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INTRODUCTION

Le Plan d’action en santé mentale 2015-2020 (PASM), du ministère de la Santé et des services sociaux du Québec1, comprend des mesures « favorisant le plein exercice de la citoyenneté ». Il « demande la mobilisation de tous les partenaires en vue d’offrir une réponse adéquate aux besoins des personnes utilisatrices de services [et] les soutenant dans le plein exercice de leur citoyenneté ». Parmi ces partenaires il y a les usagers eux-mêmes, ici invités à prendre une part active dans la planification, la dispensation et l’évaluation des services de santé et de services sociaux qui leur sont destinés. Cette préoccupation n’est cependant pas nouvelle puisque, par exemple, déjà en 2002 le MSSS2 proposait comme objectif des réseaux locaux de services en santé mentale, qui se mettaient alors en place, de « soutenir ces personnes dans l’exercice de leur citoyenneté en leur offrant des services variés et adaptés qui favorisent l’inclusion sociale et la participation aux différentes instances qui voient à l’organisation des services ». Participation aux instances et citoyenneté vont donc ici de pair, mais jusqu’à récemment il n’existait pas de mesure de la citoyenneté pour évaluer empiriquement d’éventuelles avancées en cette matière.

D’autre part, bien qu’il se situe en continuité par rapport au précédent PASM 2005-20103, lequel introduisait le rétablissement en tant que principe directeur et reconnaissait le pouvoir d’agir des usagers, le PASM 2015-202040, toujours axé sur le rétablissement, s’inscrit lui-même dans le contexte plus large de la Loi 10 modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux4. Cette Loi prévoit que les nouveaux centres intégrés et centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux qui en sont issus doivent « s’assurer de la participation de la population à la gestion du réseau de la santé et des services sociaux et s’assurer du respect des droits des usagers ». Parmi ces droits il y a celui de participer et la participation peut consister, inversement, à voir aux respects des droits, une dimension importante de la citoyenneté5. Ainsi, dans cet article nous présentons les résultats de l’évaluation d’un programme de promotion de la citoyenneté, soit le Projet citoyen dont l’objectif est de favoriser la santé mentale et sociale par l’exercice de la citoyenneté. Le tout se situe dans une perspective dite globale de santé mentale publique, globale en ce sens que les usagers sont considérés non seulement comme d’éventuels bénéficiaires des interventions à ce niveau, mais aussi en tant qu’acteurs potentiels pouvant eux-mêmes exercer leur influence sur les déterminants sociaux de la santé6,7. Ainsi, nous nous demandons ce que les participants au Projet citoyen retirent personnellement de cette intervention qui comprend une discussion sur les déterminants sociaux de la santé, en termes de rétablissement et citoyenneté.

Cadre conceptuel du rétablissement civique

Le rétablissement affirme la capacité des personnes à prendre le contrôle de leur vie et à participer activement à la vie en société3, 1, et ce, nonobstant la persistance ou la sévérité éventuelle des symptômes de la maladie. En fait, le principe actif du rétablissement est non seulement de maintenir les gens « dans » la communauté, mais surtout de faire en sorte qu’ils soient et restent « de » la communauté8 et y vivent « comme tout le monde »9. Or, le fait d’être de la communauté implique le développement et le maintien de relations de réciprocité, alors que la citoyenneté suppose des droits, privilèges et autres responsabilités que peuvent exercer les membres d’une même collectivité et au sein de laquelle ils sont concitoyens, en principe égaux, les uns des autres. L’un des indicateurs permettant de reconnaître qu’un système ou qu’une organisation préconise le rétablissement est d’y voir des personnes utilisatrices de services agissant en tant que partenaires activement impliqués à différents niveaux de planification10 et de dispensation des services, de même qu’à celui de leur évaluation.

Bien que pouvant prendre des reflets particuliers selon les régimes politiques, les pays ou les aires géographiques et culturelles, la citoyenneté renvoie universellement, quant à elle, aux droits et devoirs associés au statut de membre d’une démocratie. Elle est au coeur de la réflexion philosophique depuis l’Antiquité grecque, ayant fait l’objet d’un regain d’intérêt plus récemment dans le champ de la santé mentale publique11 et de l’intervention sociale auprès des populations les plus vulnérables12. En bref, au-delà de la réduction ou de la rémission des symptômes psychiatriques, les politiques de santé mentale publique axées sur le rétablissement visent désormais à permettre de redevenir et de rester membres à part entière de la communauté, ce que vise explicitement le Projet citoyen.

Dès les débuts du mouvement contemporain du rétablissement, Fisher13 avait d’ailleurs développé un modèle d’autonomisation basé sur les principes qui ont émergé de l’expérience des usagers en matière de rétablissement. « Nous sommes des êtres humains à part entière et qui méritent le respect et la pleine citoyenneté. », écrit-il (traduction libre). Plus récemment, Davidson14 et ses collègues ont suggéré que, à mesure que se renforce un sentiment d’autonomie et de contrôle sur sa vie, les personnes concernées peuvent commencer à exiger les mêmes droits et la possibilité d’exercer les mêmes responsabilités que les autres citoyens en bonne santé. Soutenir l’exercice des droits et responsabilités civiques pourrait être une condition du rétablissement, et non une récompense éventuelle pour un traitement réussi. Dès l’origine du rétablissement il a donc été fait référence à la citoyenneté, mais de manière qui est restée depuis plutôt évasive et sans véritable tentative de la mesurer empiriquement.

Le concept de rétablissement demeure d’ailleurs relativement controversé15, notamment parce que pour un même individu sa définition peut changer avec le temps16. De plus, le mot « rétablissement » n’est pas nécessairement le plus approprié comme traduction de recovery17, ce dernier étant lui-même quelque peu galvaudé, selon Slade et coll.18 qui regrettent que les auteurs et les scientifiques ne prennent pas toujours la peine de bien définir de quel type de rétablissement ils parlent.

En effet, on peut succinctement distinguer au moins deux représentations principales du rétablissement19. Lorsque le rétablissement réfère au contrôle des symptômes, s’apparentant aux notions de guérison, l’objectif principal pour la personne est alors de se conformer aux traitements. Un tel modèle davantage clinique du rétablissement peut aussi inclure une appréciation des fonctions sociales, mais du point de vue des professionnels. Une autre façon de concevoir le rétablissement est de plutôt le considérer comme un processus non linéaire et en termes d’estime de soi et d’identité retrouvée, de quête de sens et d’accomplissement personnel. Cet autre modèle de rétablissement découle des revendications sociales du mouvement des usagers, se référant davantage aux droits d’une personne à l’autodétermination et à l’inclusion dans la société, indépendamment de son niveau de fonctionnement ou de son état de santé ou de handicap, ou encore de ce que le modèle médical en pense20, 21. La notion de rétablissement civique complète ces notions de rétablissement clinique et de rétablissement socio-personnel en mettant spécifiquement l’accent sur la nature du lien entre l’individu et la communauté, une dimension qui retient de plus en plus d’attention avec les appels à une plus grande participation, mentionnés ci-haut.

Ainsi, au Québec, des formations sont désormais offertes, notamment par des groupes de défense des droits en santé mentale, pour soutenir les individus dans l’expression de leur citoyenneté et leur participation22. Des forums citoyens ont été également organisés pour discuter de pleine citoyenneté6. Des bilans rétrospectifs portant sur la participation des usagers à diverses instances du réseau québécois et en lien avec les orientations et plans d’action ministériels ont également été dressés, couvrant des périodes pouvant remonter jusqu’aux années 1960 et à la Révolution tranquille23,24. Cet article s’intéresse quant à lui aux retombées d’une telle participation sur le sentiment de pleine citoyenneté des individus concernés et avec une mesure conçue spécifiquement à cette fin. Le modèle logique suivant (figure 1), qui a été décrit plus en détail ailleurs6,7, schématise la possible trajectoire de « patient » à « citoyen » par le truchement de l’équipe de recherche participative en tant que microcommunauté.

Figure 1

Modèle logique de la trajectoire évolutive non linéaire de « patients » à « citoyens »

Modèle logique de la trajectoire évolutive non linéaire de « patients » à « citoyens »

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MÉTHODE

La validation des propriétés psychométriques de la version française d’un nouvel instrument de mesure de la citoyenneté25 figurait parmi les objectifs d’un protocole de recherche participative approuvé par le comité d’éthique de la recherche d’un institut universitaire en santé mentale québécois. Cette mesure a été utilisée pour structurer des groupes de discussion focalisée (focus group), en particulier auprès des participants au Projet citoyen, une composante de l’Université du rétablissement. Ces entrevues ont été transcrites par verbatim pour ensuite faire l’objet d’une analyse qualitative de contenu classique : classement du matériel, réduction puis établissement de catégories, codes ouverts et fermés, etc.26. Mentionnons que l’Université du rétablissement est composée de trois principaux éléments, soit a) la formation de mentor de rétablissement à la faculté de médecine de l’Université de Montréal ; b) l’association des mentors et partenaires de rétablissement ; et c) le centre d’études des mentors et partenaires de rétablissement (en voie de formalisation), ce dernier étant constitué de l’ensemble des projets de recherche participative auxquels prennent part des usagers en tant que partenaires de recherche. Telle que décrite par Pelletier et Tourette-Turgis27, l’Université du rétablissement est un concept d’éducation thérapeutique où les étudiants et les enseignants apprennent les uns des autres. Quant à l’Association des mentors et partenaires de rétablissement, il s’agit d’une entreprise d’économie sociale adaptée dont le conseil d’administration est majoritairement composé de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale qui leur ont occasionné des interruptions significatives de parcours de vie. En collaboration avec Emploi Québec et un Centre local d’emploi du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec, ce statut permet d’offrir un programme d’aide et d’accompagnement social28, soit le Projet citoyen, à des bénéficiaires de l’aide sociale de dernier recours qui viennent y développer leur employabilité et approfondir leur réflexion sur les enjeux de l’inclusion citoyenne et socioprofessionnelle. Le Projet citoyen est l’une des quatre entreprises sociales ayant pris part au projet de recherche.

Une intervention visant la prise en compte des déterminants sociaux

Afin de favoriser et soutenir le processus de rétablissement et de réintégration socioprofessionnelle pour des personnes vivant une situation de chômage prolongé en raison des répercussions de la maladie mentale et qui sont éligibles à diverses mesures de développement de l’employabilité et de la préemployabilité, le Projet citoyen est composé a) d’une formation de groupe (composante de groupe) ; b) d’un encadrement par un mentor de rétablissement (composante individuelle) ; c) d’un stage pratique dans le milieu (composante in vivo) ; et d) des forums citoyens (composante publique lors desquels les personnes utilisatrices de services sont invitées à prendre la parole)29. Le Projet citoyen est en fait une transposition en sol québécois du Citizens’ Project américain dont les effets ont été évalués grâce à des essais contrôlés randomisés30.

Une mesure du rétablissement civique

Quant à elle, la mesure de la citoyenneté originale, ou du rétablissement civique, ont été développés en réponse à la question initiale, qui fut suggérée par les usagers impliqués comme partenaires de recherche participative dans ce projet : For me, being a citizen means… Elle a été traduite de l’anglais au français en suivant la méthode de rétrotraduction impliquant les auteurs originaux, telle que suggérée par Vallerand31. Les 23 items qui composent la version française sont répartis en 5 sous-échelles et cette mesure a été administrée entre les mois de janvier et mars 2015 auprès de quelque 800 Québécois recevant des services de santé mentale. Il fallait répondre aux questions, sur une échelle de Likert en 5 points, à quel point la situation décrite correspondait à leur situation des 30 jours précédents (fortement en désaccord = 1, fortement en accord = 5). Pour faciliter la compréhension mutuelle lors des groupes de discussion subséquents, les résultats ont été transposés en pourcentage par rapport au total maximal possible, soit si les répondants avaient tous répondu « fortement en accord » à une question donnée (= 100 %). Pour contribuer à l’interprétation des résultats, quatre groupes de discussion ont été organisés avec les participants du Projet citoyen (n = 10) et avec des patients partenaires impliqués à titre de représentants des usagers sur différents comités, de programmation ou autres, afin d’y faire valoir leur savoir expérientiel (n = 8). Les patients partenaires sont choisis, selon les activités proposées, parmi un bassin d’environ 70 usagers des services de santé s’étant proposés pour jouer ce rôle de représentation sur divers comités. Selon la Politique de participation de l’établissement où s’est déroulée l’étude, ils reçoivent une indemnité compensatoire pour le temps de participation, se voyant également rembourser, le cas échéant, des frais de stationnement, déplacement ou de repas. Des analyses statistiques plus précises des résultats à cette mesure avec les 800 répondants sont en cours. Ce qui fait l’objet de cet article-ci ce sont les résultats de l’analyse qualitative de ces groupes de discussion, lesquels furent structurés à partir des résultats à la mesure validée (tableau 1). Le logiciel Statistical Package for the Social Sciences, version 24, a été utilisé pour générer les données descriptives.

RÉSULTATS

Dans cette section nous présentons des extraits d’entrevues en lien avec les résultats à la mesure de la citoyenneté. Ils sont présentés en fonction des cinq sous-échelles qui la composent.

Besoins essentiels

En groupe de discussion, les participants à la recherche ont fait valoir que leur participation à différentes instances et au sein du Projet citoyen entraînait des effets plutôt modestes, en tout cas à court terme, sur leurs conditions de vie en général. Ils ont le sentiment que cette participation ne soit pas toujours reconnue à sa juste valeur, surtout lorsqu’elle ne fait l’objet d’aucune indemnité compensatoire ou rémunération autre que le remboursement de certains frais de déplacement ou de repas alors que les autres membres d’un même comité continuent généralement à recevoir un salaire lorsqu’ils y siègent. Les bénéfices de cette participation se calculent donc davantage à l’aune d’un sentiment personnel d’utilité sociale et d’apprentissage :

  • Compte tenu du fait que j’ai été une dizaine d’années hors du marché du travail, de réapprendre à être exposé à une tâche, à faire face au stress là […] ça m’expose tranquillement, ça m’aide à mieux faire face au stress.

  • C’est pas juste une question de gagner de l’argent, mais de faire quelque chose, d’avoir un rôle dans la vie, de se sentir utile.

Tableau 1

Résultats quantitatifs à la mesure de la citoyenneté

Résultats quantitatifs à la mesure de la citoyenneté

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La question de l’accès à un emploi est tout particulièrement mitigée, puisque c’est pour cet item que le résultat est le plus faible, soit de 50,3 %, à égalité avec la possibilité d’influencer la communauté, cette autre question qui fait partie de la dimension suivante.

Implication dans la communauté

C’est pour cette dimension, comparativement aux quatre autres, que les résultats sont nettement les plus faibles (57,9 %), alors que pour les autres les résultats se situent autour de 70 % (68,7 % à 73,4 %). « Nous sommes mal vus », de dire un participant, ce qui limite les occasions de participation. Si la société n’accepte pas les usagers, jusqu’à quel point les établissements spécialisés en santé mentale ne travaillent-ils pas « dans le beurre » ? Il est suggéré que ces derniers puissent chercher à influencer la société pour changer les mentalités et donner de la visibilité aux usagers, les faire connaître et faire connaître leur potentiel et leurs réalisations, favoriser l’ouverture d’esprit par exemple grâce à des campagnes publiques d’information, de sensibilisation, de dé-stigmatisation avec de nombreux mentors de rétablissement et patients partenaires habilités à projeter et à véhiculer une image positive.

L’influence dans la communauté se fait beaucoup par l’exercice d’un travail, de poursuivre un autre participant, tandis que le dévoilement peut être utilisé comme instrument de dé-stigmatisation, mais nuire à l’emploi. Parler de santé mentale est une façon d’exercer des responsabilités, notamment pour dédramatiser auprès des personnes nouvellement diagnostiquées et moins familières avec des notions comme celles de rétablissement ou de pleine citoyenneté et qui forment un sous-groupe non négligeable de la population. On remarque par ailleurs qu’il est tout à fait possible que le niveau d’implication dans la communauté ne soit pas nécessairement très différent que pour la population en général.

Autodétermination

Le groupe d’individus rassemblés formellement pour favoriser l’implication et la participation dans la communauté, bien qu’il s’agisse d’un défi de taille, tel que vu ci-haut, représente en soi une communauté intermédiaire et au sein de laquelle les participants se définissent en fait non comme des participants (à la recherche), mais comme des membres (d’une équipe).

  • On se parle. Est-ce que ça peut nous donner un encouragement ? Est-ce que ça peut nous donner une force intérieure ?

  • Oui. Solidarité et écoute. […] Oui on est très heureux de se côtoyer […] c’est une source de réconfort.

  • On fait nos propres démarches ça c’est sûr. […] On forme une petite communauté déjà ici.

  • De voir les gens progresser, de voir les gens, tranquillement, dans leur voie de rétablissement, dans leur voie de faire des pas, c’était inspirant je trouve.

Le caractère informel des relations qu’ils peuvent entretenir entre eux au sein de cette microcommunauté a une grande valeur parce qu’il représente quelque chose de naturel dans un environnement d’intervention malgré tout artificiel et protecteur, comme l’illustre l’extrait suivant :

  • […] les gens ici n’aiment pas ça qu’on dise que c’est un groupe de thérapie, moi je dirais plutôt un groupe de soutien où y a pas de thérapeutes, y a pas d’intervenants, on se débrouille entre nous, on s’entraide. S’il y en a un [membre de l’équipe] qui se sent un peu moins bien, on est là pour l’écouter, pour conseiller […] partager.

  • Entre nous on s’entraide.

Cette dynamique informelle d’entraide au sein du groupe favorise ainsi graduellement l’autodétermination, à la fois individuelle et collective, en encourageant ses membres à aller au-delà de leurs propres préjugés et au-devant des uns et des autres.

Accès aux services

C’est pour cette dimension que le résultat à la mesure est le plus élevé entre les dimensions (73,4 %). Aux dires des participants aux groupes de discussion, cet accès aux services passe notamment par une meilleure compréhension de leur fonctionnement et de leurs finalités. L’implication sur des comités permet cette meilleure compréhension de la part des usagers qui y siègent. D’autre part, pour les cliniciens, ceci leur permet de constater qu’un usager pour qui on avait peut-être certaines craintes a en fait la capacité d’exprimer son potentiel et de contribuer comme partenaire. « Ceci permet de constater l’évolution de la personne, ce qui est probablement une source de satisfaction professionnelle, alors que pour les usagers, cette participation les expose à de nouveaux concepts comme celui du rétablissement », de résumer un répondant.

C’est aussi pour l’un des items de cette dimension que le résultat est le 2e plus élevé, soit de 76,8 % à la question « Vous avez accès à des services de santé adéquats. » Ce score est à égalité avec celui obtenu par l’un des items de la dimension « Respect d’autrui », soit pour la question « Vous êtes traités avec dignité et respect. »

Respect d’autrui

Pour cette dimension, c’est à la question « Vous êtes écouté par les autres » que le résultat est le plus faible (70,3 %) :

  • […] je me sens écouté, mais des fois je me sens incompris.

  • Quand on est en santé mentale […] on a l’impression d’être incompris, de pas connecter avec les gens et on a l’impression que ces personnes-là, la raison justement pourquoi on n’est pas capable de connecter avec ces personnes-là, c’est qu’ils ne nous connaissent pas vraiment [s’ils] apprenaient à vraiment nous connaître pour autre chose que la maladie mentale probablement qu’on sentirait qu’on est […] plus apprécié.

Malgré le fait que le respect mutuel entre les participants semble se manifester plus difficilement en dehors de ce groupe, c’est l’énoncé « Vous êtes traités avec dignité et respect » qui obtient le meilleur résultat entre tous, soit de 77 %.

DISCUSSION

Pour faire face à des défis comme celui du vieillissement de la population ou de l’accroissement des dépenses de santé, combiné à la raréfaction des ressources publiques, une approche dite populationnelle est en vigueur depuis le PASM 2005 pour améliorer la réponse du système. Cette approche populationnelle visait notamment « une responsabilisation accrue de la population envers sa santé et son bien-être, dont l’accent sur l’autogestion des soins, et une meilleure reconnaissance des déterminants sociaux de la santé »32. Le Projet citoyen de l’Université du rétablissement33 et la discussion autour des résultats de la nouvelle mesure ont permis aux participants de reconnaître eux-mêmes certains des déterminants sociaux qui conditionnent leur état de santé et de se responsabiliser à cet égard. S’il est encore difficile, à ce stade-ci, de discerner des changements populationnels qui seraient attribuables à l’influence des usagers organisés à cette fin, on peut tout de même rapporter que le fait de se réunir pour en parler est déjà un bon point de départ, ne serait-ce qu’en termes de soutien social, qui est un déterminant bien connu de la santé34.

Les questions touchant à la citoyenneté soulèvent en effet des interprétations collectives, groupales ou communes des expériences et des difficultés. Lorsque la thématique des troubles de santé mentale est soulevée, l’individualité revient se glisser dans les lectures des situations : habiletés à développer, déficits à identifier et à combler, confiance en soi à améliorer, capacités personnelles d’affirmation ou de verbalisation plus ou moins grandes, etc. Ces éléments soutiennent dès lors la pertinence d’aborder les expériences de vie à partir de la lorgnette citoyenne, qui semble favoriser le partage des expériences communes, la reconnaissance et la valorisation du vécu, ainsi que la similitude des informations à connaître et maîtriser afin d’assurer une qualité de vie optimale en (micro) communauté. Ils semblent que les participants à l’étude tendent à se définir en fait en tant que membres du groupe et un tel mode associatif s’avère en effet propice à la constitution d’un réseau social, tel que suggéré par Hardiman et Segal35.

Le statut de membre d’une équipe est également lié au développement de compétences et aptitudes personnelles36. L’accès au travail est toutefois ressorti comme un point faible, alors que l’expérience d’employabilité, le « programme », sert spécifiquement à aider en lien avec le monde du travail. Il s’agit d’une opportunité de retrouver une participation active, un rôle, ou encore pour explorer ses intérêts et capacités, s’actualiser, être actif, de même que pour développer ses habiletés d’organisation, de gestion du stress, de confiance en soi ou d’affirmation de soi. Cependant, le thème du revenu et des ressources financières est mis en lumière par les répondants de manière transversale aux questions abordées. Ils sont sensibles aux conséquences de la précarité, la plupart d’entre eux ayant eux-mêmes bénéficié un jour ou l’autre de l’aide sociale de dernier recours. Les difficultés financières sont rappelées à de nombreuses reprises : il s’agit ici d’un vécu partagé de relative pauvreté.

Les participants remarquent également que l’intervention dont ils bénéficient repose essentiellement sur l’entraide relativement informelle, ce qui est également propice au développement de la confiance en soi37. Puisqu’il n’y a en principe pas d’intervenant officiel avec un statut particulier, ceci peut favoriser des rapports plus égalitaires38. L’attention est ainsi concentrée sur la situation globale de la personne, plutôt que la prise en compte d’un diagnostic spécifique. Cette participation au groupe et à sa vie démocratique favorise la responsabilisation, de même que l’expression des besoins et la possibilité de faire respecter ses droits dans la communauté39. Le fait que ce soit pour l’item « Vous êtes traités avec dignité et respect » que le résultat soit le plus élevé peut peut-être s’expliquer par la possibilité que, en prenant davantage conscience de l’influence des déterminants sociaux (ce n’est donc pas volontairement que nous sommes malades ou sans-emploi), les participants se regardent eux-mêmes avec plus de dignité et de respect. Ils sentiraient également que le système de santé les considère davantage comme citoyens à part entière puisqu’il sollicite leur participation.

Limites

L’une des limites à cette étude est que, malgré les consignes à cet effet, il ne soit pas toujours facile de déterminer si les participants commentent les résultats sur une base collective ou individuelle. Des entrevues individuelles visant à évaluer de manière plus approfondie si la participation aux instances amène des changements significatifs en ce qui concerne les niveaux de rétablissement et de citoyenneté personnels seraient sans doute indiquées pour y pallier. Néanmoins, la stratégie par groupe de discussion ici empruntée s’est avérée conséquente d’une approche favorisant le rétablissement civique par la participation à la collectivité. D’autres études seraient nécessaires pour en évaluer plus clairement les retombées au plan individuel (ex. : mesure pré-post).

CONCLUSION

En conclusion, il appert que la mesure de la citoyenneté est un instrument pertinent pour favoriser la discussion et soulever des enjeux de société relatifs à la compréhension des obstacles à l’inclusion citoyenne. L’implication active des utilisateurs de services est de plus en plus reconnue comme une condition essentielle à la transformation des pratiques et des modèles d’organisation. Pour que la participation soit la plus effective possible et pour favoriser la discussion afin d’en maximiser les avantages, cet article suggère qu’elle soit organisée sur un mode associatif ancré localement et qu’elle fasse l’objet d’un suivi à l’aide d’une mesure conçue à cette fin.