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Introduction 

Le développement d’une identité homosexuelle en contexte occidental

L’hétérosexualité étant la norme tant en termes de pourcentage de la population qu’en termes de ce qui est socialement désirable, la grande majorité des individus tiendront pour acquis qu’ils sont hétérosexuels. C’est une identité qui est adoptée de façon subconsciente, sans vraiment y réfléchir. Par contre, lorsqu’un individu s’aperçoit qu’il a des pensées ou des pulsions homosexuelles, l’identité peut être remise en question. Ces idées pourront être plus ou moins difficiles à porter selon le degré d’acceptation de l’homosexualité dans sa culture d’origine.

Plusieurs modèles de développement d’identité sexuelle minoritaire ont été avancés (Cass, 1979 ; Coleman, 1982 ; Troiden, 1989). De façon générale, ces différents modèles se recoupent, ayant plusieurs hypothèses communes. D’abord, l’individu connaît une « pré-étape », un moment où il se perçoit comme étant semblable aux hétérosexuels. S’ensuit une prise de conscience d’une différence, sans que celle-ci soit nécessairement, directement ou consciemment, reliée à la sexualité. L’individu perçoit des intérêts, des aptitudes ou des traits de personnalité différents de ses pairs de même sexe. À un certain moment, il prend conscience d’une attirance pour ceux-ci. Il se questionne alors sur la signification et l’importance de cette attirance, se met à comparer les identités homosexuelles et hétérosexuelles. Cette comparaison est fortement teintée par les attitudes sociétaires par rapport aux minorités sexuelles. L’individu cherchera de l’information sur l’homosexualité et le contact avec des personnes ayant des attirances similaires. Éventuellement, il viendra à accepter sa nouvelle identité sexuelle et à intégrer celle-ci parmi toutes ses autres identités sociales.

Plusieurs critiques ont été proposées pour ces modèles de développement de l’identité homosexuelle (Grov et al., 2006 ; Floyd et Bakeman, 2006 ; Kenneady et Oswalt, 2014) : 1) ils négligent les identités bisexuelles et asexuelles ; 2) ils font fi de la fluidité de la sexualité ; 3) ils ne font pas nécessairement la différence entre les parcours des hommes et des femmes ; 4) ils ne tiennent pas compte de l’identité de genre ; 5) l’intersection entre les multiples identités minoritaires (sexuelle, raciale, religieuse) n’est pas prise en compte. Malgré ces lacunes, ces modèles demeurent pertinents puisqu’ils mettent en lumière le fait qu’un inconfort vis-à-vis de son homoérotisme est normal dans une société occidentale et que le questionnement par rapport à son identité sexuelle est un processus qui peut s’échelonner sur plusieurs mois, voire plusieurs années, chez les individus avec un homoérotisme.

Par ailleurs, il arrive que des individus sans aucune attirance homosexuelle remettent aussi en question leur identité hétérosexuelle. Quelquefois, cela s’explique par une méconnaissance de la sexualité et la croyance en certains mythes tels : « si j’ai été abusé sexuellement par un homme lorsque j’étais garçon, cela m’a appris à aimer les hommes » ; « si je n’ai aucun succès avec les femmes, peut-être que je serais mieux avec un homme » ; « si j’ai peur des hommes à cause de mauvaises expériences, je devrais me tourner vers les femmes ». Habituellement, lorsque ces hypothèses sont émises par ignorance du développement sexuel, la psychoéducation suffira pour réduire l’angoisse associée et permettre à l’individu de reprendre son identité hétérosexuelle sans conflit. Quelquefois, ces questionnements persistent de façon illogique, prenant la forme d’obsessions. Ils deviennent récurrents, intrusifs, dérangeants. Devant l’absence d’obsessions plus classiques de contamination ou de symétrie, il est possible qu’on ne soupçonne pas le trouble obsessionnel compulsif (TOC). Effectivement, selon une étude menée auprès de 2550 psychologues américains, seulement 23 % diagnostiquent le TOC lorsque la vignette clinique présentée ne comporte que des obsessions par rapport à l’homosexualité. En comparaison, 84 % posent le diagnostic lorsque les obsessions sont liées à la contamination (Glazier, Calixte et Rothchild, 2013). Pourtant, échapper ce diagnostic peut avoir des répercussions délétères si le clinicien tente de faire accepter une identité sexuelle minoritaire à un individu hétéroérotique souffrant de TOC sexuel.

Les obsessions de type sexuel sont toutefois relativement prévalentes dans le TOC mais ne sont habituellement dévoilées que si on les examine spécifiquement. En effet, ce ne sont pas toutes les recherches ni toutes les échelles sur le TOC qui incluent des questions à ce sujet (Sanavio, 1988 ; Goodman, Price et Rasmussen, 1989). Diverses études ont tout de même trouvé des prévalences d’obsessions sexuelles variant de 6 à 48 % (Foa et al., 1995 ; Okasha et al., 1994 ; Rasmussen et Tsuang, 1986). Plus récemment, dans le National Comorbidity Survey –Replication, 30 % des patients atteints du TOC avaient des obsessions sexuelles ou religieuses (Ruscio et al., 2010). Parmi des patients d’une clinique de TOC, 13 % avaient des obsessions sexuelles actives et 25 % endossaient ces obsessions dans leurs antécédents (Grant et al., 2006). Dans une autre étude de patients recrutés parmi des cliniques américaines spécialisées dans le traitement du TOC, 8 % des patients avaient des obsessions propres à leur orientation sexuelle (Williams et Farris, 2011 ; Williams, 2008).

Ces auteurs ont aussi trouvé que les obsessions homosexuelles sont deux fois plus communes chez les hommes que chez les femmes dans une étude (Williams et Farris, 2011) mais pas dans une autre étude (Williams, 2006). Dans une troisième étude par le même groupe de recherche, on rapporte que la détresse engendrée par les obsessions homosexuelles serait plus intense chez les femmes que chez les hommes (Williams et coll., 2014) mais que pour les deux sexes le niveau de détresse était « sévère » dans 91 % des cas. Il semble que les obsessions homosexuelles seraient plus dérangeantes que les autres types d’obsessions parce que les individus passeraient plus de temps à obséder, qu’elles interféreraient davantage avec le fonctionnement et causeraient plus d’angoisse (Williams et Farris, 2011). Ce même groupe d’auteurs décrivent différentes angoisses liées aux obsessions homosexuelles : la crainte d’un changement de son orientation sexuelle, la peur d’avoir des désirs pour les personnes du même sexe, l’inquiétude par rapport à leurs désirs hétérosexuels, la croyance que l’homosexualité est immorale, le désir d’éviter le jugement des autres et la honte (Williams et coll., 2014).

Il n’y a pas d’études publiées par d’autres groupes de recherche sur le sujet. Une autre source d’information clinique vient d’un blog du centre des TOC de Los Angeles (2010). On y décrit, de façon anecdotique, différents sous-types de TOC sur l’orientation sexuelle, dont le TOC « tout ou rien » - où une idée vaguement homosexuelle surgit dans l’esprit sans aucun homoérotisme antérieur et cette idée est prise comme preuve d’une homosexualité latente ; le TOC « relationnel » où l’on utilise un échec ou une série d’échecs amoureux comme raison de remettre en question son orientation ; le TOC « expérientiel » où une expérimentation antérieure avec le même sexe est prise comme preuve d’une orientation homosexuelle ; le TOC « auto-dérisoire » où l’individu se répète qu’il est gai, mais l’étiquette fait davantage office d’insulte que de référence à sa sexualité.

Peu d’études permettent de décrire les traitements propres aux obsessions homosexuelles. Une étude de cas par Williams, Crozier et Powers (2011) décrit un homme hétérosexuellement marié qui, dans la cinquantaine, présente une peur obsessionnelle de devenir gai. Ils y discutent d’un échec pharmacothérapeutique et de son traitement éventuel avec l’exposition et la prévention du rituel.

Le présent article vise à contribuer à la connaissance du TOC homosexuel en décrivant cette présentation particulière du trouble obsessionnel compulsif où l’obsession principale est un doute de son orientation sexuelle, et ce, afin d’outiller les cliniciens pour distinguer cette maladie mentale de l’évolution normale d’un questionnement identitaire. Ce diagnostic différentiel est crucial puisque la démarche thérapeutique en dépendra.

Méthodes

Le COSUM, fondé en 1999, est un service de consultations externes de psychiatrie qui offre des services tertiaires pour des problématiques entourant l’orientation ou l’identité sexuelle. Pour une plus ample description des services, voir l’article intitulé « Les minorités sexuelles : concepts, prémisses et structure d’une approche clinique adaptée » présenté dans ce numéro. Ainsi, les patients sont adressés par d’autres psychiatres ou médecins de famille pour un questionnement ou une difficulté à accepter une sexualité minoritaire. Depuis 2011, une base de données permet de retracer les diagnostics de tous les patients évalués. Ainsi, sur 283 cas répertoriés entre septembre 2011 et septembre 2014, il y a eu 6 diagnostics de TOC. Chez un patient, des obsessions de contamination au VIH apparaissent dans le contexte d’un réel homoérotisme. Chez un autre patient homosexuel, les obsessions remettent en doute une identité gaie déjà bien établie. Les quatre derniers cas, où le problème principal est un doute obsessionnel « suis-je gai ? », sont présentés infra.

Résultats

Alexandre

Ce briqueteur de 21 ans se présente à la clinique remettant en question son orientation sexuelle. C’est un jeune homme plutôt timide qui n’a jamais eu de blonde, outre une petite amie en 5e année du primaire. Il n’a aucune expérience sexuelle avec autrui mais se masturbe régulièrement en regardant de la pornographie hétérosexuelle. Plusieurs filles dans son club de natation l’intéressent mais il est trop timide pour les aborder. Il y a trois ans, il était dans un camion avec un copain, et alors qu’ils se confiaient leurs difficultés respectives avec des filles, son copain lui aurait demandé s’il était gai. Le simple fait que quelqu’un d’autre le questionne sur sa sexualité – et par extension, dans sa tête, sur sa masculinité – a déclenché une panique chez lui. Il s’est demandé si cela se pouvait. Il a essayé de visionner de la pornographie gaie mais ceci l’a dégoûté. Il s’est mis à se questionner sur toutes ses amitiés afin de savoir s’il avait le béguin pour un de ses amis. Malgré l’absence totale d’homoérotisme, la question « suis-je gai ? » ne lui sort plus de la tête depuis ce moment. Il se sent envahi. Il surveille ses réactions physiologiques en regardant les gars comme les filles de son entourage ; ce qui a eu pour effet d’augmenter son niveau d’anxiété et de le rendre encore moins apte à parler aux filles qui l’intéressent. L’anxiété atteint son paroxysme lorsqu’il a des difficultés à éjaculer en regardant de la pornographie hétérosexuelle. Il interprète ceci comme un indice « d’une homosexualité refoulée ». Il se sent à la fois rebuté par l’homosexualité et incapable de la laisser de côté.

Daniel

Cet architecte de 30 ans vient à la clinique parce qu’il se plaint d’avoir « des pensées qui me disent que je suis gai ». Il raconte qu’à l’âge de 18 ans, il se rappelle avoir trouvé un acteur à la télévision attirant. Depuis lors, il s’est mis à remettre en question son orientation sexuelle. Il décrit ce questionnement comme étant irrationnel : il a un érotisme clair envers les femmes et a eu des expériences sexuelles totalement satisfaisantes avec celles-ci. Il a eu deux relations amoureuses de quelques années chacune avec des femmes. Il a mis fin à ces deux relations à cause de son dilemme : « Si je suis gai, je ne devrais pas entretenir ces relations. » Il a tenté de « se forcer à être gai » en consommant de la pornographie homosexuelle et en expérimentant la masturbation anale. Ces activités ne l’excitent guère. Malgré toutes ces expériences, la question « suis-je gai ? » persiste et s’intensifie. Au moment de consulter, ces idées l’accaparent toute la journée, rendent la concentration difficile, coupent son appétit et font en sorte qu’il refuse des invitations à socialiser. Il explique qu’il a peur qu’on remarque son anxiété et qu’on lui demande de s’expliquer. Il a très honte de son questionnement et ne veut pas avoir à le dévoiler. Son passé ne révèle aucune autre obsession ou compulsion, outre une inquiétude exagérée dans la jeune enfance d’attraper une maladie lorsqu’un membre de la famille était malade.

Jason

Ce jeune homme de 24 ans vit avec ses parents et est travailleur saisonnier. Il consulte pour des idées récurrentes et intrusives indiquant qu’il est gai. Pour lui, ces idées sont catastrophiques : le fait d’être gai est horrible même s’il dit ne pas avoir de problèmes avec le fait que d’autres personnes le sont. Le patient avoue un érotisme important envers les femmes : il a eu des attirances physiques, quelques expériences sexuelles et relations romantiques satisfaisantes avec les femmes. Il n’a jamais eu d’expérience avec un homme. Par ailleurs, il dit trouver les hommes beaux et se sent émotivement plus proche d’eux, ses meilleurs amis sont masculins et il prend ceci comme une preuve d’une homosexualité latente. Il préfère la pornographie hétérosexuelle à l’homosexuelle. Il considère le fait de se questionner à répétition comme étant le signe d’une homosexualité refoulée. Il a donc affirmé son orientation sexuelle à sa famille. Son père lui dit qu’il l’aime, quelle que soit son orientation. Ses frères et soeurs ont été surpris parce qu’ils ne le perçoivent pas comme gai. Sa mère lui a dit qu’elle pensait qu’il se trompait et qu’elle l’aimerait quelle que soit l’issue de son questionnement.

Simon

Ce jeune homme de 24 ans, étudiant en médecine, se présente à la clinique avec sa blonde qu’il fréquente depuis 10 mois. Il se plaint d’un questionnement récurrent « suis-je gai ? ». Il décrit la relation avec sa blonde comme satisfaisante, tant sur le plan de l’intimité émotive que sexuelle. Sa blonde corrobore que la relation va bien et ne s’inquiète pas de l’érotisme de son copain. Cependant, Simon se questionne à savoir s’il a « assez de plaisir ». C’est sa première relation sexuelle et il n’a donc aucun point de comparaison, outre ce qu’il voit à la télévision. Depuis le début de la relation, il a des idées indiquant qu’il serait davantage attiré par des hommes. Périodiquement, il se met à regarder les hommes pour vérifier son attirance envers eux. Heureusement, il a su distinguer le sentiment qu’il éprouvait (une anxiété accrue) de l’attirance et a réussi à cesser cette vérification au bout de quelques semaines. Par contre, à chaque moment où il se sent un peu stressé ou qu’il est fatigué, cette préoccupation revient. Par ailleurs, en faisant la revue des antécédents, monsieur raconte une période à la fin de l’adolescence où il craignait de devenir fou. Cette idée obsédante a persisté pendant 18 mois, répondant finalement à une thérapie cognitive après avoir persisté malgré un traitement par ISRS.

Discussion

Le diagnostic d’un TOC

Tous ces cas illustrent le désarroi qui peut accompagner un questionnement sur l’identité. De plus, dans les quatre cas, le questionnement identitaire semble indépendant de la présence ou de la prépondérance d’un érotisme envers le sexe opposé. En effet, malgré un hétéroérotisme prédominant ou même exclusif, la question « suis-je gai ? » se fait envahissante. Il faut comprendre que le doute représente une obsession. Celle-ci n’est pas raisonnable : elle ne répond pas à la raison. Elle est plutôt le symptôme d’un TOC. La reconnaissance d’une obsession doit déclencher la recherche de compulsions qui sont plus difficiles à identifier parce qu’elles sont davantage mentales que comportementales. Par exemple, s’exposer à une pornographie homosexuelle peut être compris comme une compulsion comportementale, mais mesurer son niveau d’excitation sexuelle lorsqu’exposé à cette pornographie serait davantage de l’ordre de la compulsion mentale. On peut distinguer les obsessions des compulsions mentales puisque les obsessions augmentent l’anxiété et les compulsions sont une réponse pour la diminuer.

Dans la documentation scientifique, on décrit principalement des compulsions mentales de deux ordres : 1) chercher à se faire rassurer sur son hétérosexualité ; et 2) vérifier ses réactions physiologiques pour déceler un érotisme. On décrit aussi l’évitement comme étant une autre manoeuvre pour réduire l’anxiété (Williams, Slimowicz, Tellawi et Wetterneck, 2014).

Les cas décrits ici n’ont pas présenté la compulsion de se faire rassurer par son entourage mais l’évitement et le monitoring des réactions physiologiques sont présents. En effet, Alexandre évite les filles, Daniel esquive les sorties avec ses amis et met fin aux relations amoureuses avec les filles, et les quatre hommes ont recours à diverses techniques pour évaluer leurs réactions physiologiques. Alexandre, Daniel et Jason ont eu recours à la pornographie pour tester leur niveau d’excitation sexuelle, et les quatre se sont mis à surveiller leurs réactions face aux gars et aux filles qu’ils ont rencontrés.

De plus, ces vignettes illustrent aussi un autre type de compulsion mentale : maintenir un débat continuel en tentant de déceler des « preuves » d’un homoérotisme inavoué et chercher à prouver hors de tout doute son orientation sexuelle par raisonnement intellectuel. Effectivement, on ne peut pas conclure de façon rationnelle ce qui est de l’ordre de l’émotif. Ce serait comme tenter de démontrer par raisonnement logique que quelqu’un aime la vanille. On peut le supposer selon ses comportements ou ses dires mais on ne pourra jamais prouver la qualité de son expérience sensorielle ou de l’émotion qui l’accompagne. Le danger avec la compulsion du débat éternel, c’est que le patient pourrait entraîner un thérapeute dans sa compulsion en lui posant toutes sortes de questions sur la sexualité. Le thérapeute pourrait être tenté d’offrir de l’éducation sexuelle pour réduire l’anxiété mais ceci équivaut à devenir complice de la compulsion.

Penzel (2012) décrit différentes façons de monitorer ses réactions physiologiques telles que regarder à répétition des images de femmes et d’hommes séduisants pour vérifier l’attirance envers ceux-ci, s’imaginer dans divers scénarios sexuels et noter sa réaction, se masturber ou avoir des relations sexuelles pour vérifier son excitation et avoir pour ces fins recours à des prostitués. Le débat éternel peut être entretenu en revoyant ses interactions passées avec des hommes et des femmes pour déceler si on a eu l’air gai, en lisant de façon répétée des articles sur la sortie du placard des personnes gaies pour y chercher une ressemblance ou une différence avec ce que l’on vit, en lisant et relisant des articles sur la façon d’identifier son orientation sexuelle. Il décrit en outre des mécanismes pour chercher à être rassuré : questionner son entourage de façon compulsive : « Pensez-vous que je pourrais être gai ? Est-ce que j’ai l’air gai ? Vous ai-je touché de façon sexuelle ?… »

Dans notre série de cas, certaines caractéristiques émergent : tous sont des jeunes hommes ayant relativement peu d’expériences sexuelles. Souvent, on retrouve dans leur passé d’autres idées obsédantes et/ou une certaine phobie sociale. En comparaison, la clientèle de notre clinique est composée d’environ 40 % de femmes, l’âge des patients varie de 10 à 70 ans, et leur niveau d’expérience sexuelle est variable.

L’âge habituel de l’apparition des symptômes du TOC est de 19,5 ans (APA, 2013) ce qui correspond à l’âge où les jeunes consolident leur identité sexuelle, soit 19,7 ans (Grov et al., 2006). Ainsi, il y a risque de confusion. Si le trouble obsessif compulsif n’est pas décelé, le thérapeute pourrait considérer les obsessions comme une sexualité refoulée et encourager le patient à accepter cette sexualité. Cette approche ne fera qu’aggraver l’anxiété.

Certains indices permettent de distinguer les obsessions sexuelles d’un TOC d’un véritable processus de questionnement identitaire. Chez une personne qui a une attirance pour le même sexe, il y a une progression de prise de conscience et d’acceptation au fil du temps. Pendant cette progression, l’homophobie s’estompera tranquillement. Chez les patients présentant un TOC, cette progression n’aura pas lieu et le niveau d’homophobie sera faible relativement à la détresse qu’engendre l’idée d’être gai. L’obsession vient menacer l’intégrité de l’identité : c’est cette menace, bien plus que celle d’appartenir à une minorité, qui provoque la détresse. Une personne attirée par le même sexe le sait mais se taira par honte tandis que le patient avec un TOC demeurera toujours incertain de son attirance et voudra en parler profusément afin d’arriver à mettre fin au doute. Devant une expérience ou une imagerie homosexuelle, le patient TOC sera anxieux et souvent dégoûté tandis que la personne avec un homoérotisme sera excitée mais pourra aussitôt vivre de la honte.

Le traitement du TOC homosexuel

Plusieurs approches complémentaires peuvent être utilisées pour traiter le TOC : la psychoéducation, la thérapie cognitivo-comportementale (Nice, 2005), la thérapie basée sur la pleine conscience (Hamilton, 2008) ainsi que la pharmacologie (Nice, 2005). Le but n’est pas de faire une recension des avenues thérapeutiques du TOC mais de souligner les approches spécifiques lorsque les obsessions sont de l’ordre du questionnement de l’orientation sexuelle. C’est d’autant plus important puisque l’on considère que le TOC homosexuel prend plus de temps à traiter (Grant et al., 2006) et que la réponse au traitement serait moins complète (Rufer et coll., 2006).

De façon générale, la psychothérapie visera quatre objectifs : 1) éduquer sur le TOC ; 2) identifier les processus mentaux qui maintiennent le TOC ; 3) dédramatiser les pensées homosexuelles pour réduire l’importance qu’on leur accorde ; et 4) faire l’exposition et la prévention de rituels.

L’éducation sur le TOC comprendra l’explication de ce que sont l’obsession, la compulsion et l’évitement et comment les trois sont interdépendants. On expliquera que chaque fois qu’on utilise une compulsion pour réduire l’anxiété induite par l’obsession, on renforce l’idée que l’obsession est dangereuse et a besoin d’être évitée ou encore contrecarrée par la compulsion. On décrira les diverses distorsions cognitives qui peuvent être à la base du TOC. Par exemple, la fusion de l’action et la pensée fait en sorte que l’idée d’avoir des relations sexuelles avec un partenaire de même sexe équivaut dans sa psyché à le faire réellement. Ainsi, on peut avoir le même niveau de honte ou de dégoût. On peut aussi être amené à croire que si l’idée vient, l’action suivra certainement. En fait, dans le TOC homosexuel, comme dans les autres TOC d’ailleurs, ce n’est pas le fait d’avoir une idée qui est le problème mais bien l’interprétation et l’importance qu’on lui confère.

En effet, dans la population générale, des idées sexuelles egodystones sont fréquentes. Dans une étude menée sur des étudiants universitaires, 84 % rapportaient des idées sexuelles intrusives (Byers, Purdon et Clark,1998). Plus spécifiquement, 19 % des hommes et 25 % des femmes rapportaient avoir eu l’idée intrusive d’avoir des relations sexuelles contre leur préférence sexuelle. Dans une étude similaire, 43 % des femmes et 50 % des hommes ayant eu l’idée d’avoir des relations sexuelles contraires à leur orientation ont décrit ces cognitions comme négatives, alors que 37 % des femmes et 20 % des hommes les ont décrites comme positives (Renaud et Byers, 1999). Cela démontre la fréquence de ces idées et peut servir à étayer leur innocuité.

Une façon de s’attaquer à la fusion entre la pensée et l’action est d’éduquer sur les dimensions de la sexualité. L’orientation sexuelle comporte plusieurs dimensions : l’attirance sexuelle, l’attirance émotive, le comportement et l’identité, et il n’y a pas nécessairement une concordance entre ces dimensions (Igartua et al., 2009). Par exemple, il est possible d’avoir des attirances émotives pour les femmes et des attirances sexuelles pour les hommes. Aussi, tout comme une attirance n’implique pas nécessairement un comportement, un comportement ou une attirance ne définit pas une identité et il est donc possible de s’identifier comme hétérosexuel et avoir à l’occasion des pulsions sexuelles pour les personnes du même sexe.

En poussant plus loin la réflexion, on peut aussi défaire la binarité rigide sur chacune de ces dimensions. Le fait d’être attiré vers un sexe est une caractéristique différente et indépendante de l’attirance envers l’autre sexe. Par exemple, un homme attiré par les femmes peut avoir également 1) aucune, 2) une petite ou 3) une grande attirance pour les hommes. L’attirance pour les femmes n’est pas l’inverse de l’attirance pour les hommes. L’homosexualité a comme prérequis une attirance pour le même sexe et non pas un manque d’attirance ou de plaisir avec le sexe opposé.

De plus, comme l’attirance pour un sexe est indépendante de l’attirance pour l’autre sexe, il est tout à fait possible, et même relativement fréquent, qu’un être avec un hétéroérotisme prédominant puisse avoir aussi des pulsions homoérotiques. S’il y a une homophobie importante, ces pulsions pourront déranger puisque l’individu s’imputera de tous les attributs négatifs qu’il associe à l’homosexualité. Déconstruire tous ces préjugés dédramatisera ces pensées. Réduire l’homophobie, c’est réduire une partie de la catastrophe reliée à l’idée obsédante lorsque celle-ci arrive dans le contexte d’un certain homoérotisme.

Lorsqu’il n’y a aucun homoérotisme, la catastrophe vient davantage d’une menace à l’identité. Chez une personne avec une identité hétérosexuelle solide sans TOC, les pensées homosexuelles seront passagères et peu d’importance leur sera accordée. Il est donc utile d’éduquer sur l’importance exagérée accordée à des idées qui devraient être transitoires. Ce n’est pas parce que quelqu’un a eu une idée, une attirance, un questionnement ou un fantasme homosexuel que cela nie son hétérosexualité.

Une fois le diagnostic de TOC posé et l’inventaire érotique fait, il faut éviter d’entrer avec l’individu dans un débat ou une investigation sur sa sexualité parce que cela équivaut à participer à ses compulsions mentales et ne fait que renforcer l’importance du doute obsessionnel. Il est plus thérapeutique d’amener l’individu à tolérer le doute et à diminuer l’importance de se coller une étiquette sexuelle. L’étiquette n’est pas nécessaire pour dicter son avenir, elle n’est pas un critère dans les décisions réelles. Au fond, c’est toujours dans l’hypothétique que le questionnement vient. Dans les circonstances réelles, les émotions guideront : « Si j’aime cette personne et que je la désire sexuellement, c’est ça qui compte et non l’étiquette que je pourrais me coller. »

Afin de réduire l’anxiété reliée à l’homosexualité, Williams et ses collaborateurs prônent une exposition graduée à l’homosexualité, en imagination et in vivo (Williams, Crozier et Powers, 2011). L’important, et le plus difficile, est que le patient prenne conscience de ses compulsions mentales et s’empêche de les avoir lors de l’exposition. Ainsi, l’individu devient éventuellement capable d’entrer en contact avec des personnes du même sexe sans monitorer ses réactions physiologiques, et apte à côtoyer des personnes homosexuelles sans se comparer à elles. Au fur et à mesure que l’exposition progresse, et qu’elle est découplée des compulsions, l’individu apprendra l’innocuité des idées sur la sexualité qui deviendront moins obsédantes.

Conclusion

Cet article conscientise les cliniciens à l’existence du TOC homosexuel et met en lumière les différences entre sa présentation clinique et celle du cheminement normal d’un individu qui développe une identité de sexualité minoritaire. Notamment, les patients présentant un TOC homosexuel n’ont peu ou pas d’érotisme envers le même sexe, ils ont généralement peu d’expériences romantiques et sexuelles, ils maintiennent un monitoring constant de leurs réactions physiologiques, et entretiennent dans leur tête et avec qui veut bien y participer un débat continuel sur leur sexualité. Ils accordent trop d’importance à des idées qui pourraient n’être que passagères. Ils pourront s’isoler, évitant les personnes de leur sexe, craignant d’être attirés, et évitant les personnes du sexe opposé, appréhendant de ne pas sentir d’attirance. Ils tenteront des expériences homosexuelles et celles-ci les dégoûteront. Leur niveau d’inconfort avec les idées homosexuelles sera hors de proportion avec leur niveau d’homophobie. L’article présente aussi quelques pistes thérapeutiques, dont l’éducation sur le TOC et sur la sexualité.