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Réunir des gens d’univers, de professions et d’âges différents autour d’un projet qui fait du bien, voilà le défi que s’est donné un petit groupe de personnes dans le cadre d’un projet né du souhait d’un donateur mélomane. Un souhait tout simple : offrir de la musique à une clientèle hospitalisée d’un établissement de soins en santé mentale. Juste de la musique, lors des périodes plus tranquilles, parfois trop tranquilles. Pas d’intervention thérapeutique ni d’évaluation clinique. Juste de la musique, pour les oreilles et pour le coeur.

C’est ce simple souhait qui a incité le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de l’Île-de-Montréal et la Fondation de l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal (FHSCM) à mettre sur pied, en juin 2018, un programme d’animation musicale à l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP).

Rapidement la Fondation a fait appel aux musiciens de la Société pour les arts en milieu de santé (SAMS) afin d’offrir de l’animation musicale à la clientèle de l’Hôpital les dimanches et durant les périodes de vacances. La rencontre souhaitée entre la musique et la santé mentale se réalisait.

S’est ensuite imposé le désir d’ajouter un souffle de jeunesse à l’idée et d’y inscrire un volet enseignement et apprentissage.

Au projet de concerts offerts par le SAMS s’est alors greffée une collaboration avec le milieu académique et le Collège d’enseignement général et professionnel (CÉGEP) de Saint-Laurent. Le résultat : des duos composés d’étudiantes et d’étudiants instrumentistes du niveau collégial (musiques classique, populaire et jazz), sélectionnés et formés pour jouer en alternance tous les mercredis soir sur deux étages de l’établissement, auprès d’une clientèle hospitalisée pour des troubles psychotiques ou des troubles de l’humeur.

Les lignes qui suivent retracent la coconstruction de cette partie de programme d’animation musicale.

Avant d’en arriver à ce résultat se dressaient plusieurs étapes de coconstruction, animées par un profond désir de faire le bien et un grand esprit d’ouverture. Dès le départ, plusieurs constats se sont imposés d’eux-mêmes : une institution disposée à accueillir un projet innovant malgré certaines appréhensions, des personnes impliquées et engagées, mais aucun programme officiel dans lequel inscrire le projet, pas de liens formels entre le programme de musique et celui de soins infirmiers, ni aucune formation en place pour préparer des étudiants en musique à côtoyer un milieu de santé mentale.

L’action concrète devait s’articuler autour d’une intention simple, mais claire : mener à bien ce projet, une étape à la fois.

Rassembler les bonnes personnes dès le début

Il fallait d’abord que l’idée se fasse connaître. Du donateur à une responsable de la Fondation, à un gestionnaire de l’Hôpital en santé mentale, celle-ci a fait son chemin jusqu’aux oreilles des équipes de soins et du service de l’enseignement, qui a fait le lien avec ses partenaires académiques. Avec beaucoup d’ouverture, de créativité et de souplesse, des représentants des tous ces milieux se sont rassemblés et ont décidé de coconstruire et de porter le projet, ensemble et jusqu’au bout.

Une étape à la fois

Il fallait également formuler un objectif raisonnable pour pouvoir se lancer. Malgré les ambitions de l’initiative, il était essentiel de ne pas se laisser emporter par des idées de grandeur. L’important était plutôt d’entretenir une vision suffisamment souple du projet pour pouvoir observer, écouter et s’ajuster en cours de route. L’idée d’un projet pilote sur un trimestre est ainsi apparue comme la meilleure option de départ. À la fin du trimestre, un événement de remise de bourses serait organisé pour faire un retour sur le projet pilote, souligner formellement l’implication des étudiants et créer le lien avec le donateur et sa famille.

L’étape suivante du projet était de formaliser le financement pour le bénéfice des étudiants impliqués en l’inscrivant officiellement dans un programme de bourses dont le nom irait de soi : les Bourses de l’harmonie Joanne Martens, nom de la défunte épouse du donateur. Quelques semaines plus tard, le Cégep diffusait le programme auquel plusieurs jeunes répondaient spontanément. La rencontre improbable, mais souhaitée, entre des étudiants en musique et le milieu de la santé mentale s’amorçait.

La poursuite du projet dépendait maintenant de la formation et de la préparation adéquate des jeunes musiciens qui s’apprêtaient à jouer dans l’environnement singulier qu’est un hôpital en santé mentale. Mais tout était à portée de main pour que cette étape de préparation prenne forme. Le Cégep avait la chance d’avoir parmi son personnel enseignant en musique une membre de la SAMS. Grâce à la collaboration de cette enseignante, une formation obligatoire de trois heures a d’abord été offerte aux étudiants. La seconde partie de la formation est, quant à elle, venue naturellement des milieux académiques et cliniques, sous une forme totalement innovante. Ce serait les étudiants en soins infirmiers en stage à l’HSMAP et leur enseignante qui transmettraient les notions de base en santé mentale aux étudiants en musique. Au projet d’animation musicale s’ajoutait alors un projet interdisciplinaire et pédagogique ! La première journée de stage des étudiants en soins infirmiers a donc été, en partie, consacrée à donner la formation aux étudiants-musiciens sur les différentes pathologies psychiatriques. Les jeunes ont aussi été renseignés quant aux attitudes à adopter avec la clientèle pour dissiper les appréhensions et les préparer à performer dans un contexte favorable leur permettant de livrer leur performance en toute quiétude, sachant que les comportements plus ou moins adaptés des usagers seraient encadrés. Par la suite, une visite de l’hôpital et des unités est venue clore cette rencontre entre les cohortes musique et soins infirmiers du Collège pour que tous puissent se familiariser avec les lieux.

Parallèlement, le milieu clinique devait aussi se préparer à accueillir des musiciens en dehors des activités régulières. Le projet brisait assurément la routine, en plus d’interférer avec les habitudes du personnel de soins et de la clientèle, mais la présence des musiciens du SAMS avait déjà permis d’ouvrir quelques portes. Pour préserver la proximité souhaitée entre les étudiants et la clientèle lors des prestations, l’encadrement devait être discret et sécuritaire. La notion d’imprévisibilité en santé mentale, par exemple un comportement d’agitation ou d’agressivité, constitue une réalité où une intervention rapide du personnel s’impose en tout temps. La collaboration des étudiants en soins infirmiers s’est avérée un atout positif. Mandatés par leur enseignante, ils assuraient une présence bienveillante dans la salle de concert afin d’offrir un répit aux équipes soignantes et encadraient les comportements inappropriés potentiels. Il pouvait arriver, par exemple, qu’un patient souhaite engager une conversation avec les concertistes durant la prestation ou désire jouer avec leurs instruments. Cette collaboration leur offrait aussi une occasion privilégiée d’observer davantage l’éventail des symptômes cliniques se manifestant dans le cadre des diverses pathologies étudiées durant leurs cours et les bienfaits de la musique sur la clientèle. La présence constante et très précieuse d’un bénévole, recruté par la Fondation, venait également soutenir les équipes et la clientèle lors des concerts.

À la fin des cycles de concert, les étudiants des programmes de musique et de soins infirmiers devaient se soumettre à un exercice de rétroaction. Dans une optique de consolidation des apprentissages, il s’avérait important, voire essentiel, d’élever au même rang l’activité en elle-même et le retour sur l’activité.

Depuis ce premier trimestre pilote, de nouvelles cohortes de boursiers poursuivent les concerts et les calendriers sont élaborés pour les trimestres de l’hiver et du printemps 2020. Le programme de bourses a également été présenté lors du colloque Musique et psychiatrie : orchestrer la rencontre les 13 et 14 février 2020 à Lausanne en Suisse (voir lien du colloque à la fin de l’article). La présentation qui mettait l’emphase sur la collaboration des étudiants en musique, des équipes soignantes et des patients a suscité beaucoup d’intérêt de la part des participants présents sur place et risque fort de voir le jour de l’autre côté de l’Atlantique !

Des retombées positives pour tous les secteurs

Quelles observations peut-on faire de ces premiers mois de concerts offerts par les étudiants ?

Nous pouvons déjà affirmer que ce projet d’animation musicale a atteint son objectif premier : celui d’offrir des concerts réguliers à une clientèle hospitalisée en milieu de santé mentale. Une clientèle souvent vulnérable.

Bien que la présence de la clientèle hospitalisée aux prestations ait fluctué au gré des états de santé et des humeurs de chacun, l’écoute attentive et la complicité qui se sont installées entre les musiciens et les spectateurs étaient significatives lors de chaque concert. La clientèle fredonnait, échangeait parfois quelques mots avec les musiciens, certains patients se laissaient même aller à danser au son de la musique.

Cette activité musicale marque sans aucun doute une pause dans la maladie en permettant de créer des liens et de briser l’isolement de la clientèle hospitalisée. Selon les équipes soignantes sur place, ces concerts sortent certains patients de leur solitude. Pour d’autres, la musique leur fait manifester des émotions qui ne viennent pas autrement. De petits signes remarqués durant les concerts, comme un sourire, peuvent être l’amorce d’un rétablissement.

Les commentaires des équipes de soins recueillis dans les formulaires d’appréciations distribués suite aux concerts vont dans le même sens : « La musique fait parfois office de PRN (pro re nata, ou médication au besoin) », « Les concerts permettent un contact et un échange non menaçant avec une clientèle renfermée et difficile d’approche », « La musique crée un climat plus convivial sur les unités le temps d’un spectacle ».

Pour les étudiants musiciens, c’est un projet qui les amène à l’essentiel : être écoutés pour ce qu’ils sont et ce qu’ils jouent. Un moment que certains comparent à celui de jouer autour d’un feu de camp pour des amis. C’est aussi une occasion pour eux de développer une autre vision de la santé mentale.

Et puis, il reste le groupe de représentants des différents milieux, impliqués depuis le début. Pour eux, le constat est unanime : « Que du bonheur ! » Le bonheur de bâtir un projet, de son émergence à sa concrétisation, sous le regard bienveillant et approbateur du donateur. Le bonheur d’oser et de tracer un nouveau chemin de collaboration. Et le bonheur de poursuivre et de constater les bienfaits concrets de l’initiative.

Véritable pont entre l’engagement social, l’éducation, la santé et l’art, ce projet a permis de soutenir le talent de jeunes musiciens, en plus de donner à des étudiants en soins infirmiers une occasion d’augmenter leur capacité d’engagement et d’empathie auprès de cette clientèle souvent victime d’idées préconçues. Il a aussi favorisé l’ouverture à la différence et contribué à réduire les préjugés envers la maladie mentale en permettant la création de partenariats et l’éclosion d’une nouvelle forme d’enseignement interdisciplinaire.

Le bilan d’une intersectorialité pertinente et enrichissante s’impose de lui-même. Et si la réussite de ce projet résidait dans cette intersectorialité, dans la force de la diversité du groupe et dans l’ouverture d’un milieu prêt à innover, oser et soutenir ces élans rassembleurs qui font du bien à l’âme ?