Corps de l’article

Introduction

Avoir un emploi à l’âge adulte occupe une place centrale dans la vie de la majorité des individus. En effet, selon une enquête statistiquement représentative de la population active du Québec, 75 % des Québécois jugent le travail parmi les valeurs les plus importantes de leur vie en général1. De plus, indépendamment de l’âge et du statut socioéconomique, c’est le travail qui est considéré comme le plus important dans la vie, tout de suite après la vie de couple et la vie familiale. Certes, la principale raison pour laquelle les individus travaillent est le plus souvent économique, mais pour près de la moitié des Québécois, il s’agit avant tout d’un espace pour se réaliser personnellement, être reconnu pour son travail ou tisser des liens avec les collègues1.

Pourtant, selon la Commission de la santé mentale du Canada2, environ un demi-million de Canadiens, chaque semaine, seraient incapables de travailler en raison d’un trouble dépressif ou d’un autre trouble mental. De plus, une réclamation d’invalidité au travail sur trois en découlerait2. Selon des estimations récentes, les coûts occasionnés par la baisse de productivité due aux troubles mentaux dépassaient les 6,4 milliards de dollars en 2011 et ils grimperont à 16 milliards de dollars annuellement en 20413. Une large part de ce fardeau incomberait aux troubles dépressifs. Par exemple, une enquête réalisée auprès de grandes entreprises canadiennes regroupant 63 000 employés a montré qu’ils étaient responsables du trois quarts des réclamations pour trouble mental4 et cette tendance serait à la hausse5.

Souffrir d’un trouble dépressif peut avoir des répercussions importantes sur la capacité d’un individu à assumer son rôle de travailleur et peut mener à un arrêt de travail. Pourtant, le retour au travail (RAT) est rarement présenté comme étant prioritaire à considérer dans l’intervention clinique. D’ailleurs, cette question est presque absente des guides de pratique pour la dépression élaborés ces dernières années au Canada et ailleurs6-8. Les cliniciens ont par conséquent peu d’indications concernant les interventions à préconiser pour favoriser le RAT. Pourtant, les connaissances scientifiques des dernières années en santé au travail et en réadaptation fournissent des indications susceptibles de guider leurs interventions.

Cet article propose de faire un tour d’horizon du sujet à travers la question suivante : pourquoi et comment les intervenants des soins primaires doivent-ils soutenir le RAT après un arrêt de travail en raison d’un trouble dépressif ? Ainsi, dans la première partie de l’article, nous dressons un portrait des connaissances actuelles soutenant la pertinence d’intervenir précocement pour prévenir l’incapacité prolongée de travail suite à un arrêt de travail en raison d’un trouble dépressif. Ce portrait repose sur les grands constats issus des travaux de Waddell et Burton9 ainsi que sur des écrits plus récents appuyant ou nuançant ces grands constats. Dans la deuxième partie de l’article, nous présentons un ensemble de principes devant guider l’intervention de RAT10 et en proposons des illustrations adaptées au contexte des soins primaires. Nous nous appuyons pour ce faire sur des travaux récents réalisés principalement dans le contexte québécois.

1. Pourquoi soutenir le RAT après un arrêt de travail consécutif à un trouble dépressif ?

Trois raisons principales appuient la pertinence d’intervenir précocement pour prévenir l’incapacité prolongée de travail et soutenir le RAT.

Raison 1 : Le travail a des effets bénéfiques sur la santé alors que l’absence au travail prolongée nuit à la santé

Il existe actuellement des preuves abondantes démontrant qu’occuper un emploi est un déterminant important de la santé des individus. D’abord, occuper un emploi contribuerait à l’estime de soi et au statut social des individus, de même qu’à leur bien-être matériel et à leur participation sociale11. Ensuite, au plan physique, il est reconnu que les tâches et les activités associées à un emploi permettraient généralement de maintenir des capacités physiques nécessaires à un bon fonctionnement physiologique9. À l’inverse, ne pas avoir d’emploi aurait un impact négatif et significatif sur la santé aux plans physique et psychologique, et serait aussi associé à une augmentation du risque de suicide et même du taux de mortalité12. Une étude récente a d’ailleurs permis d’établir la causalité de la relation entre la situation d’emploi et le bien-être psychologique13. Cette étude longitudinale a pu démontrer, d’une part, que la transition entre ne pas avoir d’emploi et avoir un emploi était significativement associée à des niveaux inférieurs de détresse psychologique. D’autre part, elle a établi que la transition entre avoir un emploi et ne pas avoir d’emploi ou être en invalidité permanente était significativement associée à des niveaux inférieurs de bien-être psychologique, et ce, même en contrôlant diverses variables.

Des répercussions négatives sur la santé sont également présentes chez les personnes qui ont un emploi, mais qui se retrouvent en arrêt de travail prolongé en raison d’un trouble mental. Parmi ces répercussions négatives, il y a le fait de se sentir isolé et désoeuvré en l’absence de l’effet structurant associé à la routine de travail14, ainsi que de ressentir un niveau élevé de honte15. À cet égard, les personnes en arrêt de travail en raison d’un trouble mental seraient de quatre à cinq fois plus à risque de ressentir un niveau modéré à élevé de honte par rapport à tout autre trouble de santé. De plus, le fait de rapporter un niveau élevé de honte en lien avec son absence du travail serait un facteur prédictif d’absence prolongée dans l’année qui suit15. Pour les personnes souffrant d’un trouble dépressif, les craintes sont grandes d’être l’objet de discrimination lors du RAT en raison des préjugés associés aux troubles mentaux16, 17. Dans ces conditions, les réticences à dévoiler sa condition sont importantes et peuvent retarder le recours aux services appropriés18, 19.

Est-ce à dire que le travail a toujours des effets bénéfiques sur la santé, quelles que soient les conditions dans lesquelles il est réalisé ? Certainement pas. En effet, il est bien établi que certaines dimensions du travail peuvent avoir un effet délétère sur la santé des travailleurs et que ces dimensions pathogènes sont présentes dans certains milieux de travail. D’ailleurs, l’enquête de Vézina et coll.20 réalisée à partir d’un échantillon représentatif de travailleurs québécois a montré que 12,7 % des travailleurs rapportent subir une demande psychologique élevée, une faible latitude décisionnelle, ainsi qu’un faible soutien social au travail, et que cette combinaison de contraintes est associée à de la détresse psychologique élevée. Il en est de même du harcèlement en milieu de travail dont la prévalence est estimée selon Nielsen et coll.21 entre 2 et 14,3 %, dépendamment de la méthode employée pour la mesurer. Ces données mettent en lumière le fait que certains facteurs dans le milieu de travail peuvent avoir des effets néfastes sur la santé des travailleurs. Néanmoins, dans la mesure où le travail est réalisé dans des conditions sécuritaires et adaptées aux capacités de l’individu, les connaissances scientifiques actuelles indiquent que ses effets positifs l’emportent généralement sur ses risques et qu’ils sont plus importants que les effets nocifs associés aux absences prolongées du travail9.

Raison 2 : Le risque d’absence prolongée du travail en raison d’un trouble mental s’accentue avec le temps

Bien qu’environ 50 % des personnes reprennent le travail dans les trois mois suivant l’arrêt, des travaux récents montrent qu’une proportion non négligeable de personnes demeurent absentes du travail pendant une période de temps prolongée. Ainsi, une vaste étude réalisée aux Pays-Bas a montré que 56 % des personnes avec un trouble de l’humeur selon l’ International classification of diseases and related health problems (ICD-10)22 étaient toujours absentes six mois après leur arrêt de travail initial et 30 % après un an23. Chez les travailleurs absents en raison d’un trouble d’adaptation, anxieux ou somatoforme, cette proportion était moindre, mais demeurait préoccupante avec un taux d’absence persistante de 30 % après six mois et de 11 % après un an23. Plus globalement, le risque d’absence prolongée serait même supérieur chez ceux dont la cause de l’arrêt de travail est un trouble mental par rapport à tout autre trouble de santé. En effet, selon une enquête populationnelle réalisée en Suède par Hensing et coll.24, rapporter avoir une maladie mentale et un faible bien-être mental sont ressortis comme les déterminants principaux d’un RAT tardif (≥ 105 jours d’absence indemnisés).

Or, non seulement le risque d’invalidité de longue durée est-il bien présent, mais plus le temps avance, plus la probabilité de retourner au travail diminue. L’étude de Roelen et coll.23 est éloquente à cet égard en montrant que, quel que soit le trouble mental, la probabilité de RAT est certes élevée au tout début de l’absence, mais que plus le temps avance, plus la probabilité de RAT décroît. Plus particulièrement, ces auteurs ont montré que pour les travailleurs absents en raison d’un trouble de l’humeur, la probabilité de RAT est forte dans les trois premiers mois de l’absence, mais ne fait que diminuer graduellement dans les mois qui suivent. La courbe est semblable chez les travailleurs absents en raison d’un trouble d’adaptation, anxieux ou somatoforme, bien que ce soit dans le premier mois que la probabilité de RAT soit la plus élevée avant de chuter fortement. En somme, il existe à l’heure actuelle des données solides indiquant que plus l’absence se prolonge, plus il y a de risque que le RAT soit compromis et entraîne des conséquences défavorables sur la santé.

Raison 3 : Les interventions usuelles pour réduire les symptômes dépressifs ne permettent pas nécessairement d’améliorer la reprise du travail

Les conclusions d’une récente revue Cochrane réalisée par Nieuwenhuijsen et coll.25 ont permis de faire le point sur les connaissances actuelles concernant l’efficacité des interventions visant à réduire l’incapacité au travail en raison d’un trouble dépressif. Cette revue, qui s’appuie sur l’analyse de 23 études, a d’abord montré qu’aucun des antidépresseurs testés n’avait une efficacité supérieure à un autre pour réduire le nombre de jours d’absence avant le RAT. De plus, il y est établi que l’application d’un programme d’amélioration de la qualité des soins ciblant les médecins généralistes afin qu’ils adoptent des interventions conformes à celles promues par les guides de pratique, notamment au plan pharmacologique et psychothérapeutique, ne s’était avérée ni plus ni moins efficace pour accélérer le RAT que les soins usuels. Cependant, cette revue a pu démontrer que le renforcement des soins primaires par une thérapie cognitivo-comportementale réduisait la durée d’absence au travail. Par surcroît, les auteurs ont trouvé qu’en ajoutant une intervention ciblant spécifiquement le travail à une intervention clinique, qu’il s’agisse de prise de médicaments, de psychothérapie ou de la combinaison des deux, il était alors possible de réduire le nombre de jours d’absence avant le RAT. Les interventions ciblant le travail pouvaient consister, par exemple, en une exposition graduelle au travail, une intervention axée vers la résolution de problèmes reliés au travail ou des interventions auprès de l’employeur. Ainsi, en s’appuyant sur les résultats de la revue de Nieuwenhuijsen et coll.25, il apparaît que pour soutenir véritablement le RAT suite à un trouble dépressif, il est avantageux d’axer non seulement l’intervention sur l’individu qui présente une incapacité de travail, mais aussi sur son interaction avec son environnement de travail et sur l’environnement de travail lui-même.

En somme, il existe actuellement des bases empiriques qui apparaissent suffisantes pour appuyer la pertinence d’intervenir précocement auprès des personnes en arrêt de travail en raison d’un trouble dépressif afin de prévenir l’incapacité prolongée et soutenir leur RAT. Cependant, comment les intervenants des soins primaires doivent-ils concrètement soutenir ce RAT ?

2. Comment soutenir le RAT : principes à respecter et illustrations issues du contexte québécois

Comme mentionné précédemment, les guides de pratiques diffusés ces dernières années concernant le traitement des troubles dépressifs sont très peu explicites sur l’intervention à privilégier pour favoriser le RAT. Cependant, il existe tout un pan de connaissances dans le champ de la santé au travail et de la réadaptation qui permettent de baliser les interventions à préconiser. Les travaux de Pomaki et coll.10 réalisés en Colombie-Britannique s’avèrent utiles puisqu’ils reposent sur une revue systématique des écrits et un consensus des principaux acteurs pouvant être affectés par l’application des meilleures pratiques en la matière. Ces auteurs ont trouvé que les bonnes pratiques en matière de retour et de maintien au travail reposaient sur un ensemble de principes se situant à trois niveaux différents d’intervention : l’individu, la gestion de l’invalidité et l’entreprise. Nous présentons ici les principes relatifs à chacun de ces niveaux d’intervention ainsi que des illustrations d’interventions adaptées au contexte québécois et pouvant être réalisées par les intervenants des soins primaires.

Principe d’intervention au niveau de l’individu

Au niveau de l’individu, le principe énoncé consiste à faciliter l’accès aux traitements fondés sur les preuves. Ces traitements incluent les interventions dont l’efficacité est démontrée pour traiter les manifestations cliniques du trouble dépressif selon les protocoles établis, notamment la thérapie cognitivo-comportementale7. Cependant, pour avoir un effet bénéfique sur la durée de l’absence, le traitement doit également inclure des interventions mettant l’accent spécifiquement sur le travail, par exemple, un counseling au sujet du RAT10, 25.

Pour les intervenants des soins primaires, ce principe peut se traduire très certainement par une attention particulière portée à l’enjeu du RAT pendant le traitement de leurs patients. Comment ? Selon des médecins généralistes que nous avons interrogés dans le cadre d’une recherche portant sur leurs pratiques avec des patients absents du travail en raison d’un trouble dépressif, cela signifiait notamment de communiquer aux patients que le RAT fait partie intégrante du traitement qui leur est offert et qu’il est un moyen généralement utile pour finaliser la récupération le moment venu26. De plus, les médecins ont indiqué aborder régulièrement ce type de questions avec leurs patients et ne pas hésiter à les référer à des ressources spécialisées en réadaptation au travail, notamment en ergothérapie, lorsque les obstacles au RAT apparaissaient particulièrement importants et persistants. Un outil facilitant le dépistage systématique de ces facteurs a d’ailleurs été développé récemment au Québec. Il s’adresse aux professionnels de la santé intervenant auprès des personnes en arrêt de travail depuis 10 à 12 semaines en raison d’un trouble courant de santé mentale. Il s’agit de l’Outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT)27 que nous présentons plus en détail à la Figure 1.

Principes d’intervention au niveau de la gestion de l’invalidité

Au niveau de la gestion de l’invalidité, trois principes sont énoncés par Pomaki et coll.10. Le premier est, d’une part, de s’assurer qu’il y a une coordination entre les principales parties intéressées afin que les stratégies prévues pour le RAT soient personnalisées. Ces parties intéressées comprennent le travailleur, son superviseur, les différents intervenants de la santé impliqués, mais aussi l’assureur et même le représentant syndical, le cas échéant. D’autre part, ce principe indique que les communications entre ces parties doivent être structurées, planifiées et étroites. Ce qui est visé à travers ce partage d’informations est l’établissement d’un but commun entre les acteurs, des actions cohérentes les unes avec les autres et l’absence de discours divergents susceptibles d’attiser les craintes des travailleurs28.

Figure 1

Description de l’Outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT)

Description de l’Outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT)

-> Voir la liste des figures

Les intervenants des soins primaires sont interpellés par ce principe à deux égards : d’abord en s’engageant dans un partage d’informations et un effort de coordination avec les autres intervenants de la santé impliqués puis en faisant de même avec les autres parties intéressées (assureur, superviseur, représentant syndical). En ce qui concerne la communication et la coordination entre intervenants de la santé, plusieurs rapports de recherche récents indiquent que ceci demeure un défi toujours d’actualité au Québec26, 29, 30. Sans être une panacée, la transmission régulière de notes d’évolution brèves entre prestataires, avec le consentement du patient, pourrait s’avérer un moyen simple d’assurer un partage d’informations minimal, surtout en l’absence de dossier partagé. Il s’agit d’une pratique documentée dans une de nos recherches où les intervenants de l’équipe de première ligne en santé mentale transmettaient systématiquement au médecin de famille leur note d’évolution, une note de suivi ainsi que leur note de congé26. Le recours à des intervenants pivots ayant une fonction de coordination des soins serait également une avenue à explorer. En ce qui concerne la communication et la coordination avec les autres parties intéressées, on observe de plus en plus souvent au Québec que la responsabilité en est confiée à un coordonnateur de RAT (CoRAT)31. Ce dernier peut relever tantôt de l’assureur, tantôt de l’employeur ou même de services spécialisés en réadaptation au travail. Quel que soit son contexte, cependant, le CoRAT constitue un facilitateur du processus de RAT avec lequel les intervenants des soins primaires devraient collaborer activement.

Le second principe énoncé par Pomaki et coll. au niveau de la gestion de l’invalidité est d’appliquer des pratiques systématiques, structurées et coordonnées de RAT10. Ces pratiques visent notamment à maintenir le travailleur engagé dans son processus de RAT, de même qu’à s’assurer périodiquement que le processus demeure adapté à ses besoins et à l’évolution de ses capacités.

Ces pratiques supposent une participation active de la personne en arrêt de travail et de son superviseur, mais la participation d’intervenants de la santé y est également très importante. Par exemple, ils peuvent contribuer à mettre en oeuvre ces pratiques en encourageant la personne en arrêt de travail à maintenir un contact avec son milieu de travail, que ce soit avec ses collègues ou son superviseur. Ou encore, ce peut être en normalisant les contacts que l’assureur et/ou le CoRAT établissent avec le travailleur pour documenter l’évolution du processus et prévoir les prochaines étapes. En ce qui concerne le médecin traitant, sa participation est d’autant plus essentielle qu’il est appelé à se prononcer sur le moment du RAT, ses conditions et sa progression32. Ainsi, le médecin traitant peut contribuer encore davantage à l’application de pratiques systématiques, structurées et coordonnées de RAT en offrant au travailleur un suivi rapproché dans le temps pour discuter avec lui des tâches de travail qui ont été reprises et déterminer celles qui pourraient être ajoutées.

Enfin, le troisième principe consiste à considérer les accommodements de travail comme faisant partie intégrante du processus de RAT et devant être adaptés aux circonstances particulières du travailleur et de son environnement de travail. Par exemple, le support des collègues est un élément essentiel pour le succès du RAT, mais ce support peut être miné lorsque la réduction des exigences de travail recommandée entraîne un alourdissement des tâches pour les collègues. De telles circonstances sont particulièrement importantes à considérer lors de la détermination des modalités du RAT, notamment par le médecin traitant. Comment ? Par exemple, des médecins généralistes interrogés dans le cadre de notre recherche ont indiqué que lorsque les circonstances étaient favorables, ils encourageaient leurs patients à discuter avec leur superviseur des modalités de RAT jugées réalistes afin de les incorporer à leurs recommandations plutôt que de les déterminer sans consultation26. Une autre façon pour les intervenants des soins primaires de tenir compte de ce principe pourrait consister à aborder avec le travailleur la question du dévoilement du problème de santé mentale aux collègues de travail lors du RAT. La stigmatisation associée aux troubles de santé mentale est encore très prévalente dans les milieux de travail33 et cette question mérite d’être discutée. Cependant, la décision de dévoiler ou non la condition de santé devrait être laissée à la discrétion du travailleur10.

Principe d’intervention au niveau de l’entreprise

Au niveau de l’entreprise, un seul principe est énoncé par Pomaki et coll.10. Il s’agit pour l’entreprise de disposer d’une politique de santé mentale en milieu de travail qui soit claire, détaillée et connue de tous. Bien que ce principe trouve peu à s’actualiser directement dans les pratiques des intervenants des soins primaires, on peut penser que plus les entreprises seront sensibilisées et soutenantes envers les personnes éprouvant une incapacité au travail en raison d’un trouble de santé mentale, plus les intervenants de la santé trouveront des partenaires avec qui collaborer et favoriser le RAT dans les meilleures conditions possibles.

Conclusion

Les cliniciens qui interviennent en soins primaires auprès de personnes en arrêt de travail pour un trouble dépressif sont fréquemment interpellés par la question du RAT, mais dans quelle mesure doivent-ils se sentir concernés ? En s’appuyant sur des travaux de recherche récents réalisés ici et ailleurs, cet article a tenté d’éclairer cet enjeu en répondant à la question suivante : pourquoi et comment les intervenants des soins primaires doivent-ils soutenir le RAT après un arrêt de travail en raison d’un trouble dépressif ? En résumé, il apparaît que l’objectif de soutenir le RAT sain et durable après un épisode dépressif s’inscrit dans une perspective de retour à la santé des individus. Pour que cet objectif se réalise, cependant, les interventions doivent cibler non seulement l’individu qui présente une incapacité au travail, mais aussi l’interaction de cet individu avec son milieu de travail et le milieu de travail lui-même. Nos illustrations des bonnes pratiques en la matière montrent que de telles interventions sont à la portée des intervenants des soins primaires. Pour qu’elles remplissent leurs promesses, ces interventions devront être soutenues par une volonté collective de mettre résolument le travail au coeur des pratiques en santé mentale.