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Introduction

« Des erreurs, j’en ai faites. D’abord, je suis né. Première erreur ! » (Woody Allen). Qu’il s’agisse du cinéma, de la littérature, de la vie quotidienne ou en psychothérapie, l’auto-critique est fréquente. Dans certains cas, elle est passagère et peut nous aider à nous remettre en question, à évoluer dans nos perspectives. Dans d’autres cas, elle est si prégnante et si forte qu’elle perd son caractère adaptatif et en devient délétère, notamment pour les patients rencontrés en psychothérapie.

L’objectif de cet article est de définir l’auto-critique en psychologie clinique et en psychothérapie et de la comparer à d’autres concepts retrouvés fréquemment dans la documentation scientifique. Nous présenterons les modèles de Blatt (1974) et Beck (1983), et la seconde partie de cet article portera sur les liens entretenus par l’auto-critique avec les troubles cliniques d’une part et les troubles de la personnalité d’autre part. Enfin, la dernière partie sera consacrée à certaines interventions psychothérapeutiques pouvant l’assouplir.

Définitions et formes d’auto-critique

Perspective cognitive

Le modèle cognitif en psychologie clinique sous-tend de nombreuses conceptualisations et recherches sur l’auto-critique (Beck, 1963 ; Glassman, Weierich, Hooley, Deliberto et Nock, 2007 ; Sachs-Ericsson, Verona, Joiner et Preacher, 2006). Beck (1967) définit différents niveaux de pensée, dont celui des pensées automatiques, niveau le plus accessible à la conscience du patient. Elles représentent le monologue intérieur du patient, autrement dit ce qu’il se dit à lui-même tel que : « je suis sans valeur », « je suis un perdant ». Ces pensées sont importantes car elles surviennent peu avant ou en même temps que les sentiments douloureux des patients déprimés. Si certaines de ces pensées reviennent sans cesse au travers des différentes situations vécues par le patient, il se peut qu’il s’agisse alors d’un niveau de pensée ancré plus profondément que celui des pensées automatiques ; Beck (1967) parle alors de schéma. Ce dernier représente les croyances de base sur soi et sur les autres, il guide et organise notre vision du monde. Dans certains cas, il peut être très rigide et connoter ainsi l’interprétation des événements négativement (Beck, 1995). Beck (1963) a montré que l’un des thèmes fortement présents dans les cognitions des patients déprimés est celui de l’auto-critique, qui est un reproche qu’un individu se fait quant aux imperfections qu’il perçoit chez lui-même, spécialement celles qui touchent à des domaines ayant de la valeur à ses yeux (Beck, 1963).

Et les émotions ?

Tout comme Beck (1963), Powers, Zuroff et Topciu (2004) décrivent l’auto-critique comme une évaluation punitive de soi, accompagnée par des reproches faits à soi-même et par des sentiments de culpabilité et d’absence de dignité. Ainsi, l’auto-critique peut être définie par un certain type de pensée mais également par les émotions qui l’accompagnent.

Whelton et Greenberg (2002) ont mis l’accent sur les émotions de mépris et de dégoût pour soi-même. Les scores obtenus au Depressive Experiences Questionnaire (Blatt, D’Afflitti et Quinlan, 1976) ont permis de différencier les étudiants « auto-critiques » des étudiants contrôles ayant un bas niveau d’auto-critique. Les participants étaient invités à se souvenir d’une expérience d’échec vécue, devaient s’auto-critiquer et répondre à cette critique. Les personnes auto-critiques présentaient plus de mépris envers elles-mêmes que les participants contrôles et s’auto-critiquaient avec plus de virulence. Les auteurs éclairent ici l’importance de prendre en considération non seulement les cognitions négatives mais également les émotions telles que le mépris et le dégoût de soi dans la conceptualisation de l’auto-critique.

Estime de soi et perfectionnisme : les voisins de l’auto-critique

Une basse estime de soi et le perfectionnisme sont des notions voisines de l’auto-critique et ces termes sont parfois utilisés de façon indifférenciée dans la documentation scientifique. Cependant, des nuances peuvent être apportées.

Globalement, l’estime de soi est le regard que l’on porte sur soi-même (André, 2006). Elle est constituée de trois ingrédients fondamentaux : l’amour de soi, la vision de soi et la confiance en soi. Si l’amour de soi représente le fait de s’aimer avec ses défauts et ses qualités, la vision de soi décrit la « conviction que l’on a d’être porteur de qualités ou de défauts, de potentialités ou de limitations » (André, 2008, p. 17). La confiance en soi est la croyance en nos propres capacités de faire face aux situations rencontrées. Ces trois éléments constituent le regard mais également le jugement que l’on pose sur soi. Ainsi, une basse estime de soi est alimentée par l’auto-critique ou le critique intérieur (André, 2006), qui incarne les jugements négatifs sur soi.

Le perfectionnisme requiert l’aspiration à être parfait et les efforts que cela implique, ainsi que la peur et l’évitement d’éventuels défauts ou erreurs. Il suppose de hauts standards de performance et une tendance à l’auto-critique (Frost, Marten, Lahart et Rosenblate, 1990 ; Powers et al., 2004). Les difficultés psychologiques associées au perfectionnisme comme la dépression, l’anxiété ou les troubles alimentaires proviendraient non pas des standards trop élevés mais bien de ces tendances auto-critiques (Todorov et Bazinet, 1996). Ainsi, une basse estime de soi couplée à des attentes de performance excessives donnent lieu à un perfectionnisme toxique dans lequel l’individu se fixe des exigences élevées impossibles à remplir et d’où découlent auto-critique, dévalorisation de soi et insatisfaction permanente (Fanget, 2006).

Auto-critique, estime de soi et perfectionnisme concernent de façon générale l’image et les attentes que l’on a de soi-même. Cependant, une basse estime de soi se rapporte plus précisément à la vision globale négative que l’on peut avoir de soi-même, le perfectionnisme a la tendance à poursuivre des attentes de performance élevées, tandis que l’auto-critique est cette voix interne qui vient les nourrir et les maintenir (André, 2006 ; Dunkley et Grilo, 2007 ; Frost et al., 1990).

L’auto-critique comme ressource ?

L’auto-critique a souvent été considérée de façon négative (Beck, 1963 ; Powers et Zuroff, 1988). Cependant, certains auteurs comme Powers et Zuroff (1988) ont évoqué sa fonction adaptative. Ils différencient l’auto-critique couverte de l’auto-critique ouverte. L’auto-critique couverte représente l’expérience interne, les cognitions liées à l’auto-critique, et l’auto-critique ouverte est le fait de se critiquer devant d’autres personnes. Ce dernier type permettrait aux individus de désamorcer les potentielles critiques et obtenir du soutien de la part d’autrui (Whelton et Henkelman, 2002).

L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a été utilisée par Longe et ses collaborateurs (Longe et al., 2010) afin de mieux comprendre les circuits neuronaux impliqués dans l’auto-critique. Leurs participants étaient exposés à deux types de scénarios : ceux centrés sur des échecs personnels provoquant des émotions négatives et les scénarios neutres sans contenu émotionnel. Les participants devaient se représenter dans ces différents scénarios et être auto-critiques ou rassurants avec eux-mêmes, en imaginant ce qu’ils pourraient se dire. Un lien a été mis en évidence entre l’auto-critique et l’activation des cortex préfrontal latéral et dorsolatéral ainsi que de la région cingulaire dorsale antérieure. Ces régions cérébrales semblent être fortement impliquées dans la perception d’erreurs et leur résolution ainsi que dans l’inhibition de comportements inappropriés. À la lumière de ces résultats, Longe et ses collaborateurs (2010) décrivent la pensée auto-critique comme une tentative de résolution d’une faute perçue qui précéderait la mise en place de processus d’inhibition. Ceci permettrait ainsi de modérer les préjudices sociaux induits par l’erreur perçue (Longe et al., 2010 ; Powers et Zuroff, 1988).

Dans l’approche psychodynamique, l’auto-critique est appréhendée comme un mécanisme de défense qui va être interprété en séance par le psychothérapeute (Banon et al., 2013 ; Kramer, de Roten, Perry et Despland, 2013). L’individu, en se dévalorisant, en minimisant ses propres succès, activerait en réalité son amour propre. L’autodépréciation permettrait d’éviter la déception liée à l’éventuelle insatisfaction de désirs ou de souhaits (Perry, 2004).

Naissance du « Je ne vaux rien »

Les facteurs développementaux pouvant amener des traits auto-critiques ont été explorés par certains chercheurs. L’auto-critique peut ainsi être comprise au travers de la théorie de l’apprentissage vicariant (Bandura, 1977). Les enfants apprennent par l’expérience directe mais également par l’observation active du comportement et des conséquences de ce dernier réalisé par des modèles (parents ou pairs par exemple), puis par la reproduction dudit comportement. Ainsi, les enfants ayant vécu dans un environnement familial strict avec des parents aux comportements restrictifs et rejetants seront plus enclins à s’évaluer plus tard de la même façon, en se jugeant sévèrement (Koestner, Zuroff et Powers, 1991).

André (2006), pour sa part, différencie trois types de discours parentaux pouvant participer au développement de l’auto-critique : un discours interdicteur qui limite chez l’enfant sa capacité à se réjouir et à agir ; un discours dans lequel les parents se critiquent eux-mêmes devant l’enfant ; et un discours définissant l’auto-critique comme élément fondamental de la vision de soi (« toujours se critiquer pour progresser »). Il est ensuite possible que des figures autres que les parents aient continué à transmettre ce type de messages à l’enfant : professeurs, supérieurs, amis, conjoint.

En outre, les abus verbaux parentaux du type insultes, humiliations ou menaces de recevoir des coups ont un impact important sur les symptômes internalisés et sur le développement d’un style cognitif négatif à l’âge adulte (Gibb, 2002). Sachs-Ericsson et ses collaborateurs (2006) ont examiné la relation entre les abus verbaux parentaux et les troubles internalisés développés plus tard par leurs enfants, et le rôle de l’auto-critique au sein de cette relation. Un peu plus d’un quart des participants de cette étude ont rapporté avoir subi des abus verbaux de la part de leurs parents, abus qui se sont révélés significativement corrélés aux symptômes internalisés. Sachs-Ericsson et al. (2006) ont trouvé que l’auto-critique était un médiateur total de cette relation. Ainsi, les expériences d’abus verbaux favorisent l’auto-critique qui, en retour, contribue au développement de symptômes internalisés.

Modèles de Blatt (1974) et Beck (1983) : l’auto-critique et la dépression

La documentation scientifique publiée sur l’auto-critique fait fréquemment référence à des traits de personnalité qui donneraient aux individus les présentant une plus grande vulnérabilité à la dépression et à d’autres pathologies. Deux grandes théories cohabitent dans la littérature sur ces traits de personnalité. Selon la théorie de Blatt (1974), intégrative des modèles psychanalytique et piagétien, il existe deux types de dépressions : la dépression anaclitique, définie par des sentiments de faiblesse, par la peur d’être abandonné et par des désirs de soutien et d’acceptation de l’autre, et la dépression introjective caractérisée par des sentiments de culpabilité, d’être sans valeur et d’avoir échoué par rapport à ses propres standards. Ces deux types de dépressions ont été réorganisés en dimensions de la personnalité (Zuroff, Moskowitz, Wielgus, Powers et Franko, 1983).

Dans sa perspective cognitive, Beck (1963) a également postulé l’existence de deux types de personnalités apportant une vulnérabilité à la dépression : la sociotropie et l’autonomie. Ces deux types sont conceptuellement proches de ceux de Blatt (1974) : les individus sociotropiques ont un fort besoin de relations interpersonnelles proches et de l’obtention de l’approbation et de l’amour d’autrui. Ils sont plus sensibles à des situations perçues comme perturbant leur environnement social et qui pourraient précipiter une dépression. Les personnes autonomes, quant à elles, accordent une grande importance à leur indépendance, à la réussite de leurs objectifs et sont donc sensibles aux contextes de menace de leur autonomie ou de leur réussite.

À la suite des modèles proposés par Blatt (1974) et Beck (1983), les études se sont multipliées dans le but de vérifier la vulnérabilité à la dépression que les traits de dépendance/sociotropie et d’auto-critique/automie confèreraient aux personnes les présentant. Au vu des résultats de ces recherches, Zuroff, Mongrain et Santor (1995) avancent que la dépendance/sociotropie semble apporter une vulnérabilité spécifique à la dépression lors de pertes interpersonnelles, tandis que l’auto-critique/autonomie apporte une vulnérabilité plus générale à la dépression.

« Je ne vaux rien » et psychopathologie

Si, historiquement, les chercheurs se sont focalisés sur les liens entre l’auto-critique et la dépression, les études se sont peu à peu diversifiées sur sa relation avec d’autres troubles majeurs (APA, 2000).

Auto-critique et troubles cliniques

Les recherches menées sur les troubles de l’axe I se focalisent principalement sur deux troubles anxieux ; l’état de stress post-traumatique (ESPT) ; et la phobie sociale, ainsi que sur les troubles des conduites alimentaires.

Dans les années 1990, un premier lien entre l’ESPT et l’auto-critique a été établi en montrant que les vétérans du Vietnam souffrant d’un ESPT obtenaient un score d’auto-critique plus élevé que les vétérans présentant un épisode dépressif majeur (Southwick, Yehuda et Giller, 1991). Cox, MacPherson, Enns et McWilliams (2004) ont réalisé une étude visant à dégager les dimensions psychologiques qui différencient les personnes ayant vécu un traumatisme et qui ont développé un ESPT de celles ayant été confrontées à un événement traumatisant, mais qui n’ont pas développé d’ESPT. Les résultats de cette étude indiquent que l’auto-critique pourrait faire partie des dimensions psychologiques déterminant l’apparition ou non d’un ESPT et ce, particulièrement pour les hommes.

De plus, il a été montré que les personnes atteintes de phobie sociale obtenaient un score significativement plus élevé d’auto-critique comparé aux individus ne présentant aucun trouble psychiatrique (Cox, Fleet et Stein, 2004). À la lumière de ces résultats, il semble que les croyances négatives que les patients atteints de phobie sociale présentent autour de leur image de soi ne sont pas circonscrites aux situations sociales, mais qu’elles font partie d’une image de soi globale négative et stable.

L’auto-critique a également été reliée aux troubles des conduites alimentaires. Speranza et ses collaborateurs (2003) ont exploré les expériences aversives vécues durant l’enfance et leurs liens avec les dimensions d’auto-critique et de dépendance chez des patients atteints de boulimie ou d’anorexie. Ces derniers ont obtenu des scores significativement plus élevés à ces dimensions que les participants contrôles. En outre, les événements négatifs de vie vécus durant l’enfance n’étaient corrélés qu’avec l’échelle d’auto-critique. L’auto-critique semble également agir comme facteur médiateur entre les abus émotionnels et sexuels subis durant l’enfance et le développement d’une insatisfaction corporelle avec symptômes dépressifs chez des patients souffrant de binge eating (Dunkley, Masheb et Grilo, 2010).

Ces études mettent en lumière l’importante présence de l’auto-critique au sein de différents troubles cliniques. Gilbert et Procter (2006) la considèrent d’ailleurs comme un concept transdiagnostic, augmentant la vulnérabilité, l’expression des symptômes et les risques de rechute.

Auto-critique et troubles de la personnalité

Ouimette, Klein, Anderson, Riso et Lizardi (1994) ont examiné les liens entre les dimensions d’autonomie/sociotropie et d’auto-critique/dépendance et les troubles de la personnalité. Cette étude a notamment mis en avant des corrélations significatives entre les deux sets de construits et le trouble de la personnalité borderline (TPB).

Dans le même sens, Kopala-Sibley, Zuroff, Russell, Moskowitz et Paris (2012) mettent en avant que certains patients borderline sont davantage concernés par des questions de rejet interpersonnel tandis que les questions d’infériorité ou d’échec sont plus alarmantes pour d’autres. Pour ces auteurs, les traits d’auto-critique et de dépendance expliquent une part de cette hétérogénéité. Ils ont donc examiné l’influence de ces deux traits sur la relation entre les pensées d’insécurité émotionnelle ou d’infériorité et les affects négatifs ressentis durant les interactions avec autrui. Durant 20 jours, 38 femmes ayant un trouble de la personnalité borderline et 31 femmes contrôles ont consigné leurs interactions sociales dans un cahier (lieu, moment, type de relation entretenue avec l’autre, expérience affective et perception de l’autre). Premièrement, les patientes avec TPB ont obtenu un niveau plus élevé d’auto-critique et de dépendance comparativement aux patientes déprimées sans TPB et aux femmes sans trouble psychiatrique. Ceci peut être interprété en termes d’importance des relations interpersonnelles et de l’image du soi, souvent considéré comme mauvais dans le TPB (Blatt et Luyten, 2009). Deuxièmement, l’auto-critique joue effectivement un rôle modérateur sur la relation entre insécurité émotionnelle et affect négatif en augmentant le niveau de celui-ci, tandis que la dépendance joue ce même rôle sur la relation entre sentiment d’infériorité perçue et affect négatif, expliquant par là une part de l’hétérogénéité des réactions émotionnelles des patients borderline dans différents types de situations.

Le tableau 1 résume les différentes formes et fonctions de l’auto-critique présentées dans le présent article.

Tableau 1

Résumé des différentes fonctions de l’auto-critique

Résumé des différentes fonctions de l’auto-critique

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Soulager l’auto-critique lorsqu’elle est source de souffrance

Différentes interventions thérapeutiques ont été décrites afin de travailler sur l’auto-critique.

Thérapie cognitive

Dans la thérapie cognitive, on trouve notamment l’intervention réalisée autour des pensées automatiques. Après avoir identifié les pensées automatiques et les schémas du patient, une restructuration peut être effectuée afin de remplacer la pensée automatique (ou le schéma dysfonctionnel) par une pensée plus adaptée, en partant par exemple de la pensée « je suis une mauvaise personne » afin de l’assouplir en « je suis une personne valable, avec des caractéristiques à la fois positives et négatives » (Beck, 1995, p. 175). L’idée générale est de promouvoir une image de soi plus proche de la réalité que celle véhiculée et maintenue par l’auto-critique, notamment en examinant avec le patient les arguments, les éléments de sa vie qui vont dans le sens de sa pensée auto-critique et ceux qui au contraire l’infirment (Beck, 1967).

Thérapie centrée sur la compassion

Cette thérapie développée par Gilbert (2009) part de trois systèmes de régulation émotionnelle. Le premier est le système de protection qui permet de détecter un danger potentiel rapidement, de déclencher un lot d’émotions comme la colère ou la peur qui, à leur tour, vont nous activer à entreprendre une action pour nous protéger. Le deuxième système est centré sur la motivation, la stimulation et la recherche de plaisir. Il nous apporte des sentiments positifs qui nous dirigent dans la recherche de ressources et de récompenses (nourriture, alliance, territoires, etc.). Le troisième système est lié aux besoins d’affiliation et d’apaisement. Une fois que l’individu n’a plus à se préoccuper de menaces et qu’il a assez de ressources, ce système peut se mettre en place. Il procure des affects positifs et est associé à un sentiment de bien-être, d’apaisement, de réassurance. D’après Gilbert (2009), les personnes étant très auto-critiques présentent une suractivation des deux premiers systèmes. Ainsi, le troisième système ne serait pas assez accessible chez ces personnes-là, ce manque provenant notamment d’une sous-activation du système d’affiliation de la part de l’entourage de l’enfant durant ses premières années de vie. Ces personnes auto-critiques ont par conséquent beaucoup de peine à se montrer bienveillantes envers elles-mêmes. L’objectif du thérapeute va être d’aider le patient à éprouver et vivre de la sécurité dans le lien à l’autre et pouvoir remplacer l’auto-critique néfaste par de la bienveillance envers soi et les autres. Le noyau de la thérapie est le compassionate mind training. Il s’agit du travail autour des attributs (s’occuper de son bien-être, empathie, non-jugement, etc.) et des compétences de la compassion : l’attention, le raisonnement, le comportement, la sensation ou l’imagerie compassionnels. Par exemple, cette dernière s’articule autour de la possibilité de ressentir des sentiments de compassion pour soi en s’imaginant une figure de compassion, le thérapeute accompagnant le patient dans ce travail en explorant les différentes émotions associées aux images.

La technique de la chaise vide dans les thérapies expérientielles

L’un des outils thérapeutiques développés dans la Gestalt thérapie et repris notamment par les thérapeutes expérientiels de la thérapie centrée sur les émotions (Greenberg, Watson et Lietaer, 1998 ; Pos et Greenberg, 2012) est celui de la chaise vide. Comme le rappellent Kramer et Pascual-Leone (2013), deux objectifs principaux sont visés par cette technique : la clarification des émotions et des pensées du client ou l’élaboration d’une nouvelle signification (clarification) ; et l’amélioration des compétences de résolution de problème (modification). En ce qui concerne l’objectif de clarification, l’utilisation de la chaise vide permet d’explorer différents aspects du soi : le soi critique et le soi expérientiel, plus sain et adapté. La chaise vide permet la mise en acte des conflits entre ces deux aspects, ainsi que l’évocation des émotions en jeu afin d’atteindre une intégration des deux types de soi (Pos et Greenberg, 2012). Lorsqu’un client présente une contradiction interne, cette dernière est souvent accompagnée par une voix interne critique. Kramer et Pascual-Leone (2013) présentent le cas d’une cliente qui, d’un côté, ressent beaucoup de sentiments pour un homme et qui, en même temps, a une voix critique qui lui dit qu’elle se ridiculise lorsqu’elle se retrouve en face de lui. Dans la chaise expérientielle, cette cliente formule ses sentiments pour cet homme puis, sur l’autre chaise, elle exprime sa critique. Dans un troisième temps, elle revient à la chaise expérientielle et partage son vécu émotionnel ressenti en entendant la critique. L’objectif est de permettre au client de nuancer sa voix critique qui entretient le conflit. Pour cela, deux processus sont importants : que les sentiments de colère, de dégoût et de mépris venant du soi critique se changent petit à petit en compassion et empathie, et que la honte et le sentiment d’impuissance ressentis par le soi expérientiel évoluent vers un soi plus affirmé (Sahar et al., 2012).

Résumé et conclusions

L’auto-critique a souvent été confondue avec d’autres concepts tels que l’estime de soi ou le perfectionnisme. Bien qu’il s’agisse de notions « voisines », nous avons pu voir que de notables différences existent et qu’elles sont importantes à considérer, notamment dans le processus thérapeutique. L’auto-critique a connu son essor grâce aux modèles développés par Blatt (1974) et Beck (1983) et a été considérée à leur suite comme un trait de personnalité, idée encore présente dans la documentation scientifique, bien que certains auteurs se soient attachés à démontrer le rôle de l’environnement et des événements de vie (Zuroff, Blatt, Sanislow, Bondi et Pilkonis, 1999).

Si les recherches ayant pour objet l’auto-critique se sont dans un premier temps appliquées à élaborer des liens avec la dépression, nous avons pu constater une expansion à d’autres troubles cliniques, comme les troubles anxieux, et également aux troubles de la personnalité. Au vu des résultats cités et décrits dans cet article, il semble que nous puissions considérer l’auto-critique comme un élément important, voire central dans toute une série de psychopathologies, d’où la nécessité de développer et d’enrichir les interventions thérapeutiques déjà existantes permettant d’y remédier.

Plusieurs auteurs (Longe et al., 2010 ; Whelton et Henkerlman, 2002) mettent également en lumière un rôle de l’auto-critique qui peut être adapté et même porteur pour l’individu. La question est de savoir jusqu’à quel point l’auto-critique permet aux individus de progresser et d’aller de l’avant dans leurs projets, dans leur vie quotidienne. Et à quel moment elle devient délétère, voire pathologique. La limite entre les deux est sans doute fine et fragile, et doit évoluer d’un individu à l’autre. En conclusion, l’auto-critique est omniprésente dans la vie de tout un chacun. Sur le plan non adaptatif, elle se retrouve dans un grand nombre de pathologies psychiatriques. Pour aider les patients à y faire face, plusieurs interventions thérapeutiques coexistent ; le travail sur les pensées automatiques et la compassion en thérapie comportementale et cognitive, le travail d’interprétation des mécanismes de défense narcissiques en psychodynamique ou encore la technique de la chaise vide dans les approches expérientielles.