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Les troubles mentaux constituent la principale cause d’invalidité et entraînent des coûts importants notamment en termes de perte de productivité. En 2010, les données d’enquêtes de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) indiquaient que près de 1 personne sur 5 serait atteinte d’un trouble mental au cours de sa vie (ISQ, 2010). En 2012, un rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) estimait que la prévalence annuelle des troubles mentaux au Québec se situait autour de 12 %. Les troubles anxieux et dépressifs représentent près de 65 % de l’ensemble des troubles mentaux (INSPQ, 2012).

Les médicaments psychotropes demeurent l’option thérapeutique la plus souvent proposée aux patients qui présentent des troubles mentaux modérés (Fleury & Grenier, 2012). En effet, la prévalence de l’usage des antidépresseurs chez l’adulte assurés par le régime public d’assurance médicaments est passée de 8,1 % en 1999 à 14,4 % en 2009 (Fleury & Grenier, 2012). La psychothérapie représente pourtant un traitement qu’il conviendrait de considérer et ce d’autant plus que la plupart des guides de pratique clinique recommandent la psychothérapie pour le traitement de différents troubles mentaux modérés (AIHW, 2010 ; CANMAT, 2009 ; NICE, 2004 ; NICE, 2005a ; NICE, 2005b ; NICE, 2009 ; NICE, 2011). Celle-ci est ainsi considérée comme un traitement indépendant ou un complément efficace à la médication (APA, August, 2012). Elle constitue également l’option thérapeutique préférée par les patients dans une proportion de 0,75 (95 % CI, 0,69-0,80 (McHugh, Whitton, Peckham, Welge, & Otto, 2013).

Dans le but d’améliorer l’accès à ces services, le Ministère de la Santé et des Services sociaux a confié à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux le mandat d’évaluer l’efficacité de la psychothérapie. L’objectif de cette étude est donc d’analyser les données probantes portant sur l’efficacité de la psychothérapie comparativement à ceux de la pharmacothérapie dans le traitement des adultes souffrant de troubles anxieux et dépressifs.

Méthodologie

Un premier recensement des revues de littérature traitant de la psychothérapie comparée à la pharmacothérapie dans le traitement des adultes souffrant de troubles mentaux a d’abord été effectué. Une de ces revues (APS, 2010), par ailleurs la plus récente, fut évaluée avec l’outil d’évaluation Assessment of Multiple Systematic Reviews (AMSTAR) (Shea et al., 2007) et fut jugée de bonne qualité ; elle a donc été choisie comme revue de base ou de référence, c’est-à-dire comme point de départ aux fins d’analyse. Celle-ci fut ensuite mise à jour en effectuant une revue des revues systématiques qui ont été publiées entre 2009 et 2013. La stratégie de recherche documentaire (voir Figure 1), inspirée de celle de la revue de référence de l’Association for Psychological Science (APS) (2010), a été appliquée aux bases de données Medline (par l’interface PubMed), Cochrane Library, CINAHL, Web of Science et des agences d’évaluation des technologies de la santé ou Health technology assessment – HTA (administrée par le Centre for Reviews and Dissemination). L’exploration de la littérature grise a été centrée sur l’information disponible sur les sites Web du National Institute for Health and Care Excellence (NICE), de la Haute Autorité de Santé (HAS) (France), du Canadian Agency for Drugs and Technologies in Health (CADTH), et de lAmerican Psychological Association (APA). Seuls les documents publiés en anglais ou en français ont été retenus. De plus, une catégorisation des niveaux de la qualité de l’ensemble de la preuve scientifique établie en fonction des plans d’étude de même qu’en fonction de la nature des données recueillies a été effectuée.

Critères de sélection des études

La sélection des études a été faite par un des auteurs, C. Jehanno (CJ), et validée par un deuxième, A. K. Fansi (AKF) ; les divergences ont été réglées par consensus. Le test de concordance Kappa mesurant l’accord interjuges a été utilisé (Landis & Koch, 1977). Les critères d’inclusion étaient les suivants : le type des études était les études de synthèse telles que les revues systématiques, les méta-analyses et les rapports d’évaluation des technologies en santé (ÉTS) ; la population incluait les adultes souffrant de troubles anxieux ou dépressifs ; les interventions concernaient tous les types de psychothérapies ; les comparateurs étaient essentiellement la pharmacothérapie ou la combinaison de la psychothérapie et de la pharmacothérapie ; les résultats illustrant l’efficacité étaient essentiellement la réduction des symptômes d’anxiété et de dépression ; la durée du suivi devait être de soit court, moyen ou long termes ; les milieux hospitaliers, les soins ambulatoires et les consultations externes étaient pris en considération.

Les types de publications qui ont été exclus de l’analyse étaient les études primaires[1] incluant les essais cliniques randomisés ou non, les études observationnelles (études de cohortes, études cas témoins) ; et les études de cas, les enquêtes, les éditoriaux, les lettres, les résumés et rapports de conférence ; et enfin les études sur des personnes souffrant d’autres troubles de santé mentale tels que la dysthymie[2], le trouble bipolaire, la démence, la schizophrénie, le trouble de la personnalité, le trouble de l’alimentation, la toxicomanie, etc.

Analyse de la qualité des études retenues

L’analyse de la qualité méthodologique des études a été effectuée en double et de façon indépendante par deux auteurs (AKF, CJ). La grille d’évaluation AMSTAR a été utilisée pour l’évaluation des revues systématiques avec ou sans méta-analyse (Shea, et al., 2007).

Catégorisation de la qualité de la preuve

La catégorisation de la qualité de la preuve a été effectuée par un auteur et validée par le deuxième ; les divergences ont été réglées par consensus. Cette catégorisation tenait compte du devis des études incluses dans les revues de synthèse retenues, mais aussi la nature des données recueillies (quantitatives ou qualitatives) et l’échelle proposée par le groupe de travail de l’American College of Chest Physicians (Guyatt et coll., 2006). Ce système distingue les catégories suivantes pour juger de la qualité de la preuve scientifique fondée sur les données probantes : – élevée : si la preuve est soutenue par les résultats d’essais cliniques randomisés (ECR) sans limites méthodologiques importantes ou études observationnelles comportant de forts éléments de preuve ; – modérée : si cette preuve est fondée sur des ECR ayant des limites importantes (résultats contradictoires, failles méthodologiques et preuve indirecte ou imprécise) ou études observationnelles comportant de très forts éléments de preuve ; – faible : si la preuve est fondée sur des études observationnelles ou des séries de cas.

Extraction des données

L’extraction des données a été faite de façon indépendante par les deux auteurs. Une grille d’extraction a été établie afin de documenter les caractéristiques des études [plan, taille de l’échantillon et de la population recrutée (âge, sexe et diagnostic), les interventions, la durée des suivis, les résultats et les conclusions]. L’efficacité de la psychothérapie a été évaluée à partir de la taille de l’effet des résultats sur le degré de réduction des symptômes, mesuré à l’aide de différentes échelles de dépression ou d’anxiété telles que le Beck Depression Inventory (BDI), le Beck Hopelessness Scale, le Hamilton Depression Rating Scale (HDRS), le Generalised Anxiety Disorder Assessment (GAD-7), le Panic Disorder Severity Scale (PDSS) et le Clinical Global Impression of Severity (CGI).

Résultats

La recherche documentaire et l’application de critères d’inclusion et d’exclusion prédéfinis ont permis de retenir des 804 articles répertoriés, 1 revue systématique de littérature de référence et 12 revues systématiques (Figure 2). Ces revues ont été jugées de bonne qualité selon les grilles AMSTAR (voir Tableau 1). Le coefficient Kappa était de 0,70, stipulant un accord fort entre les juges lors de la sélection des revues systématiques incluses (Landis & Koch, 1977). Le niveau de l’ensemble de la preuve scientifique a été jugé de qualité modérée à élevée.

Caractéristiques des études incluses

La revue de la littérature de référence, c’est-à-dire utilisée comme point de départ, est celle publiée par l’Australian Psychological Society (APS, 2010). Elle est fondée sur les données de 9 études de synthèse relativement récentes dont, pour les troubles dépressifs, 3 revues systématiques comptant 107 études primaires (De Mello, De Jesus Mari, Bacaltchuk, Verdeil, & Neugebauer, 2005) (Oei & Dingle, 2008) (NICE, 2009) et 1 ECR portant sur 40 adultes (Laidlaw et al., 2008) ; et les troubles anxieux, 3 revues systématiques comptant au moins 124 études primaires (Mitte, 2005 ; NICE, 2004), 1 ECR indépendant portant sur 150 participants (Van Apeldoorn et al., 2008) et 1 EC non randomisé portant sur 87 adultes (Ferrero et al., 2007). Les paramètres de résultats examinés ne sont pas présentés de façon détaillée et n’ont pas fait l’objet d’une méta-analyse.

Les résultats de la mise à jour réalisée afin de compléter la revue australienne de référence incluaient 12 revues systématiques, y compris les méta-analyses, dont :

  • 2 revues systématiques qui traitent à la fois des troubles dépressifs et des troubles anxieux (Cuijpers et al., 2013 ; Roshanaei-Moghaddam et al., 2011) avec pour Cuijpers et ses collaborateurs 67 ECR (40 sur les troubles dépressifs et 27 sur les troubles anxieux) totalisant 5 993 patients, et pour Roshanaei-Moghaddam et ses collaborateurs, 42 études (21 sur les troubles dépressifs et 21 sur les troubles anxieux) totalisant 3 293 patients ;

  • 9 revues systématiques qui portent uniquement sur les troubles dépressifs (Bell & D’Zurilla, 2009 ; Cuijpers, Andersson, Donker, & Van Straten, 2011 ; Cuijpers et al., 2011 ; Cuijpers, Reynolds, et al., 2012 ; Cuijpers, Van Straten, Warmerdam, & Andersson, 2009 ; Gould, Coulson, & Howard, 2012 ; Khan, Faucett, Lichtenberg, Kirsch, & Brown, 2012 ; Spielmans, Berman, & Usitalo, 2011 ; Van Hees, Rotter, Ellermann, & Evers, 2013) incluant environ 138 études avec 18 707 patients ;

  • et 1 revue systématique qui porte uniquement sur les troubles anxieux (Canton, Scott, & Glue, 2012) incluant 9 ECR totalisant environ 922 patients.

La liste des études retenues avec leurs principales caractéristiques est présentée dans le Tableau 2. La mesure des paramètres de résultats, tels que la diminution des symptômes, a été effectuée à l’aide d’échelles validées dans la littérature scientifique. La durée de suivi post-traitement varie de 3 à 24 mois permettant la mesure de l’effet de la psychothérapie.

Résultats sur l’efficacité

Pour les troubles dépressifs

Dans la revue de la littérature de l’APS (basée sur 3 revues systématiques et 1 ECR), l’efficacité de la psychothérapie, et particulièrement de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), s’est avérée comparable à celle des antidépresseurs, lors de l’évaluation post-traitement, sur le plan de l’amélioration des symptômes cliniques (NICE, 2009) (Laidlaw, et al., 2008). Cependant, la TCC s’est avérée plus efficace que les antidépresseurs au suivi de 6 à 12 mois et présentait un taux de rechutes moindre (NICE, 2009) (Laidlaw, et al., 2008). La TCC s’est avérée aussi efficace lorsqu’elle était administrée en format de groupe ou individuel (Oei & Dingle, 2008).

Par ailleurs, aucune différence statistiquement significative n’a été décelée entre la thérapie interpersonnelle (TIP) et les antidépresseurs (De Mello, et al., 2005) (NICE, 2009). Les résultats sont toutefois moins unanimes en ce qui concerne la thérapie psychodynamique (TPD). En effet, une étude de la revue systématique réalisée par le NICE (2009) indique que ce type de thérapie présente une efficacité similaire à celle de la pharmacothérapie alors qu’une autre indique que l’efficacité de la pharmacothérapie est supérieure à celle de ce type de thérapie (NICE, 2009).

Les nouvelles revues de synthèse corroborent, dans la plupart des cas, les résultats de la revue de littérature de référence et indiquent que l’efficacité de la psychothérapie est similaire à celle de la pharmacothérapie chez les adultes atteints de troubles dépressifs (Tableau 3). Ce constat est relevé par les deux revues systématiques traitant à la fois des troubles dépressifs et des troubles anxieux (Cuijpers, et al., 2013 ; Roshanaei-Moghaddam, et al., 2011) et les revues systématiques traitant seulement des troubles dépressifs. Ainsi, outre la TCC, l’efficacité de la TIP individuelle est similaire à celle de la pharmacothérapie (Van Hees, et al., 2013) et ce, auprès de diverses populations adultes que cela soit les adultes avec des troubles dépressifs, les personnes âgées souffrant de dépression (3 études, nombre moyen de patients = 62), les patients dépressifs avec un problème de santé physique, les patients dépressifs hospitalisés, suivis en première ligne (21 études, nombre moyen de patients = 149) ainsi que les patients atteints de dépression mineure (2 études, nombre moyen de patients = 39) et de dépression chronique (1 étude, nombre de patients = 218) (Cuijpers, Reynolds, et al., 2012). Cependant, dans des circonstances spécifiques, ces mêmes auteurs ont trouvé que la pharmacothérapie était plus efficace que la psychothérapie notamment chez les patientes souffrant de dépression post-partum (g = -0,48, IC à 95 % : -0,75, -0,22) ainsi que chez les femmes ayant des problèmes d’infertilité (g = -0,94, IC à 95 % : -1,47, -0,41). Ces derniers résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence, puisqu’ils ne reposent que sur une seule étude comptant respectivement 109 et 30 patientes.

La revue systématique de Khan et ses collaborateurs (2012), quant à elle, ne montre aucune différence entre la psychothérapie (TCC et TIP) et les antidépresseurs (Khan, et al., 2012). Dans leur revue systématique de 2011, Cuijpers et ses collaborateurs mentionnent que l’efficacité de la psychothérapie dans le traitement de la dépression légère et modérée est similaire à celle de la pharmacothérapie. De même, Spielmans et ses collaborateurs (2011) ont montré que l’efficacité d’une psychothérapie bona fide[3] et spécifiquement la TCC, n’était pas, sur l’échelle de dépression, statistiquement significativement différente de celle des antidépresseurs de deuxième génération, à court terme. Cependant, les effets bénéfiques de la psychothérapie étaient légèrement supérieurs à ceux des antidépresseurs au suivi allant jusqu’à 40 semaines (d = -0,26, p = 0,003, I2 = 7,88 %).

Selon Bell et D’Zurilla (2009), la thérapie de résolution des problèmes (TRP) était aussi efficace que les médicaments, sans leur être supérieure. Enfin, Gould et ses collaborateurs (2012) n’ont rapporté aucune différence statistiquement significative entre la TCC et les autres formes de traitement (autres psychothérapies ou pharmacothérapie) dans le traitement des troubles dépressifs.

En ce qui a trait à la comparaison entre la psychothérapie seule et la psychothérapie combinée à la pharmacothérapie, les données tendent à montrer une efficacité supérieure du traitement combiné chez certains patients souffrant de troubles dépressifs. Ainsi, en 2012, Cuijpers et ses collaborateurs ont montré que la combinaison de traitements pharmacologique et psychologique était significativement plus efficace que la psychothérapie seule chez les patients souffrant de dépression chronique (1 étude, g = 0,54, IC à 95 % : 0,35, 0,73), nombre moyen de patients = 221, p < .001) ainsi que chez les patients dépressifs ayant des troubles mentaux concomitants qui reçoivent des soins ambulatoires (9 études, g = 0,40. IC à 95 % : 0,13-0,67, nombre moyen de patients = 44, p < .01, coefficient d’hétérogénéité significative et modérément élevée) (Cuijpers, Reynolds, et al., 2012). De même, la revue systématique de Khan et ses collaborateurs (2012) montre que la combinaison des antidépresseurs et de la psychothérapie contribue à une plus grande réduction des symptômes dépressifs et peut procurer un léger avantage par rapport à la psychothérapie seule (p = .022). Dans leur revue systématique de 2011 et 2009, Cuijpers et ses collaborateurs mentionnent également que la combinaison de traitements est plus efficace que la psychothérapie seule dans le traitement des troubles dépressifs (Cuijpers, Clignet, et al., 2011 ; Cuijpers, et al., 2009). La taille de l’effet moyenne concernant la combinaison de la psychothérapie et de la pharmacothérapie est faible (g = 0,35, IC à 95 % : 0,24-0,45 ; p < .001). Les analyses de sous-groupes ont montré que cette différence était significativement plus faible dans les études où la TCC était examinée ; elle avait tendance à être plus grande dans les études portant sur des populations spécifiques (sujets âgés, VIH, dépression chronique) plutôt que dans les études sur les adultes et les études où les antidépresseurs tricycliques (ATC) et les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) étaient comparés aux médicaments prévus dans le protocole ou à d’autres antidépresseurs. Aucune différence n’a été relevée au cours du suivi.

Pour les troubles anxieux

Les données tendent à montrer une efficacité similaire ou une absence de différence statistiquement significative lorsque l’on compare la psychothérapie à la pharmacothérapie chez les patients souffrant de troubles anxieux. En effet, dans la revue de la littérature de l’APS (basée sur 3 revues systématiques, 1 ECR et 1 essai clinique ou EC non randomisé), aucune différence statistiquement significative n’a été démontrée dans les paramètres de résultats entre la thérapie psychodynamique (TPD) et la pharmacothérapie. Un EC non randomisé d’une durée de 12 mois sur des patients souffrant d’un trouble d’anxiété généralisée (TAG) a permis de montrer les bénéfices de la psychothérapie en termes de soulagement de symptômes (Ferrero, et al., 2007). En ce qui a trait au trouble panique, aucune différence statistiquement significative n’a été établie concernant l’efficacité de la TCC comparée à celle de la pharmacothérapie, y compris les ATC et les ISRS (NICE, 2004) (Mitte, 2005 ; Van Apeldoorn, et al., 2008).

Les nouvelles revues de synthèse issues de la mise à jour de la revue de la littérature de référence montrent que les observations vont dans le même sens que celles précédemment répertoriées (Tableau 4). Ainsi, les données tendent à montrer une efficacité similaire lorsque l’on compare la psychothérapie à la pharmacothérapie chez les patients souffrant de troubles anxieux. Ce constat est relevé par les deux revues systématiques traitant à la fois des troubles dépressifs et des troubles anxieux (Cuijpers, et al., 2013 ; Roshanaei-Moghaddam, et al., 2011). Malgré la grande hétérogénéité des 30 études considérées dans la revue systématique de Cuijpers et ses collaborateurs, celle-ci indique une légère supériorité de la psychothérapie, surtout la TCC, comparativement à la pharmacothérapie dans le traitement des patients atteints de troubles anxieux en général (g = 0,10 ; IC à 95 % : -0,05, 0,25, I2 = 71 % ; IC à 95 % : 59 à 80). De façon spécifique, la psychothérapie s’est avérée plus efficace (effet moyen) que la pharmacothérapie dans le traitement des patients ayant un trouble obsessionnel-compulsif (TOC) (g = 0,64 ; IC à 95 % : 0,20 à 1,08 ; I2 = 72 % ; IC à 95 % : 36 à 88), mais cet effet n’était que faiblement significatif. Dans la revue systématique effectuée par Roshanaei-Moghaddam et ses collaborateurs (2011), l’efficacité de la psychothérapie, spécifiquement la TCC, était similaire à celle de la pharmacothérapie (d = 0,25 ; IC à 95 % : -0,02 à 0,55). L’effet de la TCC sur le trouble panique était statistiquement supérieur à celui de l’effet de la médication (d = 0,50, IC à 95 % : 0,02 à 0,98). Un effet similaire a été observé sur les TOC (d = 0,49 ; IC à 95 % : -0,11, 1,09). Aucune différence significative n’a été relevée entre la pharmacothérapie et la psychothérapie concernant l’effet sur la phobie sociale (d = -0,22, IC à 95 % = -0,50, 0,06).

En outre, dans la revue systématique de Canton et ses collaborateurs (2012), les conclusions sont les mêmes que les précédentes allant dans le sens d’une efficacité similaire entre la psychothérapie et la pharmacothérapie chez les patients souffrant de troubles anxieux. Ainsi, aucune différence statistiquement significative n’a été établie, sur le plan de l’efficacité, entre les ISRS et les traitements psychologiques (Canton, et al., 2012) et entre les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) et les traitements psychologiques. Comme dans le cas des troubles dépressifs, les traitements psychologiques ont montré un meilleur maintien des gains thérapeutiques à long terme et une protection accrue contre la rechute comparativement à ceux des traitements pharmacologiques.

En ce qui a trait à la comparaison entre la psychothérapie et la combinaison de la psychothérapie et de la pharmacothérapie, les données tendent à montrer une efficacité supérieure de la combinaison chez les patients souffrant de troubles anxieux. Ainsi, dans la revue de la littérature de référence, soit celle de l’APS, la combinaison de la TCC et de la pharmacothérapie était légèrement plus efficace que la TCC seule pour traiter les symptômes du trouble panique (Mitte, 2005 ; Van Apeldoorn, et al., 2008). Canton et ses collaborateurs (2012) tendent également à montrer une efficacité supérieure de la combinaison pharmacothérapie à l’aide des IMAO et traitement psychologique comparée au traitement psychologique seul. Cependant, ce constat était fondé sur des études où les échantillons étaient de petite taille et, par conséquent, avaient un pouvoir statistique limité.

Discussion

Les données montrent une efficacité similaire de la psychothérapie et de la pharmacothérapie chez les patients souffrant de troubles dépressifs ou de troubles anxieux. Cependant, les bénéfices tirés de la psychothérapie se maintiennent plus longtemps après la fin du traitement que ceux des médicaments. Ainsi, la psychothérapie permet une meilleure prévention de la rechute.

Par ailleurs, la psychothérapie combinée à la pharmacothérapie est plus efficace que la psychothérapie seule dans le traitement de certains patients souffrant de troubles anxieux ou dépressifs, notamment chez les patients souffrant de dépression chronique sévère. Même si aucune différence n’a été relevée au cours du suivi entre la psychothérapie seule et la combinaison, selon certaines études, la combinaison contribuerait à une diminution plus substantielle des symptômes dépressifs.

La qualité de la preuve scientifique de ces études considérées est qualifiée de modérée à élevée. Les revues systématiques d’ECR ont été prises en compte et certaines limites méthodologiques ont été relevées dans ces ECR. Celles-ci ont trait, entre autres, à l’utilisation préalable ou concomitante de médicaments ou de la psychothérapie chez les participants, au transfert de patients dans l’autre groupe de traitement en l’absence de réponse au traitement initial, à l’augmentation de la dose ou au changement du type d’antidépresseur en cours de traitement, alors que ce type d’ajustement n’est pas possible dans le cas de la psychothérapie, et à l’exclusion des patients qui ne répondent pas à une thérapie lors du prétest (Spielmans, et al., 2011).

Ne faire qu’une revue des revues de synthèse mène au fait que l’évaluation de l’efficacité porte principalement sur un paramètre de résultat, notamment l’amélioration des symptômes mesurée par différentes échelles standardisées. Cela limite l’exploration approfondie de certains autres paramètres de résultats, tels que l’amélioration de la qualité de vie et le retour au travail. En outre, ces revues de synthèse n’ont pas traité spécifiquement des effets néfastes de la psychothérapie (par exemple l’aggravation des symptômes ou l’absence d’amélioration) ni des effets secondaires associés aux médicaments. L’analyse des études primaires aurait sans doute permis d’obtenir plus d’information sur ces éléments. Le type exact de psychothérapie ou de médicament utilisé n’est pas toujours précisé dans les publications. Bien que la revue systématique de Spielmans et ses collaborateurs (2011) ne rapporte aucun impact du mode psychothérapeutique privilégié par l’auteur sur les résultats obtenus en faveur de certaines psychothérapies, de nombreuses méta-analyses ont rapporté de façon constante une corrélation notable entre le type de psychothérapie privilégié par l’auteur et l’efficacité de la psychothérapie (Cuijpers, Driessen, et al., 2012 ; Cuijpers, et al., 2013 ; Luborsky et al., 1999). Par ailleurs, les résultats sur l’efficacité de certaines psychothérapies, notamment la thérapie d’orientation psychodynamique (TPD), n’ont pas été explorés en profondeur.

Les coefficients d’hétérogénéité rapportés dans les différentes revues variaient de faibles à élevés, indiquant ainsi une variabilité importante entre les études incluses dans ces revues. Cette variabilité peut s’expliquer par plusieurs éléments, notamment la fiabilité des diagnostics des patients, le type d’échelle utilisée pour mesurer les symptômes et leur gravité, la durée du traitement et la durée des suivis post-traitement. De plus, peu d’études ont mesuré les effets des traitements à long terme (plus de 2 ans).

Par ailleurs, plusieurs troubles n’ont pas été considérés dans notre revue en raison, entre autres, du nombre restreint d’études d’efficacité portant sur ces troubles. C’est le cas notamment de la dysthymie, de la dépression saisonnière, des troubles bipolaires et des troubles de l’adaptation. Notre analyse porte principalement sur la dépression majeure et les principaux troubles anxieux et ne nous permet pas de statuer sur l’efficacité comparée de la psychothérapie et de la pharmacothérapie dans le traitement des autres troubles dépressifs et anxieux. La revue des revues de synthèse n’a pas non plus tenu compte de la gravité, de la chronicité et des affections concomitantes associées aux troubles anxieux ou dépressifs. Plusieurs ECR portent sur des médicaments de moins en moins utilisés, par exemple les ATC et les IMAO ; les résultats obtenus pourraient donc être différents dans le contexte actuel.

En conclusion, la psychothérapie semble être aussi efficace que la pharmacothérapie chez les patients adultes souffrant de troubles dépressifs ou de troubles anxieux modérés. Les bénéfices tirés de la psychothérapie se maintiennent plus longtemps après la fin du traitement que ceux des médicaments. Cependant, au regard de quelques limites méthodologiques, d’autres études plus approfondies sont nécessaires.