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Introduction

Les suicides réussis sont la deuxième cause de décès chez les adolescents, derrière les traumatismes non intentionnels. En 2011, le taux de suicide par 100 000 était de 11,0 pour les 15-24 ans aux États-Unis (CDC 2011), de 9,0 pour les 15 à 19 ans au Canada (Statistique Canada, 2011) et de 8,8 pour le même groupe d’âge au Québec (ISQ, 2011). The National Comorbidity Survey, une étude américaine représentative sur le plan national, réalisée auprès de 5 877 répondants âgés de 15 à 54 ans, a conclu que 29 % des sujets qui avaient sérieusement songé à se suicider avaient aussi fait un plan de suicide. Parmi ceux ayant un plan, 58 % avaient fait une tentative, alors que seulement 25 % de ceux qui y avaient pensé sans faire un plan avaient tenté de se suicider (Kessler, Borges et Walters, 1999). Dans une étude prospective, les sujets ayant des idées suicidaires à l’âge de 15 ans ont été plus de 10 fois plus susceptibles de faire au moins une tentative de suicide entre 15 et 30 ans que ceux qui n’avaient aucune idée suicidaire (Reinherz, Tanner, Berger, Beardslee et Fitzmaurice, 2006).

Les jeunes des minorités sexuelles, c’est-à-dire les jeunes qui s’identifient comme gays, lesbiennes et bisexuel(le)s (GLB) ou qui ont une attirance ou un comportement envers le même sexe, présentent un risque accru de comportement suicidaire avec un taux de tentative de suicide de deux à six fois plus élevé que celui des jeunes ne faisant pas partie des minorités sexuelles (Hershberger et D’Augelli, 1995 ; Remafedi, French, Story, Resnick et Blum, 1998 ; Safren et Heimberg, 1999, Blake et al., 2001 ; Garofalo, Wolf, Kessel, Palfrey et DuRant, 1998). Ces taux s’expliquent partiellement par l’augmentation de la prévalence des facteurs de risque de suicide, incluant par exemple la dépression et l’abus d’alcool ou d’autres drogues (Russell et Joyner, 2001 ; Safren et Heimberg, 1999 ; Garofalo, Wolf, Wissow, Woods et Goodman, 1999), et le contrôle de ces facteurs de risque réduit sensiblement la disparité des taux de suicide entre les jeunes des minorités sexuelles et leurs pairs non sexuellement minoritaires (par exemple Safren et Heimberg, 1999 ; Russell et Joyner, 2001).

La plupart des études sur le comportement suicidaire chez les jeunes des minorités sexuelles ont inclus uniquement des élèves ayant une identité GLB déclarée par l’intéressé, bien que certaines études ont également utilisé l’attirance et le comportement envers le même sexe, indépendamment de l’identité sexuelle (par exemple, Blake et al., 2001 ; Russell et Joyner, 2001). Une récente méta-analyse (Marshal et al., 2011) a révélé que l’utilisation de différentes définitions en recherche n’a pas pondéré l’association entre le statut de minorité sexuelle et les idées suicidaires, les plans ou les tentatives de suicide (rapport des chances [RC] = 2,92 ; intervalle de confiance [IC] : 95 %, 2,11-4,03). Néanmoins, il est maintenant largement admis que l’orientation sexuelle est un concept multidimensionnel qui comprend l’identité, l’attirance et le comportement (Frankowski, 2004 ; Saewyc et al., 2004 ; Rosario, Schrimshaw, Hunter et Braun, 2006). Bien qu’il y ait chevauchement, les jeunes ayant une identité GLB, une attirance envers le même sexe et un comportement envers le même sexe, sont des populations entrecroisées mais distinctes (Igartua, Thombs, Burgos et Montoro, 2009) et la prévalence des orientations hétérosexuelles et non hétérosexuelles variera selon les critères utilisés (Savin-Williams et Ream, 2007 ; Eskin, Kaynak-Dero et Demir, 2005 ; Wichstrom et Hegna, 2003). Dans un article précédent sur les 1 856 élèves du secondaire ayant participé au Sondage Québec 2004 sur les comportements à risque des jeunes, nous avons constaté que les élèves identifiés comme GLB affichaient des taux significativement plus élevés d’idées suicidaires et de tentatives de suicide par rapport aux élèves identifiés comme hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe. D’autre part, les élèves ayant une identité hétérosexuelle avec attirance et comportement envers le même sexe n’étaient pas à risque accru (Zhao, Montoro, Igartua et Thombs, 2010).

L’intimidation est un problème commun chez les élèves du secondaire, alors que plus de 20 % des élèves américains et canadiens sont impliqués dans l’intimidation au moins deux fois par mois, comme victimes ou auteurs (Craig et al., 2009). De nombreuses études transversales de même que quelques études longitudinales (Brunstein Klomek, Sourander et Gould, 2010) ont associé l’intimidation et le risque de suicide chez les enfants et les adolescents. Les jeunes des minorités sexuelles sont nettement plus susceptibles que leurs homologues hétérosexuels d’être menacés ou blessés à l’école (Garofalo et al., 1998 ; Bontempo et D’Augelli, 2002 ; DuRant, Krowchuk et Sinai, 1998), de manquer l’école parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité (DuRant et al., 1998) et de vivre des abus sexuels et physiques (Saewyc et al., 2006). Les expériences impliquant la violence sont un médiateur important dans les relations entre le statut de minorité sexuelle et les comportements à risque pour la santé, y compris la toxicomanie, les tendances suicidaires et les comportements sexuels à risque (Bontempo et D’Augelli, 2002). Plusieurs études ont examiné le lien entre l’intimidation et l’identité sexuelle (par exemple, Robin et al., 2002 ; Berlan, Corliss, Field, Goodman et Austin, 2010), mais aucune n’a intégré l’identité sexuelle et l’attirance et le comportement sexuels. L’objectif de cette étude était de comparer l’association de l’intimidation et du suicide chez les élèves hétérosexuels sans attirance et comportement envers le même sexe, les élèves hétérosexuels avec attirance et comportement envers le même sexe et les élèves à l’identité sexuelle GLB ou incertaine.

Méthodologie

Échantillonnage et population

Les participants à l’étude étaient des élèves âgés de 14 ans et plus, inscrits de la troisième à la cinquième secondaire dans des écoles publiques et privées de Montréal, Québec, Canada. En 2004, les directeurs de toutes les écoles secondaires publiques de la Commission scolaire de Montréal (N = 39) et de la Commission scolaire English-Montréal (N = 20), ainsi que de deux écoles secondaires privées ont été invités à participer à l’étude. Le sondage a été approuvé et on l’a fait passer à des élèves de quatorze écoles secondaires (huit de la commission scolaire française, quatre de la commission scolaire anglaise et deux écoles privées). Dans chaque école, les directeurs ont choisi une à six classes pour répondre au sondage – le choix était basé sur des considérations logistiques – et on a veillé à ce que les élèves ne répondent au sondage qu’une seule fois.

Les parents ont été informés de la tenue du sondage et pouvaient refuser que leur enfant participe. Les élèves ont été informés que le sondage était anonyme, confidentiel et volontaire. Les enseignants n’étaient pas autorisés à circuler parmi les élèves afin d’assurer la confidentialité des réponses. Les questions sur l’orientation sexuelle étaient dispersées tout au long du sondage de manière à ce que les camarades de classe soient moins susceptibles de voir à quelles questions les autres répondaient. De plus, les élèves disposaient d’une feuille pour cacher les réponses enregistrées sur la feuille de réponse lisible par lecteur optique. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de recherche de l’Hôpital général de Montréal.

Les données démographiques, les taux d’identité, d’attirance et de comportement sexuels, et l’association entre l’orientation sexuelle et l’idée suicidaire et la tentative, ont été publiés précédemment (Igartua et al., 2009 ; Zhao et al., 2011).

Caractéristiques

Le Sondage Québec 2004 sur les comportements à risque des jeunes reposait sur le 2001 Center for Disease Control Youth Risk Behavior Survey (Brener et al., 1995) et comportait en outre des éléments supplémentaires liés à l’orientation sexuelle.

Classification de l’orientation sexuelle : l’identité sexuelle était mesurée par la question : « Parmi les réponses suivantes, laquelle te décrit le mieux ? » Les réponses étaient : hétérosexuel(le) (straight)gay ou lesbiennebisexuel(le) et je ne suis pas sûr(e). L’attirance sexuelle était mesurée par la question : « Au cours de ta vie, qui t’a attiré ou qui a été l’objet de tes fantasmes, que ce soit sur le plan romantique ou sexuel ? » (Aucun intérêt romantique ou sexuelfemmes(s), homme(s), femme(s) et homme(s)). Le comportement sexuel était mesuré par la question : « Au cours de ta vie, avec qui as-tu eu des rapports sexuels ? » (Aucun contact sexuelfemme(s), homme(s), femme(s) et hommes(s)). Les instructions indiquaient : « Dans ce questionnaire, lorsqu’il est question de rapports sexuels, il s’agit de sexe oral, vaginal et/ou anal, qui était consensuel, c’est-à-dire entre deux personnes consentantes. » Pour l’analyse, en raison du nombre d’élèves par groupe, les élèves ont été regroupés en trois catégories : 1) identité hétérosexuelle sans attirance ou comportement envers le même sexe ; 2) identité hétérosexuelle avec attirance ou comportement envers le même sexe ; 3) identité non hétérosexuelle, qui regroupait les GLB et les personnes « non certaines » de leur identité.

Humeur dépressive : « Au cours des 12 derniers mois, est-ce que tu t’es senti tellement triste ou sans espoir presque chaque jour pendant deux semaines consécutives ou plus, au point de cesser certaines activités habituelles ? » Les réponses étaient dichotomiques.

Consommation d’alcool ou d’autres drogues : Quatre variables de consommation ont été examinées, y compris la consommation actuelle (30 derniers jours) de cigarettes, alcool et marijuana et la consommation à vie de drogues dures (cocaïne, héroïne, injection de drogues illégales). Les réponses ordinales étaient ensuite dichotomisées en réponses positives et négatives.

Batailles : « Au cours des 12 derniers mois, combien de fois as-tu été impliqué(e) dans une bataille ? » Les réponses ordinales étaient ensuite dichotomisées en réponses positives et négatives.

Abus physique : « Au cours des 12 derniers mois, as-tu été frappé(e), giflé(e) ou blessé(e) physiquement par exprès par un membre adulte de ta famille ? » Les réponses étaient dichotomiques.

Abus sexuel : « Au cours de ta vie, est-ce que quelqu’un a déjà eu un contact sexuel avec toi, sans ton accord, y compris des attouchements non désirés ? » Les réponses étaient dichotomiques.

Âge au premier contact sexuel : « Quel âge avais-tu lorsque tu as eu des rapports sexuels pour la première fois ? » Les réponses étaient sur une échelle ordinale de cinq points, allant de « jamais eu de rapport sexuel » à « 13 ans ou moins ». Cette variable a été recodée avec une échelle ordinale de trois points : « jamais eu de rapport sexuel », « 14 ans et plus » et « 13 ans ou moins », compte tenu du nombre relativement faible de réponses dans certaines catégories.

Harcèlement : Il y avait trois questions évaluant le harcèlement : « Au cours des 12 derniers mois, as-tu déjà été harcelé(e) à l’école (ou sur le chemin de l’école)… 1) en raison de ta race ou de ton origine ethnique ? ; 2) parce que quelqu’un pensait que tu étais gay, lesbienne ou bisexuel(le) ? ; 3) pour d’autres raisons ? Ces variables ont été recodées en une variable dichotomique reflétant avoir expérimenté ou non du harcèlement.

Idée suicidaire : « Au cours des 12 derniers mois, as-tu songé sérieusement à tenter de te suicider ? » Les réponses étaient dichotomiques.

Planification de suicide : « Au cours des 12 derniers mois, as-tu fait un plan de la manière dont tu pourrais tenter de te suicider ? » Les réponses étaient dichotomiques.

Tentative de suicide : A été évaluée avec la question : « Au cours des 12 derniers mois, combien de fois as-tu tenté de te suicider ? » Les réponses ordinales étaient ensuite dichotomisées en réponses positives et négatives.

Analyses de données

Les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe et qui n’ont pas mentionné de harcèlement ont été comparés : 1) aux élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe qui ont mentionné avoir été harcelés ; 2) aux élèves hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe qui n’ont pas mentionné de harcèlement ; 3) aux élèves hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe qui ont mentionné avoir été harcelés ; 4) aux élèves GLB ou incertains qui n’ont pas mentionné de harcèlement ; et 5) aux élèves GLB ou incertains qui ont mentionné avoir été harcelés. À titre illustratif, les facteurs de risque de santé et les idées suicidaires, la planification et les tentatives de suicide ont été comparés entre tous les groupes en même temps, à l’aide de tests de khi carré de signification. Les associations des variables démographie, facteur de risque, orientation sexuelle avec idée suicidaire, planification de suicide et tentative de suicide ont été évaluées avec plusieurs modèles de régression logistique. Chaque modèle comprenait les variables âge, sexe, race, humeur dépressive, consommation de drogues, batailles, sévices physiques et sexuels, âge au premier contact sexuel et orientation sexuelle x harcèlement ou sans harcèlement. La discrimination et l’étalonnage des modèles de régression logistique ont été évalués, respectivement, avec le C index et le test statistique de validité de l’ajustement Hosmer-Lemeshow (HL) (Hosmer et Lemeshow, 2000). Le C index pour chaque modèle reflète le pourcentage des comparaisons où les adolescents ayant des idées suicidaires ou ayant tenté de se suicider, avaient une plus grande probabilité prédite d’idée suicidaire ou de tentative de suicide que les adolescents sans idée suicidaire ou n’ayant pas tenté de se suicider pour toutes les paires possibles d’adolescents dans l’échantillon, l’une ayant mentionné des idées ou tentatives de suicide et l’autre n’ayant pas mentionné des idées ou tentatives de suicide. Le HL est une mesure de l’exactitude du nombre prévu de cas d’idées suicidaires ou de tentatives par rapport au nombre d’élèves qui ont effectivement mentionné des idées ou tentatives de suicide dans l’éventail des probabilités. Une assez grande valeur p indique que le modèle s’adapte assez bien. Toutes ces analyses ont été effectuées à l’aide des logiciels IBM© SPSS© version 22,0 (Chicago, IL) et tous les tests statistiques étaient bilatéraux avec un seuil de signification p de < ,05.

Résultats

Caractéristiques de l’échantillon

Aucun parent n’a refusé l’autorisation, et tous les élèves admissibles ont consenti à participer. Un total de 1 951 adolescents a répondu au Sondage Québec 2004 sur les comportements à risque des jeunes (une moyenne de 5,4 classes et de 139,4 élèves par école). Parmi les sondages remplis, 16 ont été rejetés pour la plupart en raison de feuilles de réponses presque vides ou illisibles. Parmi les 1 935 élèves dont les données ont été enregistrées, 1 852 (95 %) avaient enregistré les données pour tous les éléments pertinents et ont été inclus dans les présentes analyses. Tel qu’il est indiqué dans le tableau 1, 911 élèves (49 %) étaient âgés de 16 ans ou plus, 913 (49 %) étaient de sexe féminin et 1 195 (65 %) étaient de race blanche. Un total de 1 233 élèves (67 %) ont mentionné une identité hétérosexuelle, sans attirance ou comportement envers le même sexe, et sans harcèlement au cours des 12 derniers mois ; 387 (21 %) ont mentionné une identité hétérosexuelle sans attirance ou comportement envers le même sexe, et qu’ils avaient été harcelés ; 78 (4 %) ont mentionné une identité hétérosexuelle avec attirance ou comportement envers le même sexe et n’ont signalé aucun harcèlement ; 37 (2 %) ont été classés comme hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe et ont signalé du harcèlement ; 61 (3 %) étaient GLB (n = 28) ou incertains (n = 31) et n’ont signalé aucun harcèlement ; et 56 (3 %) étaient GLB (n = 30) ou incertains (n = 26) avec harcèlement. Il y avait des différences significatives selon l’orientation sexuelle x le statut du harcèlement pour les variables sexe, humeur dépressive, tabagisme, consommation d’alcool, consommation de marijuana, consommation de drogues dures, batailles, présence de sévices physiques, présence de sévices sexuels, âge au premier comportement sexuel, idées suicidaires, planification et tentative de suicide.

Tableau 1

Données démographiques, facteurs de risque pour la santé, et idée suicidaire et tentative de suicide

Données démographiques, facteurs de risque pour la santé, et idée suicidaire et tentative de suicide
a

Pour race et ethnicité, N = 1,1812

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Idée suicidaire, planification et tentative de suicide

Un total de 311 répondants (17 %) a signalé avoir sérieusement songé à tenter de se suicider ; 213 ont déclaré avoir un plan (12 %) et 175 (9 %) des répondants ont mentionné une ou plusieurs tentatives de suicide au cours des 12 derniers mois. Tel qu’il est indiqué dans le tableau 2, sur une base non ajustée, les élèves s’identifiant comme hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe étaient presque trois fois plus susceptibles de mentionner des idées suicidaires lorsqu’ils étaient victimes de harcèlement, que le même groupe sans harcèlement (RC = 2,76, IC 95 % = 2,06 à 3,69, p < ,001. Les élèves non hétérosexuels ne subissant aucun harcèlement étaient presque quatre fois plus susceptibles (RC = 3,97, IC 95 % = 2,26 à 6,97, p < ,001) ; et les élèves non hétérosexuels ayant mentionné du harcèlement étaient plus de huit fois plus susceptibles (RC = 8,13, IC 95 % = 4,68 à 14 h 15, p < ,001). En analyse multivariable, après avoir fait des ajustements selon âge, sexe, humeur dépressive, consommation de drogue, batailles, abus physique et sexuel et âge au premier comportement sexuel, les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe qui ont été victimes de harcèlement étaient deux fois plus susceptibles de déclarer avoir sérieusement songé à se suicider (RC = 2,11, IC 95 % = 1,52 à 2,92, p < ,001), comme l’étaient les élèves non hétérosexuels n’ayant pas subi de harcèlement (RC = 2,35 IC 95 % = 1,24 à 4,48, p = ,009). Les élèves non hétérosexuels ayant mentionné du harcèlement étaient plus de quatre fois plus susceptibles de le déclarer (RC = 4,44, IC 95 % = 2,26 à 8,72, p < ,001. Le modèle final avait un bon pouvoir discriminant (C-index = ,82) et d’étalonnage (p = ,416 pour la statistique HL).

Tableau 2

Facteurs de risque de l’idée suicidaire

Facteurs de risque de l’idée suicidaire
a

Ajusté pour : âge, sexe, humeur dépressive, consommation de drogues, batailles, abus physique et sexuel, et âge du premier contact sexuel.

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Dans le Tableau 3, sur une base non ajustée, les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe qui ont été victimes de harcèlement se sont avérés être plus de deux fois plus susceptibles d’avoir eu un plan de suicide (2,23, IC 95 % = 1,59 à 3,14), ainsi que les élèves non hétérosexuels sans harcèlement (2,58, IC 95 % =1,30 à 5,11). Les élèves non hétérosexuels avec harcèlement étaient jusqu’à sept fois plus susceptibles d’avoir eu un plan (7,03, IC 95 % = 3,94 à 12,54). En analyse multivariable, le rapport de risque ajusté pour un plan de suicide était de 1,65 (IC 95 % = 1,14 à 2,38) chez les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe qui ont été victimes de harcèlement. Les élèves non hétérosexuels sans harcèlement ne présentaient pas un risque accru statistiquement significatif (p = ,163), mais les élèves non hétérosexuels avec harcèlement étaient plus de trois fois plus à risque (3,38, IC 95 % = 1,72 à 6,65). Le modèle final avait un bon pouvoir discriminant (C-index = ,79) et un étalonnage raisonnable (p = ,092 pour la statistique HL).

Tableau 3

Facteurs de risque du plan de suicide

Facteurs de risque du plan de suicide
1

Ajusté pour : âge, sexe, humeur dépressive, consommation de drogues, batailles, abus physique et sexuel, et âge du premier contact sexuel.

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Tel qu’il est indiqué dans le Tableau 4, le rapport de risque non ajusté dans le cas de tentatives de suicide chez les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe qui avaient été victimes de harcèlement était à peu près le double (1,96, IC 95 % = 1,35 à 2,86). Les élèves non hétérosexuels sans harcèlement étaient trois fois plus à risque d’être victimes (3,05, IC 95 % = 1,53 à 6,08) et les élèves non hétérosexuels avec harcèlement étaient six fois plus à risque d’être victimes (6,56, IC 95 % = 3,59 à 12,00). En analyse multivariable, après avoir fait les ajustements pour l’âge, le sexe, l’humeur dépressive, la consommation de drogue, les batailles, l’abus physique et sexuel et l’âge au premier comportement sexuel, la seule catégorie qui affichait une valeur statistique significative était les élèves non hétérosexuels avec harcèlement, qui étaient presque trois fois plus susceptibles d’avoir fait une tentative de suicide (2,87, IC 95 % = 1,43 à 5,78). Le modèle avait un bon pouvoir discriminant (C-index = ,77) et d’étalonnage (p = ,223 pour la statistique HL).

Tableau 4

Facteurs de risque de la tentative de suicide

Facteurs de risque de la tentative de suicide
a

Ajusté pour : âge, sexe, humeur dépressive, consommation de drogue, batailles, abus physique et sexuel, et âge du premier contact sexuel.

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Examen de la question

La principale constatation de cette étude était que la différence en matière d’idées suicidaires, de planification et de tentative de suicide, entre les élèves victimes et non victimes d’intimidation, était de loin la plus importante parmi les élèves ayant une identité non hétérosexuelle, après l’ajustement des facteurs de risque : âge, sexe, humeur dépressive, consommation de drogue, batailles, abus physique et sexuel et âge au premier comportement sexuel. En analyse multivariée, tous les sous-groupes non harcelés n’étaient pas statistiquement différents pour l’ensemble des paramètres de suicide, à l’exception des idées suicidaires chez les élèves non hétérosexuels qui étaient deux fois plus susceptibles. Avec harcèlement, les élèves hétérosexuels sans attirance ou comportement envers le même sexe étaient deux fois plus susceptibles d’avoir des idées suicidaires et un plan, mais n’affichaient aucune augmentation de tentatives de suicide. Les élèves hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe et victimes de harcèlement n’affichaient aucun changement statistiquement significatif de probabilité pour les paramètres de suicide. Les élèves non hétérosexuels étaient de deux à quatre fois plus susceptibles d’avoir des idées suicidaires, et d’aucune augmentation de la probabilité à trois fois plus susceptibles de planifier et de tenter de se suicider lorsque le harcèlement était présent.

Une explication possible pour les différences dans les réponses est la sévérité de l’intimidation, qui n’était pas mesurée dans notre échantillon. Il a été démontré qu’une victimisation de faible intensité mène à des réponses similaires chez les jeunes de minorité sexuelle et non de minorité sexuelle, mais une forte intensité de victimisation montre un impact sensiblement plus élevé chez les jeunes de minorité sexuelle que chez les jeunes non de minorité sexuelle, et victimes du même genre d’intimidation. (Bontempo et D’Augelli, 2002).

Une autre possibilité est que s’identifier comme non hétérosexuel est un stress en soi. Le stress de la minorité GLB est composé de trois éléments fondamentaux : des manifestations d’homophobie externes (sociétales) objectives, l’attente et la vigilance qui suivent ces évènements, et l’internalisation des attitudes sociétales négatives (Meyer, 2003). Ainsi, l’impact des manifestations d’homophobie persiste au-delà de chaque évènement et peut être cumulatif. Certains processus psychosociaux sont plus fréquents chez les jeunes non hétérosexuels, tels que le désespoir, la faible estime de soi, le déséquilibre affectif et l’isolement social (Hatzenbuehler, 2009). Ces processus peuvent être le lien entre des manifestations d’homophobie répétées et l’accroissement des tendances suicidaires chez les jeunes des minorités sexuelles. En outre, les habiletés d’adaptation pour faire face aux préjugés sexuels manquent souvent car les parents des jeunes en minorité sexuelle ne les ont généralement pas inculquées à leurs enfants (Herek et Garnets, 2007). Les adolescents non hétérosexuels doivent faire face, à l’école et dans leur milieu familial, à un environnement qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils ont peu de pouvoir de changer ; il peut être moins nocif de dissimuler son identité non hétérosexuelle que de la divulguer (Rosario, Scrimshaw et Hunter, 2009). Comme notre questionnaire demandait une auto-identification de l’orientation sexuelle, mais non une divulgation, nous ne pouvons pas commenter la détresse des personnes dissimulant ces caractéristiques. Cependant, il est possible que les élèves de notre sous-groupe, auto-identifié comme hétérosexuel avec attirance ou comportement envers le même sexe, étaient moins affectés d’avoir été témoins d’intimidation antigay ou de discrimination sociale en général parce qu’ils ne se sentaient pas visés.

Une autre ligne de pensée peut postuler que les hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe sont intrinsèquement différents (« juste une phase ») des jeunes GLB. La documentation scientifique indique cependant que l’instabilité de l’orientation sexuelle est très répandue chez les populations adultes et adolescentes (Savin-Williams et Ream, 2007). Une étude rétrospective de 40 ans a révélé que l’identité et le comportement de nombreuses personnes de minorité sexuelle changeaient au cours de leur vie, alors que l’attirance romantique était relativement plus stable (Kinnish, Strassberg et Turner, 2005). Par conséquent, la stabilité des catégories d’orientation sexuelle de notre étude est probablement faible au fil du temps, mais ces catégories reflètent la situation actuelle ainsi que les défis et les séquelles qu’elles soulèvent.

En séparant les aspects de l’orientation sexuelle, cette étude aide à clarifier la documentation scientifique sur les minorités sexuelles, l’intimidation et le suicide. L’absence de risque accru chez les jeunes identifiés comme hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe semble indiquer que c’est l’interface avec la société, par l’intermédiaire de leur identité, qui rend à risque les jeunes des minorités sexuelles. Cela déplacerait le centre d’intérêt, au-delà des jeunes en minorité sexuelle, et plus vers l’intimidation et les facteurs qui y contribuent, lesquels sont présents dans l’interface sociale de ces jeunes.

Les conséquences de notre étude sont de trois ordres. Tout d’abord, notre étude soutient la nécessité d’une évaluation plus complète de l’orientation sexuelle dans les recherches futures sur les comportements à risque pour la santé, car il y a manifestement plus de variations entre les sous-groupes de minorités sexuelles qu’on ne le pensait auparavant. Deuxièmement, elle soutient la recherche sur l’interface entre l’identité et l’environnement, une zone potentiellement plus importante pour la création de tendances suicidaires qu’on ne le pensait. Enfin, elle soutient l’augmentation de la prévention primaire dans les écoles par l’enseignement des divers aspects de la sexualité aux enfants préadolescents, afin qu’ils puissent devenir une part normale du discours adolescent et réduisent le traumatisme des jeunes en minorité sexuelle. En outre, cette étude semble indiquer que mettre l’accent sur la prévention primaire de l’intimidation en soi devrait être une priorité dans les écoles étant donné les torts qu’elle cause.

Les limitations suivantes devraient être prises en considération. L’échantillonnage des écoles n’a pas été fait au hasard et il est possible que les écoles ayant des attitudes plus ouvertes envers les élèves non hétérosexuels aient été suréchantillonnées. Les résultats sont sujets à la partialité causée par l’autodéclaration et le concept transversal ne permet pas la détermination de la causalité. Les analyses ont été effectuées avec une base de données préexistante. Ainsi, nous n’avons pas pu spécifier d’avance le nombre d’élèves dans chaque groupe. Dans certains cas, tels que les élèves ayant une identité hétérosexuelle avec attirance ou comportement envers le même sexe ainsi que les élèves ayant une identité non hétérosexuelle, la taille des groupes était petite. Ainsi, les intervalles de confiance des estimations étaient vastes et ne nous permettent pas de tirer des conclusions solides sur le niveau précis des associations. Néanmoins, les modes d’associations étaient généralement conformes entre les groupes et les analyses.

Une autre limitation est la généralisabilité. Notre étude a été réalisée à Montréal en 2004, un environnement de réputation moins homophobe que beaucoup d’autres en Amérique du Nord. Cela peut avoir conduit à des taux plus élevés de déclarations volontaires de GLB, possiblement à un plus jeune âge. Aussi, l’intensité de la violence homophobe peut être moins importante dans la région de notre étude que dans d’autres villes d’Amérique du Nord. Ce fut aussi l’année précédant la légalisation du mariage homosexuel au Canada (2005), 10 ans avant que les États-Unis fassent de même. Le taux différentiel des forces sociales en évolution fait de la généralisabilité une entreprise dans laquelle il faut faire preuve de prudence. Il est possible que les associations que nous avons démontrées ne se comporteraient pas de la même manière dans un milieu culturel significativement différent en matière de sexualité que celui de Montréal en 2004.

Cette étude était la première à démontrer que les élèves adolescents ayant une identité non hétérosexuelle auraient une augmentation disproportionnée de leurs paramètres de suicide lorsque soumis au harcèlement, mais que les élèves hétérosexuels avec attirance ou comportement envers le même sexe n’auraient pas un risque accru par rapport aux élèves hétérosexuels sans attirance envers le même sexe. Cela semble indiquer que l’attirance et le comportement envers le même sexe ne contribuent pas en eux-mêmes au risque de suicide, et que les efforts de la recherche future, de même que les efforts en santé publique auraient avantage à examiner l’interface entre l’identité sexuelle et l’école, la famille et le plus vaste milieu culturel des jeunes en minorité sexuelle. Il est nécessaire de poursuivre des études longitudinales examinant l’interaction entre tous ces facteurs.