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Selon la Commission de la santé mentale du Canada (2012), approximativement un Canadien sur cinq souffre d’un problème de santé mentale. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale indique qu’au moins 20 % des Canadiens souffrant d’une maladie mentale font également face à un problème d’abus de substances (Rush, et al., 2008). De plus, les adultes affectés par des problèmes de santé mentale sévères voient leur espérance de vie réduite de façon dramatique comparativement à la population générale (Commission de la santé mentale du Canada, 2012 ; Laurence, Kiseley & Pais, 2010). Récemment, le fardeau économique que représentent les problèmes de santé mentale a lui aussi été examiné. Ce fardeau, qui prend notamment compte des coûts reliés à l’utilisation des soins de la santé et de la perte de productivité au travail, est estimé à 51 milliards de dollars par année au Canada (Cohen & Peachy, 2014 ; Commission de la santé mentale du Canada, 2012). Les individus atteints d’un problème de santé mentale présentent un taux de chômage beaucoup plus élevé (Centre de toxicomanie et de santé mentale, 2012 ; Dewa & McDaid, 2010) ; il est par ailleurs estimé que parmi les travailleurs employés au Canada, 500 000 doivent s’absenter du travail chaque semaine pour cause de problèmes de santé mentale, faisant des troubles mentaux la principale cause d’invalidité au Canada (Centre de toxicomanie et de santé mentale, 2012).

Ces données soulignent la nécessité d’offrir de meilleurs services de santé mentale (voir notamment Peachey, Hicks & Adams, 2013 ; Drapeau, 2014). Malheureusement, seulement un tiers des individus souffrant d’un problème de santé mentale rapportent avoir cherché et reçu des services d’aide (Statistique Canada, 2003 ; voir aussi Cox, 2014 ; Roberge et al., 2014). Pourtant, des preuves convaincantes existent concernant l’efficacité de plusieurs interventions en santé mentale, notamment pour les interventions psychologiques et plus spécifiquement en ce qui concerne la psychothérapie pour le traitement de nombreux troubles mentaux. L’American Psychological Association (2013), l’Australian Psychological Society (2010) et plus récemment, la Société canadienne de psychologie (Hunsley, Elliot, & Therrien, 2013) fournissent toutes des revues de l’efficacité des thérapies psychologiques, démontrant par ailleurs que celles-ci sont rentables financièrement et permettent une réduction de l’utilisation des services de soins de santé (voir aussi, Cavaliere, 2014 ; Cohen & Peachey, 2014 ; Hunsley, 2002).

Ainsi, des programmes visant à augmenter l’accès aux soins en santé mentale, en mettant notamment l’accent sur l’accès à la psychothérapie, ont été mis en place avec succès à l’extérieur du Québec (Département de la santé, 2008 ; Commission de la santé mentale du Canada, 2012 ; Votta-Bleeker & Cohen, 2014). Par exemple, le programme Improving Access to Psychological Therapies (IAPT) instauré au Royaume-Uni propose notamment un modèle de soins par paliers offrant des traitements psychothérapeutiques et autres fondés sur des données probantes (telles qu’identifiées par le National Institute for Clinical Excellence ; Clark, 2011 ; Clark et al., 2009). Dans le cadre de ce programme, le gouvernement finance des Primary Care Trusts (groupes de soins primaires), qui sont eux-mêmes responsables de la distribution de soins de santé au sein d’une région géographique, ainsi que de la formation et l’embauche de cliniciens offrant des traitements fondés sur la thérapie cognitivo-comportementale. Alors que les références en psychothérapie peuvent provenir de sources multiples (par exemple, l’autoréférence ou la référence par un médecin de famille), l’accès au traitement s’effectue exclusivement à travers le groupe de soins primaires. D’autres caractéristiques de ce programme d’accès à la psychothérapie incluent notamment le suivi des résultats (outcome) du traitement, ainsi que l’aide à l’emploi et l’orientation professionnelle, puisque le retour au travail est l’objectif principal du programme (Clark et al., 2009 ; Clark, 2011 ; Department of Health, 2008b ; aussi voir www.iapt.nhs.uk/about-iapt/).

De façon similaire, un autre programme (Better Outcome Program) visant à accroître l’accès à la psychothérapie a été mis en place il y a quelques années en Australie (Hickie & Groom, 2002 ; Hyde, 2014 ; Pirkis, Burgess, et al., 2006). Un aspect central de ce programme est l’Access to Allied Psychological Services (ATAPS ; Accès aux services psychologiques associés), qui permet de soutenir les groupes de pratique générale pour que les médecins généralistes puissent référer leurs patients à des cliniciens spécialisés en santé mentale offrant des traitements psychologiques fondés sur des données probantes (Australian Government Department of Health, 2013a ; Pirkis, Burgess, et al., 2006). Contrairement au programme IAPT du Royaume-Uni, dans lequel les professionnels ont un emploi désigné, les professionnels en santé mentale du programme ATAPS peuvent être embauchés par le service ou être placés sous contrat et payés à la séance (Pirkis, Stokes, et al., 2006). Les patients peuvent, sur référence médicale, recevoir 12 séances individuelles, en plus de 12 séances en groupe par année (Australian Government Department of Health, 2013a). Toujours en Australie, un second programme, le Better AccessProgram permet aux usagers de recevoir des services de santé mentale offerts par des cliniciens autorisés, et ce, jusqu’à concurrence de 10 séances de thérapie (Australian Government Department of Health, 2013b). La voie de référence pour le programme Better Access est plus étroite que celle du programme IAPT au Royaume-Uni, puisque les références en psychothérapie doivent provenir d’un médecin généraliste, d’un psychiatre ou d’un pédiatre. De plus, le professionnel faisant la référence doit lui-même préparer « un plan de traitement de santé mentale », ce qui implique une évaluation de la santé mentale du patient ainsi que des recommandations pour le traitement destinées à l’attention du professionnel traitant (Australian Government Department of Health, 2013b ; Pirkis et al., 2011 ; pour une discussion de certains problèmes liés à ce modèle, voir Hyde, 2014).

Il existe ainsi certains points communs entre les différents programmes d’accès à la psychothérapie mis en place à l’extérieur du Québec. Mais ils sont aussi différents à plusieurs égards. Dans une série d’études, certaines complétées et d’autres toujours en cours, nous avons examiné ces différents programmes dans le détail puis tenté de documenter les opinions des psychologues et des psychothérapeutes du Québec quant aux principales caractéristiques de ces programmes existants ailleurs. Si le Québec compte aller de l’avant avec la mise en place d’un programme de couverture de la psychothérapie, il faut que les cliniciens qui offriront les services adhèrent au programme. Il est donc essentiel que le programme soit généralement cohérent avec leurs opinions, leurs préférences et leur expertise, et prenne en considération certaines des particularités culturelles et professionnelles du Québec.

Ainsi, dans une première étude portant sur l’opinion de 1275 psychologues et psychothérapeutes québécois francophones quant aux caractéristiques et composantes des programmes australiens et du programme du Royaume-Uni (Bradley & Drapeau, 2014), nous avons notamment trouvé que ces cliniciens estimaient nécessaire d’accroître les services pour les troubles anxieux, la dépression, la schizophrénie, les difficultés reliées à la santé et les difficultés reliées à la famille. Les répondants étaient aussi favorables au paiement par séance (c.-à-d. selon un modèle fee for service, ou paiement à l’acte), à l’utilisation de pratiques fondées sur des données probantes, ainsi qu’au maintien de la discrétion du clinicien (autonomie professionnelle) quant au type de traitement à offrir à chaque patient. Contrairement à ce qui se fait en Australie, les répondants ne percevaient pas de façon favorable le rôle central du médecin de famille pour permettre l’accès aux services ; les résultats obtenus auprès des praticiens québécois reflétaient en effet une préférence pour une diversité des voies de référence. Par ailleurs, les répondants percevaient de façon positive la supervision obligatoire des cliniciens, financée par l’État, ainsi que l’inclusion de l’aide à l’emploi et de l’orientation professionnelle pour les usagers de services, comme c’est le cas dans le programme IAPT du Royaume-Uni (Clark, 2011 ; pour plus d’information sur les résultats, voir Bradley & Drapeau, 2014).

Avec la présente étude, nous avons cherché à réévaluer certaines de ces données, cette fois en tentant de déterminer s’il existe des différences entre les psychologues et les psychothérapeutes. Malheureusement, nous en savons très peu au Québec sur la pratique des psychologues, aucune donnée n’étant colligée de façon régulière sur ces professionnels. Ainsi, nous en savons peu sur les services qu’ils offrent, leur efficacité, les populations qu’ils traitent, le coût de leurs services, ainsi que sur d’autres aspects cruciaux de leur pratique. Par ailleurs, les psychologues n’ayant pas d’association unique pour les représenter[1], il n’existe pour l’instant aucun organisme ou mécanisme – la voix officielle des psychologues – qui permettrait de faire connaître leurs opinions quant aux composantes qui définiraient un éventuel programme d’accès à la psychothérapie.

La situation est similaire pour les psychothérapeutes. Comme ils proviennent de différentes professions (p. ex. infirmier, conseiller d’orientation, travailleur social, etc.) et comme cette activité, la psychothérapie, n’est que depuis peu réglementée au Québec, nous en savons très peu sur la pratique et le point de vue de ces cliniciens, ceux-ci n’étant pas, eux non plus, représentés par un regroupement ou une association unique et formelle. L’objectif de la présente étude est ainsi d’examiner les différences existant entre psychologues et psychothérapeutes quant à leurs attitudes face aux principes et composantes-clés de différents modèles d’accès à la psychothérapie subventionnée par l’État. Si des différences existent entre les deux groupes, il pourrait s’avérer nécessaire de mettre en place un modèle d’accès à la psychothérapie qui tient compte de ces différences, ou de prévoir des mécanismes différents pour assurer l’adhésion des deux groupes à un tel programme.

Méthode

Participants

La présente étude portait sur un échantillon colligé par Bradley et Drapeau (2014) auprès de psychothérapeutes (ayant un permis de pratique) et de psychologues offrant des services de psychothérapie au Québec. Une invitation à participer à un sondage fut envoyée sous forme de courriel par l’Ordre des Psychologues du Québec (OPQ) à 5101 psychologues (dont 4 542 francophones) et 600 psychothérapeutes (dont 512 francophones ; voir Bradley & Drapeau, 2014). La présente étude porte sur les 1275 participants francophones ayant répondu à l’invitation, dont 13 % étaient des psychothérapeutes. Les principales données démographiques sont rapportées au Tableau 1. Pour de l’information additionnelle sur l’échantillon, voir Bradley et Drapeau (2014).

Le sondage

Le sondage fut développé à la suite d’une analyse systématique, par une équipe de chercheurs, des programmes d’accès à la psychothérapie offerts en Angleterre et en Australie. Cette analyse permit d’identifier les principes directeurs, les caractéristiques et les composantes de ces programmes (voir Bradley & Drapeau, 2014). La majorité des questions du sondage faisaient usage d’une échelle de type « Likert » de 5 points (1- Fortement en désaccord ; 5- Fortement en accord). Le sondage comprenait plusieurs sections, dont une portant sur les particularités démographiques des participants, et d’autres portant sur l’opinion des répondants concernant les caractéristiques de programmes subventionnés par l’État tels qu’implantés ailleurs (voir Résultats et les Tableaux pour les questions).

Résultats

Services à être offerts

Nous avons demandé aux participants d’indiquer quels formats de psychothérapie (par exemple, la thérapie de couple, la thérapie individuelle, etc. ; voir Tableau 2) devraient être offerts dans le cadre d’un programme de psychothérapie subventionnée par l’État. Compte tenu de la distribution non normale des données, des tests U Mann-Whitney ont été utilisés afin de comparer les réponses des psychologues à celles des psychothérapeutes. Les résultats obtenus (Tableau 2) indiquaient une différence significative concernant l’inclusion de la thérapie de couple (U = 92, 507, z = 2.58, p = .01), les psychothérapeutes l’ayant évalué plus favorablement que les psychologues. Les psychothérapeutes présentaient aussi une tendance significativement plus élevée que les psychologues à favoriser l’inclusion de la thérapie familiale dans un programme de psychothérapie subventionnée par l’État.

Les résultats d’un test U Mann-Whitney ont relevé chez les psychothérapeutes une évaluation nettement plus favorable que chez les psychologues à l’inclusion de l’aide à l’emploi et l’orientation professionnelle dans un programme de psychothérapie subventionnée par l’État (U = 92,126, z = 1.98, p = .048). Aucune différence ne fut cependant observée entre les deux groupes pour l’inclusion d’un service consultatif en matière de dettes.

L’approche psychothérapeutique

Nous avons demandé aux participants d’évaluer leur degré d’accord avec des items portant sur les modalités de psychothérapie à favoriser au sein d’un programme de psychothérapie subventionnée par l’État, ainsi que la documentation clinique à utiliser lors du traitement (Tableau 2). Les résultats d’un test U Mann-Whitney comparant les psychologues et les psychothérapeutes ont révélé que les scores en faveur de l’utilisation d’une approche psychothérapique fondée sur des données probantes, et recommandée par un organisme neutre après l’examen des données scientifiques, étaient significativement plus élevés (U = 63,136, z = 4.08, p< .01) chez les psychologues que chez les psychothérapeutes. Quant au matériel à utiliser en cours de traitement, les résultats obtenus n’ont révélé aucune différence entre les deux groupes.

Conditions d’emploi et questions financières

Nous avons demandé aux participants de qualifier leur degré d’accord face à différentes modalités d’emploi et de rémunération qui seraient possibles si un programme de psychothérapie subventionnée par l’État était mis en place au Québec (voir Tableau 3). Les résultats indiquent que les psychologues sont significativement plus en faveur, afin d’offrir les services, d’un emploi à temps plein avec salaire annuel (U = 64,433, z = 3.67, p< .01), et en faveur d’un emploi à temps partiel avec salaire annuel (U = 67,301, z = 2.43, p = .015), que ne le sont les psychothérapeutes. Les psychothérapeutes rapportent une préférence significativement plus élevée que les psychologues pour la rémunération par séance (rémunération à l’acte ; U = 93,962 z = 2.39, p = .017).

Les psychologues et psychothérapeutes étaient tous deux favorables à ce que l’État établisse un tarif fixe par séance ou encore à déterminer par eux-mêmes leur tarif. Les questions suivantes furent aussi posées aux participants (Tableau 3) : a) quel serait le taux horaire minimum qu’ils accepteraient pour leurs services si un tarif prédéterminé devait être fixé par le programme d’accès à la psychothérapie (c.-à-d., par le Gouvernement) ? b) quel serait le taux horaire qu’ils demanderaient s’ils pouvaient eux-mêmes établir un tarif et qu’une partie de ce montant leur était payé par l’État ? et c) quel serait le montant minimum que devrait rembourser l’État si le clinicien pouvait lui-même fixer son tarif ? En ce qui concerne le montant minimum qui serait accepté pour une séance de psychothérapie d’environ une heure, les résultats ont révélé que les scores des psychologues étaient significativement plus élevés que ceux des psychothérapeutes (U = 55,431, z = 6.70, p< .01 ; voir Tableau 3). De plus, les psychologues étaient significativement plus en faveur d’établir leur propre tarif horaire, compte tenu d’un remboursement partiel par l’État (U = 58,150, z = 6.00, p< .01). Quant au montant en dollars qui devrait être remboursé aux clients par l’État pour chaque heure de psychothérapie, ils étaient significativement plus élevés (U = 66,316, z = 3.96, p< .01) chez les psychologues que chez les psychothérapeutes.

Nombre de séances

En ce qui a trait au nombre de séances qui devraient être assurées par année dans un programme public de psychothérapie, nous n’avons pas identifié de différences significatives entre les psychologues et les psychothérapeutes : 1 % des psychologues et des psychothérapeutes estimaient qu’une seule séance suffirait ; 20 % des psychologues et 27 % des psychothérapeutes estimaient que 5-10 séances devraient être offertes ; 20 % des psychologues et des psychothérapeutes estimaient que 11-16 séances devraient être offertes ; 21 % des psychologues et 13 % des psychothérapeutes ont rapporté que 17-22 séances devraient être assurées ; et 32 % des psychologues de même que 35 % des psychothérapeutes ont rapporté une préférence pour 17 séances et plus.

Le rôle du médecin de famille

Nous avons demandé aux participants leur opinion face à une possible division des tâches et responsabilités entre les médecins de famille et les psychologues ou psychothérapeutes (par ex., décisions quant au type et à la durée du traitement, la nécessité d’un suivi après la fin du traitement, et à la rédaction d’un rapport d’étape au médecin à mi-traitement ; voir Tableau 4). Les psychothérapeutes étaient plus en faveur que les psychologues de l’idée que le médecin de famille choisisse le type de psychothérapie à administrer (U = 91,366, z = 1.20, p = .26). Comparativement aux psychologues, les psychothérapeutes étaient aussi significativement plus ouverts à l’idée que la décision quant à la durée du traitement provienne du médecin de famille (U = 90,617, z = 2.02, p = .044). Les résultats indiquent par ailleurs que les psychologues étaient significativement plus enclins que les psychothérapeutes à estimer que la décision quant à la durée du traitement devrait relever du psychologue ou du psychothérapeute (U = 78,088, z = 2.26, p = .024) plutôt que du médecin. Finalement, les psychologues étaient plus ouverts que les psychothérapeutes à l’idée de soumettre un rapport de mi-traitement au médecin de famille (U = 73,724, z = 2.52, p = .012).

Le suivi des résultats et la satisfaction des usagers

Les items concernant le suivi des résultats (outcome) du traitement et la satisfaction sont rapportés dans le Tableau 4. Nous avons trouvé des différences significatives pour l’item concernant le suivi des résultats du traitement en utilisant des méthodes validées ; comparativement aux psychothérapeutes, les psychologues avaient une tendance significativement plus élevée à favoriser les suivis des résultats du traitement (U = 70,867, z = 2.93, p = .003). De plus, les résultats ont révélé que les psychologues étaient significativement plus en faveur que les psychothérapeutes de la publication et la diffusion publique des résultats des thérapies et de la satisfaction des usagers (U = 76,446, z = 2.05, p = .04).

Discussion

Les résultats de la présente étude illustrent les différences entre les psychologues et les psychothérapeutes face aux diverses composantes pouvant éventuellement définir un programme de psychothérapie subventionnée par l’État. Puisque la nécessité d’une augmentation de l’accessibilité aux traitements de soins de santé mentale est de plus en plus reconnue au Québec, il est essentiel d’apprécier les points de vue respectifs de ces deux groupes de praticiens afin de déterminer la meilleure façon d’implanter un programme d’accessibilité qui soit efficace et cohérent avec les opinions des fournisseurs de services. Dans un projet toujours en cours, nous sondons aussi les médecins de famille, lesquels peuvent tout comme les psychologues offrir des services de psychothérapie. Ces informations devront ensuite être ajoutées à celles colligées ici.

En termes des services à couvrir, les psychothérapeutes étaient plus en faveur de l’inclusion de la thérapie de couple et familiale que ne l’étaient les psychologues, bien que les psychologues et les psychothérapeutes aient tous deux classé la thérapie individuelle comme étant une forme de thérapie plus importante à assurer (voir aussi Bradley & Drapeau, 2014). Ceci est possiblement un reflet de l’expérience et de la formation spécifique des psychothérapeutes (par exemple chez les thérapeutes conjugaux et familiaux), ou peut simplement découler du fait que les psychologues offrent davantage de thérapie individuelle que de thérapie familiale ou de couple (Hunsley, 2012). De plus, les psychothérapeutes ont évalué l’aide à l’emploi et l’orientation professionnelle plus favorablement que les psychologues. Encore une fois, ceci pourrait être un reflet de l’expérience et de la formation des psychothérapeutes, puisqu’un nombre non négligeable de ceux-ci sont aussi conseillers d’orientation. Un objectif central du programme britannique IAPT est la réduction des coûts associés aux arrêts de travail et le retour au travail, ce qui explique l’importance accordée à l’aide à l’emploi et à l’orientation professionnelle dans ce programme (Clark, 2011). Étant donné que la réduction du fardeau économique relié aux problèmes de santé mentale pourrait et devrait aussi être une priorité importante dans le contexte québécois, il est surprenant que les psychologues sondés ici n’aient pas souligné autant que les psychothérapeutes l’importance de l’aide à l’emploi et de l’orientation professionnelle. Si le retour au travail devait être l’une des priorités d’un programme québécois d’accès à la psychothérapie, il semblerait pertinent de sensibiliser les psychologues quant à la pertinence d’interventions centrées sur l’emploi.

Tarifs et emploi

Comparativement aux psychothérapeutes (Md = 80 $ ; Tableau 3), le tarif horaire souhaité était plus élevé chez les psychologues (Md = 90 $) si l’État devait établir un tarif fixe par séance. De plus, le tarif demandé par les psychologues (Md = 100 $) était plus élevé que celui demandé par les psychothérapeutes (Md = 90 $) si chaque professionnel pouvait fixer son propre tarif et qu’une partie de celui-ci devait être remboursée par l’État. Enfin, si le professionnel pouvait établir son propre tarif, le montant à rembourser aux clients était plus élevé chez les psychologues (Md = 75 $) que chez les psychothérapeutes (Md = 60 $). Cependant, en raison des tarifs moins élevés rapportés par les psychothérapeutes, la proportion à être remboursée selon les deux groupes est très similaire.

Ces résultats sont peut-être un reflet des tarifs en vigueur dans la pratique de ces deux groupes de cliniciens. Les psychologues sont plus nombreux à détenir un doctorat, ce qui pourrait justifier des tarifs plus élevés en raison non seulement de leur diplôme plus avancé, mais aussi du fait qu’ayant été étudiants plus longtemps, ils n’ont pas eu de revenus pendant plus longtemps et ont possiblement contracté plus de dettes d’étude. Seules des analyses plus poussées et portant notamment sur les années d’expérience permettront de nuancer ces résultats. Il importe cependant de souligner une possible variable confondante pour les psychothérapeutes, à savoir que pour certains d’entre eux (par ex., le conseiller d’orientation), les services psychothérapiques doivent être taxés alors que pour les psychologues (mais aussi pour certains psychothérapeutes, les infirmiers par exemple), ce même acte ne l’est pas, ce qui force certains psychothérapeutes à réduire le montant encaissable (avant taxes) afin de demeurer compétitifs. Ici encore, seules des analyses plus poussées pourront permettre de vérifier l’impact de ceci sur le tarif demandé par les différents cliniciens. Soulignons par ailleurs qu’il est possible que les montants rapportés par certains psychothérapeutes dans ce sondage soient inférieurs à ce qu’ils factureraient (avec taxes) aux patients, si bien que dans certains cas, les tarifs des deux groupes pourraient être plus similaires que différents.

Les psychothérapeutes favoriseraient par ailleurs une rémunération à la séance plutôt qu’une embauche pour un poste salarié. Ceci peut s’expliquer du fait que les psychologues jouent depuis longtemps un rôle au sein des services publics tels que les hôpitaux. Puisque le titre et la fonction de psychothérapeute n’ont été que récemment définis, les psychothérapeutes n’ont pas encore de rôle reconnu dans le secteur public comme c’est le cas pour les psychologues, d’où peut-être leur tendance moins marquée à privilégier des postes dans le secteur public avec salaire annuel plutôt qu’une rémunération à l’acte. Cependant, on peut raisonnablement envisager des changements importants à ce chapitre. D’une part, alors que le rôle des psychologues tend à s’accroître dans le secteur public dans plusieurs provinces (Humbke, Brown, Welder, Fillion, Dobson & Arnett, 2004 ; Owens et al., 2013), au Québec les conditions de travail des psychologues, notamment la rémunération, seraient si déplorables (voir http://www.apqc.ca/includes/documents/AnalysedecisionCRT_201506_Cloutier.pdf) qu’il y a pénurie artificielle de psychologues dans le réseau (c.-à-d. que les psychologues ne cherchent pas à occuper et à conserver des postes dans le réseau public), laquelle pénurie ne pourra aller qu’en s’aggravant à moins que des réformes importantes ne soient entreprises[2]. D’autre part, au fur et à mesure que le rôle potentiel des psychothérapeutes dans le réseau sera mieux défini, ceux-ci seront peut-être appelés à jouer un rôle plus important dans le secteur public. À ceci s’ajoute le fait que certains psychothérapeutes auront un champ d’exercices aussi, sinon plus large que celui des psychologues. Par exemple, un conseiller d’orientation détenant un permis de psychothérapeute et une attestation pour l’évaluation des troubles mentaux pourra effectuer essentiellement les mêmes tâches que le psychologue en plus de celles propres à l’orientation, et ce probablement à moindre coût. La réforme récente dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (le projet de loi 21) représente certainement une amélioration dans les mécanismes de protection du public en ayant notamment réservé l’exercice de la psychothérapie aux seuls professionnels compétents. Cependant, en découpant la profession de psychologue et en partageant avec d’autres professionnels cette activité – la psychothérapie – qui était au coeur de l’identité même de plusieurs psychologues québécois, en plus d’activités telles que l’évaluation des troubles mentaux, cette réforme forcera les psychologues à repenser certains aspects de leur pratique et de leur identité professionnelle ; alors que la mise en place des changements à court terme aura beaucoup mobilisé les ressources de l’Ordre et de plusieurs autres organismes, les conséquences à plus long terme de ces changements, l’après-projet de loi 21, demeurent incertaines, les psychologues devant désormais redéfinir ce qui rend leur profession unique et démontrer la contribution unique qu’ils peuvent faire au système public. On pourrait ainsi envisager que les psychologues, notamment, peut-être, ceux détenant un doctorat et ayant ainsi des compétences plus larges ou plus poussées, interviennent auprès d’une patientèle plus difficile (par exemple dans le cadre d’un programme de soins par étapes), occupent des fonctions de gestionnaires d’équipes et de services (à ce titre, il serait pertinent pour les universités d’envisager la création de Ph. D.-M.B.A. ou D.Ps.-M.B.A., tout comme il existe déjà certains programmes de M.D.-M.B.A.), ou jouent un rôle en lien avec le transfert de connaissances, l’identification des meilleures pratiques, et l’évaluation de programmes (ce qui implique notamment des connaissances poussées en méthodologie de recherche).

La pratique fondée sur des données probantes et le suivi des résultats du traitement et de la satisfaction des usagers

Une composante centrale des modèles australien et britannique est l’utilisation d’interventions fondées sur des données probantes. Tel qu’indiqué par Bradley et Drapeau (2014), les participants de l’échantillon se disaient généralement en faveur d’accorder un pouvoir décisionnel aux cliniciens quant aux interventions psychothérapiques à mettre en place, mais ont aussi indiqué leur soutien pour l’utilisation de pratiques fondées sur des données scientifiques telles qu’évaluées par un organisme neutre (par exemple, les énoncés de NICE au Royaume-Uni). Les psychologues ont cependant rapporté un soutien plus fort que les psychothérapeutes pour l’utilisation de thérapies fondées sur des données probantes. De tout temps, la psychologie a accordé une grande importance à la recherche scientifique, aux méthodes de recherche, et plus récemment, au transfert des connaissances, bien que plusieurs améliorations soient encore nécessaires dans ce domaine (voir Dozois et al., 2014 ; Drapeau & Hunsley, 2014 ; Hunsley, Dobson, Johnston & Mikail, 1999 ; Stamoulos et al., 2014). Ces activités, qui caractérisent d’ailleurs le modèle du scientifique-praticien (scientist-practitioner), mais aussi du praticien académique (practitioner-scholar), propres à plusieurs programmes de formation doctorale en psychologie, sont aussi présentes dans l’établissement des réseaux de cliniciens-chercheurs et des communautés de pratique que l’on retrouve en psychologie (pour un exemple canadien, voir Tasca et al., 2014). Compte tenu de cette culture de la recherche, il n’est pas surprenant que les psychologues, en raison peut-être du nombre de répondants détenant un doctorat en psychologie, évaluent plus positivement que les psychothérapeutes l’utilisation de pratiques fondées sur des données probantes, ces derniers étant fort probablement moins exposés à une telle pratique et à ce qui la sous-tend. De même, les psychologues étaient aussi plus en faveur du suivi des résultats (outcome) du traitement en utilisant des mesures validées. Ceci revêt une importance particulière puisque le suivi en continu des résultats peut améliorer l’efficacité d’un traitement (Lambert & Shimokawa, 2011 ; Overington & Ionita, 2012 ; Shimokawa, Lambert & Smart, 2010). Or, ici encore, il est possible que ceci soit lié à la présence d’un nombre plus élevé de détenteurs de doctorat chez les psychologues, une étude récente ayant démontré que les docteurs en psychologie avaient une plus grande expertise que les maîtres en psychologie en matière de suivi en continu et d’évaluation de l’issue thérapeutique (Ionita & Fitzpatrick, 2014). Des analyses plus poussées seront ici nécessaires afin de départager la contribution de chacune des variables d’intérêt.

Le rôle du médecin de famille

De manière générale, les psychologues et les psychothérapeutes étaient fortement favorables à privilégier l’autonomie du psychologue ou du psychothérapeute traitant, notamment face au médecin de famille, et ce, autant pour les décisions cliniques quant au type et la durée du traitement, que pour la décision d’offrir une séance de suivi après la fin du traitement. Les psychothérapeutes étaient cependant plus ouverts à l’idée que le médecin de famille soit en charge de certaines décisions cliniques (quant au type et la durée de la psychothérapie), alors que les psychologues croyaient fortement que de telles décisions doivent relever du clinicien traitant. De plus, les psychologues étaient plus en faveur de soumettre un rapport de mi-traitement à l’attention du médecin de famille ayant référé le patient, et étaient aussi plus ouverts que les psychothérapeutes à l’idée que le taux de satisfaction des usagers soit publié.

Ces tendances reflètent d’une part une forte culture de l’imputabilité dans le domaine de la psychologie, laquelle continue de prendre de l’ampleur grâce à des initiatives collaboratives de soins, de suivi des résultats, et d’évaluation de la satisfaction des usagers. Elles reflètent d’autre part l’autonomie professionnelle des psychologues. La psychologie n’est en effet pas une profession à actes délégués, ce qui implique que les psychologues sont entièrement et depuis très longtemps autonomes pour exercer, tant en matière d’évaluation des troubles mentaux (par. ex., diagnostics selon le DSM) que du traitement de ceux-ci. La situation est différente pour plusieurs détenteurs d’un permis de psychothérapeute qui pendant longtemps, et encore aujourd’hui pour certains, n’ont traditionnellement pu exercer certaines activités cliniques que grâce à une délégation d’actes, ou ont historiquement été plus exposés à un modèle multidisciplinaire dans lequel le médecin joue un rôle central, ou encore dont la compétence à exercer certaines activités cliniques n’était jusqu’à tout récemment pas reconnue (par ex., le conseiller d’orientation pour ce qui est de l’évaluation des troubles mentaux).

Conclusion

Selon les résultats de notre enquête, les psychologues sont plus ouverts à l’utilisation de pratiques fondées sur des données probantes et à l’évaluation de l’issue thérapeutique, et croient plus fortement que les fournisseurs de services en psychothérapie devraient conserver un pouvoir décisionnel et une indépendance face au médecin quant aux choix de traitements. Les psychothérapeutes sont quant à eux plus ouverts à offrir des services parallèles à la psychothérapie, tels que l’aide à l’emploi et l’orientation professionnelle, et sont plus en faveur d’offrir de la thérapie familiale et de couple.

Ces résultats, comme les autres rapportés dans cet article, doivent cependant être pondérés par le fait que la présente étude a un certain nombre de limites, à savoir notamment la présence de possibles variables confondantes (par ex. le niveau de scolarité des psychologues, certains détenant un doctorat, d’autres une maîtrise) et l’exclusion des médecins exerçant la psychothérapie. Par ailleurs, compte tenu d’intervalles de confiance de 95 % avec 5 % de marge d’erreur, il aurait été préférable d’obtenir un taux de réponse de 35 % pour les psychothérapeutes afin de constituer un échantillon représentatif ; notre taux de réponse est en effet de 28 %. Le taux de réponse au sondage de 21,7 % pour les psychologues est quant à lui considéré comme étant suffisant et donc l’échantillon est représentatif de cette population (Research Direction, 2011). Ainsi, nos conclusions sont plus solides et généralisables pour les psychologues que pour les psychothérapeutes. Il importe par ailleurs de souligner que l’échantillon est généralement représentatif en terme de genre/sexe, et en terme de distribution dans le secteur privé et au public (voir le rapport annuel de l’OPQ, 2013-2014 : https://www.ordrepsy.qc.ca/pdf/Rapport_annuel_epreuve_finale.pdf).

Il n’en demeure pas moins que lors de l’élaboration d’un éventuel programme de psychothérapie subventionnée par l’État, d’importants éléments relevés dans la présente étude se devraient d’être pris en considération tels que les différences de rémunération pour les deux groupes de professionnels, ainsi que les différences dans l’offre de services (par exemple, l’aide à l’emploi pour les psychothérapeutes). Puisque les psychologues semblent plus à l’aise avec l’utilisation de pratiques fondées sur des données probantes et l’évaluation des résultats, ceux-ci, et notamment ceux détenant un doctorat, pourraient agir en tant que gestionnaires, superviseurs ou conseillers auprès des psychothérapeutes, ou encore pourraient leur offrir des formations concernant les meilleures pratiques en santé mentale, plus particulièrement pour la psychothérapie. Soulignons enfin que le modèle qui serait le moins dispendieux pour l’État semblerait en être un selon lequel le professionnel pourrait établir son propre tarif et se faire rembourser une partie seulement de ce tarif par le gouvernement. Ceci n’est cependant pas sans risque. En effet, il est possible que les cliniciens « surfacturent » leurs services, se faisant ainsi rembourser une partie de leur tarif par le gouvernement et facturant la différence au client, ce qui pourrait avoir comme conséquence une augmentation des tarifs et donc une réduction de l’accès aux services de psychothérapie pour les beaucoup moins fortunés. Nous sommes cependant d’avis que s’il y avait remboursement partiel par le gouvernement et possibilité de « surfacturation », nous observerions une courbe normale des tarifs selon laquelle certains cliniciens ne surfactureraient pas, facilitant ainsi l’accès pour les moins fortunés, et selon laquelle d’autres surfactureraient plus, subvenant aux besoins de patients plus fortunés. Il importe de souligner qu’il existe des précédents similaires pour les psychologues québécois, notamment avec la SAAQ et l’IVAC.

L’un des principaux enjeux que la mise en place d’un programme d’accès à la psychothérapie mettra de l’avant pour les professionnels a trait à la représentation des psychologues et des psychothérapeutes auprès des instances gouvernementales. Il n’est pas inhabituel de rencontrer des psychologues qui croient que l’Ordre des psychologues du Québec les représente et que la mission de cet organisme en est une qui inclut la défense et la promotion des intérêts des psychologues. Or, le mandat de l’Ordre en est un de protection du public et est en ce sens généralement comparable au mandat des Colleges of psychologists dans les autres provinces canadiennes. Cette confusion dans la perception qu’ont certains psychologues quant au mandat de l’Ordre est due à, ou entretenue par, plusieurs facteurs ; parmi ceux-ci, soulignons entre autres que l’Ordre occupe des sièges auprès d’organismes qui eux visent à défendre les intérêts des psychologues, ou encore occupe des sièges qui sont habituellement occupés par un organisme dont le mandat est la défense des intérêts des psychologues. Par exemple, l’Ordre des psychologues siège au Council of Professional Associations of Psychologists (CPAP), un regroupement des associations provinciales et territoriales en psychologie, alors que ce siège devrait être occupé, comme son nom l’indique, par une association ou un syndicat québécois de psychologues. L’Ordre siège aussi à la Direction générale de la Pratique (Practice Directorate) de la Société canadienne de psychologie et au Council of Representatives de l’American Psychological Association ; les autres provinces canadiennes y sont représentées par des associations de psychologues plutôt que par des Colleges (ou ordres professionnels).

L’un des défis que posera rapidement la mise en place d’un programme d’accès à la psychothérapie, pour les professionnels et les instances gouvernementales du moins, en sera donc un de représentation. Il sera nécessaire qu’une association unique, comparable aux associations et fédérations de médecins, soit désignée pour négocier au nom des psychologues. Ce défi sera similaire, sinon plus grand, pour les psychothérapeutes. Ceux-ci sont en effet membres de différents ordres professionnels et n’ont pour le moment aucun organisme pour les représenter.

Si un programme d’accès à la psychothérapie devait être mis en place au Québec, il est impératif à la fois que les besoins des usagers soient à l’avant-plan et que les opinions et préférences des professionnels soient prises en considération afin de favoriser leur adhésion au programme. Il importe donc que la mise en place d’un tel programme implique de véritables négociations, mais plus important encore, une approche fondée sur des données solides colligées auprès des principaux intéressés, et ce, pour limiter les effets potentiellement délétères d’une approche qui serait fondée principalement sur des anecdotes et le lobbying de groupes de pression.