée aux usagères durant la période étudiée est inférieure à celle d’une visite par semaine préconisée dans les programmes du type logement d’abord pour les personnes nécessitant un suivi d’intensité variable (Goering et coll., 2011). De plus, la proportion de rencontres au domicile des usagères est assez limitée malgré l’intérêt qu’offrent ces visites pour connaître le milieu de vie des personnes. Cette situation peut s’expliquer par les défis logistiques rencontrés par les intervenantes du suivi post-LT de l’étude, dont de trop fréquents déplacements pourraient réduire le temps de suivi dédié directement aux usagères. Dans l’étude, le suivi post-LT a surtout été rapporté influencé par les approches biopsychosociales, systémiques ou axées sur les forces, ce qui concorde avec les approches recommandées dans le suivi de clientèles avec de nombreux TM en vue d’une intégration communautaire (Rapp et Gosha, 2004 ; Von Sydow et coll., 2010). Une proportion plus importante de suivi post-LT a été aussi effectuée en lien avec les besoins de santé, s’expliquant par l’importance des TM et des problèmes chroniques de santé physique des usagères à l’étude. Le suivi post-LT a également été surtout en lien avec le développement d’habiletés nécessaires pour les activités de la vie quotidienne. Ces dernières sont repérées dans la littérature comme une condition essentielle pour vivre en logement permanent de manière autonome (Davis et Kutter, 1998 ; Gutman et coll., 2018). Le suivi post-LT a aussi focalisé sur l’amélioration du réseau social des usagères qui dans la littérature est considérée contribuer à réduire les effets du stress et des émotions négatives, permettant d’améliorer la santé et la qualité de vie des personnes en situation d’itinérance (Gabrielian, Young, Greenberg et Bromley, 2018). Dans les études précédentes, l’acquisition d’habiletés sociales a particulièrement été reliée à l’évitement de conflits avec les propriétaires de logements, ce qui diminuait les risques d’éviction (Gabrielian et coll., 2019).

Concernant les facteurs identifiés dans cette étude comme facilitant le plus le suivi post-LT, l’insertion réussie en LT est ressortie comme l’un des éléments clés préalables à la réussite de ce suivi en logement permanent. Ce constat souligne l’importance du déploiement d’un continuum de solutions résidentielles pour vaincre et prévenir l’itinérance (Gaetz et Dej, 2017). Selon Fotheringham et coll. (2013), le LT doit cependant être de durée suffisante pour permettre aux usagères de se rétablir, en fonction de leurs besoins diversifiés et importants. Le suivi post-LT contribue alors à maintenir et à renforcer les acquis développés en LT (Gaetz et Dej, 2017). Plusieurs études ont également démontré que l’alliance créée entre usagers et intervenants, notamment grâce au LT, est positivement associée au rétablissement des premiers (Moran et coll., 2017). Un plan d’intervention, un suivi adapté aux besoins de l’usager en termes de fréquence et de durée, la réceptivité et la flexibilité de l’intervenant, ainsi que la motivation de l’usager sont d’autres conditions de succès jugées essentielles dans la littérature et renforçant cette alliance (Melbin et coll., 2003).

A l’inverse, dans cette étude, plusieurs facteurs ont été rapportés comme faisant obstacle à l’efficacité du suivi post-LT, dont la durée limitée de l’hébergement en LT repérée importante pour la consolidation préalable des habiletés des usagères avant leur insertion en logement permanent. Dans cette étude, les usagères identifiées plus asociales, ayant des TUS non traités ou des troubles de personnalité ont aussi représenté un défi, car rapportées comme plus réfractaires à collaborer avec les intervenantes et à maintenir leur suivi. Dans la littérature, un TUS non traité est souvent reconnu comme étant un facteur d’instabilité résidentielle (Aubry, Duhoux, Klodawsky, Ecker et Hay, 2016). Les personnes ayant un trouble de personnalité sont aussi généralement rapportées insatisfaites des services de santé, bien qu’elles les utilisent fréquemment (Cailhol et coll., 2017 ; Moukaddam, Flores, Matorin, Hayden et Tucci, 2017). Les autres facteurs entravant mentionnés dans l’étude dont les problèmes d’accès aux services ambulatoires de santé et services sociaux et aux soins spécialisés, la stigmatisation élevée envers les usagères entravant leur suivi, et le sous-financement du secteur de l’itinérance sont aussi reconnus dans la littérature (Lewis, Andersen et Gelberg, 2003). La lutte contre l’itinérance devrait ainsi reposer sur une action concertée d’une pluralité d’organisations (municipalités, travail, éducation, santé, etc.).

Quant à l’impact du suivi post-LT, le degré de satisfaction généralement élevé des usagères dans la plupart des aspects mesurées (activités et fréquence du suivi, facilité de rejoindre leurs intervenantes, rencontre de leurs besoins sociaux et de santé) laisse sous-entendre que le suivi post-LT a été bénéfique pour ces femmes ayant un profil d’itinérance chronique. L’adéquation entre leurs besoins et le suivi post-LT effectué semble être un autre motif de satisfaction pour les usagères. Selon une étude américaine, le suivi de l’intervenant améliore les conditions des personnes itinérantes par ses aspects pratiques et interpersonnels (Tamavo et Fernandez, 2012). La présente étude n’a néanmoins pas permis d’observer des changements significatifs quant à l’intégration communautaire des usagères après 6 mois de suivi post-LT, ce qui pourrait s’expliquer par la période trop brève d’observation. Douze (Patterson et coll., 2013) ou 18 mois (Gilmer et coll., 2014 ; McHugo et coll., 2004) après un placement en logement permanent avec soutien sont généralement requis pour que des changements positifs se manifestent.

Limites de l’étude

Cette étude comporte plusieurs limites importantes à mentionner. La taille restreinte de l’échantillon ne permet pas la généralisation des résultats de l’étude. Elle a aussi empêché de discerner l’influence des types de logements sur les résultats associés au suivi post-LT (p. ex. logement privé ou communautaire). La clientèle étudiée étant exclusivement féminine, les résultats de l’étude ne peuvent s’appliquer à la population générale en situation d’itinérance. Finalement, le délai restreint de 6 mois du suivi post-LT n’a pas permis de noter de changements significatifs quant à l’intégration communautaire des usagères.

Conclusion

D’après nos connaissances, cette étude pilote est la première au Québec à avoir étudié la capacité du suivi post-LT à maintenir la stabilité résidentielle de femmes. Dans l’étude, le suivi post-LT est évalué accompagner favorablement les usagères préalablement en situation d’itinérance chronique et rapportant de nombreux TM ou TUS vers la stabilité résidentielle, premier pas essentiel à l’intégration communautaire. Cette étude a souligné l’importance d’une offre diversifiée du suivi post-LT adaptée aux besoins des usagères. Afin de consolider le suivi post-LT, un meilleur financement de ces programmes pourrait être favorisé pour accroître le soutien à cette population. Des liens de collaboration plus étroits pourraient aussi être créés entre les ressources offrant du LT et les services publics, afin de permettre un accès optimal aux professionnels pour la clientèle présentant des problèmes de santé complexes. Également, de la formation pourrait être davantage dispensée aux intervenants des ressources offrant du suivi post-LT pour qu’ils soient plus aptes à suivre cette population connaissant de multiples problématiques. Finalement, lutter contre l’itinérance nécessite la présence de logements permanents abordables et en nombre suffisant.