Corps de l’article

Définition et prévalence du trouble obsessionnel-compulsif

Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est un trouble mental qui affecte environ de 2 à 3 % de la population adulte (Rasmussen et Eisen, 1989 ; APA, 1994). Par contre, plusieurs chercheurs estiment que ces taux de prévalence sont sous-estimés puisqu’ils sont recueillis dans des populations cliniques. La prévalence à vie du TOC dans la population générale se situerait plutôt entre 3 et 4 % (Karno et al., 1988 ; Zohar et al., 1992). De plus, le TOC est le quatrième trouble mental d’importance après le trouble dépressif majeur, l’abus de substances et le trouble panique avec des effets nuisibles significatifs autant au niveau personnel, familial et professionnel (APA, 1994). Les compulsions les plus fréquentes sont : (1) le lavage : le désir de se laver les mains ou toutes autres parties du corps afin de se protéger contre une contamination imaginaire ; (2) les vérifications : le désir de vérifier plusieurs fois afin de s’assurer que rien n’a été oublié quand, par exemple, l’individu quitte sa demeure ; (3) l’ordre et le rangement : toucher de manière répétitive ou regarder des objets afin de s’assurer qu’ils sont correctement placés. Les obsessions et les compulsions peuvent aussi se manifester par des phobies d’impulsion, des scrupules, de l’accumulation ou des préoccupations concernant la santé. Le doute obsessionnel se manifeste également par une lenteur obsessionnelle, par une difficulté à prendre des décisions ou par des ruminations mentales sans compulsion manifeste. En réaction à la pensée obsessionnelle, une action mentale ou manifeste est habituellement exécutée afin de neutraliser, d’enrayer, de prévenir ou d’éviter toutes conséquences désastreuses.

Le TOC a été considéré comme étant un trouble du mouvement, un trouble du comportement, un trouble d’anxiété et un trouble du raisonnement. Il existe des arguments légitimes en faveur de ces quatre conceptions. Chacune de ces conceptions jette un nouveau regard sur le TOC et sur les diagnostics différentiels qui en découlent. L’objectif de cet article est de présenter les arguments en faveur de chacune de ces conceptions.

Le TOC comme un trouble du mouvement

L’idée que le TOC est un trouble du mouvement s’appuie grandement sur les résultats d’études menées en neurobiologie. L’hypothèse neurobiologique prédit que le TOC est un des nombreux troubles neurobiologiques qui se caractérisent par une difficulté à inhiber les comportements. Cette difficulté d’inhibition serait causée par un déficit neurochimique au niveau des aires cortico-subcorticales. Un parallèle est souvent tracé entre le TOC, les troubles tics et les troubles qui se caractérisent par un dysfonctionnement des noyaux de la base tel que la chorée de Huntington. Par contre, aucune évidence empirique démontre clairement que ces troubles partagent un déficit au niveau des mêmes structures. Le principal circuit qui serait impliqué est le circuit cortico-striato-thalamo-cortical. Celui-ci inclut le thalamus, les noyaux de la base, les aires moteurs et le cortex orbito-frontal. Par contre, l’implication exacte de ce circuit reste à déterminer. L’hypothèse du déficit structural découle des recherches qui ont porté sur les lésions et de celles qui se sont intéressées au dysfonctionnement des noyaux de la base, principale cause, des déficits moteurs et des stéréotypies (Peterson et al., 1999). Une hypothèse alternative prétend que les comportements tics et le TOC seraient le résultat d’une anomalie au niveau des bases neuronales des comportements moteurs innés (Knowlton et al., 1996) et dépendraient fortement de la relation étroite entre les rituels et le comportement inné de dressage chez les animaux.

D’autres recherches se sont intéressées aux signes neurobiologiques légers qu’on retrouve chez les patients TOC. Les signes les plus fréquemment rencontrés étaient la présence de mouvements involontaires mineurs, la présence de mouvements mineurs et la présence de difficultés au niveau de la coordination motrice (Hollander et al., 1990). Il est important de mentionner que cette recherche présente certaines lacunes dont l’absence d’un groupe de comparaison clinique. Par conséquent, il est possible que les résultats obtenus ne soient pas spécifiques au TOC. Hollander et al. (1990) rapportent également une corrélation entre la présence de signes légers et la sévérité des obsessions. Cette corrélation n’était toutefois pas observable entre les signes légers et la sévérité des compulsions.

De plus, les individus qui souffrent d’un TOC éprouvent certaines difficultés à inhiber la cueillette d’informations et à inhiber leurs performances (Enright et Beech, 1993). Les résultats qui démontrent que les patients TOC ont moins d’habileté à sélectionner les informations pertinentes et à rejeter les non pertinentes semblent se généraliser aux tests d’attention quotidienne et ce, comparativement au trouble panique (Clayton et al., 1999).

D’autres études neuropsychologiques ont démontré que les patients TOC présentaient des déficits tant au niveau des fonctions exécutives qu’au niveau de la flexibilité cognitive et de l’inhibition des réponses (Head et al., 1989 ; Veale et al., 1996). Les patients TOC éprouvent également des difficultés à contrôler les comportements d’attention et ceux spontanés autogérés (Schmidtke et al., 1998). De plus, ils présenteraient des difficultés à inhiber leurs réponses face à de faibles stimulations (Yaryura-Tobias et al., 1977). Par contre, aucune étude n’a démontré la présence d’une dysfonction des lobes frontaux.

Plusieurs facteurs peuvent affecter négativement la performance des patients TOC : avoir moins confiance en leurs performances, être préoccupés par la possibilité de faire des erreurs, se sentir obligés d’inhiber des pensées ou des mots et être distraits par des préoccupations. Reed (1985) accorde énormément d’importance au rôle de l’indécision qui pourrait contribuer à la lenteur des patients TOC. De plus, le manque de confiance au niveau de la sélection de critères appropriés servant à compléter une tâche spécifique peut mener à l’apparition de problèmes tant au niveau des tests de réalité, qu’au niveau des feedbacks d’évaluation (Dixon et al., 1997). Ces difficultés peuvent, en retour, induire un doute pathologique chronique ou des conflits au niveau du choix des comportements appropriés à la bonne résolution de la tâche.

Le TOC comme un trouble du comportement : comportements impulsifs ou comportements compulsifs ?

Le concept du spectre TOC a été largement influencé par les travaux de Hollander (1993). Ce chercheur a proposé que plusieurs troubles impulsifs et compulsifs seraient caractérisés par une difficulté à inhiber les comportements involontaires répétitifs. Le spectre TOC a été défini comme étant un continuum allant de la surestimation du danger à l’extrémité compulsive jusqu’à la sous-estimation du danger à l’extrémité impulsive (Hollander et Benzaquen, 1997). Les troubles impulsifs incluent : le syndrome de Tourette (ST), la pyromanie, la trichotillomanie, les achats compulsifs et le jeu excessif.

Les dimensions du continuum ont été élaborées à l’intérieur d’un cadre biologique d’hyper-frontalité versus d’hypo-frontalité relié à une augmentation/diminution de la sensibilité sérotonergique. Très peu de données sont en faveur du modèle qui impliquerait la sensibilité sérotonergique. Par exemple, une recherche a démontré qu’il n’y avait aucune relation significative entre des mesures du niveau de sérotonine et les résultats obtenus à différents questionnaires qui évaluaient l’impulsivité ou la compulsivité (Cath et al., 2001). De plus, les études qui avaient comme objectif d’identifier le rôle de l’hypo-sensibilité des récepteurs à sérotonine ont obtenu les résultats suivants : cette hypo-sensibilité n’est pas directement impliquée dans la médiation de la symptomatologie du TOC, mais semble agir comme un marqueur de trait (Khanna et al., 2001). Le TOC et les troubles impulsifs semblent répondre différemment aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). Les principaux médicaments ISRS utilisés dans les études multi-centres se sont avérés efficaces pour traiter le TOC et, la plupart du temps, inefficaces pour traiter les différents troubles impulsifs (Cohen et al., 1992). Même si des études de cas rapportent la rémission totale des symptômes TOC après l’utilisation d’ISRS, ces médicaments sont vraiment efficaces, avec une diminution qui peut atteindre jusqu’à 35 % des symptômes TOC, dans seulement 20 à 50 % des cas répertoriés (Vythilingum et al., 2000).

Dans tous les sous-types de TOC, le comportement compulsif est le résultat direct ou indirect d’une obsession. Le comportement compulsif n’est donc pas un mouvement comme tel, mais plutôt une réponse au stimulus qui le précède, c’est-à-dire l’obsession. Il a comme objectif de réduire l’anxiété générée par l’anticipation de conséquences désastreuses. Par contre, dans tous les troubles impulsifs, il n’y a aucune pré-méditation. Le comportement n’est pas exécuté pour prévenir des conséquences dramatiques. Les individus ne sont pas habituellement conscients des pensées qui précèdent leurs comportements ou s’ils sont conscients, cette conscience est plutôt inégale. Il est possible de comprendre davantage les différences qu’on observe entre les troubles impulsifs et compulsifs à partir d’une comparaison entre le TOC et les troubles tics.

Le TOC et le syndrome de Tourette (ST)

Le Diagnostic Statistical Manual of the American Psychiatric Association (DSM-APA, 1987, 1994) différencie les tics transitoires du ST et des tics moteurs chroniques (TMC). Le ST est une catégorie diagnostique qui se caractérise par la présence de tics multiples incluant les tics vocaux (phoniques) qui se répètent plusieurs fois par jour. Bien que plusieurs cliniciens considèrent que les TMC représentent une forme moins sévère du ST, le diagnostic du ST est catégoriel et non dimensionnel. Les tics peuvent être simples ou complexes. Dans la catégorie des tics simples, on retrouve le clignotement des yeux et différents mouvements involontaires impliquant, la plupart du temps, des parties supérieures du corps (par exemple, les yeux, les joues, la tête et les épaules). Les tics peuvent également être vocaux et se présenter sous la forme d’une toux, d’un claquement de la langue, d’un reniflement, d’un éclaircissement de la gorge, d’un hoquet, d’un aboiement et d’un grognement.

Les tics complexes eux, peuvent se présenter sous la forme d’auto-mutilations répétitives comme par exemple se frapper la tête, se grafigner le visage, serrer et relâcher les mains ou adopter une posture dystonique. Les tics vocaux complexes ou plus précisément les tics phoniques (Jankovic, 1997) prennent la forme de sons, de mots ou de phrases répétés et, très rarement, de jurons (coprolalie). L’individu peut également répéter les comportements et les mots d’autrui. On nomme le mimétisme moteur (échopraxie) la répétition des comportements d’autrui et l’écholalie la répétition de ses phrases, de ses sons ou de ses mots.

Le déclenchement des tics semble être relié au niveau de tension et non à une pensée précise. L’individu qui souffre de tics vit une augmentation de son niveau de tension, souvent décrite comme une « envie prémonitoire » qui précède ou accompagne le tic. Cette sensation n’est pas présente avec tous les tics. Elle disparaît habituellement après avoir fait le tic. De plus, les muscles qui sont impliqués dans les tics paraissent plus tendus et moins flexibles que ceux qui ne participent pas (O’Connor et al., 1995).

Les individus qui souffrent de tics ne décrivent pas l’expérience émotionnelle qu’ils vivent de la même façon que ceux qui souffrent d’un TOC. Dans les TMC, le déclenchement et le feedback du tic sont principalement basés sur les sens. Même si les troubles impulsifs provoquent un certain plaisir (Hoogduin, 1986 ; Shapiro et Shapiro, 1988), les tics semblent être déclenchés par des sensations psychasthéniques d’une insuffisance ou d’un inachèvement sensoriel (Leckman et al., 1994, 1995). Cath et al. (1992) considèrent ce « vécu émotionnel » comme étant crucial au diagnostic.

Il est possible de bien saisir une distinction cognitivo-sensorielle qu’on retrouve entre les tics et le TOC, en faisant référence au sous-type de TOC « juste correct ». Le phénomène « juste correct » correspond à certaines compulsions : arranger et ordonner des items ou exécuter des mouvements symétriques sans qu’il y ait d’obsession évidente qui les précède sauf un besoin que tout soit parfait ou correct. Ce phénomène est également présent chez les patients TOC avec ou sans tics et s’explique par un mélange complexe d’activation élevée, de sensibilité perceptuelle, de doutes et d’actions répétitives (Leckman et al., 1994, 1995). Cependant, une bonne évaluation psychologique est nécessaire afin d’établir un diagnostic différentiel. En effet, même si l’individu, qui ne fait pas son rituel « juste correct », n’anticipe aucune conséquence négative précise et observable, celui-ci peut, tout simplement, anticiper qu’il ne se sentira pas bien si « tout n’est pas correct ». La conséquence envisagée n’est donc pas à l’extérieur de lui, mais fait plutôt référence au comment il pourrait se sentir si « tout n’est pas correct ». Dans le même ordre d’idées, Coles et al. (2003) ont suggéré que deux types de motivation pouvaient être à l’origine des rituels « juste correct » : 1) il y a quelque chose d’incorrecte et 2) les conséquences négatives anticipées. Cependant, ces auteurs considèrent cette distinction comme étant deux sous-types de TOC plutôt qu’une distinction entre les tics et le TOC.

L’interaction entre les différents troubles impulsifs et compulsifs

On retrouve souvent des symptômes impulsifs à l’intérieur d’un trouble compulsif. Par exemple, il existe une interaction entre les achats impulsifs et l’accumulation compulsive. L’individu accumule habituellement des objets inutiles qui n’ont aucune valeur et éprouve de la difficulté à s’en départir (Frost et Gross, 1993). Les accumulateurs peuvent se diviser en deux catégories : 1) les accumulateurs instrumentaux, c’est-à-dire ceux qui accumulent des journaux, des magazines, des sacs de toutes sortes, des boîtes de différents formats, du papier à emballer, des objets brisés ou des appareils ménagers. Les principales motivations qui poussent ces individus à accumuler sont : « peut-être que je pourrais en avoir besoin un jour », « cet item pourrait être utile à quelqu’un d’autre », « peut-être que mes items ont une certaine valeur » et « je serais irresponsable si je perds des items ». 2) Les accumulateurs sentimentaux qui deviennent attachés aux objets. Les principales motivations qui poussent ces individus à accumuler sont : « je pourrais être vulnérable et sans défense si je me départis de l’objet », « ma possession est une partie de moi ou est un prolongement de moi » et « je tiens à mes possessions comme je tiens aux gens qui m’entourent ».

L’achat compulsif est un trouble impulsif qui se définit par une envie irrésistible d’acheter des items. L’individu ressent une tension, de plus en plus intense, qui est soulagée lorsqu’il fait l’achat. Les femmes semblent souffrir plus fréquemment de ce trouble impulsif que les hommes. L’individu qui souffre d’achats compulsifs n’a pas vraiment le contrôle sur ce qu’il achète et ne sait pas exactement ce qu’il va acheter en sortant de chez lui. Les produits les plus fréquemment achetés sont ceux qui rehaussent le pouvoir d’attraction physique de l’individu (ex : crèmes pour le visage). Il se sent mieux dans sa peau en utilisant des produits de beauté. Cette augmentation de la confiance personnelle n’est que temporaire et est habituellement suivie par des sentiments de culpabilité et de mépris. L’individu n’achète pas pour satisfaire un véritable besoin, mais plutôt parce qu’il se sent triste, en colère, seul ou frustré (McElroy et al., 1994).

Il est également important de faire la distinction entre les comportements impulsifs et les phobies d’impulsion. Les phobies d’impulsion sont des pensées ou des images qui amènent l’individu à croire qu’il pourrait se faire du mal ou qu’il pourrait faire du mal aux autres en émettant des comportements qui vont à l’encontre de ses croyances ou de ses désirs : « je pourrais faire du mal à mes enfants », « je pourrais sauter en bas du pont » ou « je pourrais molester quelqu’un ». Une des caractéristiques principales des phobies d’impulsion est que l’individu ne passe jamais à l’acte. La phobie d’impulsion ne représente pas un véritable désir de faire du mal, mais tout simplement une pensée à propos du fait qu’il est toujours possible de faire du mal (Aardema et O’Connor, 2003). À l’inverse, les comportements impulsifs sont des actions qui se caractérisent par une recherche de plaisir, par un désir fondé de faire du mal et par une absence complète de réflexion morale. Contrairement aux phobies d’impulsion, l’individu passe véritablement à l’acte. Il est parfois difficile d’obtenir un bon diagnostic différentiel. Une erreur de diagnostic peut avoir plusieurs répercussions. Prenons, par exemple, le cas d’une mère de famille qui souffre d’une phobie d’impulsion. Elle a peur de molester et d’agresser son enfant. Advenant une erreur de diagnostic, elle pourrait être considérée à risque de véritablement agresser son enfant. On pourrait alors l’interner par pure mesure de précaution. Par contre, dans les faits, elle ne passerait jamais à l’acte.

Le TOC comme un trouble d’anxiété

Le TOC est officiellement classé dans la catégorie des troubles d’anxiété selon les critères du DSM-IV-R. Cependant, une controverse existe actuellement à savoir si l’anxiété est primaire ou secondaire. Dans les faits, l’individu ressent de l’anxiété parce qu’il anticipe la survenue de conséquences désastreuses. Par contre, l’anxiété n’est pas toujours présente lorsque les rituels ne sont pas exécutés. En effet, certains patients TOC ne ressentent pas nécessairement de l’anxiété, mais plutôt un inconfort ou une autre émotion négative.

L’hypothèse du trouble d’anxiété découle du modèle phobique élaboré par Meyer (1966). Ce modèle s’inspire des théories comportementales de l’anxiété conditionnée. Plusieurs résultats de recherche sur le traitement des informations ont démontré que les patients TOC, tout comme ceux qui souffraient d’anxiété, se caractérisaient par la présence de comportements d’hypervigilance. Cette hypervigilance les amènerait à réagir exagérément lorsqu’ils sont confrontés aux différentes menaces dans l’environnement. L’hypothèse du trouble d’anxiété a reçu énormément de support des techniques comportementales utilisées pour traiter le TOC. En effet, l’exposition avec prévention de la réponse (EX/PR) s’inspire du modèle phobique élaboré par Meyer (1966). Durant cette procédure, le patient TOC doit s’exposer aux situations anxiogènes. Le modèle stipule que la réaction de peur exagérée est associée, par conditionnement, à l’objet phobique. Cette réaction pousse donc l’individu à éviter l’objet en question. En plus de s’exposer aux situations anxiogènes, le patient TOC doit résister à l’envie de faire sa compulsion. Cette procédure a pour nom : prévention de la réponse. Des résultats de recherche ont démontré que l’exposition seule aux objets phobiques ne réduisait aucunement l’intensité des préoccupations obsessionnelles et devait donc, pour être efficace, être jumelée à l’extinction de la réponse neutralisante (Rachman, 2003). Malheureusement, cette technique n’est pas efficace avec tous les patients TOC. En effet, plusieurs d’entre eux refusent de suivre le traitement (Steketee, 1994).

Le modèle cognitif, qui découle des travaux de Beck (1976), s’intéresse aux pensées obsessionnelles qui précèdent les rituels et ce, plutôt que de s’attaquer directement aux rituels comme tels. Les pensées obsessionnelles sont un phénomène normal et largement répandu dans la population générale (Rachman, 1997, 2003 ; Salkovskis, 1985, 1998). Ce qui différencie les sujets normaux de ceux qui souffrent du TOC, est comment la personne interprète ses pensées intrusives. Les patients TOC auraient tendance à accorder énormément d’importance à leurs pensées obsessionnelles. Le modèle cognitif des évaluations (cognitive appraisal model) considère qu’il est préférable d’adresser en thérapie les croyances qui poussent l’individu à accorder énormément d’importance à ses pensées obsessionnelles et ce, plutôt que de traiter directement le contenu des obsessions. Le OCD Cognitions Working Group (OCCWG) (Frost et Steketee, 2002) a développé un questionnaire qui permet d’identifier les croyances obsessionnelles. Ce questionnaire comporte 6 dimensions que les chercheurs du OCCWG considèrent spécifiques au TOC : (1) la responsabilité excessive ; (2) l’importance excessive accordée aux pensées ; (3) le besoin excessif de contrôler ses pensées ; (4) la surestimation du danger ; (5) l’intolérance à l’incertitude ; et (6) le perfectionnisme (Frost et Steketee, 2002 ; OCCWG, 2003).

Même si les six dimensions discriminent bien les interprétations qu’on retrouve chez les patients TOC de celles qui sont présentes dans un groupe contrôle, cette discrimination est beaucoup moins marquée entre le TOC et les autres troubles d’anxiété. La surestimation de la présence d’un danger, terme central au modèle cognitif des évaluations, représente également une caractéristique que partagent les autres troubles d’anxiété.

Il est également important de mentionner que les items qu’utilisaient les questionnaires, dans les études ci-haut mentionnées, ne différencient aucunement les intrusions obsessionnelles : a) des pensées automatiques négatives (Clark et Purdon, 1993) ; et b) des inquiétudes qu’on retrouve chez les gens qui souffrent d’un trouble d’anxiété généralisée (TAG).

Le TOC comme un trouble du raisonnement

Une autre façon de concevoir le TOC est de considérer qu’il s’agit d’un trouble du raisonnement qui provoque de l’anxiété et ce, plutôt qu’un trouble d’anxiété à proprement dit. Cette façon de conceptualiser le TOC expliquerait, en partie, pourquoi ce trouble est si différent des autres troubles d’anxiété. Plusieurs données confirment qu’il existe un lien évident entre le TOC et la schizotypie. De plus, des résultats de recherche ont démontré que les pensées fluctuent sur un continuum (Eisen et Rasmussen, 1993 ; Insel et Akistal, 1986 ; Kozak et Foa, 1994). En effet, à une extrémité, on retrouve les obsessions et à l’extrémité opposée, les idées délirantes. Les idées surévaluées (IS) représentent une condition intermédiaire située à mi-chemin entre les obsessions et les idées délirantes.

Des études ont démontré qu’il existait une relation de covariation entre le TOC et différents symptômes schizotypiques positifs tels que la présence d’expériences perceptuelles inhabituelles et la présence d’idées de référence (Tallis et Shafran, 1997 ; O’Dwyer et Marks, 2000). Les patients TOC peuvent être littéralement « absorbés » dans leurs scénarios obsessionnels, à un point tel, qu’ils vivent cette obsession comme étant une hallucination (Guidano et Liotti, 1983). On pourrait dire que le patient TOC se dissocie, à un certain degré, de la réalité lorsqu’il s’engage dans ses comportements obsessionnels et compulsifs (Aardema et al., 2004).

Plusieurs instruments ont été récemment développés afin d’évaluer les croyances que l’individu entretient à propos de ses obsessions et de ses compulsions (Overvalued Ideas Scale ; Neziroglu et al., 1999). Le concept d’IS est souvent utilisé afin de désigner les croyances qui concernent la santé et l’image corporelle. L’hypochondrie est reconnue comme étant une forme de TOC très résistante au traitement. L’individu qui souffre d’hypochondrie craint constamment d’attraper une maladie. Il interprète la moindre petite irrégularité ou l’apparition d’un symptôme non identifié comme étant un signe qu’il est atteint d’une maladie incurable (cancer, sida, démence, problèmes cardiaques).

L’individu a l’impression que sa peur obsessionnelle est fondée. En effet, il justifie sa peur en expliquant qu’elle repose sur la perception de sensations somatiques. Il est difficile, pour lui, de réaliser que la crainte est obsessionnelle et non fondée dans la réalité. Les rituels qu’on retrouve le plus fréquemment chez les individus atteints d’hypochondrie sont : vérifier constamment les parties de son corps afin de s’assurer qu’aucune anomalie n’est présente, rechercher du réconfort auprès des professionnels de la santé, se rassurer en lisant des livres sur la santé et exiger de passer des tests médicaux.

Quant à lui, le trouble de dysmorphie corporelle (TDC) se caractérise par la présence de préoccupations excessives et récurrentes concernant l’apparence physique (ex : nez, peau, le corps, la forme du crâne, les cheveux et la symétrie du visage). Ces préoccupations sont habituellement imaginées, mais peuvent se baser sur un handicap présent et léger. Par exemple, l’individu qui a un gros nez peut développer des préoccupations excessives concernant cette partie du corps. L’individu qui souffre d’un TDC fait plusieurs rituels : cacher ou masquer son handicap, se regarder constamment dans le miroir, se nettoyer excessivement, rechercher du réconfort et décider de passer au bistouri (Phillips et Diaz, 1997). Il semblerait que 75 % des patients TDC souffrent également d’un TOC et qu’à l’inverse, 15 % des patients TOC souffrent, en comorbidité, d’un TDC.

Le TDC peut également s’accompagner d’un trouble de l’alimentation. L’image corporelle est alors déformée. L’individu refuse de maintenir son poids santé parce qu’il a peur de prendre du poids. La perception déformée de l’image corporelle s’accompagne souvent d’une phobie du poids et de la nourriture avec ou sans orgie alimentaire. L’orgie alimentaire est le résultat de la frustration qui est engendrée par l’incapacité de contrôler les envies de s’empiffrer. Quant à elle, la boulimie appartient à la catégorie des troubles impulsifs du contrôle. Les rituels qu’on retrouve le plus fréquemment dans les troubles de l’alimentation sont : compter les calories ingérées, manger constamment la même nourriture, faire de l’exercice physique de façon compulsive et les rituels superstitieux qui concernent le poids et l’alimentation. Il existe également des rituels qui impliquent l’ingestion de laxatifs et différentes pratiques d’élimination (par exemple, se faire vomir). Des recherches ont démontré que 32 % des patients qui sont aux prises avec un trouble de l’alimentation souffrent également d’un TOC et qu’à l’inverse, 13 % des patients TOC souffrent, en comorbidité, d’un trouble de l’alimentation. (Rubenstein et al., 1992 ; Rubenstein et al., 1993).

Comment distinguer les croyances obsessionnelles de celles qui sont plutôt délirantes ?

Il est important de considérer l’intensité de la croyance lorsqu’on désire effectuer un bon diagnostic différentiel entre le TOC et le trouble délirant. Un des points clés permettant de distinguer les croyances obsessionnelles de celles délirantes est l’intensité avec laquelle la conviction est maintenue. Les croyances obsessionnelles se présentent habituellement sous la forme d’un doute (par exemple, peut-être que la porte n’est pas verrouillée, peut-être que je vais contaminer quelqu’un). À l’opposé, le délire est une croyance que l’individu maintient avec certitude et qui laisse peu de place au doute. De plus, le doute obsessionnel ne paraît pas, à première vue, complètement irrationnel tandis que le délire peut paraître très bizarre. Il arrive, à l’occasion, que les croyances obsessionnelles deviennent si rigides et bizarres, qu’elles peuvent se comparer aux idées délirantes. L’intensité de la pensée semble donc fluctuer sur un continuum. Tel que mentionné auparavant, à une extrémité on retrouverait les obsessions (bon insight et bonne résistance) et à l’extrémité opposée, les idées délirantes (absence d’insight et absence de résistance).

Des travaux récents réalisés par O’Connor et al. (O’Connor et al., 1999 ; O’Connor, 2002) suggèrent que tous les sous-types de TOC, et non uniquement ceux qui se caractérisent par la présence d’IS, représentent un trouble du raisonnement. La thérapie cognitive, qui a pour nom l’Approche Basée sur les Inférences (ABI), considère que l’intrusion initiale est une inférence erronée qui fait partie intégrante de l’obsession. Le doute initial (peut-être que mes mains sont contaminées) est maintenu par un processus de raisonnement idiosyncratique qui justifie cette première pensée (inférence primaire) et qui, subséquemment, évolue jusqu’aux conséquences secondaires négatives (inférences secondaires). À partir de ce moment, l’individu évalue ses pensées obsessionnelles (par exemple, c’est terrible d’avoir ce genre de pensée !) et ses moyens pour faire face au danger (je ne peux pas faire face au problème, je vais perdre le contrôle). Des études cliniques et expérimentales ont démontré que cette inférence initiale est supportée et maintenue par un narratif idiosyncratique généré de manière inductive. Ce narratif est constitué d’erreurs de raisonnement qui viennent renforcer le doute obsessionnel.

Le patient TOC infère, à partir d’un narratif uniquement subjectif, que, par exemple, ses mains peuvent être contaminées. Ensuite, il agit comme si ses mains étaient véritablement contaminées et ce, en l’absence de preuves visibles. Cette confusion a pour nom « confusion inférentielle ». Un des objectifs du modèle ABI est d’identifier le raisonnement qui pousse le client à penser que ses mains peuvent être contaminées et ce, en l’absence de preuves visibles et concrètes. L’ABI a également comme objectif de démontrer au client comment les erreurs de raisonnement et la nature subjective de ses narratifs alimentent son inférence primaire. Cette étape permet habituellement d’invalider l’inférence primaire. Le client réalise que sa peur est subjective et qu’aucune preuve à l’extérieur de lui n’est présente pour justifier son doute. C’est plutôt le narratif et les erreurs de raisonnement qui viennent appuyer et justifier le doute.

Quelques études ont été menées afin de valider l’ABI. Les résultats préliminaires démontrent que cette forme de thérapie est autant efficace chez les patients TOC avec ou sans convictions obsessionnelles élevées et ce, contrairement à la thérapie comportementale EX/PR et au modèle cognitif des évaluations (O’Connor et al., 2004). De plus, une étude a démontré que les patients TOC étaient davantage influencés par les narratifs inductifs que ceux d’un groupe contrôle (Pélissier, 2003). Finalement, une étude a démontré qu’il était possible de discriminer les patients TOC de ceux répartis dans un groupe contrôle ou de ceux qui souffraient de troubles d’anxiété mixtes à partir d’un questionnaire qui évaluait les confusions inférentielles (le Questionnaire des Confusions Inférentielles, QCI ; Aardema et al., 2004). Malgré l’obtention de résultats prometteurs, des recherches subséquentes sont nécessaires afin de comprendre davantage les processus impliqués dans la confusion inférentielle.

Conclusion

En conclusion, plusieurs arguments suggèrent que le TOC est un trouble du mouvement, un trouble du comportement, un trouble d’anxiété ou un trouble du raisonnement. L’hypothèse que le TOC est un trouble du mouvement ne tient pas la route, car elle ignore, à la fois, les précurseurs du rituel compulsif ainsi que les constituantes psychologiques essentielles qu’on retrouve chez les patients TOC. Le TOC se différencie des autres troubles d’anxiété et ce, même si les patients TOC vivent de l’anxiété. Celle-ci pourrait, tout simplement, être considérée secondaire à un trouble du raisonnement primaire. L’ABI considère que toutes les inférences TOC sont le résultat d’un processus de raisonnement erroné et qu’elles font donc partie de la pensée obsessionnelle qui précède l’évaluation anxiogène d’un danger. En concevant le TOC comme un trouble du raisonnement, le chercheur doit utiliser des questionnaires qui évaluent les croyances et les pensées de l’individu (Overvalued Ideas Scale) et non pas uniquement des questionnaires qui évaluent son niveau d’anxiété. De plus, les thérapies qui adressent simultanément l’anxiété et le raisonnement (c’est-à-dire les croyances ou les pensées) nous paraissent optimales. Si l’anxiété est uniquement traitée à l’intérieur d’un modèle phobique d’exposition, les taux de résistance au traitement et d’abandon sont plus élevés.

Finalement, le concept du spectre TOC qui suggère de regrouper, à la fois, les troubles impulsifs et compulsifs sur le même continuum, nous apparaît insoutenable. Les différences qui ont été observées entre les troubles impulsifs dépassent largement les similitudes, et incluent non seulement des processus cognitifs et comportementaux différents, mais aussi des traitements pharmacologiques et psychologiques différents. Il est cependant d’une importance primordiale d’établir un bon diagnostic différentiel entre les différents troubles impulsifs, tels que les tics complexes, et le TOC. Ceci n’est pas toujours facile puisque ces troubles mentaux partagent certaines similarités phénoménologiques. Un mauvais diagnostic différentiel peut avoir plusieurs répercussions, tant au niveau social qu’au niveau psychologique.