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Introduction

Dans la province de Québec, 2 à 3 % de la population adulte souffre spécifiquement de troubles mentaux graves (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). Les troubles mentaux graves représentant souvent un aspect invalidant pour les personnes atteintes et constituent un enjeu en constante augmentation pour lequel peu de pistes de solution claires ont été établies (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015).

À cet égard, le Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du Québec vise à assurer la performance et l’amélioration continue des soins et des services en santé mentale (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015). Ce plan met également de l’avant le rôle essentiel de la promotion de la santé et de la prévention de la maladie sur l’état de santé global, tant du côté physique que mental, de chaque individu.

Les troubles mentaux graves sont associés à un degré d’incapacité à même d’influencer significativement les relations interpersonnelles, les habiletés sociales de base et la capacité fonctionnelle des individus à être actif sur le marché du travail (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005). Lors d’une évaluation médicale, une incapacité prolongée dans au moins l’un de ces trois domaines ci-haut mentionnés est un indicateur d’un trouble mental grave, correspondant à la dépression majeure, aux troubles bipolaires de type 1 ou 2, à la schizophrénie et à l’ensemble des troubles psychotiques, dont le trouble schizoaffectif (American Psychiatric Association, 2016).

L’éducation à la santé pour les personnes présentant un trouble mental grave est une notion très importante (Doucette et coll., 2014), notamment parce qu’elles sont souvent atteintes de plusieurs conditions chroniques (multimorbidité), nécessitant le développement de compétences spécifiques afin d’assurer une gestion optimale de leur santé (Salisbury et coll., 2011). Afin de prodiguer des interventions éducatives adaptées, les professionnels de la santé doivent bien connaître ces personnes et les caractéristiques pouvant influencer leurs capacités d’apprentissage au regard de leur santé.

La littératie en santé (LS) est un concept important à considérer afin de garantir une compréhension et une utilisation adéquate de l’information donnée en vue d’assurer une autogestion efficace de la santé (Lincoln et coll., 2008). La LS se définit comme les compétences cognitives et sociales qui déterminent la motivation et la capacité des individus à accéder, comprendre et utiliser l’information de manière à promouvoir et maintenir une bonne santé (World Health Organization, 2013). Les personnes ayant une faible LS sont deux fois et demie plus à risque de rapporter un état de santé moyen à médiocre et de recevoir des prestations d’aide sociale (Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008). Elles sont également moins portées à utiliser les services de santé préventifs, tels que les examens pour le dépistage du cancer, contribuant en outre à des retards de diagnostics (Galletly, Neaves, Burton, Liu et Denson, 2012). Un faible niveau de LS peut aussi entraîner un manque d’engagement lors de rencontres avec les professionnels de la santé, une mauvaise santé générale et un plus haut taux d’hospitalisation (Jayasinghe et col., 2016). Ces constats ont mené à une évolution du concept de la LS qui est maintenant reconnu comme un déterminant de la santé. En effet, il est essentiel de le considérer pour améliorer les résultats de santé des individus, diminuer les iniquités en santé, bonifier les services offerts ainsi que le développement des politiques de santé (Institute of Medicine, 2012 ; World Health Organization, 2013).

Recension des écrits

La majorité des écrits abordant la LS chez les personnes présentant des troubles mentaux graves a porté sur un concept spécifique, soit la littératie en santé mentale (LESM). Selon Jorm et coll. (1997), la LESM est une extension du concept de LS. Ce concept « englobe les connaissances et les croyances que les individus ont au sujet des troubles mentaux, ce qui facilite leur reconnaissance, leur gestion ou leur prévention de la maladie » (traduction libre, p. 182). La méconnaissance, chez les professionnels de la santé, de la LESM peut entraîner de faux diagnostics ainsi que des traitements inadaptés pour la personne (Flaskerud, 2012). La LESM peut être documentée à partir d’un questionnaire. Son but vise à faciliter la conception de programmes pour améliorer la LESM (O’Connor et Casey, 2015). Par contre, le concept général de la LS a fait l’objet de très peu d’études chez les personnes présentant des troubles mentaux graves (Rose, Sawyer et Everett, 2014), alors que ce dernier apparaît essentiel compte tenu des problématiques de santé multiples et concomitantes présentées par ces personnes.

Les auteurs d’une étude réalisée aux États-Unis ont examiné la LS ainsi que les facteurs associés à une faible LS chez les adultes atteints de troubles mentaux graves, à l’aide de trois questionnaires : le Rapid Estimate of Adult Literacy in MedicineShort Form (REALM-SF), le Single Item Literacy Screener (SILS) et le Newest Vital Sign (NVS) (Clausen, Watanabe-Galloway, Bill Baerentzen et Britigan, 2016). En fonction des questionnaires utilisés, les résultats rapportés ont montré qu’entre 42 et 66 % des participants présentaient une LS inadéquate. Une faible LS a été retrouvée plus fréquemment chez les personnes présentant un diagnostic de schizophrénie ou un fonctionnement global perturbé. Une autre étude effectuée aux États-Unis a été réalisée auprès de 256 personnes atteintes de troubles mentaux graves (schizophrénie, trouble bipolaire de type 1 ou 2 ou dépression majeure). Évaluées avec le REALM-SF, il est démontré que 46 % d’entre elles ont présenté une faible LS et que cette dernière était associée à une augmentation des hospitalisations (Krishan, Von Esenwein, Druss, Krishan et Druss, 2012). Les auteurs de cette étude ont observé que le pourcentage des personnes avec une faible LS était plus grand que celui de la population générale américaine (36 %). Enfin, une étude australienne a investigué la LS chez 30 personnes atteintes de schizophrénie et 30 autres atteintes de dépression majeure à l’aide du questionnaire Test of Functional Health Literacy in Adults (TOFHLA) (Galletly et coll., 2012). Les résultats de cette étude montrent que le niveau de LS observé chez les participants était comparable à celui de la population australienne et même plus élevé que le niveau de LS chez les personnes âgées aux États-Unis. La variation des niveaux de LS entre les clientèles et les nationalités démontre clairement que plusieurs facteurs influencent le niveau de LS (Galletly et coll., 2012).

Or, les questionnaires permettant d’évaluer la LS diffèrent dans la façon dont cette dernière est conceptualisée à l’intérieur de chacun d’eux (Jordan, Osborne et Buchbinder, 2011). La majorité des questionnaires portent sur la mesure directe des habilités de LS, se concentrant principalement sur les habilités de lecture et de calcul. Ces questionnaires ne prennent pas en considération les dimensions multiples de la LS qui relient les habilités de LS des personnes aux facteurs sociaux, sanitaires, éducationnels et culturels pouvant les influencer. Les trois études sur la LS chez la population ayant des troubles mentaux graves mentionnées précédemment (Clausen et coll., 2016 ; Galletly et coll., 2012 ; Krishan et coll., 2012) ont notamment utilisé le TOFHLA et le REALM, des questionnaires permettant la mesure directe des habilités de LS, tous deux reconnus dans la littérature en raison de leur fidélité et leur validité (Haun, Valerio, McCormack, Sørensen et Paasche-Orlow, 2014). Cependant, ces questionnaires omettent la mesure de plusieurs dimensions de la LS, notamment la capacité à s’engager avec les professionnels de la santé, la capacité à naviguer dans le système de santé et la capacité de critiquer les informations relatives à la santé (Beauchamp et coll., 2015). Leur utilisation peut également être perçue comme intrusive et à risque de susciter un jugement, et les résultats qu’ils rapportent, comme limités (Institute of Medicine, 2009).

La LS, vue comme un concept unidimensionnel ou à partir d’une appréciation incomplète de ses diverses dimensions, peut compromettre la portée des études et de leurs conclusions, et limiter les professionnels de la santé et les décideurs dans leur capacité à identifier les besoins relatifs à la LS des clientèles ciblées (Beauchamp et coll., 2015). Dans ce contexte, l’utilisation de questionnaires multidimensionnels, plutôt qu’une mesure directe perçue comme plus intrusive est actuellement préconisée permettant ainsi une autoévaluation des habiletés en matière de LS.

Le Health Literacy Questionnaire (HLQ), développé par Osborne, Batterham, Elsworth, Hawkins et Buchbinder (2013) et récemment traduit en français (Questionnaire de la littératie en santé, QLS) (de Jordy, 2018), correspond à ce type de questionnaires et apparaît ainsi plus approprié pour obtenir un portrait global de la LS des personnes présentant des troubles mentaux graves. Le QLS porte sur 9 dimensions et permet de déceler un large éventail de besoins relatifs à la LS des personnes dans la communauté. À ce jour, plusieurs études ont exploré la LS chez diverses populations à l’aide du QLS (Beauchamp et coll., 2015 ; de Jordy, 2018 ; Dufour, Lacasse, Chouinard, Chiu et Lafontaine, 2019), mais aucune ne l’a utilisé chez la population vivant avec des troubles mentaux graves, dans la communauté.

Le but de l’étude était de décrire la LS selon les 9 dimensions du QLS chez les personnes présentant des troubles mentaux graves, âgées de 18 ans et plus, et vivant en communauté sur le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Méthodologie

Devis

Cette recherche quantitative a fait appel à un devis de type descriptif simple (Fortin et Gagnon, 2016). La visée de ce type de devis est de décrire les caractéristiques de la population à l’étude (Fortin et Gagnon, 2016), en lien avec le but de l’étude, qui est de décrire la LS chez les personnes présentant des troubles mentaux graves.

Milieu de l’étude

Les participants ont été recrutés dans le programme de santé mentale adulte du Centre local de services communautaires (CLSC) de la municipalité de Dolbeau-Mistassini, faisant partie du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Saguenay–Lac-Saint-Jean (Québec, Canada). Ce programme est constitué d’une équipe de soutien de base non intensif (SBNI), d’une équipe de suivi d’intensité variable (SIV) et d’une équipe de suivi intensif dans le milieu (SI). Ces trois équipes se complètent et visent tous les trois le rétablissement des personnes atteintes de troubles mentaux dans la communauté (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015).

Population et échantillon

Les critères d’inclusion des participants établis pour cette étude étaient : 1) être âgé de 18 ans et plus ; 2) avoir un diagnostic de troubles mentaux graves ; 3) résider dans le territoire desservi par le CLSC de Dolbeau-Mistassini ; et 4) résider dans la communauté. Les critères d’exclusion étaient : 1) présenter des troubles cognitifs invalidants diagnostiqués, une déficience intellectuelle diagnostiquée ou un trouble mental décompensé ; 2) être sous tutelle ou curatelle, être dans un état de consommation d’alcool ou de drogues détectable par les professionnels de la santé. Ces critères ont été déterminés en raison de l’incapacité présumée, dans ces conditions, de fournir un consentement éclairé et le risque anticipé de procurer des données inexactes.

Les participants ont été choisis selon une stratégie échantillonnage non probabiliste de convenance (Fortin et Gagnon, 2016). Ainsi, les participants à l’étude ont été choisis selon leur disponibilité et leur accessibilité, puisqu’ils étaient suivis au sein d’un programme de santé mentale au CLSC. Ce type d’échantillonnage a été choisi pour faciliter la recherche et représente une des seules possibilités pour l’entreprendre (Fortin et Gagnon, 2016).

Déroulement de la collecte de données

Le recrutement des participants s’est échelonné du mois d’octobre 2017 au mois de juin 2018. La collecte de données a été menée par une des auteures de l’article (MPF) et une assistante de recherche. La durée moyenne pour la passation des questionnaires pour chaque participant a été de 28 minutes. Les trois questionnaires ont été remplis individuellement par les participants avec un soutien au besoin : 15 participants sur 30 ont préféré que les énoncés leur soient lus par la personne effectuant la collecte des données.

Questionnaires

Premièrement, la LS a été mesurée avec le QLS (de Jordy, 2018). Ce questionnaire autorapporté est basé sur 9 dimensions, représentant des aspects distincts du concept de LS : 1) Se sentir compris et soutenu par les professionnels de la santé ; 2) Avoir suffisamment d’information pour gérer sa santé ; 3) Gérer activement sa santé ; 4) Avoir du soutien social en lien avec la santé ; 5) Comprendre l’information relative à la santé ; 6) Avoir les habiletés pour s’engager activement avec les professionnels de la santé ; 7) Naviguer à l’intérieur du système de santé ; 8) Avoir l’habileté pour trouver les bonnes informations relatives à la santé ; et 9) Comprendre suffisamment les informations relatives à la santé pour savoir quoi faire. Il comprend 44 énoncés évalués à l’aide d’une échelle de type Likert à quatre points pour les énoncés des dimensions 1 à 5, allant de « fortement en désaccord » à « fortement d’accord », et en 5 points pour les énoncés des dimensions de 6 à 9, allant de « ne peut le faire ou toujours difficile » à « toujours facile » (Osborne et coll., 2013). Ce questionnaire peut être autoadministré ou verbalement administré par un membre d’une équipe de recherche. Il ne permet pas le calcul d’un score total ; il permet plutôt de cibler les dimensions comportant les scores les plus faibles, afin de faire ressortir les besoins individuels, organisationnels et sociaux en lien avec la LS. La version originale anglaise de ce questionnaire ainsi que sa traduction française ont présenté des qualités psychométriques comparables et adéquates (de Jordy, 2018).

Le second questionnaire utilisé pour la collecte des données est le Questionnaire sur votre santé (Poitras, Fortin, Hudon, Haggerty et Almirall, 2012), qui est la version française du Disease Burden Morbidity Assessment (DBMA) (Bayliss, Ellis et Steiner, 2005). Il s’agit d’un questionnaire autorapporté comportant 22 énoncés identifiant les maladies chroniques les plus répandues. Deux énoncés sur la consommation abusive d’alcool (homme > 15 consommations/semaine ; femme > 10 consommations/semaine) et la consommation de drogues sur une base régulière (au moins une fois/semaine) ont été ajoutés au questionnaire. Ces énoncés ont été ajoutés dans l’étude, car les personnes atteintes de troubles mentaux graves sont plus à risque de manifester des problèmes de dépendance à l’alcool et de toxicomanie (Graham, 2001 ; Regier, 1990).

Enfin, un questionnaire sociodémographique recueillant le genre, l’âge, la scolarité, l’occupation actuelle, le revenu, les personnes à charge et l’état matrimonial a été utilisé (Hudon et coll., 2018).

Analyse des données

L’analyse des données a été réalisée à l’aide du logiciel IBM® SPSS Statistics version 23. Premièrement, des analyses statistiques descriptives (p. ex. moyenne, fréquence) ont été effectuées pour décrire l’échantillon à partir des données recueillies à l’aide du questionnaire sociodémographique ainsi qu’à partir du DBMA. Ensuite, les scores du QLS ont été décrits à l’aide de statistiques descriptives (moyennes, écarts-types). Pour finir, les valeurs moyennes des 9 dimensions du HLQ ont été comparées selon différents sous-groupes de participants selon leurs caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, revenu, scolarité, occupation et état matrimonial) et cliniques (diagnostic de santé mentale) avec des tests t de Student et de tests d’ANOVA. La présence d’une différence statistiquement significative est basée sur un seuil de signification bilatéral de 0,05.

Considérations éthiques

Une approbation éthique a été accordée par le Comité d’éthique de la recherche du CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Tous les participants ont également signé un formulaire de consentement avant le début de la collecte des données.

Résultats

Parmi les 71 personnes ciblées pour participer à l’étude, 30 ont accepté d’y participer. Dans la population visée au départ, 20 personnes présentaient des critères d’exclusion, 12 ont refusé de participer à la recherche (5 en raison d’un manque de temps et 7 autres n’ont pas donné de raison précise) et, finalement, 7 personnes n’ont pu être rejointes. Le taux de participation à l’étude a donc été de 61,2 %.

Description de l’échantillon

La description de l’échantillon est présentée au tableau 1. L’échantillon a été composé de 11 femmes (36,7 %) et de 19 hommes (63,3 %), tous d’origine québécoise. L’âge moyen des participants était de 45 ans. La majorité des participants avaient un revenu se situant entre 10 000 $ et 14 999 $ (83,4 %) et ne travaillaient pas en raison de problèmes de santé reliés à leur diagnostic de troubles mentaux graves (80 %). Dans l’échantillon, 25 participants sur 30 étaient célibataires, divorcés ou veufs.

Parmi les participants, 16 (53,3 %) avaient un diagnostic de schizophrénie, 9 (30 %) avaient un diagnostic de trouble schizoaffectif et 5 (16,7 %) présentaient un trouble bipolaire de type 1 ou 2. Les principaux problèmes de santé physique retrouvés chez les participants étaient le surplus de poids (n = 16 ; 53,3 %), la dyslipidémie (n = 14 ; 46,7 %), les ulcères d’estomac (n = 11, 36,7 %), les troubles de la glande thyroïde (n = 8, 26,7 %) et l’hypertension artérielle (n = 8, 26,7 %).

Résultats des 9 dimensions du QLS

Les résultats des 9 dimensions du QLS sont présentés au tableau 2. Les résultats globaux démontrent une LS élevée dans toutes les dimensions, sauf pour la dimension « Comprendre l’information relative à la santé », qui est la seule dimension reflétant une LS plus faible. La dimension pour laquelle le résultat le plus élevé a été analysé est « Comprendre suffisamment les informations relatives à la santé pour savoir quoi faire. »

Comparaison de la LS entre différents sous-groupes de participants

Le tableau 3 présente les résultats (moyennes et écarts-types) pour les 9 dimensions du QLS selon différents sous-groupes. Ainsi, les femmes ont montré un résultat plus élevé que les hommes pour la dimension « Avoir suffisamment d’information pour gérer sa santé. » Les participants de moins de 45 ans ont montré un niveau plus élevé que les participants ayant 45 ans et plus pour la dimension « Avoir l’habileté pour trouver les bonnes informations relatives à la santé. » Les participants ne travaillant pas en raison de problèmes de santé ont eu un résultat plus élevé que ceux travaillant pour la dimension « Se sentir compris et soutenu par les professionnels de la santé. »Finalement, les participants ayant 4 maladies chroniques et moins ont obtenu un résultat plus élevé que les participants ayant plus de 4 maladies chroniques dans la dimension « Gérer activement sa santé. »

Discussion

Le but de cette étude était de décrire la LS chez les personnes présentant des troubles mentaux graves vivant en communauté sur le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, selon les 9 dimensions du QLS. Il a ainsi été observé que la dimension du QLS avec le résultat le plus faible a été « Comprendre l’information relative à la santé. » Selon Osborne et coll. (2013), avoir un faible niveau de LS dans cette dimension laisse entendre que la personne présente des difficultés importantes pour comprendre la plupart des informations en santé qui lui sont données.

Cependant, aucune étude faisant état de la LS chez des populations souffrant de troubles mentaux graves n’a utilisé un questionnaire multidimensionnel. En effet, le QLS, contrairement à d’autres questionnaires, ne donne pas les résultats directs sur les habiletés de LS. Il apporte plutôt une évaluation par la personne de sa LS dans 9 dimensions, permettant de fournir un profil complet de la LS.

Néanmoins, certaines études recensées dans la littérature ont également utilisé le QLS (version française), ou le HLQ (version anglaise), et peuvent être comparées à la présente étude. Premièrement, le QLS a été utilisé dans l’étude de Jordy (2018), auprès de 50 personnes atteintes d’une maladie neuromusculaire. Ensuite, l’étude de Dufour et coll. (2019) a utilisé le QLS auprès de 69 personnes âgées de 65 ans ou plus vivant dans la communauté au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Pour finir, Beauchamp et coll. (2015), ont utilisé le HLQ auprès d’une population australienne âgée majoritairement de 65 ans et plus. Pour l’ensemble des dimensions, les moyennes obtenues dans les différentes dimensions dans l’échantillon de la présente étude sont toutes légèrement plus basses que celles des moyennes de ces trois autres études. Également, pour la dimension « Comprendre l’information relative à la santé » et « Avoir les habiletés pour s’engager activement avec les professionnels », l’écart entre les résultats est plus grand.

Les résultats obtenus ont démontré des différences statistiques significatives entre des dimensions du QLS et certains sous-groupes chez les participants. Ces résultats suggèrent notamment que les femmes de l’échantillon ont tendance à avoir des scores plus élevés dans la dimension « Avoir suffisamment d’information pour gérer sa santé. » Dans l’étude réalisée en Australie avec le HLQ (Beauchamp et coll., 2015), les résultats ont également suggéré des différences significatives entre les genres féminin et masculin. Par contre, les différences relevées se situaient dans les dimensions « Avoir du soutien social en lien avec la santé » et « Avoir les habiletés pour s’engager activement avec les professionnels de la santé » et les scores étaient plus élevés chez les hommes. Cette étude suggère également que les participants âgés de moins de 45 ans semblent avoir de meilleures habiletés pour trouver les bonnes informations relatives à la santé que les personnes de 45 ans et plus chez cette population. Une autre étude réalisée, en 2015, dans un hôpital en Australie, avec un échantillon de 384 participants, a démontré une différence significative dans la même dimension « Avoir l’habileté pour trouver les bonnes informations relatives à la santé. » Par contre, les deux catégories d’âge sont les participants âgés de moins de 65 ans comparés avec ceux de plus de 65 ans (Jessup, Osborne, Beauchamp, Bourne et Buchbinder, 2017). Ces résultats similaires avec des populations différentes peuvent suggérer que plus les participants sont jeunes, plus ils utilisent différentes sources pour trouver de l’information récente en santé. Les résultats de la présente étude soulèvent également que les participants qui ne travaillent pas semblent se sentir plus compris et soutenus par les professionnels de la santé que les participants ayant un emploi. Ces derniers auraient établi au moins une relation de confiance avec un professionnel de la santé. Les participants ne travaillant pas peuvent avoir plus de temps pour être en contact avec les professionnels de la santé. Par contre, ce résultat est à interpréter avec précaution, puisque 26 participants ne travaillaient pas et 4 participants seulement étaient sur le marché du travail. Les résultats suggèrent que les participants ayant moins de 4 maladies chroniques ont tendance à mieux gérer activement leur santé que les participants présentant davantage de maladies chroniques. L’étude de Beauchamp et coll. (2015) a démontré des résultats semblables par rapport aux maladies chroniques. Les participants ayant moins de 4 maladies chroniques ont eux aussi un score plus élevé et des différences significatives, mais dans les dimensions « Avoir suffisamment d’information pour gérer sa santé », « Avoir du soutien social en lien avec la santé » et « Naviguer à l’intérieur du système de santé. » Il est possible que cela soit expliqué par la complexité de l’autogestion dans un contexte de quatre maladies et plus.

Il est important de porter une attention particulière aux troubles mentaux graves tels que la schizophrénie lorsqu’il est question de LS, car une grande partie des personnes présentant ce diagnostic font face à des atteintes neurologiques, telles que des troubles de l’apprentissage, de la mémoire et de l’attention, qui nuisent à leur fonctionnement (Broussard, Radkins, et Compton, 2014). Cela laisse supposer que la LS chez cette population peut comporter plusieurs lacunes dans les différentes dimensions. Pourtant, seule la dimension « Comprendre l’information relative à la santé » est plus faible sur les 9 dimensions du QLS alors que la dimension « Comprendre suffisamment les informations relatives à la santé pour savoir quoi faire » s’est avérée plus élevée. Ces résultats peuvent être expliqués par le suivi déjà offert aux participants par le programme santé mentale dans la communauté à l’intérieur duquel les professionnels de la santé peuvent servir d’intermédiaire pour les personnes présentant un trouble mental grave visant la réadaptation. Effectivement, les principaux objectifs du programme sont d’aider au développement d’un degré de fonctionnement autonome en société et de favoriser une utilisation judicieuse des services en utilisant une approche de gestion de cas (case management) (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2015). Les auteurs d’une étude réalisée en Irlande, O’Brien et coll. (2012), ont observé les bienfaits d’un tel programme. Ce programme a des caractéristiques comparables à celui du Québec, par exemple la présence active des professionnels de la santé dans la communauté. Les résultats montrent que suite à l’application du programme, les personnes ayant des troubles mentaux graves présentaient un plus grand engagement dans leurs activités quotidiennes et dans leurs thérapies. Ainsi, il est possible de croire que chez les personnes présentant des troubles mentaux graves, le fait de bénéficier d’un soutien professionnel prolongé dans la communauté peut leur permettre d’avoir une LS suffisante dans plusieurs dimensions telles « Se sentir compris et soutenu par les professionnels de la santé » ; « Gérer activement sa santé » ; « Avoir du soutien social en lien avec la santé » ; « Avoir les habiletés pour s’engager activement avec les professionnels de la santé » et « Comprendre suffisamment les informations relatives à la santé pour savoir quoi faire » du QLS.

La LS a un effet direct sur les comportements d’autogestion des personnes (Photharos, Wacharasin et Duongpaeng, 2018). Effectivement, la LS influence la capacité des personnes à acquérir et comprendre les informations sur la santé. Ces habiletés sont essentielles pour qu’une personne parvienne à assurer l’autogestion de sa santé. Les interventions de soutien à l’autogestion devraient être incluses dans les soins offerts aux personnes ayant un trouble mental grave et devraient même être prioritaires (Lean et coll., 2019). Les résultats de la présente étude soutiennent ainsi que ces interventions de soutien à l’autogestion devraient prendre en considération la LS.

Forces et limites de l’étude

Cette étude comporte des forces et des limites. La taille de l’échantillon peut représenter une limite à l’étude, car elle réduit significativement la puissance statistique. Cependant, la taille de 30 participants était assez grande pour permettre d’utiliser des tests t de Student et des ANOVA pour les analyses inférentielles. Aucune étude antérieure ne s’était attardée à décrire la LS de cette clientèle vivant dans la communauté avec le QLS. Cela suggère de nouveaux résultats de recherche pouvant servir de point de départ pour d’autres recherches plus approfondies auprès de cette clientèle. Également, une autre force à cette étude est qu’elle soutient les droits en santé des personnes ayant un trouble mental grave, car connaître leur niveau de LS pourra éventuellement permettre de diminuer les inégalités sociales concernant la prestation et l’accès aux soins de santé (Pampalon, Hamel, Alix et Landry, 2013).

Implications scientifiques et cliniques

Ce projet de recherche laisse place à plusieurs retombées scientifiques et cliniques pour la population présentant un trouble mental grave. Pour commencer, les résultats permettent d’avoir un premier aperçu de la LS chez cette population peu étudiée. Cette recherche ouvre la porte à plusieurs projets de recherche afin de compléter la description de la LS chez ces personnes. Également, faire connaître le concept de LS aide à l’équité en matière de santé en réduisant les inégalités au niveau des déterminants de la santé et en améliorant l’accès aux soins (Government of Canada, 2018). La LS est considérée comme un déterminant social de la santé, car elle démontre une forte association avec des principaux déterminants de la santé tels que le revenu, l’emploi et l’éducation (Rowlands, Shaw, Jaswal, Smith et Harpam, 2017). Contrairement aux autres déterminants sociaux de la santé, la LS peut être améliorée grâce à des interventions visant l’amélioration de la communication (Berkman et coll., 2011) ou encore des interventions de soutien et d’accompagnement lorsque celle-ci est compromise. Ce déterminant de la santé est donc positivement modifiable pour améliorer l’équité en santé chez les personnes présentant des troubles mentaux graves.

Par la suite, ce projet de recherche pourrait contribuer à sensibiliser les professionnels de la santé au concept de LS encore peu connu. Pourtant, la prévention et la prévention des bonnes habitudes de vie chez les personnes ayant des troubles mentaux graves sont importantes afin d’aider à réduire le développement des maladies chroniques fort présentes chez ces individus (Clausen et coll., 2016). Ces données serviront davantage aux professionnels de la santé travaillant dans les programmes de santé mentale, mais également dans d’autres services ou programmes. Pour ces professionnels, la promotion et l’éducation à la santé constituent une grande partie de leur tâche. Il serait même intéressant d’intégrer l’évaluation de la LS d’emblée lors de la collecte de données psychiatrique afin que les traitements administrés soient réellement bien compris par les personnes ayant une LS compromise (Krishan et coll., 2012). Connaître la LS de cette clientèle peut aider dans plusieurs aspects. Par exemple, les professionnels peuvent outiller davantage les personnes qui ont de la difficulté à naviguer dans le système de la santé, ils peuvent davantage préparer la clientèle à leur rendez-vous médical ou même les accompagner lors de leur rendez-vous. La compréhension des défis vécus par cette population, en lien avec leur LS, est essentielle pour pouvoir améliorer leur état de santé mentale et physique. Par exemple, les personnes ayant des troubles mentaux graves présentent un haut taux de non-adhérence à leur traitement. La compréhension des informations de santé joue un rôle dans l’adhérence au traitement, car les explications relatives aux bienfaits et aux effets secondaires du traitement se doivent d’être bien comprises pour augmenter la bonne adhérence à la médication.

Conclusion

Les résultats de cette étude démontrent que les personnes ayant des troubles mentaux graves semblent avoir une LS plus faible dans la dimension « Comprendre l’information relative à la santé. » Également, la comparaison des différents sous-groupes des participants avec les 9 dimensions du QLS démontre des différences statistiquement significatives pour les variables du genre, de l’âge, de l’occupation ainsi que des maladies chroniques. Enfin, viser l’amélioration ou prendre tout simplement en considération la LS chez les personnes présentant des troubles mentaux graves est un enjeu majeur pour la personne et son entourage, pour les professionnels de la santé ainsi pour le système de santé dans son ensemble en vue de permettre l’obtention des meilleurs résultats de santé possibles et de contrer les inégalités sociales pour cette clientèle.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques et cliniques des participants (n = 30)

Caractéristiques sociodémographiques et cliniques des participants (n = 30)

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Tableau 2

Résultats des moyennes des 9 dimensions du QLS

Résultats des moyennes des 9 dimensions du QLS

Dimensions 1 à 5 : minimum 1 à maximum 4 (bas : fortement en désaccord, en désaccord ; élevé : en accord et fortement en accord).

Dimensions 6 à 9 : minimum 1 à maximum 5 (bas : toujours difficile, habituellement difficile, parfois difficile ; élevé : habituellement facile et toujours facile).

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Tableau 3

Comparaison des différents sous-groupes des participants avec les 9 dimensions du QLS

Comparaison des différents sous-groupes des participants avec les 9 dimensions du QLS

Tableau 3 (suite)

Comparaison des différents sous-groupes des participants avec les 9 dimensions du QLS

Tests statistiques : ANOVA A, Test de student T

Dimensions 1 à 5 : minimum 1 à maximum 4 (bas : fortement en désaccord, en désaccord ; élevé : en accord et fortement en accord).

Dimensions 6 à 9 : minimum 1 à maximum 5 (bas : toujours difficile, habituellement difficile, parfois difficile ; élevé : habituellement facile et toujours facile).

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