Corps de l’article

Introduction

La dépression est un problème répandu, sérieux, et souvent chronique1. Au cours des deux dernières décennies, nos recherches ont porté sur quatre axes pour mieux comprendre et améliorer la gestion de la dépression chez les aînés et les adultes de 40 ans et plus avec des maladies physiques chroniques : 1) la détection de la dépression dans les soins de santé primaires ; 2) les soins collaboratifs de la dépression ; 3) les interventions d’autogestion de la dépression ; 4) le rôle des aidants naturels dans les interventions d’autogestion de la dépression. Dans cet article nous présenterons quelques-uns de nos résultats, les mettrons en contexte de la littérature et proposerons des recommandations en matière de pratiques et de politiques de santé.

1) La détection de la dépression dans les soins de santé primaires

La vision actuelle en soins de santé primaire prône une gestion de la dépression comme maladie chronique courante se faisant à l’intérieur des soins de santé primaire avec un rôle indéniable et constant des médecins de famille. Alors que la majorité des personnes souffrant de troubles mentaux est aujourd’hui identifiée et traitée par les médecins de famille, les aînés de 65 ans ou plus consultent plus souvent les spécialistes non-psychiatres (ex. : cardiologues), vus en clinique externe, que leurs médecins de famille2. Une revue de la littérature réalisée par notre équipe révèle que la prévalence annuelle médiane de la dépression majeure chez les personnes âgées vivant à domicile est de 27 par 1 000. De ce nombre, 83 % consultent un médecin de famille, mais seulement 20 % recevront un diagnostic de dépression3. En considérant les consultations pour symptômes dépressifs rapportées dans les données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (cycle 1.2) : Santé mentale et bien-être (N = 7 736), nous avons montré que moins d’un tiers des aînés vivants à domicile, qui sont atteints de dépression majeure ou qui ont eu des symptômes dépressifs, consultent des médecins pour des problèmes de santé mentale4. À partir de ces constatations, nous avons procédé à une revue systématique de la littérature et une méta-analyse de la détection de la dépression par des médecins non-psychiatres. Cette enquête a révélé que ces cliniciens présentent un faible taux de reconnaissance de l’état dépressif chez les aînés : dans l’ensemble, seulement 36 % des cas de dépression sont identifiés5.

Nous avons ensuite étudié la détection de la dépression chez les aînés admis à l’hôpital. Selon nos observations, 57 % des aînés avec une dépression majeure ou mineure n’ont pas reçu de diagnostic de l’équipe médicale traitante6. De ce même groupe de patients, suivis pendant les 12 mois suivant l’hospitalisation, le taux de détection de la dépression par des médecins non-psychiatres a atteint 61 % chez les patients chez qui nous avions détecté une dépression majeure persistante7.

D’autres chercheurs ont montré qu’au Québec, environ 75 % de la population consulte un médecin de famille et qu’une personne sur cinq vue par un médecin de famille a été identifiée comme ayant un trouble mental8. Toutefois, nos travaux suggèrent que la détection de la dépression chez les aînés spécifiquement peut être améliorée. Nous verrons dans la prochaine section comment la pratique clinique collaborative peut offrir des solutions.

2) Soins collaboratifs pour la dépression

Des programmes de soins collaboratifs ont été recommandés pour l’amélioration de la détection et la gestion de la dépression. Le Groupe de travail sur les soins de santé mentale partagés de l’Association des psychiatres du Canada et du Collège des médecins de famille du Canada a élaboré un énoncé de principes sur ce type de soins9. Les différents modèles recommandés impliquent des praticiens en première ligne et en santé mentale, allant de la consultation traditionnelle avec peu ou pas d’interaction directe jusqu’au modèle intégré avec plan de traitement partagé.

Nos premiers travaux examinant les processus de soins collaboratifs étaient descriptifs et portaient sur un modèle de consultation traditionnelle dans lequel des aînés étaient référés par leur médecin de famille à une clinique externe de psychiatrie gériatrique affiliée à un hôpital universitaire de Montréal10. Nous avons défini trois approches dans ce modèle : la « consultation » (simple partage de renseignements sur le diagnostic et le suivi), la « recommandation médicale » (consultation plus suivi à court terme par le psychiatre) et le « transfert des soins » (transfert complet des soins au psychiatre en cas de problèmes plus complexes). En nous basant sur ces définitions, nous avons examiné les attentes des patients, des médecins de famille et des psychiatres par rapport à l’approche à privilégier dans différents cas. Dans 50 % des cas, les médecins de famille et psychiatres étaient en désaccord, dans 75 % des cas patients et psychiatres étaient en désaccord, et dans 90 % des cas patients et médecins de famille étaient en désaccord. Dans ces cas, les soins collaboratifs étaient entravés par des problèmes de communication élémentaires (ex. : patients n’ayant pas reçu de descriptif du processus de soins prévu). Cette étude concorde avec d’autres observations faites par des chercheurs au Québec qui soulignent que le manque de liens entre les soins primaires et les équipes de santé mentale pourrait contribuer à la sous-détection et au manque de traitement de la dépression11.

Nous avons ensuite étudié deux modèles de soins collaboratifs pour améliorer la gestion de la dépression. Dans un premier essai randomisé, une infirmière en santé mentale évaluait les aînés hospitalisés pour un problème médical avec le but d’identifier la présence de dépression majeure. Des psychiatres étaient ensuite disponibles pour offrir aux médecins traitants des conseils et recommandations de traitements à prescrire. L’infirmière administrait de la psychothérapie, évaluait l’adhérence au traitement prescrit et, au congé, effectuait un transfert d’information entre le médecin de famille et le psychiatre chez les patients dans le groupe intervention. Le groupe témoin recevait les soins habituels. Après un suivi de six mois, nous n’avons pas constaté de différences significatives dans les résultats (dépression, qualité de vie) entre les deux groupes. L’essai fut limité par des taux d’attrition et de non-adhérence au traitement plus élevés que prévu2.

Nous avons ensuite étudié un modèle de soins de santé de la première ligne collaboratif, basé sur un modèle américain éprouvé (le modèle IMPACT) qui comprend une thérapie courte de résolution de problèmes (TRP) et des algorithmes pour la prescription d’antidépresseurs fournis au médecin de famille12. Dans cette intervention, l’accès à une infirmière (ou autre professionnel) en santé mentale améliore l’autogestion et l’adhérence aux recommandations médicales. L’infirmière collabore avec le médecin de famille et consulte le psychiatre pour des cas plus complexes. Nous avons réalisé un projet pilote à Montréal pour déterminer la faisabilité d’un essai randomisé de l’intervention IMPACT. Notre modèle incluait la même intervention en plus d’un algorithme pour la prescription de psychotropes fourni aux médecins de famille participants. Ce modèle de soin s’est avéré faisable et acceptable pour les patients et les médecins13.

Nous avons par la suite mené deux « rencontres-consensus » sur le thème de soins collaboratifs de la dépression chez les aînés, dans le but d’identifier des priorités de recherche et politiques. Une première rencontre d’une journée a réuni 23 professionnels intéressés à la gestion de la dépression14. Ces professionnels, principalement du Québec, provenaient de différents milieux de la santé et des services sociaux. Ils ont discuté des obstacles à la gestion collaborative de la dépression et ont proposé des solutions. Par la suite, un sondage Delphi a permis de retenir les solutions que les participants ont trouvées les plus importantes et applicables :

  • Développer des mécanismes afin que les médecins de famille améliorent leurs connaissances des ressources communautaires pour mieux gérer la dépression lors du diagnostic ;

  • Développer des mécanismes afin que les médecins de famille aient accès directement et rapidement au soutien de professionnels en santé mentale pour des cas spécifiques. Cela pourrait être facilité par des consultations « juste-à-temps » qui reflètent le besoin du praticien au moment même où il en a besoin. L’association entre médecin de famille et professionnel de la santé est vue comme un avantage qui réduirait la fragmentation de la gestion du patient et l’effet de soins en « silos » ;

  • Allouer des ressources financières et humaines pour faciliter les soins collaboratifs de la dépression ;

  • Améliorer la coordination et l‘échange d’information entre patients/familles et médecins/équipes de soins de santé.

Une deuxième rencontre-consensus portait sur les soins collaboratifs de la dépression axés sur le patient. L’objectif était d’élaborer un cadre guidant l’évaluation des soins collaboratifs pour la dépression. La rencontre a attiré 40 participants, représentants de plusieurs provinces canadiennes : professionnels en soins de santé primaire et en santé mentale, décideurs et patients. Un cadre d’évaluation citant 8 thèmes que les patients considèrent importants a été proposé : respect, implication des patients dans les décisions de traitement, accès, partage d’information, coordination, soin holistique de la personne, ouverture aux besoins changeants et intégralité15.

En résumé, nous avons trouvé que la consultation entre médecin de famille et professionnel en santé mentale n’est pas adéquate pour améliorer les soins. Les modèles de soins collaboratifs les plus prometteurs pour améliorer le traitement de la dépression et l’expérience de soin semblent être ceux impliquant une infirmière spécialisée en santé mentale ou possiblement un membre du personnel non médical ayant reçu une formation basée dans les services de soins primaires qui : 1) collabore activement avec psychiatres et médecins de famille ; 2) se charge de la détection de la dépression ; 3) informe, suit et encourage le processus d’autogestion du patient. Ce modèle se rapproche du modèle présenté dans une revue récente qui a trouvé que les soins en collaboration qui incluent une approche multi-professionnelle, un plan de gestion structuré, un suivi des patients programmé et une communication interprofessionnelle renforcée améliorent de façon significative la dépression dans le court, moyen et long terme16.

3) L’efficacité des interventions d’autogestion de la dépression

Lors de nos travaux précédents, nous avons observé que la psychothérapie et les antidépresseurs peuvent tous deux être des traitements efficaces contre la dépression chez les aînés17. Un rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux a montré un meilleur rapport coût/efficacité de la psychothérapie comparé aux antidépresseurs ; les effets bénéfiques du premier se maintiennent à plus long terme18. Toutefois, l’accessibilité à la psychothérapie reste un défi : peu de professionnels offrant la psychothérapie pratiquent dans le secteur public et la politique de remboursement de ce service est très limitée.

Les interventions d’autogestion de la dépression représentent une alternative intéressante ou complémentaire à ces formes de traitement de la dépression. Une revue systématique récente montre qu’elles peuvent être aussi efficaces que la psychothérapie traditionnelle19. Le processus d’autogestion constitue une part importante des programmes de gestion des maladies chroniques20 et s’inscrit dans la perspective des soins de santé primaire prônée par le modèle de gestion de maladies chroniques21. Il implique une participation active du patient pour améliorer la capacité de ce dernier à gérer les effets physiques, émotionnels et sociaux de la dépression. Les interventions soutenant l’autogestion des patients nécessitent une collaboration entre professionnels, patients et proches afin d’en maximiser l’efficacité. Des interventions d’autogestion ont été implantées dans plusieurs provinces canadiennes dans le cadre de programmes de gestion de la maladie chronique22. Cependant, peu sont conçues pour soutenir l’autogestion de la dépression, particulièrement chez les aînés.

Les interventions d’autogestion de la dépression comprennent généralement l’activation comportementale, la restructuration cognitive et la résolution de problème23. Ces interventions demandent moins de trois heures de soutien professionnel, les distinguant donc des psychothérapies brèves24. Elles peuvent être dispensées à travers toute une gamme d’outils et de structures de soutien (ex. : sessions individuelles avec un coach formé [professionnel de la santé, non-professionnel rémunéré ou bénévole], groupes de soutien, programmes interactifs sur Internet ou suivi par un médecin de famille). Même si les méta-analyses et revues systématiques nous indiquent que ces interventions peuvent être efficaces25, la plupart des données probantes actuelles reposent sur l’étude de jeunes adultes volontaires ou de populations non-cliniques24. Il existe peu d’études portant sur des populations cliniques âgées ou souffrant de maladies chroniques avec symptômes dépressifs.

Dans un premier temps, nous avons réalisé une étude de faisabilité d’une intervention d’autogestion de la dépression pour les adultes de 40 ans et plus, traités en première ligne et souffrant de maladies physiques chroniques avec symptômes dépressifs concomitants. L’intervention a été conçue pour répondre à différents styles d’apprentissage (options auditives et visuelles), utilise des outils existants (ou des adaptations) et inclut des outils basés sur les principes de la thérapie cognitivo-comportementale23, 26. Un soutien a été donné par un coach (non-psychologue) qui effectuait jusqu’à 15 courts appels téléphoniques sur une période de 6 mois. Le coach, formé et supervisé par un psychologue clinicien, suivait un plan structuré pour chaque appel. Nous avons trouvé que l’intervention était faisable, acceptable et associée à une amélioration significative des symptômes dépressifs27. Nous avons par la suite procédé à un essai randomisé afin d’évaluer l’efficacité des outils combinés au coaching téléphonique en comparaison avec l’utilisation seule des outils. Chez les personnes qui ne recevaient pas d’intervention psychologique à l’inscription, l’intervention était bénéfique à 3 et 6 mois28, 26, 29. Néanmoins, chez les patients qui recevaient une autre intervention psychologique hors de notre étude, l’intervention n’a été bénéfique qu’à 3 mois, mais plus à 6 mois28. Les résultats de ces études étaient similaires pour les patients de 65 ans et plus à comparer avec ceux de 40 à 64 ans. À ce sujet, certaines observations préliminaires provenant d’une analyse secondaire des données de notre essai indiquent que l’intervention d’autogestion de la dépression peut avoir un effet dans la prévention de la dépression majeure chez les personnes âgées atteintes de maladies physiques chroniques et de symptômes dépressifs concomitants30.

Ces résultats illustrent le besoin d’adapter nos outils et approches aux préférences et styles d’apprentissages des divers utilisateurs pour soutenir l’autogestion de la dépression. Par exemple, nous avons trouvé que les hommes semblaient préférer le matériel audiovisuel alors que les femmes préféraient les outils avec des exercices écrits31. Nous avons aussi trouvé que les patients qui, au début de l’étude, avaient un taux plus élevé d’auto-efficacité pour l’autogestion de la dépression, semblaient mieux profiter du coaching en comparaison avec ceux qui démontraient un taux d’auto-efficacité plus faible29. Cette constatation laisse présumer que les patients ayant un faible taux d’auto-efficacité pourraient être abordés différemment, par exemple avec une préparation par entrevue motivationnelle.

Avant de pouvoir mettre en oeuvre les interventions d’autogestion de la dépression, des méthodes de prestation viables doivent être identifiées. Plusieurs médecins de famille sont peu susceptibles d’avoir le temps de « coacher », en dehors du cadre thérapeutique habituel, des interventions structurées d’autogestion de la dépression32, 33, 34. Par conséquent, d’autres contextes (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux) devront être identifiés pour que les médecins de famille puissent orienter les patients vers ces interventions. Nous pourrions envisager : des infirmières, des travailleurs sociaux ou autres travailleurs en santé mentale qui font partie de groupes de médecine familiale multidisciplinaires ; des programmes régionaux de santé mentale ; des organismes qui se consacrent à soutenir les personnes avec des maladies chroniques (ex. : associations pour le cancer).

Si nous envisageons des organismes spécialisés dans le soutien de certaines maladies chroniques comme méthode de prestation viable, les interventions d’autogestion de la dépression devront être adaptées aux besoins de sous-groupes de la population27. Nous avons donc adapté l’intervention à deux populations différentes atteintes de symptômes dépressifs : ceux ayant survécu au cancer et ceux ayant une déficience visuelle importante. Un projet-pilote parmi les survivants du cancer comportait des adaptations des outils d’autogestion de la dépression et 8 sessions téléphoniques avec le coach. Les résultats ont indiqué qu’une intervention adaptée était faisable, acceptable et démontrait un certain potentiel d’efficacité35. Nous procédons actuellement à un essai randomisé au Québec et en Ontario de cette intervention cancer. Par ailleurs, un essai randomisé de l’intervention adaptée aux malvoyants où le coaching était limité à 3 sessions a révélé un effet moyen sur les symptômes dépressifs après 2 mois36. D’autres recherches sont nécessaires pour comprendre comment maximiser l’effet de ses interventions.

4) Le rôle des aidants naturels dans les interventions d’autogestion de la dépression

L’autogestion pour n’importe quelle maladie chronique peut être complexe. Certains patients peuvent donc avoir recours à la famille et/ou aux amis pour les aider dans leurs activités d’autogestion (ex. : le suivi des symptômes, la prise de décisions quant au besoin de soins médicaux, la nutrition, la participation aux activités et l’adaptation émotionnelle)37. Nous avons documenté les effets négatifs sur la santé mentale des aidants naturels d’aînés dépressifs souffrant de maladies physiques38, 39. Ces aidants fournissent un soutien affectif considérable à leurs proches malades40. Cependant, peu d’études ont examiné le lien entre le soutien informel et les comportements d’autogestion de la dépression des patients.

Afin d’en apprendre plus sur les rôles de soutien des aidants naturels et sur l’impact de leur implication, notre équipe a mené deux études pour examiner le type de soutien que les patients reçoivent lorsqu’ils s’engagent dans une intervention d’autogestion de la dépression41, 42.

La première étude exploratoire portait sur le soutien qu’offraient les aidants naturels pour les patients qui utilisaient l’intervention d’autogestion de la dépression dans le contexte de notre étude de faisabilité pour les patients en première ligne souffrant de maladies physiques chroniques42. 57 patients et 18 aidants naturels ont rapporté leurs expériences en ce qui a trait à recevoir ou à donner du soutien. Presque 75 % des patients ont déclaré avoir parlé avec un aidant de l’intervention. Cependant, seulement 33 % ont déclaré que leurs aidants étaient impliqués activement dans l’intervention. Des entrevues semi-structurées avec les aidants naturels ont révélé que, même s’ils étaient intéressés à fournir davantage de soutien lors de l’intervention, plusieurs se demandaient comment le faire. Ils craignaient de : changer la nature de leur relation avec le patient ; manquer de qualifications ; contrarier plutôt qu’aider la personne dépressive. Fait important, les patients qui ont bénéficié de la participation directe de leurs aidants ont aussi déclaré avoir plus utilisé les outils. Cela suggère que l’implication des aidants naturels pourrait encourager l’adhérence à l’intervention.

Ensuite, nous nous sommes penchés sur le soutien informel à l’autogestion qu’offraient les aidants naturels pour les patients qui utilisaient l’intervention d’autogestion de la dépression dans notre essai randomisé parmi les patients en première ligne souffrant de maladies physiques41. Nous avons étudié la perception des patients face au soutien et à la participation de leurs aidants naturels (positive ou négative). Tout comme dans la première étude, il n’y avait pas de rôle prescrit pour ces derniers. 30 % des patients ont déclaré que leurs aidants ont activement pris part à l’intervention. Leur implication a été ressentie majoritairement comme une expérience positive (61 %) et rarement comme étant négative (ex. : dérangeante) ou conflictuelle (ex. : culpabilité). Il est à noter que la participation des aidants naturels dans l’intervention a été associée à l’utilisation des outils, que l’expérience de soutien reçue ait été positive ou négative. Comme dans l’étude précédente, les aidants naturels ont fait état de leurs incertitudes quant à leur rôle dans l’intervention. Ils ont rapporté plus de stress lorsqu’ils fournissaient du soutien affectif, mais aussi plus de plaisir quand ils participaient à des activités communes associées à l’autogestion (ex. : faire une randonnée à vélo, aller manger au restaurant).

Les patients engagés dans une intervention d’autogestion de la dépression peuvent bénéficier de l’implication de leurs aidants naturels. En contrepartie, ces derniers pourraient aussi accueillir favorablement cette participation à condition d’avoir des lignes directrices précises et davantage de rétroaction. Pour ces raisons, d’autres études devraient se pencher sur l’impact que pourrait avoir une meilleure définition du soutien que peut fournir un aidant naturel. Cela pourrait inclure des interventions pour encourager la clarification des attentes des patients et des aidants ainsi que la négociation des rôles entre les parties. Encourager cette forme de dialogue serait bénéfique pour tous : aidants naturels, patients et professionnels de la santé.

Recommandations pour la politique et les pratiques

Nous proposons les recommandations suivantes pour l’amélioration des soins de santé primaires pour la dépression chez les aînés. Nos recommandations visent un public large puisque les lacunes identifiées concernent décideurs, praticiens et chercheurs. De plus, alors que nos recherches ont souvent porté sur le contexte québécois, nous estimons qu’un partage des meilleures pratiques au niveau national, voire international, est à favoriser.

  • Les décideurs et gestionnaires des soins de santé primaires peuvent améliorer la détection et le traitement de la dépression en favorisant des modèles de soins collaboratifs dans lesquels sont impliqués les médecins de famille, professionnels en santé mentale et autres intervenants (incluant infirmières, coachs) formés pour détecter la dépression, fournir des interventions psychologiques brèves et de faible intensité et favoriser le processus d’autogestion. Dans un tel contexte, on peut concevoir que les médecins de famille puissent être plus impliqués dans le processus d’autogestion de la dépression de leurs patients (voir le modèle promu en Colombie-Britannique comme exemple)43 ;

  • Une attention particulière doit être portée pour axer les modèles de soins collaboratifs sur le patient. La recherche devra se pencher sur les facteurs qui améliorent l’efficacité et la rentabilité des modèles de soins collaboratifs et interventions d’autogestion de la dépression axés sur le patient ;

  • Des interventions d’autogestion de faible intensité dispensées par téléphone ou par Internet, qu’elles soient offertes en contexte de soins habituels ou collaboratifs, peuvent s’avérer faisables pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé et/ou de mobilité, mais d’autres études restent nécessaires dans diverses populations cliniques ;

  • Puisqu’il y a encore une certaine réserve de la part de médecins de famille qui n’ont pas le temps dans le contexte actuel de dispenser et soutenir des interventions d’autogestion de la dépression, d’autres contextes (gouvernementaux et/ou non gouvernementaux) devront être identifiés afin que ces médecins puissent orienter les patients vers ces interventions. Ces solutions comprennent : infirmières, travailleurs sociaux, autres travailleurs en santé mentale qui font partie de groupes de médecine familiale multidisciplinaires ; programmes régionaux de santé mentale ; organismes se consacrant à soutenir les personnes atteintes de maladies chroniques (ex. : associations pour le cancer). D’autres études doivent évaluer la faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité d’employer des pairs ou des bénévoles pour coacher l’autogestion des patients ;

  • Les fournisseurs de soins doivent reconnaître que la participation des aidants naturels dans l’autogestion de la dépression pourrait améliorer les résultats (ex. : interventions dyadiques) ; mais d’autres recherches sont requises pour déterminer quelle forme cette participation devra prendre pour être efficace ;

  • Des études plus approfondies devraient examiner le potentiel des interventions d’autogestion de la dépression pour prévenir la dépression majeure et la rechute dans cette population.