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Seven Oaks est un centre de soins tertiaires de 38 lits qui prodigue des soins et des traitements de réadaptation à des patients souffrant de maladies mentales graves et qui sont réfractaires aux traitements. Ces personnes requièrent des soins spécialisés et de longue durée en établissement mais que les unités psychiatriques d’un hôpital général ne peuvent dispenser. On ne peut les soigner dans la communauté non plus. Seven Oaks essaie de remplacer et d’améliorer les services d’un grand hôpital psychiatrique provincial. Ce centre possède cinq petites unités conçues pour dispenser des soins à une échelle plus humaine, dans un milieu résidentiel plus conventionnel. Les soins en santé mentale à Victoria (population de 360 000) comptent une unité de soins psychiatriques de 83 lits, des services externes, un programme de services résidentiels ainsi qu’une urgence outreach. Il n’y a pas, pour le moment, d’équipe de suivi intensif dans le milieu.

Depuis cinquante ans, on a connu une réduction significative de la plupart des institutions psychiatriques et le transfert dans la communauté des soins de nombreux patients gravement malades (la désinstitutionnalisation). Aux États-Unis et au Canada, on a constaté l’insuffisance des traitements de réadaptation destinés aux patients gardés en institution et la difficulté de dispenser plus que des soins de première ligne (Bachrach, 1966 ; Lesage, 1999).

Gudeman et Shure (1984) décrivent cinq groupes qui requièrent une hospitalisation de longue durée :

  1. les patients âgés qui souffrent de démence, de psychose, de problèmes physiques les rendant dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui ;

  2. les individus souffrant de déficience intellectuelle et de troubles mentaux concomitants et de comportements agressifs ;

  3. les individus qui souffrent d’une perte significative de contrôle de leur pulsion par suite de lésions cérébrales causées par des traumatismes crâniens ou des maladies dégénératives ;

  4. les patients souffrant de schizophrénie qui sont sans cesse agressifs, suicidaires et réfractaires ;

  5. les patients souffrant de schizophrénie qui affichent des comportements embarrassants et sont vulnérables à l’exploitation.

Ces auteurs ont estimé que le nombre de ces individus dans la population générale est de 10 à 15 par 100 000, et de 7,5 par 100 000 pour les catégories 4 et 5.

Gudeman et Shure (1984) ont aussi proposé le développement d’un nouveau type d’unités de soins spécialisés sous la responsabilité administrative de l’état ou de la région, situées sur des campus n’ayant pas plus de 150-200 lits, chaque unité pouvant accommoder de 25 à 30 patients. Aussi, chaque unité disposerait d’un service de pré-admission strict, de programmes spécifiques aux cinq types de patients identifiés, et d’un personnel multidisciplinaire. Elle serait située dans un milieu communautaire ou dans des pavillons rénovés d’hôpitaux d’état ou d’hôpitaux généraux. Les nouveaux établissements seraient liés à d’autres établissements de traitements et dirigés par une administration représentative à la fois des patients, des groupes communautaires et de l’entourage des patients. Enfin, les auteurs soulignent que ces programmes pilote feraient l’objet d’une évaluation.

En Grande-Bretagne, on a dispensé des traitements individualisés intensifs et de réadaptation, au moins pour certains de ces patients, dans de petits établissements de type résidentiel (Hospital-Hostels) dans la communauté (Wykes et Wing, 1982). Toutefois, restent à déterminer l’emplacement idéal et la taille optimale des unités conçues pour prodiguer les traitements intensifs et la réadaptation pour cette population.

En Colombie-Britannique (environ 4 millions d’habitants), les soins psychiatriques tertiaires ont été dispensés depuis 1913 par le Provincial Mental Hospital Riverview. La population de patients à Riverview a grimpé à 4300 en 1956, mais grâce à des transferts dans la communauté, elle a été réduite à environ 800.

En 1987, avec la publication d’un rapport (Mental Health Consultation Report), le gouvernement a amorcé une réforme du système de soins et un processus de planification (Projet de remplacement de Riverview) pour remplacer le vieil hôpital. La proposition originale était de réduire les 800 lits à environ 550, et de transférer 100 lits sur l’île de Vancouver (population 696 000), 100 dans la région centrale de la province, 50 dans le Nord, 300 lits demeurant dans la grande région de Vancouver. Vu la distribution des patients à Riverview à cette période, certains de ces lits étaient destinés à des sous-groupes comme les personnes en psychogériatrie, les personnes souffrant de syndrome organique cérébral, etc.

La planification sur l’île de Vancouver comprenait la mise sur pied d’un comité composé de groupes d’intérêt de toutes les régions et dont le mandat était de décider de la forme que devait prendre l’établissement (ou les établissements) et les sites possibles.

On a finalement décidé qu’au lieu de construire un établissement de 100 lits sur un site de l’île, il était préférable de situer 50 lits à Victoria et 50 autres ailleurs dans la partie nord (Nanaimo a par la suite été choisie mais l’établissement n’y a pas encore été construit).

Ces lits devaient accommoder dans la même proportion environ qu’à Riverview certains patients psychiatriques âgés et d’autres souffrant de syndrome organique cérébral.

La planification incluait aussi une discussion sur la taille optimale, non seulement de l’établissement (ou des établissements), mais également de chaque unité (ou pavillon). La littérature à l’époque n’identifiait aucun établissement de soins tertiaires qui ait spécifiquement des pavillons traditionnels de moins de 25 lits.

Le comité de l’île a accepté un projet pilote qui supposait des unités beaucoup plus petites et utilisant un site déjà existant. Il y avait à Victoria un centre sur un site de 6,9 hectares avec des cottages de 6 lits, et un édifice administratif et utilisé auparavant par des adultes déficients intellectuels et par des enfants délinquants. Les cottages étaient aménagés comme des résidences privées avec des aires ouvertes de séjour et de cuisine, six toilettes, une salle de lessive, deux salles de bain et une salle de jeu.

La proposition était d’utiliser ce site pour un projet pilote provincial afin de déterminer si des soins psychiatriques intensifs, et de réadaptation appropriés pouvaient être dispensés de façon sécuritaire et adéquate à une population de patients qui se retrouvent normalement dans le secteur tertiaire des hôpitaux psychiatriques publics. L’aménagement physique n’était pas idéal pour des patients potentiellement violents ou agressifs, mais considéré adéquat du moins à court terme. Une proposition fut préparée, soumise et acceptée par le gouvernement. Le plan prévoyait initialement 12 lits à l’intention des patients transférés de Riverview et, si cela réussissait, les unités existantes seraient démolies et remplacées par un nouvel établissement de 38 lits.

La phase 1

Le comité local de planification mis sur pied était composé des divers groupes d’intéressés : professionnels en travail social et en nursing, psychiatres, policiers, autres prestataires de soins ainsi que l’entourage familial des patients de Riverview qui désiraient retourner à Victoria. Selon le mandat initial de Seven Oaks, « il n’y aurait pas de soins de plus grande qualité et disponibles ailleurs que ceux dispensés dans ces résidences pour la population cible ». La fonction de Seven Oaks dans la communauté était de dispenser, si possible, des soins et des traitements aux patients les plus difficiles de la région. Premier critère pour y être admis : toutes les tentatives de traitement ailleurs, en maison d’hébergement par exemple, avaient échoué. On a aussi décidé dès le début qu’une importante hypothèse secondaire était de démontrer qu’une réadaptation efficace pouvait être dispensée même à ce groupe de patients considérés réfractaires.

Les douze premiers patients ont été admis dans deux unités en avril 1994. Dix d’entre eux provenaient de Riverview et deux de Victoria. Ces derniers avaient été référés à Riverview, mais n’avaient pas encore été admis.

Cette phase initiale (avec seulement 12 lits) était conçue comme un accommodement transitoire jusqu’à la construction du nouvel établissement. Malheureusement, son expansion a été retardée pendant presque huit ans.

Les patients

Chaque patient admis à Seven Oaks était vu par un comité de représentants des agences de référence. Les critères d’admission incluent d’abord d’avoir 19 ans ou plus, de souffrir d’une maladie mentale grave et persistante et d’habiter l’île de Vancouver. Les patients doivent avoir des symptômes ou des incapacités qui requièrent des soins professionnels 24 heures par jour. Toutefois, à la phase 1, les personnes dont le niveau d’agressivité rend impossibles les soins adéquats ou sécuritaires ne sont pas admises. Les patients doivent avoir épuisé toute autre tentative de placement dans la communauté. Bien que la décision finale revienne au directeur, l’implication active des cliniciens qui ont référé le patient assurait que le programme reste près des besoins de la communauté. De la sorte, on risquait moins d’être enclin à prendre seulement des patients avec lesquels le personnel se sentait plus confortable.

Les patients étaient référés de l’hôpital psychiatrique provincial, des hôpitaux locaux et des services psychiatriques médico-légaux. Les patients admis à Seven Oaks étaient donc parmi les plus réfractaires aux traitements dans la région. Ils affichaient des problèmes comme des comportements socialement inacceptables, de la violence verbale et physique, un jugement détérioré, un manque d’insight, et des symptômes psychotiques intraitables propres à affaiblir gravement leur capacité de vivre dans le communauté.

Trente-huit patients ont été admis entre 1994 et 2002. Leurs hospitalisations cumulatives antérieures variaient entre deux ans et trente-cinq ans. Si on compte les soins résidentiels supervisés, la plupart ont été en traitement continu la grande partie de leur vie adulte. Leur âge varie de 20 à 65 ans. Sauf rare exception, tous ont été contraints aux traitements selon la loi provinciale (B.C. Mental Health Act). Plus de 90 % des patients avaient un diagnostic primaire de schizophrénie avec troubles socio-affectifs. Les autres diagnostics comprennent des psychoses organiques et des troubles bipolaires. Les troubles concomitants incluaient l’abus de substance, les troubles de personnalité, l’épilepsie, l’intoxication (self-induced water intoxication) et le retard intellectuel. Quant aux tentatives de suicide, qui ne sont pas rares dans l’historique de tels patients, on n’en a pas vu au cours des huit premières années du programme.

Le programme

Le programme de traitement et de réadaptation a mis l’accent sur la planification individualisée des soins. Les objectifs ont été développés par entente mutuelle entre les patients et le personnel. Tous les résidents ont été encouragés à préparer leurs déjeuners et dîners et à contribuer selon leurs capacités à la préparation des repas du soir. Leurs capacités de fonctionner à tout niveau ont été reconnues et soutenues, qu’il s’agisse d’une simple tâche comme de couper les légumes, ou de la planification et de la préparation de tout le repas. Chaque résidence était dotée d’un budget pour la nourriture et pour les fournitures de la maison. Les résidents avaient de l’aide pour planifier les repas de la semaine, prévoir le budget pour les ingrédients nécessaires, et acheter la nourriture ou d’autres denrées.

Ils étaient aussi responsables de leur hygiène personnelle et de la propreté de leur chambre. Chacun avait sa chambre à coucher et pouvait, s’il le désirait, y aménager ses propres meubles.

Les membres du personnel ne possédaient pas de bureau à part, toutefois ils rédigeaient leur compte rendu dans un petit alcôve à l’écart de l’aire de séjour. Cela exigeait qu’ils soient en interaction constante avec les résidents pendant tout leur quart de travail. Ils prenaient aussi leur repas avec les résidants. Cela s’avérait souvent exigeant. Des arrangements ont donc dû être pris afin d’assurer qu’ils puissent sortir de la résidence pendant leur pause.

Chaque résidence possédait son « conseil de résidence », qui détenait un véritable pouvoir sur plusieurs aspects de son fonctionnement. Les membres du personnel étaient présents mais s’assuraient de ne pas intervenir dans le processus de décision. Initialement, comme on pouvait s’y attendre, il y avait peu de participation et d’implication, mais au fur et à mesure que les résidents détenaient le pouvoir, le conseil développa une véritable fonction. Par exemple, à une réunion, un seul résident se présenta. Il vota qu’une seule cafetière devait être préparée chaque jour. Comme cette pratique fut mise en place, la prochaine réunion fut davantage fréquentée, et le niveau de participation, élevé !

La planification de la réadaptation fut une caractéristique importante du programme. Dans plusieurs cas, les plans de traitement sont des formes génériques standards apparemment conçues pour des problèmes spécifiques (par exemple, la gestion des délires ou des comportements agressifs) ou ils ne sont pas utilisés de façon consistante comme base pour les interventions ou les activités courantes.

Pour chaque domaine d’intérêt, le résident et le case manager coopéraient activement afin d’élaborer un plan de réadaptation. Le patient en recevait une copie, et une autre était gardée en filière. Le plan devenait ensuite un outil actif de gestion et on s’y référait à chaque fois qu’il était nécessaire. Cela permettait au personnel des divers quarts de travail d’être toujours au courant du programme des patients. Il s’agissait aussi d’un instrument puissant pour l’apprentissage des résidents à mesure qu’ils s’en appropriaient le contenu, s’y référant pour la négociation des sorties, la gestion de l’argent, ou les activités avec le personnel. Les plans de réadaptation étaient, dans la mesure du possible, basés sur les objectifs établis par les résidents.

Par nécessité, certains plans (approches des traitements) n’étaient pas basés sur les désirs du patient. De tels plans incluaient des approches spécifiques pour aborder la question de la violence chez un individu, ou encore pour décider combien de temps le personnel devait attendre avant d’émettre une requête à la police pour ramener un patient en fugue. Toutefois, malgré le fait qu’une approche particulière de traitement peut ne pas représenter les objectifs du patient, une véritable implication du patient dans son développement constituait souvent une partie valable du plan de réadaptation.

Le personnel

Le personnel de chaque résidence est composé d’une infirmière et d’un travailleur en soins de santé pour le quart de travail de 7 h à 15 h et pour celui d’après-midi de 15 h à 23 h. Pendant le quart de nuit, il y avait un travailleur de soins de santé dans chacune des résidences et une infirmière en rotation entre les deux résidences.

Comme on s’attendait à une expansion rapide du programme, le personnel initial a été de haut niveau, avec deux superviseurs des unités (8 h à 16 h), un coordonnateur de programme (un travailleur social), un coordonnateur d’activités, et un psychiatre quatre après-midi par semaine.

Vu la gravité des maladies de ces patients, on s’attendait qu’au moment de leur congé un soutien de transition considérable serait nécessaire. On a donc créé un poste de coordonnateur à la transition.

Par suite d’une initiative gouvernementale d’ajustement des postes, la majorité des membres du personnel recruté à l’ouverture de Seven Oaks furent d’anciens employés mis en disponibilité par la fermeture d’un grand hôpital pour déficients intellectuels. Toutefois, la majorité d’entre eux avaient à des degrés divers une formation en santé mentale. Ce manque relatif d’expérience présentait certains avantages pour la formation au nouveau programme. Il a permis d’encourager de nouvelles approches sans trop de présomptions traditionnelles. Par contre, il y avait le désavantage que le personnel avait une courbe d’apprentissage élevée.

L’ajustement le plus difficile pour la plupart des membres du personnel était de se distancier et de permettre au patient d’apprendre en essayant par lui-même et, quelquefois, d’échouer. Formés à « aider », il y avait chez eux une forte tentation de « prendre soin » du résident ou « de faire » pour lui, ce qui amenuisait son autonomie.

Le personnel était encouragé à être flexible et à individualiser les réponses aux besoins des patients. Encore une fois, cela s’avérait difficile pour ceux qui étaient formés aux soins institutionnels, habitués à une hiérarchie et ayant une dépendance aux « directives des médecins » ou aux politiques servant de ligne directrices pour la prise de décision.

Résultats de la phase 1

Entre avril 1994 et août 2002 (Phase 1), 38 patients ont été admis à Seven Oaks. De ce groupe, 28 ont obtenu leur congé pendant la même période, dont cinq ont dû retourner à Riverview vu un niveau élevé de violence qui ne pouvait être contenue de façon sécuritaire dans les unités. Deux autres ont été retournés à Riverview seulement parce que le programme a déménagé sur un site alternatif pendant la reconstruction pour la phase 2. Des 21 patients restant et en congé (soit une moyenne de 22 % des résidents par année), 13 ont été référés à des centres résidentiels de soins, sept à des appartements supervisés, et un à un foyer d’accueil.

Une évaluation indépendante partielle a été effectuée en 1998. Elle incluait des entrevues avec les patients sur la qualité de vie ainsi qu’avec la famille et des échelles de mesure telles le Global Assessment of Functioning (GAF) (APA, 2000) et le Specific Levels of Functioning (SLOF). Toutefois, les nombres étaient trop bas pour donner des statistiques significatives. Le rapport a conclu que Seven Oaks dispensait avec succès une qualité de soins tertiaires dans la communauté à une clientèle qui s’avère difficile à traiter. Aucune autre évaluation n’a été effectuée avant que la phase 2 ne soit développée (Müller-Clemm, 1998).

Seven Oaks (pendant la phase 1) a été reconnu comme novateur par Santé Canada dans le document sur les meilleures pratiques (Best Practices in Mental Health Reform, 1997). « L’exemple de Seven Oaks montre que ce groupe cible peut être traité dans de petits centres en milieu communautaire. Toutefois, s’engager dans ce modèle de soins suppose nécessairement que le risque d’événement fâcheux sera toujours quelque peu élevé ». Selon notre expérience, cela ne s’est pas avéré. Au cours de la phase 1, échelonnée sur huit années, il n’y a pas eu de tentatives de suicide, et les cas de fugue, curieusement, n’ont pas posé un problème sérieux. Le niveau d’agression des patients ou de blessures des membres du personnel était plus bas qu’en établissement similaire, et moins que habituellement en établissement gériatrique.

Le programme a été accrédité deux fois par l’organisme fédéral responsable, le Canadian Council of Heath Services Accreditation (1996, 2000). Dans son rapport en 1996, le conseil affirme que « cette organisation offre un programme résidentiel de soins tertiaires novateur qui pourrait servir de modèle à d’autres organisations de santé mentale ».

La phase 2

En juillet 2000, au cours de la construction de l’établissement de 38 lits, le personnel ainsi que les patients ont déménagé hors site pendant dix-huit mois dans un emplacement temporaire, soit d’anciens quartiers des officiers des forces navales. En décembre 2001, la nouvelle résidence était partiellement complétée sur le site de l’ancienne résidence de 12 lits. Les 12 résidents et le personnel rattaché au programme y sont de nouveau installés à la mi-décembre, toutefois la construction n’a pas été complète avant juin 2002.

En août 2002, Seven Oaks était complété à sa pleine capacité de 38 lits. Vingt-quatre patients y ont été transférés de Riverview. Deux autres admissions amènent la population à 38 résidents. Dans ce groupe, quatre résidents y avaient séjourné auparavant, mais avaient été retournés à Riverview.

Le nouvel établissement était conçu le plus possible comme une résidence privée, en tenant compte des normes de sécurité et de construction à respecter. Le concept a été élaboré selon l’idée d’un quartier ou d’un voisinage, avec cinq unités résidentielles et un centre récréatif et administratif.

Deux des unités sont « ouvertes », comptent sept lits et permettent aux résidents d’avoir accès sans restriction au terrain. Les résidents ont leur propre chambre avec salle de bain. Il y a une aire de séjour/salle à manger, une cuisine ouverte et une salle de lessive à part. L’aire de l’équipe de travail (station) ouvre sur la salle de séjour afin de minimiser l’écart entre le personnel et les patients. Les résidents de ces unités apprennent généralement les habiletés nécessaires à la vie communautaire.

L’unité sécuritaire de sept lits est semblable aux unités ouvertes sauf que les portes extérieures peuvent être verrouillées. La cuisine peut aussi être fermée et l’aire de travail du personnel est sécurisée. Les résidents de ces unités « sécuritaires » ont accès à une cour clôturée.

Il y a une unité de dix lits qui est aussi sécuritaire. Cette unité dispense des soins aux individus qui y séjourneront plus longuement. La plus grande dimension de cette unité lui donne moins l’apparence d’une résidence privée.

Enfin, la maison de ferme établie originalement sur le site a été rénovée pour créer sept appartements, une salle commune avec cuisinette et une salle pour le personnel. Cette unité est conçue pour servir de placement de transition pour les résidents qui déménagent en appartement autonome ou en appartement supervisé. Les appartements de transition (Mt. Doug Apartment Program) fournissent aux résidents de Seven Oaks et aux patients de l’hôpital psychiatrique une occasion de vivre en appartements supervisés tout en bénéficiant d’un programme intensif de réadaptation, programme conçu dans le but d’identifier des lacunes et d’apprendre des habiletés pour retourner vivre dans la communauté.

Le programme

L’accent important mis sur la réadaptation a été soutenu et des activités plus formelles ont été ajoutées. Celles-ci comprennent la relaxation, les habiletés cognitives ainsi que les groupes de communication U.C.L.A. selon le modèle élaboré par Liberman en 1990. Les réunions d’entraînement à la planification et à la préparation des repas ont lieu régulièrement. Il existe aussi un programme occupationnel qui offre des emplois, les uns sur le site (livraison de courrier, entretien ménager, jardinage) et d’autres hors site sur une ferme et dans des entreprises locales. Les activités récréatives et d’éducation physique sont encouragées et soutenues.

Le personnel

Le personnel des unités ouvertes est semblable à celui de la phase 1 avec une infirmière et un travailleur en réadaptation psychiatrique pour chaque quart de travail. Le personnel des deux unités sécuritaires comprend, en plus, deux infirmières et un travailleur en réadaptation psychiatrique de jour et de soir à l’unité sécuritaire, et une infirmière et deux travailleurs en réadaptation psychiatrique à l’unité de séjour prolongé (avec moins de personnel la nuit). Le personnel affecté à l’unité de transition (Mount Douglas) est composé d’un travailleur social (social support worker, SSW) pour chaque quart de travail avec, ponctuellement, des infirmières des unités ouvertes. Les SSW sont généralement diplômés en santé. Les travailleurs en réadaptation psychiatrique (PRW) ont une formation et une expérience en santé mentale, mais n’ont pas nécessairement de diplôme professionnel.

Les travailleurs professionnels comptent deux psychiatres à temps partiel (le directeur du programme et le psychiatre de service), un directeur, une infirmière/superviseure, un coordonnateur de la réadaptation (travailleur social), un ergothérapeute et une infirmière clinique. De plus, quatre travailleurs sont responsables des activités et deux sont affectés au secrétariat. Un troisième psychiatre à temps partiel se joindra à l’équipe plus tard cette année.

Résultats de la phase 2

Au cours des 21 mois depuis l’expansion d’août 2002, un total de 51 patients ont été admis, et 19 ont obtenu leur congé. Soit un taux de congé d’environ 11 patients par année, ou 28 % de la population par an. De ces patients, 7 ont été transférés à des centres résidentiels, 4 à des appartements supervisés, 3 à des logements autonomes, 2 à des établissements de soins de longue durée pour personnes âgées, 1 dans un hôpital spécialisé, et 2 sont décédés.

Seven Oaks a servi comme l’un des modèles pour développer des établissements de soins tertiaires et des programmes à Vancouver et pour développer un nouveau centre à Nanaimo sur l’île de Vancouver. Il a bénéficié d’une attention internationale avec la visite de chercheurs en provenance d’autres régions du Canada, d’Angleterre, de Taïwan et d’Australie.

Seven Oaks est l’objet d’une étude par une équipe composée du Dr Alain Lesage (Université de Montréal), David Groden (Riverview Hospital) et du Dr Elliot Goldner (University of British Columbia). L’étude est conçue pour comparer une cohorte de patients admis au sein du programme avec des patients qui sont sous traitement à l’hôpital Riverview. Les groupes sont assortis selon l’âge, le sexe, le diagnostic, la durée de séjour et le niveau de soin. Les chercheurs ont recours à une batterie d’instruments utilisés à l’entrée et répétés chaque année afin de mesurer les facteurs socio-démographiques, scolaires, résidentiels, occupationnels et le statut juridique ; les déficits cognitifs ; les symptômes ; les comportements anormaux ; les habiletés de vie quotidienne, la qualité de vie ; et la satisfaction des services.

Après un an de suivi, les résultats préliminaires de cette étude « ont démontré des résultats positifs pour les patients de Seven Oaks : 1) le transfert réussi de tous les patients référés par Riverview à Seven Oaks en août 2002 ; 2) le transfert régulier de patients de Seven Oaks dans des milieux communautaires ; 3) un plus grand nombre d’occasions (qu’à Riverview) de développer des habiletés de vie quotidienne (préparation des repas, choix des vêtements, travail (rémunéré et bénévole) ; 4) la satisfaction globale des patients de Seven Oaks pour ces possibilités. On a noté par contre, peu de changements dans les symptômes, les comportements et les déficits cognitifs » (Lesage et al., 2004). Le rapport ajoute : « Les conclusions de l’étude à ce jour indiquent que le programme donne des résultats positifs et semble fonctionner de façon appropriée ». Les auteurs mentionnent aussi que la plupart des conclusions ont été positives bien que certains patients aient soulevé des préoccupations quant à leur niveau de participation au programme. Ils ont noté le besoin d’approches structurées plus spécifiques pour la réadaptation.

Le financement

Bien qu’aucune comparaison détaillée formelle n’ait encore été faite, le coût du programme Seven Oaks semble être comparable à celui de Riverview. Les allocations per diem étaient au départ égales à la moyenne de Riverview à ce moment-là. La logique de financement de Seven Oaks s’appuyait sur l’idée que le programme nécessiterait le même financement que l’hôpital provincial. Le budget d’opération a été financé par le transfert des patients de Riverview à Seven Oaks, suivi de la fermeture des lits de cet hôpital. Les fonds économisés par la fermeture de ces lits ont ensuite été accordés aux autorités régionales afin d’assurer le fonctionnement du programme. Le per diem pour les 38 lits est de $337 par jour.

Discussion

La littérature souligne fortement les avantages d’avoir des établissements plus petits pour la réadaptation. En 1993, Trainor faisait le commentaire suivant : « La supériorité des petits établissements est le résultat le plus souligné dans la littérature. Les établissements avec moins de résidents sont associés à une adaptation supérieure des résidents, une augmentation des activités à l’extérieur de la résidence, une plus grande satisfaction des résidents et un milieu de vie plus normal et plus près d’un vrai domicile ». Des facteurs autres que la dimension peuvent aussi être importants à considérer. « Il existe un net consensus qu’une adaptation positive est liée aux caractéristiques environnementales de l’établissement ». Un milieu résidentiel normalisé est « associé à moins d’hospitalisations, à davantage de satisfaction des résidents et à une meilleure adaptation de ces derniers » (Cournos, 1987). Le fait qu’il existe aussi un besoin pour un nouveau genre d’établissement destiné à la réadaptation et un modèle de soins de longue durée « plus pro-actif » a aussi été souligné (Gudeman et Shure, 1984). Ces établissements de réadaptation devraient « être conçus le plus possible comme une maison tout en tenant compte des besoins spécifiques de certains patients » (Bridges et al., 1994).

Le programme a démontré la faisabilité de dispenser des traitements de réadaptation dans un petit établissement, à un groupe de patients souffrant de maladies mentales graves et persistantes, et réfractaires aux traitements. La plupart de ces patients avaient passé la grande partie de leur vie dans un hôpital psychiatrique. Toutefois, il reste encore un noyau de patients agressifs ou avec un niveau de violence qui dépasse les capacités de petits établissements. Même avec les unités sécuritaires de 7 et 10 lits, on n’a pas démontré que ces établissements sont en mesure de fournir le niveau de sécurité et le personnel nécessaires. De tels patients requièrent un établissement plus spécialisé.

Le succès global de la prestation à ce niveau de soins dans des unités à caractère résidentiel et à l’échelle plus humaine dépend de la qualité et de l’expertise du personnel et de l’engagement des autorités envers le programme. Qu’à long terme Seven Oaks soit tenu ou non pour un succès, l’expérience a déjà prouvé en principe que ce programme pourrait être utile dans la planification des futurs établissements de soins psychiatriques.