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Dans le texte qui suit, nous évoquons la problématique de la réhabilitation sociale des patients psychotiques chroniques telle qu’elle a été développée en France ces dernières décennies. Cette problématique remonte au mouvement de la psychothérapie institutionnelle et à la rénovation des conceptions de l’ergothérapie et de la sociothérapie au cours de la période de transformation de l’asile psychiatrique traditionnel (1950-1980). Elle s’est développée au sein de la « psychiatrie de secteur », politique officielle des soins psychiatriques publics en France depuis 1960, qui a promu la sortie des patients de l’asile, vers des structures qui ont été appelées « alternatives à l’hospitalisation » ou « structures intermédiaires » (entre l’hôpital et la cité), et qui ont pris de formes multiples : foyers thérapeutiques, résidences dites « médico-sociales », maisons de retraite, appartements thérapeutiques ou associatifs, placements familiaux… Ce sont ces différentes structures qui constituent la forme qu’a pris en France le mouvement dit de « désinstitutionnalisation ».

Toutes les formes de « structures intermédiaires » ne se sont pas développées, en France, au sein de la psychiatrie de secteur. Un riche réseau d’organismes indépendants (mais néanmoins financés également par les caisses d’assurance-maladie) a créé différentes structures de ce type, au fur et à mesure que le nombre des lits diminuait dans les asiles traditionnels. Toutefois, c’est dans le cadre de la psychiatrie de secteur (il y a actuellement plus de huit cents secteurs de psychiatrie adultes en France) que la plupart ont été mises en place. Ces dernières années, d’autres formes d’hébergement protégé se sont également développées, nous les détaillons par la suite.

Nous évoquons d’abord quelques notions sur la réhabilitation psychosociale en France, telle que celle-ci s’est développée à partir des années 1960 : la terminologie utilisée, l’histoire des mouvements et des institutions, la législation spécifique française, les axes de réhabilitation, et enfin le type de structures que l’on rencontre aujourd’hui en France dans l’hébergement des malades mentaux. Puis, les structures intermédiaires et autres formes d’hébergement pour patients psychotiques créées ou utilisées dans un organisme de psychiatrie de secteur typique, celui de l’Association de Santé Mentale dans le 13ème arrondissement de Paris, organisme à financement public dédié aux soins psychiatriques et psychologiques des 175.000 habitants, enfants et adultes, de cet arrondissement parisien.

Définitions

Différents termes sont employés dans le domaine de la réhabilitation, dont les nuances sont à comprendre afin de délimiter les champs d’action des différents professionnels et les collaborations à développer.

Le terme de réadaptation est lié à la notion de retour dans la cité, et de retour au travail, par une extension des notions de sociothérapie et d’ergothérapie. Dans la tradition française, la réadaptation désigne « des soins spécifiques s’adressant à des malades pour lesquels, après une période de soins curatifs adéquats, une insertion ou réinsertion sociale et professionnelle suffisante apparaît comme problématique, mais pour lesquels on peut espérer une évolution positive à moyen terme » (Jolivet, 1994). En France, la pratique de réadaptation apparaît comme nécessairement « thérapeutique » comme le souligne la Fédération d’aide à la Santé Mentale Croix Marine [1].

Le terme de réhabilitation est plus récent et provient de la littérature de langue anglaise. Il désigne l’enchaînement des actes par lesquels quelqu’un est rétabli dans ses droits et capacités, mais aussi le processus par lequel un sujet peut lui-même se prendre en main. Vidon (1990) définit la réhabilitation psychosociale comme le maintien des malades psychiatriques chroniques dans la communauté, en construisant pour eux des systèmes de soutien (« support ») en dehors des hôpitaux. La réhabilitation concerne tout le champ des alternatives à l’hospitalisation, incluant les différents modes de suivi extrahospitalier, et dépassant le champ étroit de la réadaptation fonctionnelle ; elle implique aussi des interventions provenant de la communauté (par exemple, assistants sociaux travaillant pour les mairies, éducateurs encadrant des foyers non psychiatriques, etc.).

Les termes d’insertion et de réinsertion se réfèrent davantage à une dimension sociale. Ils sont à mettre en lien avec une notion d’intégration dans une communauté plus vaste (insertion sociale) ou plus spécifique (insertion professionnelle).

Historique de la réhabilitation en France

S’il est important de saisir les nuances de ces termes dans le travail auprès des patients, il est nécessaire de remettre ces processus dans une perspective historique, avec ses spécificités en France. L’intérêt porté à la réhabilitation est d’abord lié au mouvement de désinstitutionnalisation qui commence après la deuxième guerre mondiale à la suite de la prise de conscience de l’état catastrophique des malades mentaux. Ce mouvement a pris différentes formes selon les pays (Bonnet et Vidon, 2011).

Dans les pays de langue anglaise, le mouvement a pris une forte connotation « libertaire » et parfois « antipsychiatrique », comme en Angleterre. Aux États-Unis, il a promu une approche « citoyenne » (rétablir les malades mentaux dans leurs droits fondamentaux) et la psychiatrie développée était sociale et communautaire, favorisant la thérapie dans la communauté civile, la cité, la société (Hochmann, 1970). En Italie, la désinstitutionalisation, de connotation plus politique, est associée au mouvement anti-asilaire porté par Basaglia, qui a abouti à la loi de 1978 : « toute admission dans les hôpitaux psychiatriques, appelés à disparaître à brève échéance, est interdite à partir du 31 décembre 1980, même pour les patients qui avaient été auparavant hospitalisés ». Selon un rapport publié en 1989 (Chevrollier et al., 1992) le profond changement amené par cette loi n’a pas eu de conséquences majeures en termes de dangerosité et de criminalité, mais a eu un retentissement sur les patients chroniques institutionnalisés au long cours, qui souvent ont été prise en charge par des organismes caritatifs liés à l’église.

En France, la désinstitutionnalisation n’a pas été l’objectif majeur de la réforme psychiatrique, car elle a été intégrée dans la politique plus générale de la sectorisation ; l’idée implicite était que les soins dans la cité, la prévention et la sensibilisation de la communauté aboutiraient progressivement à l’extinction de l’asile. Ainsi, deux mouvements assez hétérogènes, mais souvent portés par les mêmes figures, se sont associés à la réforme. D’un côté, les différents courants de psychothérapie institutionnelle qui ont tenté, à l’opposé du mouvement italien, de restituer à l’hôpital psychiatrique son rôle thérapeutique, et même d’en faire un espace de lien social et de liberté – véritable « laboratoire » d’une vie en société hors des murs. De l’autre côté, le développement de dispositifs de soins extrahospitaliers intégrés dans la cité, qui a contribué à déplacer les soins de l’hôpital vers les soins ambulatoires et la communauté. Cette deuxième alternative a progressivement conduit à la législation sur la sectorisation en 1960.

Dans les deux cas, et bien qu’avec des nuances importantes au niveau doctrinal, la pensée psychanalytique a joué un rôle majeur. Elle a permis de préciser la différence entre « psychothérapie » et « soins » (Racamier, 1970 ; Gauthier et al., 2011), le soin étant un espace de passage, un espace de transition, qui répond à la gravité de la désorganisation et du morcellement du patient et prépare à l’approche psychothérapique. Le traitement neuroleptique (antipsychotique) est un élément important du soin, et c’est la raison pour laquelle ce mouvement de psychiatres — psychanalystes a investi dès le départ, contrairement à ses homologues américains, ces médicaments. L’institution a comme mission de permettre à ses membres de jouer des rôles médiateurs (une infirmière entre la famille et le patient, un soignant entre le patient et son médecin), et la diversité des personnalités favorisera des rencontres, avec une différenciation progressive des personnages rencontrés, enjeu majeur du soin des patients psychotiques.

À partir des années 1990, deux autres éléments ont joué un rôle déterminant dans le mouvement de réhabilitation en France. Le premier est lié à la diminution drastique du nombre de lits d’hospitalisation, la crise des systèmes publics de santé venant renforcer, pour des raisons radicalement différentes, le mouvement de désinstitutionnalisation. En effet, l’hospitalisation psychiatrique s’est vue soumise aux mêmes règles que l’hôpital général, à savoir des durées de séjour qui ont considérablement diminué et qui diminuent encore. Devant cette obligation, il fallait trouver des solutions pour les patients psychotiques au long cours pour lesquels, une fois les soins urgents terminés, tout reste encore à faire, sous peine de sortie et de réadmission rapide, selon ce qui est appelé le phénomène de la « porte tournante ». Le second point est l’échec de la psychiatrie à « guérir » la maladie mentale chronique, et l’orientation progressive des préoccupations vers le retentissement du handicap, vers la qualité de vie et l’autonomie de la personne, et ce, quels que soient les troubles psychopathologiques présentés. Enfin, un troisième élément peut être évoqué ici, qui apparaît en filigrane des précédents. Comme on l’a vu, la politique psychiatrique française s’est peu préoccupée de « désinstitutionnalisation » car elle a considéré que la sortie des asiles et l’extinction progressive de ces derniers viendraient « naturellement », comme conséquence du développement de la psychiatrie dans la communauté, de la prévention et des actions de sensibilisation de la population. Or, ceci ne s’est vérifié que partiellement ; pour une partie, les asiles ont gardé une part « asilaire » malgré l’introduction de la sectorisation ; les habitudes, l’inertie, les résistances au changement, la dynamique propre aux états psychotiques, ont freiné plus que les fondateurs du secteur ne l’avaient pensé, le mouvement vers la communauté et l’affaiblissement progressif du recours asilaire.

Enfin, à l’origine des mesures de réhabilitation en France, il faut noter la collaboration d’associations de professionnels (Fédération Croix Marine d’Aide à la Santé Mentale, Société de Recherche en Réadaptation) et d’usagers et de familles (Union Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques (UNAFAM), créée en 1963, et Fédération Nationale des Patients en Psychiatrie (FNAPSY), créée en 1992.

La législation française

L’apparition de la notion de réhabilitation s’inscrit dans une évolution des idées et des représentations sociales. Celles-ci ont permis le passage de la notion de maladie mentale à celle de handicap, d’asseoir la place des usagers et des familles dans le processus de réhabilitation, et enfin de passer de la notion de guérison à celle de rétablissement.

Jusqu’en 1957, le terme de handicap n’existe pas en France. Il y a une catégorie particulière d’indigents, les « infirmes », caractérisés par le fait qu’à la différence des autres, ils pouvaient travailler, même s’il fallait employer des moyens coercitifs pour ce faire. En novembre 1957, une loi est promulguée autour du « reclassement des travailleurs handicapés ». Celle-ci prévoit que la société réserve des emplois aux handicapés, mais que c’est à la charge de la personne de faire les efforts pour surmonter son handicap.

En 1975, une nouvelle loi, dans un contexte de société plus riche, met l’accent sur l’intégration sociale et la solidarité : « La prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale. Les familles, l’État, les collectivités locales, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les associations, les groupements, organismes et entreprises publics et privés associent leurs interventions pour mettre en oeuvre cette obligation en vue notamment d’assurer aux personnes handicapées toute l’autonomie dont elles sont capables. À cette fin, l’action poursuivie assure, chaque fois que les aptitudes des personnes handicapées et de leur milieu familial le permettent, l’accès du mineur et de l’adulte handicapés aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie. »

Le vote de cette loi a été source de conflits idéologiques entre professionnels de la psychiatrie, globalement opposés, craignant que le terme de handicap ne fige la situation des patients, et les familles, voyant une priorité dans l’amélioration de la qualité de vie de leurs proches.

Suite aux travaux de Wood, en 1980, l’OMS publie une Classification Internationale des Handicaps, qui restera une référence jusqu’en 2001. Celle-ci définit le handicap comme un désavantage dont la personne est victime, et qui, du fait de la déficience ou de l’incapacité qu’il entraîne, entrave son souhait de tenir un rôle social normal. Cette classification aidera les différents protagonistes du champ sanitaire et du champ social à mettre de côté leurs oppositions pour percevoir la complémentarité dans leurs différents champs de compétences : on peut être à la fois malade, nécessitant des soins continus, et handicapé, nécessitant une aide et des adaptations fonctionnelles.

C’est en 2001, à la suite des travaux de l’OMS et à la parution de la CIF (Classification Internationale du Fonctionnement de la Santé), qu’une nouvelle orientation se fait jour. Le handicap est désormais majoritairement situé du côté de la défaillance de la société. L’action doit s’orienter surtout sur l’environnement social, et non plus sur la personne.

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, marque un tournant considérable dans la prise en compte de la réhabilitation psychosociale. La base de cette loi est la notion de projet de vie, et toute forme de compensation et d’accompagnement sera tournée vers une aide à l’autonomie.

Modèles théoriques de la réhabilitation dans la conception française

Dans le vocabulaire en usage en France, on a tendance à considérer que la réhabilitation, terme désignant l’ensemble du processus, se décline en soins de réadaptation et en processus de réinsertion.

Les soins spécifiques de réadaptation se basent schématiquement sur deux grands modèles. Le premier, issu de la pensée psychodynamique, est axé sur le travail de groupe, avec ou sans médiation (activité artistique ou travail en atelier protégé) et sur l’évolution des patients au sein du groupe, sur le plan individuel et dans leurs relations aux autres. La spécificité de la prise en charge des patients psychotiques, marquée par l’avènement du secteur et des courants de psychothérapie institutionnelle ou de soins institutionnels, restent des références en matière de soins à ces patients. Le présupposé théorique plus ou moins implicite est que les psychoses représentent des formes de désinvestissement du monde extérieur, dont le point de départ est le sentiment de menace face à toute relation avec un « autre » ; les techniques utilisées familiarisent donc les patients avec la présence d’un « autre », de plusieurs « autres », non menaçants, et permettent d’élaborer ces craintes. Le second modèle est porté par le développement et la diffusion des techniques comportementales (entraînement aux habiletés sociales) et de remédiation cognitive. Différentes démarches d’éducation sanitaire sont également très largement diffusées et portées par la circulaire d’avril 2002 définissant l’éducation thérapeutique. Cette dernière dimension est très soutenue par les associations de familles et de patients.

Cette partie « soin » de la réadaptation reste très portée par les acteurs du champ sanitaire (psychiatres, infirmiers, soignants), ce qui lui donne une place à part dans le processus de réhabilitation. Cette spécificité est sans aucun doute nécessaire, mais il faut pouvoir la penser en coordination avec les acteurs du champ social, sans que les uns et les autres perdent leurs spécificités.

Le processus de réinsertion, deuxième axe de la réhabilitation, implique l’accompagnement des personnes vers le logement et le travail, dont le préalable indispensable est l’accès à quelques ressources financières.

Depuis 1975, une allocation adulte handicapé (AAH) a été instaurée en France. Si son montant reste faible (environ 720 euros par mois, avec une augmentation importante prévue dans les deux années qui viennent), elle peut néanmoins permettre un accès à une certaine autonomie [2]. L’obtention de l’AAH se fait sur l’examen du dossier médical par un psychiatre expert de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), qui siège dans chaque département du territoire. C’est une allocation versée par l’Etat au titre des « minima sociaux ». Compte tenu de la difficulté de certains patients à gérer cet argent, il existe des mesures de protection des biens (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle), instaurées par la loi de 1968, et remaniées par la loi de 2007. Ces mesures sont le plus souvent demandées par l’équipe soignante, après un long travail avec le patient, souvent dans le déni de ses difficultés.

Les ressources, et les mandataires désignés pour gérer ces ressources, font partie intégrante du processus de réhabilitation. Les ressources aident d’abord à l’accès au logement. Celui-ci peut être individuel ou collectif. Différentes structures existent et se sont développées. Pour les patients les plus dépendants, sans famille ou dont les familles sont épuisées, un accueil se fait en établissements spécialisés. Des Maisons d’Accueil Spécialisées (MAS), des Foyers d’Accueil Médicalisés (FAM), des foyers de vie, un placement familial thérapeutique ou social…, sont autant de structures envisageables et pensées selon les orientations de ces structures et le degré de dépendance des patients. En cas de logement individuel, des mesures d’accompagnement à domicile doivent souvent être mises en place : Services de Soins Infirmiers à Domicile, Service d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS), Service d’accompagnement médico-social pour Adulte Handicapé (SAMSAH). Des domiciles collectifs, qui se déclinent sous forme d’appartements associatifs, appartements relais, appartements thérapeutiques, maisons relais…, sont une bonne transition entre l’institutionnel et l’individuel. L’équipe soignante initie le projet et travaille en collaboration avec les associations qui gèrent ces structures.

Ces espaces à l’interface entre le soin et le socius peuvent être pensés comme des espaces de transitions, de passage en douceur (en référence à l’aire transitionnelle de Winnicott). Ici, le caractère intermédiaire de l’espace (intermédiaire entre l’hôpital et le logement individuel de l’autonomie complète) est compris également comme intermédiaire dans les investissements des patients et dans le développement de leur « capacité à rester seul » (Winnicott, 1958) : ces espaces ne sont pas « gouvernés » ou « gérés » par une équipe soignante, celle-ci n’est pas constamment présente (comme à l’hôpital), mais c’est bien sa présence dans l’esprit du patient qui permet à ce dernier de supporter son autonomisation et d’avancer dans la prise en charge par lui-même de ses besoins.

En parallèle, l’accompagnement se fait vers le travail, lorsque celui-ci est possible. Là encore différentes formules existent, que ce soit vers un travail protégé (ateliers protégés, Etablissement et Services d’Aide par le Travail — ESAT) ou vers un travail en milieu ordinaire (entreprises d’insertion, quota de travailleurs handicapés dans les entreprises fixé par la loi de 1987). Les travailleurs sont reconnus handicapés et orientés vers tel ou tel type de structure par la Commission des droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH), au sein de la MDPH. Néanmoins, les conditions actuelles de l’emploi en France rendent de plus en plus difficile l’accès au travail pour les patients psychotiques.

L’hébergement des patients psychotiques actuellement en France

La France est passée en relativement peu de temps, d’une situation de grands ensembles asilaires, assurant à la fois les soins hospitaliers et l’accueil au long cours des patients psychotiques, à une situation où, d’une part, le nombre de lits d’hospitalisation psychiatrique a drastiquement diminué, d’autre part une multitude de structures aux statuts, vocations et financements différents a pris le relais pour l’hébergement des patients psychotiques. Globalement, ces structures appartiennent à trois catégories :

  1. L’hébergement thérapeutique proprement dit (Fouillet et Kapsambelis, 1997). Il s’agit de structures créées et animées par des équipes médicales et soignantes, financées par la branche maladie de la Sécurité Sociale, et qui se conçoivent comme un prolongement des soins. La durée de séjour est en principe limitée (quelques mois ou années), et prend fin lorsque cette modalité de traitement n’apparaît plus nécessaire ou adéquate. Ces structures peuvent être de plusieurs formes : foyer psychiatrique, appartements thérapeutiques ou associatifs (appartements de trois ou quatre chambres, pour autant de patients, régulièrement visités et gérés par une équipe soignante), plus rarement placement familial thérapeutique (familles qui accueillent des malades mentaux, recrutées et supervisées par une équipe soignante).

  2. L’accueil médico-social. Cette modalité concerne des personnes reconnues handicapées. Les structures proposent un hébergement assisté, qui est considéré comme un domicile pour la personne accueillie (elle peut y rester à vie). Certaines maisons de retraite appartiennent à cette catégorie. L’accueil médico-social se présente le plus souvent comme une MAS (maison d’accueil spécialisée) ou un FAM (foyer d’accueil spécialisé) de quelques dizaines de places. L’accueil médico-social est utilisé pour toute sorte de handicap (par exemple, handicapés moteurs, déficients mentaux adultes) ; ces dernières années, des structures médico-sociales spécifiques pour patients psychotiques stabilisés ont été développées.

  3. L’hébergement en foyer « social » (non médicalisé). Il existe plusieurs types de foyer en France (étudiants, jeunes travailleurs, personnes isolées, à faibles revenus ou « sans domicile fixe »…) ; par exemple, un organisme comme ADOMA, qui a été créé en 1956, initialement pour accueillir les travailleurs immigrés, dispose de plusieurs centaines de résidences partout en France avec une capacité d’accueil de plusieurs dizaines de milliers de résidants. Depuis la fin des années 1990, certaines équipes psychiatriques de secteur ont pris l’habitude de négocier avec ces organismes des places dans leurs foyers, pour y héberger des patients psychotiques sortant d’une longue hospitalisation, sans domicile personnel, et ayant acquis une stabilité symptomatique suffisante pour vivre dans un collectivité gérée par des non-soignants.

La spécificité des soins psychiatriques dans le 13e arrondissement de Paris

L’Association de Santé Mentale dans le 13e arrondissement de Paris (ASM 13) a été mise en place en 1958 en tant qu’expérience pilote de la future sectorisation. Elle est engagée, depuis de nombreuses années, dans ce mouvement global de réhabilitation des patients psychotiques les plus gravement perturbés et handicapés, porté par la pensée théorique de Racamier. La politique de l’association a été de développer, d’une part des structures sanitaires alternatives à l’hospitalisation (hébergement thérapeutique) ; d’autre part des structures médicosociales créées soit par l’ASM 13 elle-même, soit en réseau avec des partenaires du domaine médico-social ; enfin, un troisième volet de la politique de réhabilitation a été de contracter des partenariats avec différents acteurs du domaine de l’hébergement social (comme par ex. ADOMA, cité plus haut), afin d’y faire accueillir ses patients.

L’axe majeur de la conception des soins qui a été le nôtre ces quinze dernières années nous a laissé penser que les mesures de réadaptation, réhabilitation et d’accompagnement vont du foyer de post-cure le plus thérapeutique à la structure d’accompagnement à domicile la plus éloignée du soin psychiatrique au sens strict du terme, avec un passage du sanitaire au social le plus souple possible.

Le tableau et les quelques explications qui suivront donnent un aperçu du pôle psychosocial de l’ASM13 tel qu’il est développé durant ces dix années, ainsi que les projets en cours.

Les structures d’hébergement pour patients psychotiques ASM 13

Les structures d’hébergement pour patients psychotiques ASM 13

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Hébergement thérapeutique

Foyer de post cure Gerville

Structure sanitaire de 21 places destinée à des patients psychotiques au long cours, représentant les évolutions les plus défavorables de ces pathologies. Cette unité accueille des patients « insortables » dont tous les projets à l’extérieur se sont soldés par un échec, et pour lesquels la reprise d’un travail institutionnel au long cours est un préalable indispensable avant d’envisager un quelconque projet. Nous présentons dans l’article de ce numéro, « Réhabilitation, identité et appartenances : à propos d’un cas clinique » un cas clinique éclairant la spécificité de cette prise en charge.

Maison de repos et des soins de suite

Structure sanitaire de 19 places, destinée à des patients psychotiques dont l’état psychique nécessite un second temps de séjour après l’hospitalisation, temps qui peut être compris entre 6 mois et deux ans. L’objectif est de conduire progressivement le patient à un retour à sa vie habituelle, ou de travailler avec lui un autre projet (hébergement, travail, Hôpital de Jour…) temporaire ou plus pérenne.

Foyer Watteau

Cette unité sanitaire est destinée à des patients jeunes, psychotiques ou présentant des troubles graves de la personnalité, avec une perspective marquée de réinsertion socio-professionnelle. Le travail de réhabilitation se fait en collaboration avec les équipes psychiatriques du Centre Médico Psychologique de l’ASM13 et les partenaires des structures sociales et médico-sociales de Paris. Ce foyer occupe deux étages d’un immeuble de logements sociaux au coeur du 13e arrondissement.

Appartements associatifs

Quatre appartements sont à Paris à la charge de l’équipe du foyer Watteau, et quatre sont à proximité de l’hôpital, à la charge des équipes du centre de post-cure Gerville et de la Maison de repos et de soins de suite. Ces appartements sont pensés depuis le départ comme des espaces d’élargissement d’autonomie pour des patients qui sont préalablement passés par nos foyers. Le temps de séjour n’est pas prédéterminé, et les sorties sont là encore élaborées au cas par cas (appartement, appartements associatifs de structures médico-sociales…).

Service d’accueil familial thérapeutique

Ce mode d’accueil est destiné à des patients psychotiques dont une certaine forme de dépendance rend inenvisageable dans un premier temps un projet dans un domicile propre sans étayage permanent. En dehors du travail individuel auprès des patients, un groupe destiné aux familles, mené par la psychologue du service, permet l’expression des difficultés rencontrées par chacune, mettant au travail les difficultés de la vie quotidienne avec des patients psychotiques

Hébergement médico-social

MAS ISA 13 (Maison d’Accueil Spécialisé « Institut Spécialisé Autisme »

Structure destinée à des patients adultes autistes au sens large du terme (troubles envahissants du développement depuis l’enfance, avec souvent des lésions organiques cérébrales). Les déficiences ou handicaps de ces patients entravent gravement l’autonomie. La structure créée est dotée de 72 places, dont 42 se trouvent dans notre hôpital (Soisy-sur-Seine, à 40 km de Paris) et 30 à Paris. La structure est composée de différentes institutions, différenciées en fonction du degré d’autonomie des patients, et des passages de l’une à l’autre sont possibles.

Convention avec deux EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) et un SSIAD (Service de Soins Infirmiers à Domicile)

Ces structures sont destinées à des patients de 60 ans et plus, dont l’autonomie est devenue insuffisante pour un maintien simple à domicile. L’accompagnement peut aller du suivi à domicile (médical et médico-social) à l’hébergement à temps plein dans une structure médico-sociale.

Hébergement social non médicalisé

Convention avec ADOMA

Convention pour un accueil de patients du secteur psychiatrique, dont 5 places sur les 23 sont destinées à des patients psychotiques graves nécessitant un accompagnement thérapeutique soutenu (Visites à domicile deux fois par semaine, aide ménagère trois fois par semaines), accompagnement réalisé par une équipe de l’ASM13 dédiée à ce travail.

Convention avec les CHRS

Les places que nous occupons dans ces structures sont destinées à des patients en situation de grande précarité sociale, sachant qu’environ 30 % des personnes « sans chez soi » souffrent de troubles psychiatriques graves nécessitant une prise en charge institutionnelle. Un travail de supervision mensuelle et de sensibilisation à la spécificité de la prise en charge de personnes souffrant de troubles psychiatriques est mené auprès des équipes éducatives des CHRS par une équipe psychiatrique de l’ASM13 dédiée à la précarité.

Conclusion

La réhabilitation psychosociale en France s’est beaucoup développée, donnant une place de plus en plus importante aux champs médico-social et social. Il reste que l’articulation du travail entre les différents professionnels est toujours imprécise, difficile, source parfois d’incompréhension selon la place que chacun occupe. La question actuelle est l’évolution des postures des uns et des autres afin que la réhabilitation des malades mentaux devienne une préoccupation de l’ensemble du corps social, ce qui ne pourra advenir qu’en favorisant les échanges entre professionnels du soin et les acteurs du champ social et politique.