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Introduction

Hayes (2004) décrit trois vagues successives en thérapie comportementale. La première vague est la thérapie comportementale traditionnelle qui se développe dans les années 1950 et 1960. Celle-ci s’appuie sur les principes du conditionnement classique et opérant. Elle comprend trois étapes, soit l’observation, la prédiction et la modification des comportements. La deuxième vague est la thérapie cognitivo-comportementale qui cible l’évaluation et la modification des pensées dysfonctionnelles. Elle bénéficie d’un appui empirique important et est reconnue efficace pour le traitement de la dépression, du trouble bipolaire, des troubles anxieux, des troubles alimentaires, des abus de substance, de la schizophrénie et du trouble bipolaire par l’Association américaine de psychologie[1] (APA). Les approches de la troisième vague, basées sur la pleine conscience et l’acceptation, cherchent à modifier le rapport entre la personne et ses expériences intérieures (i. e. les émotions, pensées et sensations corporelles) plutôt qu’à modifier le contenu de ces expériences (p. ex., ce que l’individu pense). Par l’enseignement des techniques méditatives, elles permettent de contrer l’évitement expérientiel qui contribue au maintien de la psychopathologie (p. ex., Wenzlaff et Wegner, 2000) et offrent une alternative aux processus cognitifs persévératifs tels que les ruminations ou les inquiétudes qui amplifient les émotions (p. ex., Watkins, 2004). Elles visent un élargissement du répertoire comportemental de la personne afin d’améliorer son fonctionnement général et sa qualité de vie. Ces approches sont de plus en plus répandues et reconnues efficaces (voir Ngô, 2014, dans ce numéro). Elles proposent des nouvelles techniques d’intervention qui permettent d’optimiser les approches cognitivo-comportementales de la deuxième vague (p. ex., Dionne, Blais, Boisvert, Beaudry et Cousineau, 2010), telle la thérapie des schémas. Le présent article décrit une façon d’incorporer des concepts et techniques dérivés de l’ACT, une des approches représentatives de la troisième vague, à la thérapie des schémas. Il présente brièvement la thérapie des schémas, une thérapie intégrative qui est proposée par Jeffrey Young (1990) en réponse aux limites de l’approche traditionnelle en TCC. Il décrit ensuite l’approche ACT et explique comment l’utilisation d’un nouvel outil, la Fiche Mémo Pleine Conscience qui s’inspire des concepts et techniques de l’ACT et des interventions fondées sur la pleine conscience en général, pourrait intervenir sur la mémoire implicite où sont encodés plusieurs aspects des schémas.

La thérapie des schémas

La thérapie des schémas a été développée par Jeffrey Young (Young, 1990) pour traiter les troubles de personnalité et d’autres troubles mentaux chroniques. Il s’agit d’une thérapie basée sur le modèle cognitivo-comportemental qui incorpore depuis ses débuts des concepts et des techniques qui proviennent de différentes écoles de pensée (p. ex., théorie de l’attachement, techniques gestaltistes, neurosciences) afin d’aider les gens qui ne répondent pas bien à la thérapie cognitivo-comportementale classique (Edwards et Arntz, 2012). En effet, Young constate que plusieurs patients (i. e. ceux qui présentent des problèmes vagues ou diffus, une rigidité cognitive, une difficulté à identifier des émotions et/ou un style interpersonnel qui nuit à l’alliance thérapeutique) ont de la difficulté à adhérer à l’approche cognitive traditionnelle car celle-ci cible des problèmes spécifiques, vise la modification des cognitions dysfonctionnelles via des techniques cognitives et comportementales, et requiert une participation active aux tâches à domicile. La thérapie des schémas vise donc un changement à travers l’application de techniques variées (cognitives, comportementales, expérientielles et relationnelles) à la relation thérapeutique, à la vie quotidienne à l’extérieur du cadre thérapeutique (par l’assignation de tâches à domicile) et aux expériences passées. Elle est reconnue efficace pour le traitement du trouble de personnalité limite (Giesen-Bloo et al., 2006 ; Nardort et al., 2009 ; Farrell, Shaw et Weber, 2009). Par contre, l’étude de Giesen-Bloo et al. (2006) qui la compare favorablement à la thérapie focalisée sur le transfert (Clarkins, Yeomans et Kernberg, 1999) démontre qu’il s’agit d’un traitement intensif (trois ans à raison de deux sessions par semaine) qui comporte un certain taux d’abandon (25 %) et amène un taux de récupération limité (45,5 % des participants dans la même étude) pour cette population réputée difficile à traiter. Dans ce contexte, les cliniciens oeuvrant dans ce domaine sont à la recherche de façons d’améliorer l’efficacité et l’efficience de cette intervention.

Ainsi, inspirés par l’essor de la troisième vague en thérapie cognitivo-comportementale (Hayes, 2004a ; 2004b ; Ngô, 2014a) dont la thérapie d’acceptation et d’engagement (Acceptance and Commitment Therapy ou l’acronyme ACT) fait partie (Hayes, Strosahl et Wilson, 2012) et par l’incorporation de la méditation de pleine conscience en psychothérapie (Hayes, Follette et Linehan, 2004 ; Germer, Siegel, et Fulton, 2005 ; Kabat-Zinn, 1990 ; Segal, Williams et Teasdale, 2001), certains cliniciens réfléchissent à l’intégration des stratégies de pleine conscience et d’ACT à la thérapie des schémas (par exemple, Cousineau, 2012 ; Parfy, 2012 ; Bricker et Labin, 2012 ; Roediger, 2012). Ces suggestions d’adaptation n’ont pas encore fait l’objet de recherches évaluatives mais peuvent présenter un intérêt clinique pour contrer l’évitement expérientiel qui nuit à la gestion et à la modification du rapport aux schémas, l’objectif principal de ce type de thérapie.

Schémas et modes

Les schémas et les modes sont deux concepts centraux dans l’approche de Young. Les schémas, terme qui a remplacé « schémas précoces inadaptés » dans la littérature récente, sont des « mémoires constituées de sensations corporelles, de biais perceptuels, d’affects, d’émotions, de tendances à l’action, de cognitions, de sentiments, d’états subjectifs et de souvenirs narratifs rapportés dans une histoire présentant un certain niveau de cohérence » (Cousineau, 2012). Comme les émotions, cognitions et actions s’influencent mutuellement dans de multiples boucles de rétroaction, il serait difficile d’établir une séquence strictement linéaire de leurs activations distinctives. Par ailleurs, les schémas se développent dans l’enfance lorsque les besoins fondamentaux (p. ex., de sécurité, de validation, d’autonomie, de spontanéité et de limites réalistes) n’ont pas reçu de réponses suffisantes. Ils amènent l’individu à se comporter comme si les schémas représentaient une réalité (capitulation face au schéma) ou à développer des patrons d’évitement et de compensation afin de contrer l’activation du schéma. Ces patrons comportementaux peuvent devenir surgénéralisés, rigides et diminuer la capacité à agir de façon adaptée au contexte. Young décrit dix-huit schémas qui correspondent aux patrons interpersonnels et intrapersonnels les plus fréquemment rencontrés en clinique (p. ex., l’abandon, l’imperfection, la carence affective…).

Les modes, quant à eux, sont des états subjectifs et des patrons comportementaux globaux qui dominent l’espace psychologique d’une personne à un moment donné lorsque le schéma est activé (par exemple être paralysé dans un état de terreur). Ils correspondent à différentes facettes du Soi. Ils fluctuent dans le temps et, chez certains troubles de personnalité (par exemple chez le trouble de personnalité limite), la transition d’un mode à l’autre peut être abrupte.

La thérapie des schémas a pour objectif de diminuer l’influence des schémas précoces et des modes inadaptés sur le comportement de l’individu tout en renforçant le mode de l’Adulte sain[2] par l’application de techniques cognitives (p. ex., reconnaître et nommer les schémas et les modes), comportementales (p. ex., expériences comportementales), expérientielles (p. ex., interactions correctrices avec des personnes significatives en imagerie mentale) et relationnelles (p. ex., reparentage, c’est-à-dire offrir au patient, dans le cadre de la relation thérapeutique, une partie de l’investissement parental de base qu’il n’a pas reçu).

Gestion et modification des schémas : limites du modèle cognitivo-comportemental traditionnel

Lorsqu’un schéma est prégnant[3], les thérapeutes auront vite fait d’observer qu’il sera très difficile de le modifier à partir de techniques cognitives de deuxième vague comme le questionnement socratique. L’individu réalise que le schéma n’est pas un reflet fidèle de la réalité mais il a l’impression d’être incapable d’avoir une emprise sur lui. Il pourra dire qu’il « comprend mais que cela ne change pas comment il se sent ».

Une notion qui permet de comprendre pourquoi la réévaluation cognitive ne suffit pas pour modifier le schéma est la distinction entre mémoire implicite et explicite (p. ex., Bucci, 1997 ; Grawe, 2004 ; Siegel, 2012). La mémoire implicite est reliée aux sensations somatiques, aux émotions, aux catégories perceptuelles, aux modèles mentaux, aux tendances et réponses comportementales. Par exemple, une personne peut éprouver une attirance ou une répulsion pour quelqu’un qu’elle rencontre pour la première fois sans savoir pourquoi. En effet, le conditionnement classique ou répondant fait appel à la mémoire implicite : il est créé par simple association et ne nécessite aucune interposition de la conscience ou du langage.

Par ailleurs, la mémoire explicite est fortement liée au langage. Elle se subdivise en deux catégories : la mémoire conceptuelle (ou sémantique) et la mémoire narrative (ou autobiographique). La mémoire conceptuelle porte sur une catégorisation à partir de caractéristiques perceptuelles ou d’autres dimensions. Par exemple, la distinction entre humains, animaux et plantes, ou encore la rétention d’une date anniversaire sont associées à la mémoire conceptuelle. La mémoire autobiographique est celle qui permet le rappel des événements de la vie antérieure. C’est le langage qui permet l’organisation de la mémoire implicite dans une séquence narrative, l’histoire que la personne se raconte et celle qu’elle raconte aux autres (« Je ne suis pas une personne intéressante… Cet homme est un séducteur malhonnête… C’est plus fort que moi… »). Notons que les constructivistes considèrent la narration comme une action (élaboration de sens, nécessité de cohérence) plutôt qu’une représentation fidèle de la réalité (Neimeyer et Raskin, 2000).

Ces définitions permettent de comprendre que l’organisation implicite de l’information a un mode de fonctionnement différent de la linéarité du langage narratif (par exemple, les liens associatifs lâches de la rêverie éveillée versus la nécessité de cohérence du discours – voir Hartmann, 2011) et que le langage n’est pas un gage de description fidèle de la réalité subjective de la personne.

À notre avis, ces faits permettent d’expliquer la tendance lourde chez les thérapeutes des schémas à s’appuyer principalement sur des techniques expérientielles et relationnelles dans leurs interventions (Young, Klosko et Weishaar, 2003 ; Arntz et van Genderen, 2009) pour modifier les schémas en partie encodés dans la mémoire implicite. D’autres méthodes et concepts, inspirés par les approches de la troisième vague, peuvent également être utilisés à cette fin.

Application de concepts et techniques de la thérapie d’acceptation et d’engagement à la thérapie des schémas

Fondée sur le béhaviorisme radical, l’approche ACT (Hayes et al., 2012) a développé une théorie de langage, la théorie des cadres relationnels. Celle-ci conclut que le langage consiste essentiellement en l’application de cadres relationnels sur la réalité perçue par les organes sensoriels. Ces cadres relationnels permettent des relations dérivées qui peuvent s’éloigner de plus en plus de la réalité perceptuelle (Hayes, Barnes-Holmes et Roche, 2001 ; Törneke, 2010). Par exemple, il est possible de déterminer visuellement si un individu est plus grand qu’un autre (caractéristique perceptuelle). Mais dans les monnaies canadienne et américaine, même si une pièce de 10 cents est physiquement plus petite qu’une pièce de 5 cents, la première est de plus grande valeur que la deuxième. C’est un exemple d’application d’un cadre relationnel. Le cadre « plus grand que » s’applique à partir d’un critère défini arbitrairement. Lorsqu’un cadre relationnel arbitraire est partagé à l’intérieur d’un groupe, il produit l’illusion de décrire une réalité objective ; ceci est appelé fusion dans l’approche ACT, le symbole utilisé devient un fait[4].

Plusieurs relations appliquées dans une société sont des relations arbitraires. Selon la théorie des cadres relationnels, le langage est contextuel et ne devrait jamais être pris au premier degré. Selon Hayes et al. (2012), ce ne sont pas les mots mais la fusion cognitive (i. e. la tendance d’une personne à considérer le contenu de ses pensées comme s’il était le reflet de la réalité) qui crée la psychopathologie. Dans l’ACT, plusieurs techniques (p. ex., la technique « milk, milk, milk » qui consiste à répéter ce mot sur différents tons, à des rythmes différents jusqu’à ce qu’il perde son sens) permettent de favoriser la défusion cognitive (i. e. percevoir les pensées, les images, les émotions et les souvenirs tels qu’ils sont plutôt que comme ils se présentent). Par la défusion cognitive, l’individu peut réaliser que les règles (p. ex., « ma conjointe ne devrait jamais parler à d’autres hommes ») et les étiquettes (p. ex., « je ne suis pas aimable ») sont arbitraires et qu’il est possible de ne pas y adhérer de façon automatique.

Hayes et al. (2012) considèrent également que l’évitement expérientiel, soit la tentative de changer, éviter, éliminer des pensées, émotions ou sensations physiques indésirables contribue à la genèse et au maintien du problème. Il mène, entre autres, à une amplification des expériences internes et à un appauvrissement du répertoire comportemental. Par l’enseignement de techniques de méditation de la pleine conscience, le thérapeute ACT favorise l’acceptation, le contact avec le moment présent et le développement du soi observateur afin que la personne soit en mesure d’agir selon ses valeurs et de construire une « vie qui vaut la peine d’être vécue ».

Utilisées dans le cadre de la thérapie des schémas, ces techniques peuvent également aider l’individu à faire face aux orages émotionnels qui se produisent lorsqu’un schéma est activé, au moment où ils se produisent alors qu’il est capable d’en percevoir le côté démesuré et dysfonctionnel (p. ex., la conjointe de Jean menace maintenant de le laisser) lorsqu’il est dans des contextes différents.

Nous pensons que dans ce type de situation, l’approche ACT peut être d’un apport intéressant à la thérapie des schémas. Que faire avec l’expérience prégnante d’un schéma réactivé lorsqu’il produit cette illusion de vérité (la vérité émotionnelle) ?

Dans la deuxième édition du livre qui avait marqué l’amorçage de la thérapie ACT, nous retrouvons l’énoncé suivant[5] (Hayes et al., 2012) :

Nos réponses émotionnelles (humaines) sont de simples échos à notre histoire personnelle réactivée au présent par le contexte actuel. Si nos réactions sont enracinées dans notre histoire et si elles sont devenues nos ennemies, alors notre propre histoire est devenue notre ennemie. Et, il n’y a pas de techniques efficaces pour faire disparaître l’histoire d’une personne, du moins pas d’une façon sélective.

Hayes et al. ]2012], p. 76-77 dans l’édition Kindle – traduction libre ; le texte original se retrouve à la note de bas de page

Les approches de la troisième vague font une place importante à la position témoin de sa propre expérience (soi-en-contexte), une attitude héritée de la tradition millénaire des techniques méditatives (Hayes, Follette et Linehan, 2004). La mentalisation[6] de notre expérience (voir Fonagy, Gergely, Jurist et Target. 2002) favorise cette prise de perspective. L’approche des schémas permet également d’adopter la position témoin en fournissant une nomenclature qui permet de décrire l’expérience. En effet, les dix-huit schémas (Young et al., 2003 ; Cousineau, 2008) décrivant des patrons cognitifs, affectifs et comportementaux traduisent des expériences humaines partagées par plusieurs[7] : Abandon, Carence affective, Méfiance/Abus, Isolement social, Imperfection, Échec, Assujettissement, Exigences élevées, Punition, etc. Se dire « c’est mon schéma Abandon qui me fait réagir actuellement » permet un recadrage de la perception comme étant un « simple écho à notre histoire personnelle réactivée au présent par le contexte actuel » (voir plus haut la citation de Hayes et al., 2012). Cette mise en perspective ne peut que favoriser la possibilité de défusion (i. e. prendre du recul et voir les pensées comme étant des pensées).

En bref, dans la thérapie des schémas, l’individu est amené à observer l’éclosion des patrons cognitifs, émotionnels et comportementaux, tout en se décrivant « c’est mon schéma X qui est réactivé actuellement ». Ceci permet d’améliorer la régulation émotionnelle et de choisir d’agir de façon fonctionnelle.

Finalement, comme la réactivation des schémas et des modes est associée à des tendances à l’action qui amènent l’individu à répéter certains patrons cognitifs, affectifs et comportementaux qui maintiennent la prégnance des schémas, Young (Young et al., 2003) a développé une Fiche Mémo des Schémas. Celle-ci permet à l’individu de se désidentifier du schéma en le nommant et en effectuant un recadrage cognitif, puis de choisir des stratégies plus efficaces pour satisfaire ses besoins. Afin d’améliorer l’efficacité de cet outil, le premier auteur l’a modifié pour incorporer des méthodes et des concepts de la thérapie ACT.

La fiche mémo pleine conscience

La fiche mémo pleine conscience (Cousineau, 2010 ; Dionne, Blais, Boisvert, Beaudry et Cousineau, 2010 ; Cousineau, 2012) est une adaptation de la fiche créée par Young. Elle a pour objectif d’aider l’individu à composer avec une réaction récurrente fondée sur la réactivation d’un schéma (manifestée à l’intérieur d’un mode), réaction qui est devenue dysfonctionnelle pour la personne. Dans l’exemple de Jean, c’est une première façon de répondre à sa demande d’aide qui s’exprime par : « C’est plus fort que moi ; l’émotion l’emporte sur la raison – alors, que puis-je faire dans de tels moments ? »

La fiche mémo pleine conscience s’engage dans ce défi à travers les objectifs suivants :

  1. Augmenter la tolérance à l’intensité émotionnelle associée à la réactivation du schéma afin d’en atténuer la prégnance et par conséquent la poussée de la tendance à l’action.

  2. Soutenir la mentalisation des processus cognitifs (passage de la mémoire implicite à explicite) par le recours aux concepts des schémas et des modes pour décrire son expérience.

  3. Favoriser une compréhension plus flexible et fonctionnelle de la situation qui permettra un choix d’action en lien avec les besoins et les valeurs de la personne.

  4. De ce choix d’action adaptée, passer à l’action afin de gérer (i. e. identifier le schéma puis bloquer la tendance à l’action correspondante) puis, éventuellement, modifier l’expérience du schéma (i. e. le ressenti).

Cette fiche comporte quatre étapes : (1) observer et s’exposer aux manifestations de la réactivation du schéma (les pensées, émotions, sensations corporelles et tendances à l’action) ; (2) identifier le schéma réactivé et faire le lien avec le passé (défusion cognitive) ; (3) choisir les stratégies fonctionnelles qui rapprocheront la personne de ses valeurs et qui lui permettront de combler ses besoins en faisant intervenir son jugement éclairé ; et (4) passer à l’action. Voici une description plus détaillée de ces étapes :

1) Exposition en pleine conscience aux émotions. La fiche mémo pleine conscience met d’abord l’accent sur une meilleure tolérance de l’intensité émotionnelle. Celle-ci favorise la régulation des émotions. Le thérapeute demande à la personne de rester en contact un certain temps (2, 5, 10 minutes selon le stade) avec les manifestations somatiques de la réponse émotionnelle en simple position d’observation. La personne pourrait se dire, par exemple, « je ressens une douleur intense dans mon ventre, une pression à la base de ma poitrine ». Même s’il est important de souligner qu’on ne vise aucun état subjectif particulier, il n’est pas rare que cet exercice diminue l’intensité émotionnelle. Au minimum, il favorise l’accoutumance à cet état. Cet exercice présente aussi l’avantage de diminuer le recours à des stratégies mentales pour tenter d’expliquer ou de changer l’état subjectif. En effet, l’ACT a régulièrement démontré l’efficacité souvent limitée de ces stratégies (p. ex., Hayes et al., 2012 ; Hayes et Smith, 2005).

2) Identification du schéma et hypothèse sur son origine. La description de l’expérience à travers des concepts comme les modes et les schémas permet d’en favoriser la mentalisation. La personne commence à saisir que sa réaction aux événements repose en grande partie sur ses états mentaux (i. e. le mode de traitement de l’information). Or, certains patrons cognitifs, affectifs et comportementaux font plus écho à notre histoire qu’à une analyse rigoureuse de la situation actuelle. Les schémas et les modes permettent de rendre explicite (« c’est mon schéma qui me fait percevoir que… ») une réaction en grande partie implicite (perçue comme étant une vérité émotionnelle). Ceci favorise la régulation émotionnelle et permet d’inhiber la réponse impulsive.

3) Le jugement éclairé. L’objectif de cette étape est d’identifier ce qui favoriserait une meilleure réponse à long terme aux besoins de la personne (c’est le mode Adulte Sain). L’utilisation du modèle de la matrice (Schoendorff, Grand et Bolduc, 2011), un autre outil, l’ACT, peut être très utile, ici. Elle permet de faire la distinction entre les réponses dont la fonction serait l’évitement expérientiel (dans ce cas-ci, l’intolérance à l’expérience subjective des schémas réactivés) et celles qui favoriseraient l’atteinte de ses valeurs personnelles (i. e. la réponse aux besoins de la personne). Ceci permet d’en arriver à une position reflétant un jugement éclairé.

4) L’action juste. Tout le travail qui précède trouvera son utilité ultime dans l’actualisation dans l’action. Et lorsque cette action respecte les conclusions du Jugement éclairé, on la qualifiera d’Action juste, c’est-à-dire l’action optimale compte tenu des circonstances. Dans la perspective ACT, il est préférable de focaliser son énergie sur le comportement puisque seule cette dimension est sous le contrôle de l’individu.

Conclusion

La thérapie des schémas et l’ACT sont deux modèles de thérapie bien établis. L’intégration des techniques de l’ACT à la thérapie des schémas s’avère utile pour en augmenter l’efficacité. Le but de la thérapie des schémas est de diminuer l’emprise des schémas sur la personne afin de contribuer à ce que ses comportements soient en harmonie avec ses besoins. L’ACT dirait ses valeurs. Comme la modification des schémas s’avère souvent ardue à cause de leur forte prégnance émotionnelle, les stratégies proposées par l’ACT et les interventions fondées sur la pleine conscience en général peuvent être complémentaires à la thérapie des schémas. Toutes les stratégies sont bonnes à utiliser si elles permettent d’atteindre ce but. C’est notre expérience avec la fiche mémo pleine conscience. Il s’agit, cliniquement, d’un outil puissant qui nous permet d’intervenir rapidement sur plusieurs plans et de promouvoir le mode Adulte Sain (i. e. les stratégies adaptées). Des recherches portant sur l’efficacité de l’ajout de cet outil à la thérapie des schémas seraient à effectuer.